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31/10/2024 | FRANCE | N°23PA03264

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 31 octobre 2024, 23PA03264


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2303169 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



Procéd

ure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 21 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Nkoun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2303169 du 21 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Nkounkou, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;

3°) d'ordonner la restitution de son passeport.

Elle soutient que :

- les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français, lui refusant un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an sont insuffisamment motivées et sont entachées d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- les décisions contestées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle a pris des risques pour venir en France.

Par une ordonnance du 20 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au

4 avril 2024.

Le préfet de Seine-et-Marne a produit un mémoire, enregistré le 27 septembre 2024.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Saint-Macary a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante congolaise née le 4 février 1990, est entrée irrégulièrement en France en 2017 selon ses déclarations. A la suite de son interpellation pour usage d'un document d'identité usurpé, le préfet de Seine-et-Marne a pris à son encontre, le

26 mars 2023, un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Elle est, par suite, suffisamment motivée.

3. En deuxième lieu, la circonstance que la décision contestée mentionnerait, à tort, que Mme A... exerce une activité salariée sans autorisation de travail alors qu'elle a été interpellée après avoir présenté un document d'identité usurpé pour travailler n'est pas de nature à révéler un défaut d'examen de sa situation. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de son audition par les autorités de police, que

Mme A... aurait indiqué être la mère d'un enfant français. Enfin, si l'arrêté qualifie de récente l'entrée en France de Mme A..., il en mentionne la date alléguée de 2017. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision contestée n'aurait pas été précédée d'un examen sérieux de la situation de Mme A... doit être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France à l'âge de vingt-sept ans. Elle n'y fait état d'aucun élément d'insertion ni d'aucune attache, à l'exception de ses trois enfants, dont rien ne s'oppose à ce qu'ils retournent avec elle dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en l'obligeant à quitter le territoire français.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Si Mme A... se prévaut de la présence en France du père français de son deuxième enfant, elle ne justifie pas de l'existence de liens affectifs entre cette enfant, née en 2018, et son père, par la seule production de virements d'argent en 2019 et en 2023, de quelques factures et d'une attestation non circonstanciée de l'intéressé, alors que par un jugement du

13 janvier 2022, le juge aux affaires familiales de Meaux a confié à Mme A... l'autorité parentale exclusive, compte tenu de l'absence d'investissement de son père dans la vie de son enfant. L'affiliation de l'enfant à l'assurance maladie de son père et la visite chez un médecin généraliste de l'enfant avec son père sont par ailleurs postérieures à la décision contestée. Si Mme A... produit également quelques virements et factures du père de sa troisième fille au profit de cette dernière, la situation en France de l'intéressé, né au Congo, n'est pas précisée, pas plus que l'existence de liens affectifs avec l'enfant, d'ailleurs non allégués. Par ailleurs, la scolarisation de ses enfants et la circonstance que sa deuxième fille souffrirait de problèmes orthophoniques ne sont pas de nature à rendre nécessaire leur maintien sur le territoire français. Dans ces conditions, dès lors que rien ne fait obstacle au retour de ses enfants avec elle dans son pays d'origine, la décision contestée n'a pas pour effet de séparer Mme A... de ses enfants. Par suite, elle ne méconnaît pas les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Enfin, la requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'article 9 de cette même convention, qui crée seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés.

8. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation de Mme A....

Sur le refus d'accorder un délai de départ volontaire :

9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français (...) /

7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes (...) ".

10. D'une part, la décision contestée mentionne les considérations de droit sur lesquelles elle se fonde. En citant spécifiquement les alinéas précités de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont elle fait application, elle a en outre mis à même Mme A... de connaître les considérations de fait qui ont conduit le préfet de Seine-et-Marne à lui refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire. La rédaction de la décision révèle par ailleurs que celui-ci s'est livré à un examen personnalisé de la situation de l'intéressée.

11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée irrégulièrement en France, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, et a fait usage d'un passeport usurpé. En l'absence de circonstances particulières, le risque que l'intéressée se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont elle a fait l'objet était constitué. Par suite, et en tout état de cause, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas fait une application inexacte des dispositions précitées en lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire.

12. En second lieu, en se bornant à soutenir que la décision contestée aurait pour effet de séparer sa deuxième fille de son père, Mme A... n'établit pas, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur le pays de destination :

13. D'une part, les dispositions de l'ancienne rédaction du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile invoquée par la requérante, relatives au délai de départ volontaire, sont étrangères à la décision contestée.

14. D'autre part, en se bornant à se prévaloir des risques qu'elle aurait pris en venant en France par bateau, la requérante n'établit pas que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

15. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

16. D'une part, la décision contestée mentionne les circonstances de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et révèle que le préfet de Seine-et-Marne s'est livré à un examen personnalisé de la situation de Mme A....

17. D'autre part, en l'absence de circonstances humanitaires et au regard de la durée du séjour en France de l'intéressée et de la nature de ses liens avec la France, le préfet de

Seine-et-Marne n'a pas fait une inexacte appréciation des dispositions citées au point 15 en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour de Mme A... sur le territoire français ni commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation de l'intéressée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction doivent également, par voie de conséquence, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Doumergue, présidente de chambre,

Mme Bruston, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. DOUMERGUE

La greffière,

E. FERNANDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03264


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03264
Date de la décision : 31/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : NKOUNKOU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-31;23pa03264 ?
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