Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle la cheffe de l'établissement pénitentiaire du Sud Francilien a décidé de la mise en place d'un parloir avec un dispositif de séparation (hygiaphone) entre le requérant et son fils, M. B... E....
Par un jugement n° 2009674 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 août 2023, M. E..., représenté par Me David, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 avril 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 18 novembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à Me David, sur le fondement de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision en litige peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la signature de l'auteur étant illisible, la décision méconnaît l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et sa compétence ne peut être vérifiée ;
- la décision a été prise sans respecter l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît le dernier aliéna de l'article R. 57-8-12 du code de procédure pénale qui prévoit l'information de la commission d'application des peines ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle est entachée d'une erreur de droit ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de l'incertitude des faits sur lesquels elle est fondée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2024, le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, en application du décret n° 2022-847 du 2 juin 2022, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu la décision du 22 juin 2023 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. E....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2009-1436 du 10 juillet 1991 du 24 novembre 2009 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2022-847 du 2 juin 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 18 novembre 2020, la cheffe de l'établissement pénitentiaire Sud Francilien a décidé la mise en place d'un parloir avec un dispositif de séparation (hygiaphone) lors des visites du fils de M. D... E... et a précisé que cette mesure avait vocation à être réévaluée à l'issue de quatre visites. M. E... fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 57-8-12 du code de procédure pénale, désormais codifiées à l'article R. 341-13 du code pénitentiaire : " Les visites se déroulent dans un parloir ne comportant pas de dispositif de séparation. Toutefois, le chef d'établissement peut décider que les visites auront lieu dans un parloir avec un tel dispositif (...) ". Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".
3. Contrairement à ce que soutient le requérant, la décision en litige comporte, en caractères parfaitement lisibles, la mention du nom et de la qualité de son auteure, à savoir " La Cheffe d'Établissement N. Cataldo-Faustin ", ainsi que sa signature. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doivent être écartés.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ".
5. La décision attaquée, qui vise l'article R. 57-8-12 du code de procédure pénale, mentionne les extraits d'écoutes téléphoniques rapportant des propos menaçant tenus par M. E... à l'égard de son fils les 18 et 19 août 2020 et relève qu'ils constituent des raisons sérieuses de redouter un incident. Elle comporte ainsi les motifs de droit et de fait qui la fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L.121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Les modalités de la procédure contradictoire applicables aux décisions mentionnées à l'article L. 211-2 sont définies à l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ". Enfin, en vertu de l'article L. 121-2 du code précité : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige est intervenue à la suite de la suspension, par le juge des référés du tribunal administratif de Melun, de l'exécution de la décision du 4 septembre 2020, par laquelle la cheffe de l'établissement pénitentiaire avait, après avoir invité l'intéressé à présenter des observations, procédé à la suspension du permis de visite délivré à M. B... E..., fils du requérant. La décision du 18 novembre 2020 en litige rétablit le permis de visite mais impose la mise en place d'un dispositif de séparation du parloir compte tenu, ainsi qu'il a été dit, des menaces de violences physiques proférés par M. E.... Alors que le permis de visite était rétabli par la suspension prononcée par l'ordonnance du juge des référés du 10 novembre 2020, la nécessité d'assurer l'intégrité physique du fils de M. E... constituait un motif d'urgence au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la cheffe d'établissement a pu prendre la mesure en litige sans organiser une procédure contradictoire préalable. Il s'ensuit que le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 57-8-12 du code de procédure pénale : " Le chef d'établissement informe de sa décision (...) la commission de l'application des peines pour les personnes condamnées ".
9. La légalité de la décision en litige devant être appréciée à la date de son édiction et la mesure d'information prévue par cet alinéa devant intervenir postérieurement, M. E... ne peut pas utilement soutenir que les dispositions précitées ont été méconnues.
10. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que les échanges téléphoniques de M. E... étaient écoutés et l'administration indique qu'il a, les 18 et 19 août 2020, à l'occasion d'appels téléphoniques avec un ami, M. A..., proféré des insultes et des menaces d'agressions physiques à l'encontre de son fils en indiquant que s'il se présente au parloir, il " va lui mettre une correction ", " une raclée " et lui " pétera les jambes ". Il ressort en outre d'un courrier adressé par M. E... à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris en octobre 2020, qu'il a reconnu s'être " mis en colère " contre son fils et avoir dit, sur sa messagerie vocale, qu'il le " corrigerait au parloir ". Dans ces conditions, si M. E... conteste, dans le cadre de la présente instance, avoir tenu de tels propos, la réalité des menaces est établie par les pièces du dossier. Le moyen tiré d'une erreur de fait doit donc être écarté.
11. En sixième lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 57-8-12 du code de procédure pénale, désormais codifiées à l'article R. 341-13 du code pénitentiaire : " Les visites se déroulent dans un parloir ne comportant pas de dispositif de séparation. Toutefois, le chef d'établissement peut décider que les visites auront lieu dans un parloir avec un tel dispositif : / 1° S'il existe des raisons sérieuses de redouter un incident ; / 2° En cas d'incident survenu au cours d'une visite antérieure ; / 3° A la demande du visiteur ou de la personne visitée. (...) ".
12. Compte tenu de ces menaces sérieuses de violences sur la personne de son fils et de la dangerosité de M. E..., lequel a été condamné à de multiples reprises, notamment pour des faits de meurtre, de violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique, d'évasion avec menace d'une arme ou d'une substance incendiaire, explosive ou toxique ou encore de violences aggravées, est inscrit sur la liste des détenus particulièrement surveillés et a fait l'objet de nombreuses sanctions disciplinaires en détention, l'administration pénitentiaire n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'il existait des raisons sérieuses de redouter un incident et en faisant application des dispositions précitées de l'article R. 57-8-12 du code de procédure pénale en édictant la mesure en litige.
13. Par ailleurs, si la décision en litige se borne à mentionner que la mesure sera réévaluée à l'issue de quatre parloirs et ne prévoit donc pas de durée, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit n'impose au chef d'établissement, qui décide que les visites devront se faire dans un parloir muni d'un dispositif de séparation en vue de maintenir l'ordre public carcéral, ou de prévenir toute atteinte à celui-ci, de préciser la durée exacte de la mesure.
14. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Par ailleurs, aux termes de l'article 35 de la loi pénitentiaire susvisée du 24 novembre 2009 : " L'autorité administrative ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné, suspendre ou retirer ce permis que pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions. (...) ". Aux termes de l'article 22 de cette même loi : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits (...) " et en vertu de son article 35 : " Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, (...) ".
15. Il résulte de ces dispositions que les décisions tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite relèvent du pouvoir de police des chefs d'établissements pénitentiaires. Ces décisions affectant directement le maintien des liens des détenus avec leurs proches, elles sont susceptibles de porter atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il appartient en conséquence à l'autorité compétente de prendre les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées de nature à assurer le maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions, sans porter d'atteinte excessive au droit des détenus et des membres de leur famille.
16. Compte tenu de ce qui a été exposé au point 12 et alors que la décision en litige n'a ni pour objet, ni pour effet de priver le requérant de toute visite de son fils, qu'il demeure en outre libre de communiquer avec lui par téléphone et par voie postale et qu'il continue de bénéficier de parloir sans dispositif de séparation avec d'autres proches, la décision en litige n'a pas porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée eu regard des buts poursuivis. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.
17. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
I. C...L'assesseur le plus ancien,
S. DIÉMERT
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03814