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08/11/2024 | FRANCE | N°21PA06303

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 08 novembre 2024, 21PA06303


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) American Express Carte France (AECF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la somme de 35 375 743 euros, dont 33 444 614 euros en droits au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, de taxe sur les salaires et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les années 2014 à 2016, et 1 931 129 euros au titre des pénalités, ainsi que des intérêts au taux légal en vigueur.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) American Express Carte France (AECF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la somme de 35 375 743 euros, dont 33 444 614 euros en droits au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, de taxe sur les salaires et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les années 2014 à 2016, et 1 931 129 euros au titre des pénalités, ainsi que des intérêts au taux légal en vigueur.

Par un jugement n° 2002996 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a réduit les droits en litige auxquels a été assujettie la société AECF pour les années 2014 à 2016, d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée à définir par l'inclusion au numérateur du coefficient de taxation de la société pour les années en cause du chiffre d'affaires afférent aux commissions d'émetteur, et d'un montant de taxe sur les salaires à définir par l'exclusion de ces mêmes sommes du prorata d'assujettissement prévu par l'article 231 du code général des impôts, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Il a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

I- Sous le n° 21PA06303, par une requête, enregistrée le 12 décembre 2021, la SA AECF, représentée par Me Guerineau, avocat, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 2002996 du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté ses conclusions en décharge des droits d'une part, de taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie au titre de primes d'incitation, d'autre part, de taxe sur les salaires qui en sont résultés ;

2°) de prononcer la décharge demandée ;

3°) d'appliquer aux impositions déchargées les intérêts moratoires au taux d'intérêt légal ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SA AECF soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de qualification juridique des faits, les commissions d'incitation étant directement liées aux opérations réglées par la carte American Express-Air France- KLM et ne constituant pas des subventions d'équilibre ;

- elles sont la contrepartie directe de sa prestation d'apport de clientèle fournie à la société américaine TRS Co., compte tenu du caractère attractif des avantages découlant de la détention de cette carte ;

- selon la jurisprudence communautaire, le fait que des prestations ne soient ni définies à l'avance ni individualisées et que la rémunération soit versée sous la forme d'un forfait, n'est pas de nature à affecter le lien direct existant entre une prestation de services effectuée et la contrepartie reçue, dont le montant est déterminé à l'avance et selon des critères bien établis ;

- la doctrine administrative au BOI-TVA-BASE-10-10-10 est opposable ;

- à titre subsidiaire, les commissions litigieuses devraient être analysées comme des sommes versées en complément du prix de l'ensemble des services rendus par elle à TRS Co., le modèle économique de la société AECF n'étant pas viable sans la perception de cette commission payée par l'opérateur du réseau.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

II- Sous le n° 22PA00624, par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 février 2022 et le 22 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement mentionné ci-dessus ;

2°) de remettre à la charge de la société AECF la taxe sur la valeur ajoutée et les intérêts de retard pour un montant de 17 123 357 euros, et une taxe sur les salaires et les intérêts de retard pour un montant de 7 443 803 euros.

Il soutient que :

- en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les salaires, les commissions d'émetteur ayant pour bénéficiaire effectif non pas la société américaine TRS Co., mais la société britannique American Express Payment Services Limited (AEPSL), située dans l'Union européenne, elles ne peuvent bénéficier des dispositions du b du V de l'article 271 du code général des impôts, et être déductibles au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, et doivent donc être incluses au numérateur du coefficient de taxation de la société et prises en compte pour l'établissement du rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er avril 2022 et le 4 avril 2024, la SA AECF, représentée par Me Guerineau, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que l'Etat lui verse la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Carrère, président ;

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;

- et les observations de Me Guerineau, pour la SA AECF.

Une note en délibéré a été enregistrée le 16 octobre 2024, par Me Guerineau, pour la SA AECF dans les deux instances.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) American Express Carte France (AECF), société du groupe American Express, commercialise en France des cartes de paiement de ce réseau Amex. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2014 à 2016, l'administration a estimé qu'elle avait minoré la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle devait acquitter en tant qu'assujetti partiel à cet impôt, au motif qu'elle avait inclus à tort dans son coefficient de taxation à la taxe sur la valeur ajoutée des commissions d'émetteur (" issuer fee ") et des commissions d'incitation (" incentive fee "). Elle a en conséquence relevé le montant de la taxe sur les salaires due par la contribuable. Enfin, elle a estimé que la société avait également déclaré un montant insuffisant de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Les observations de la société exprimant son désaccord avec la proposition de rectification en date du 25 juillet 2017 ayant été rejetées, ainsi que sa réclamation contre les sommes mises en recouvrement, elle a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des impositions supplémentaires résultant de ce contrôle. Par un jugement n° 2002996 du 14 octobre 2021, les premiers juges ont réduit, d'une part, les droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, motif pris de ce que les commissions d'émetteur avaient été à bon droit incluses dans le coefficient de taxation, ainsi que, à due concurrence, les rappels de taxe sur les salaires, d'autre part, ont rejeté les autres conclusions de la demande de la SA AECF. Par la requête enregistrée sous le n° 21PA06303 visée ci-dessus, cette société relève régulièrement appel du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions en décharge, d'une part, des suppléments de taxe sur la valeur ajoutée relatifs aux commissions d'incitation, d'autre part, des rappels de la taxe sur les salaires qui en découlent. Par une requête enregistrée sous le n° 22PA00624, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande régulièrement à la Cour de réformer le jugement en tant qu'il a réduit la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux commissions d'émission et, par voie de conséquence, les rappels de taxe sur les salaires.

2. Ces deux requêtes posant des questions relatives au même litige, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les commissions d'émetteur :

3. Aux termes de l'article 261 C du code général des impôts applicables aux années en litige : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les opérations bancaires et financières suivantes : (...) c. Les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l'exception du recouvrement de créances ; (...) ". Aux termes de l'article 271 du même code : " (...) V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) b) Les services bancaires et financiers exonérés en application des dispositions des a à e du 1° de l'article 261 C lorsqu'ils sont rendus à des personnes domiciliées ou établies en dehors de la Communauté européenne (l'Union européenne) ou se rapportent à des exportations de biens ; (...) ". Aux termes de l'article 206 de l'annexe II au même code : " (...) III.- (...) 3. Lorsque le bien ou le service est utilisé concurremment pour la réalisation d'opérations imposables ouvrant droit à déduction et d'opérations imposables n'ouvrant pas droit à déduction, le coefficient de taxation est calculé selon les modalités suivantes : / 1° Ce coefficient est égal au rapport entre : / a. Au numérateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ; / b. Et, au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations imposables, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. / Les sommes mentionnées aux deux termes de ce rapport s'entendent tous frais et taxes compris, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée ; (...). ".

4. En vertu des règles du coefficient de taxation qui viennent d'être mentionnées, en cas de prestations mixtes, soumises ou non à la taxe sur la valeur ajoutée, les opérations bancaires et financières, qui sont par nature exonérées, ne viennent pas en déduction et n'entrent donc pas dans le numérateur de ce coefficient, sauf si elles sont rendues à un preneur établi hors de l'Union européenne.

En ce qui concerne l'application de la loi :

5. Estimant que le preneur de la prestation rémunérée par la commission d'émetteur était la société American Express Payment Services Limited, ci-après AEPSL, ayant son siège au Royaume-Uni, et donc établie dans un Etat Membre de l'Union européenne à l'époque des impositions litigieuses, l'administration a remis en cause l'inclusion de cette commission au numérateur du coefficient de taxation à la taxe sur la valeur ajoutée, et rehaussé à proportion le montant de la taxe due par la SA AECF, ainsi que, à due concurrence, les termes du coefficient d'assujettissement à la taxe sur les salaires. En appel, elle persiste à soutenir que la société American Express Travel Related Services Company Inc, ci-après TRS Co., qui est établie dans l'Etat de

New-York, et qui est l'opérateur du réseau American Express, ne saurait être regardée, contrairement au jugement attaqué, comme la bénéficiaire de la prestation.

6. Il résulte de l'instruction que la société américaine TRS Co., opérateur du réseau American Express, accorde ses licences à des sociétés ayant le rôle d'émetteurs de cartes, comme la SA AECF en France, ou d'acquéreurs de commerçants, comme la société britannique AEPSL, qui affilie à ce système de paiements différés des commerçants établis en Europe. En contrepartie de sa cotisation, une personne physique ou morale obtient ainsi de la société requérante une carte qui lui permet d'effectuer des achats auprès de commerçants affiliés auprès de la société AEPSL, en ne les réglant que dans les 30 jours suivant ces achats, AEPSL versant dans les cinq jours suivant l'achat, aux commerçants qu'elle a affiliés, le prix du bien ou du service rendu au titulaire de la carte, déduction faite d'une commission d'un montant variable. L'opérateur de réseau, TRS Co., paie ensuite à la société AEPSL un montant correspondant au prix remboursé aux commerçants, diminué d'une commission d'un montant fixe, stipulé par un contrat de licence, égal à 0,35 % du montant avancé. Ensuite, l'opérateur américain présente à l'émetteur français de la carte, pour remboursement, le relevé des dépenses exposées depuis 30 jours par le titulaire de cette carte, ces dépenses étant prélevées sur le compte de celui-ci dans une banque associée. C'est alors que TRS Co. verse à la société française la commission d'émetteur en litige, d'un montant égal à 1,15 % de ces dépenses. Pour autant, l'opérateur américain de réseau ne reçoit aucune prestation de la part de la société requérante, émettrice de la carte de paiement différé, dès lors qu'il se borne à récupérer des sommes qu'il a avancées à l'acquéreur du commerçant, la société britannique AEPSL. Il n'est pas établi que l'opérateur américain réalise à cette occasion un profit en recevant les sommes prélevées par l'intimée sur le titulaire de la carte, après avoir avancé ces sommes aux commerçants. En revanche, comme le soutient l'administration, la commission d'émetteur de 1,15 %, dont la base est constituée par le prix d'achat, est due à l'émetteur de carte en France au motif que ce dernier a apporté des transactions à la société AEPSL, cette dernière ne pouvant régler en cinq jours les commerçants si l'émetteur de la carte ne procède pas au paiement. Dès lors que l'opérateur américain du réseau, en outre, a déjà perçu auprès de l'acquéreur AEPSL une commission forfaitaire mentionnée ci-dessus, il ne peut être regardé comme bénéficiant d'aucune autre prestation de la part de la société émettrice de la carte. Par suite, en sa qualité d'acquéreur, la société britannique AEPSL doit être regardée comme la seule preneuse de la prestation rendue par la SA AECF, rémunérée par la commission litigieuse. La SA AECF ne saurait utilement se prévaloir, à l'encontre de cette identification du bénéficiaire effectif de la commission litigieuse, ni de la segmentation interne du groupe American Express, ni de l'absence de lien contractuel entre l'émetteur français et l'acquéreur britannique, ni enfin de ce qu'elle ne connaît pas nécessairement l'acquéreur, ni même sa localisation, pour une transaction donnée. Et s'il est constant que le titulaire de cartes émises par l'intimé pourrait les utiliser auprès de commerçants établis dans des pays tiers ne relevant pas de la compétence de l'acquéreur britannique, il appartient à la SA AECF, comme le soutient l'administration, de fournir les informations sur les transactions réalisées par les porteurs de cartes American Express France auprès d'autres acquéreurs que la succursale britannique, afin que le montant des droits de taxe sur la valeur ajoutée puisse être réduit à proportion, ce qu'elle n'a pas fait.

En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :

7. D'une part, le BOI-TVA-CHAMP-10-10-40-40 définit l'intermédiaire agissant au nom d'autrui, ou intermédiaire transparent, au sens de la taxe sur la valeur ajoutée, par deux critères. Selon le premier, juridique, cette notion d'intermédiaire implique un mandat prévoyant les modalités de la rémunération de l'intermédiaire et l'existence d'une reddition de comptes, qui permet à l'intermédiaire d'agir pour le compte d'autrui. Selon le second critère, d'ordre économique, les intermédiaires ne fournissent pas avec leurs propres moyens d'exploitation les biens et les services dans la transaction dans laquelle ils s'entremettent. Au motif que la société TRS Co. et la SA AEPSL ne sont pas liées par un contrat de mandat, et que la société TRS Co., en tant que gestionnaire du réseau, et la SA AEPSL, en tant qu'" acquéreur ", interviennent de manière indépendante et avec leurs propres moyens d'exploitation dans le schéma de paiement et fournissent les services correspondants, et eu égard au rôle central de la société TRS Co. dans la gestion du système de paiement par carte American Express, la SA AECF soutient que l'organisateur américain ne saurait être qualifié d'intermédiaire. Pour autant, il ressort de ce qui a été dit aux paragraphes précédents que la qualité, reconnue à l'acquéreur britannique AEPSL, de bénéficiaire effectif de la prestation rémunérée par la commission d'émetteur n'a pas été déterminée au motif que, dans le système de paiement différé, l'organisateur américain ne serait qu'un intermédiaire au sens de l'interprétation énoncée ci-dessus de la loi fiscale, mais eu égard à l'absence de prestation identifiée rendue par l'émetteur français, la SA AECF, à opérateur de réseau TRS Co..

8. D'autre part, en vertu des dispositions du BOI-TVA-CHAMP-10-10-10, pour déterminer si une opération est dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, il convient de rechercher si elle procure un avantage au client, entendu comme un service direct ou individualisé, cette condition étant remplie lorsqu'il y a un engagement exprès du fournisseur ou du prestataire de fournir un bien ou un service déterminé à la personne qui assure le financement. L'existence de cet engagement doit être recherchée à partir des éléments de droit ou de fait. En se prévalant de ces dispositions, la société AECF n'établit cependant pas en quoi ces principes d'interprétation de la loi fiscale ont en l'espèce été méconnus par l'administration en identifiant, comme elle l'a fait, le bénéficiaire effectif de la prestation rémunérée par la commission litigieuse.

9. Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, que c'est à tort que les premiers juges ont attribué à l'organisateur américain la qualité de bénéficiaire effectif de la prestation rémunérée par la commission litigieuse, pour réduire le supplément de taxe sur la valeur ajoutée réclamée à la SA AECF.

Sur les commissions d'incitation :

10. Aux termes de l'article 266 du code général des impôts dans sa version applicable aux années en litige : " 1. La base d'imposition est constituée : / a) Pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ; (...) ".

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

11. Il résulte de l'instruction que la SA AECF perçoit, annuellement, de la part de la société américaine TRS Co., une commission d'incitation " incentive fee " visant à compenser les pertes occasionnées à la requérante par son partenariat avec la société Air France KLM, à raison de la commercialisation, auprès de clients de la compagnie aérienne, d'une carte American Express à débit différé, accompagnée de divers avantages attachés au règlement du prix des billets d'avion par un détenteur de la carte. La SA AECF soutient que ce partenariat permet, par l'émission de ces cartes, intitulées American Express Air France KLM, d'accroître son volume de cartes et d'améliorer le renom de la marque American Express, qui est gérée par la société américaine TRS Co. A cet effet, elle fait valoir que, pour chaque achat de billets auprès de la compagnie aérienne au moyen de cette carte, son titulaire bénéficie d'avantages accessoires. Il accumule notamment des droits, ou " miles ", de la compagnie aérienne, qui lui permettent, à partir d'un certain montant, d'obtenir gratuitement des billets d'avion, et de bénéficier des prix avantageux de locations de voiture ou de nuits d'hôtel. La société requérante estime ainsi fournir à la société TRS Co. une prestation d'apport d'affaires dont la contrepartie serait une commission d'incitation. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que la SA AECF, en qualité d'émetteur de la carte American Express auprès des clients de la société Air France KLM, perçoit une commission de 1,15 % au prix d'achat des billets au moyen de la carte. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'accord de partenariat conclu entre la SA AECF et la société Air France KLM n'est pas avantageux pour la requérante à laquelle la compagnie aérienne refacture les miles et autres avantages consentis au porteur de la carte, cependant que la SA AECF rétrocède à sa partenaire des revenus générés par la carte. Par suite, il est constant que la SA AECF est structurellement déficitaire. Toutefois, si le lien direct entre une subvention et une prestation qui n'est ni définie à l'avance ni individualisée, lorsqu'elle compense une insuffisance de chiffre d'affaires, peut être regardé comme étant établi, c'est notamment au cas où le prix de vente, dont l'insuffisance est compensée par la subvention, est imposé par les autres sociétés du groupe auxquelles une société vend ses productions. Or, il ne résulte pas de l'instruction que le prix auquel est fixé le service rendu par la SA AECF à la société Air France KLM, en permettant la vente de billets commercialisés au moyen des cartes émises, aurait été déterminé par la société TRS Co.. De plus, selon le contrat du 30 juillet 2012 et son avenant du 22 mars 2013, la commission d'incitation est calculée de telle sorte qu'elle assure une profitabilité de 10 % a minima des charges retenues, quelles que soient les dépenses générées par l'emploi de la carte American Express Air France KLM, le montant de ces charges recouvrant des charges d'exploitation hors subventions, des créances irrécouvrables (" bad debt "), des points privilèges (" membership rewards "), et des dépenses de publicité et redevances (" royalties "). Enfin, et au demeurant, la commission en litige est calculée annuellement, antérieurement à toute prestation définie contractuellement. Etant donc dépourvue de lien avec l'accroissement du chiffre d'affaires tiré de l'émission des cartes en question, cette commission doit être regardée comme une subvention d'équilibre, ne pouvant par suite être inscrite au numérateur du prorata de taxation de la société. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 266 du code général des impôts et du 1° du 3 du III de l'article 206 de l'annexe au même code doit dès lors être écarté.

En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :

12. Si la société AECF se prévaut de la doctrine administrative exprimée par le BOI-TVA-BASE-10-10-10, ces dispositions ne comportent pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle qui a été faite à l'appui de l'exclusion des primes d'incitation du coefficient de taxation à la taxe sur la valeur ajoutée, tel que mentionné au point précédent du présent arrêt.

Sur la taxe sur les salaires :

13. Aux termes du 1. de l'article 231 du code général des impôts, les employeurs doivent payer la taxe sur les salaires : " lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en totalité ou sur 90 p. 100 au moins de son montant, ainsi que le chiffre d'affaires total mentionné au dénominateur du rapport s'entendent du total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n'entrent pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. ".

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 que les commissions d'émetteur pour les années 2014 à 2016 doivent être exclues du numérateur du coefficient de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, et qu'en conséquence, il y a lieu de remettre à la charge de la société AECF la taxe sur les salaires dont les premiers juges ont prononcé la décharge, ainsi que les intérêts de retard y afférents.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 à 12 qu'en raison du traitement fiscal des commissions d'incitation, il n'y a pas lieu de revenir sur le montant de la taxe sur les salaires auquel a été assujettie la société AECF.

16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par ministre de l'économie, des finances et de la relance, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge de la taxe sur la valeur ajoutée et de la taxe sur les salaires, en droits et pénalités, correspondant aux commissions d'émission, et à obtenir le rétablissement de ces impositions, d'autre part, que la société AECF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a confirmé les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en rapport avec les commissions d'incitation, et les suppléments de taxe sur le salaires qui en découlent, y compris des pénalités afférentes à ces deux impositions.

Sur les conclusions accessoires :

17. D'une part, faute d'avoir obtenu les décharges sollicitées, la SA AECF n'est pas fondée à demander le versement d'intérêts moratoires au taux légal.

18. D'autre part, aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". L'administration étant dans la présente instance la partie qui l'emporte, ces dispositions font obstacle à ce qu'elle soit condamnée à verser à la SA AECF une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sur le fondement des dispositions précitées du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les droits de taxe sur la valeur ajoutée relatifs aux commissions d'émetteur, et les droits de taxe sur les salaires en rapport avec ces commissions, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remis à la charge de la SA AECF.

Article 2 : Le jugement n° 2002996 du tribunal administratif de Montreuil en date du 14 octobre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La requête d'appel n° 21PA06303 de la SA AECF est rejetée en toutes ses conclusions.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme (SA) American Express Carte France (AECF) et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- Mme Boizot, première conseillère,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 8 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

S. CARRERE L'assesseure la plus ancienne,

S. BOIZOT

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA06303, 22PA00624


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06303
Date de la décision : 08/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Stéphane CARRERE
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : ERNST & YOUNG, SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-08;21pa06303 ?
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