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08/11/2024 | FRANCE | N°24PA00203

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 08 novembre 2024, 24PA00203


Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office. Par un jugement n° 2312273 du 13 décembre 2023 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel M. B... A... pourra être

éloigné d'office pour erreur de droit et violation des stipulations de...

Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office. Par un jugement n° 2312273 du 13 décembre 2023 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel M. B... A... pourra être éloigné d'office pour erreur de droit et violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour : I- Par une requête enregistrée le 11 janvier 2024 sous le n° 24PA00203, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement n° 2312273 du 13 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a fait droit à la demande de M. A... en annulant l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office ; 2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif. Il soutient que : - le moyen retenu par le tribunal est mal fondé dès lors que le tribunal administratif est incompétent pour statuer sur les risques encourus en cas de retour dans le pays d'origine dans le cadre de l'asile ; - que la situation en Haïti n'entre pas dans le cas d'un conflit armé entre deux Etats ou bien entre l'Etat haïtien et un groupe rebelle à l'image d'une guerre civile ; - que M. A... n'a pas précisé faire partie d'un groupe systématiquement exposé à des mauvais traitements ; - les autres moyens avancés par M. A... en première instance ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense enregistré le 28 août 2024, M. A..., représenté par Me Galmot, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés. II-°Par une requête enregistrée le 11 janvier 2024 sous le n° 24PA00204, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement attaqué. Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. La requête a été transmise à M. A... qui n'a pas produit d'observations. Vu les autres pièces des dossiers. Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - le code de justice administrative. Le président de la formation de jugement a décidé de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Boizot ; - et les observations présentées par Me Galmot pour M. A.... Considérant ce qui suit : 1. M. A..., ressortissant haïtien, né le 17 novembre 1983 à Bainet (Haïti), est entré sur le territoire français le 2 juin 2010 selon ses déclarations. Par un arrêté du 13 octobre 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Par un autre arrêté de la même date, il a été placé en rétention administrative par la même autorité. Le préfet de la Seine-Saint-Denis, par un arrêté du 18 octobre 2023, l'a maintenu en rétention suite à la demande d'asile formée en rétention le 17 octobre 2023 par l'intéressé. Le 26 octobre 2023, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a rejeté sa demande de protection internationale. Par une décision du 2 novembre 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 13 octobre 2023 en tant que le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé la République d'Haïti comme pays à destination duquel M. A... pourra être reconduit d'office et a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer sa situation. Par arrêté du 12 novembre 2023 notifié le même jour, le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel M. A... pourra être éloigné d'office, soit Haïti ou tout autre pays dans lequel il établit être légalement admissible. Par un jugement n° 2312273 du 13 décembre 2023 dont le préfet de la Seine-Saint-Denis interjette régulièrement appel, le tribunal administratif de Melun a fait droit à la demande de M. A... en annulant l'arrêté du 12 novembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a fixé le pays à destination duquel M. B... A... pourra être éloigné d'office. Sur la jonction : 2. Les requêtes susvisées nos 24PA00203 et 23PA00204, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt. Sur les conclusions de la requête n° 24PA00203 : 3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Et aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable à la date de la décision attaquée : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Pour l'application de ces dispositions il y a lieu de déterminer si, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, s'il est renvoyé dans son pays, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 précité. L'existence d'un tel risque peut découler aussi bien de caractéristiques personnelles de l'intéressé ou d'une situation qui lui est propre, que d'une situation générale de violence aveugle prévalant dans son pays de retour en raison d'un conflit armé interne ou international, ou d'une combinaison des deux facteurs. Cependant, toute situation générale de violence aveugle n'engendre pas automatiquement un tel risque. Ainsi, l'existence d'un risque actuel, direct et individuel contre la vie ou la personne de l'intéressé n'est pas subordonnée à la condition qu'il rapporte la preuve qu'il est visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence aveugle atteint un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'une personne renvoyée dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir des traitements contraires à l'article 3 précité. Aux fins de déterminer le degré d'intensité d'un conflit, il y a lieu notamment de déterminer si les parties au conflit emploient des méthodes et des tactiques de guerre augmentant le risque qu'il y ait des victimes civiles, ou si elles visent directement des civils ; le caractère courant ou non du recours à de telles méthodes ou tactiques parmi les parties au conflit ; le caractère localisé ou étendu des combats ; enfin, le nombre de civils tués, blessés et déplacés en raison des combats. 4. Il convient de rappeler que, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge administratif doit s'assurer que le pays vers lequel est prononcé un éloignement est en mesure d'assurer une protection efficace à la personne menacée de départ forcé. 5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la crise économique et politique qui sévit en République d'Haïti depuis 2018, qui a conduit des groupes criminels précédemment implantés dans le pays à rechercher de nouvelles sources de revenus et à étendre leur contrôle sur son territoire et ses populations, que l'Etat haïtien et ses institutions n'étaient plus en capacité de protéger, s'est fortement aggravée au cours de l'année 2023. Face à cette situation, la Cour nationale du droit d'asile a reconnu dans plusieurs décisions du 10 juillet 2023 et dans un arrêt rendu en Grande formation le 5 décembre 2023 (n° 23035187) l'existence d'une situation de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne sévissant sur la totalité du territoire d'Haïti, avec un niveau d'intensité exceptionnelle à Port-au-Prince, ainsi que dans les départements de l'Ouest et de l'Artibonite, et accordé la protection subsidiaire à plusieurs ressortissants haïtiens. Le préfet ne conteste pas cet état de fait dans ses écritures, indiquant seulement dans ses écritures que le simple fait qu'Haïti soit confronté à une certaine criminalité n'entraîne pas un risque réel de mauvais traitement pour M. A.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier notamment de la décision de rejet d'une demande d'asile en date du 22 mars 2011 que M. A... résidait avant son départ pour la France à Port-au-Prince, zone caractérisée par une violence aveugle d'intensité exceptionnelle. Par ailleurs, l'intéressé qui a quitté l'île depuis de nombreuses années risque de se trouver dans une situation d'isolement. Dès lors, c'est à bon droit que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a estimé que M. A... courrait, en cas de retour dans son pays, un risque réel de subir des traitements, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités haïtiennes et que, par suite, la décision fixant le pays de renvoi méconnaissait les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. 6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 12 novembre 2023 précitée. Sur les frais de l'instance : 7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... en lien avec la présente instance et non compris dans les dépens. Sur les conclusions de la requête n° 24PA00204 : 8. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 24PA00203 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 24PA00204 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer. D E C I D E :Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24PA00204.Article 2 : La requête n° 24PA00203 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... en lien avec l'instance n° 24PA00203 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.Délibéré après l'audience du 11 octobre 2024 à laquelle siégeaient :- M. Carrère, président,- Mme Boizot, première conseillère,- Mme Lorin, première conseillère.Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 8 novembre 2024.La rapporteure,S. BOIZOTLe président,S. CARRERELa greffière,C. DABERTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.N° 24PA00203, 24PA00204 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00203
Date de la décision : 08/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Sabine BOIZOT
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : GALMOT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-08;24pa00203 ?
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