Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015 et 2016.
Par un jugement n° 2012271 du 7 décembre 2022, le tribunal administratif de Paris a déchargé M. B... de la majoration prévue à l'article 1729-0 A du code général des impôts au titre des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015 et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 février 2023 et le 16 avril 2024, M. B..., représenté par Me Planchat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015 et 2016 restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la somme de 8 585 euros qualifiée de profit sur le Trésor ne peut pas correspondre à une rémunération ou un avantage occulte au sens des dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts, en l'absence de tout flux sortant de la société Pro Exo Com ;
- concernant le montant des achats non comptabilisés au titre de l'année 2015, le service ne produit aucun élément propre à la société pour établir que celle-ci a procédé à ces achats sans les avoir enregistrés dans sa comptabilité et que les achats mentionnés sur les déclarations d'échange de biens de sociétés tierces correspondent à des marchandises qui ont effectivement été livrées ;
- l'administration fiscale connaissait la nature et l'origine des sommes créditées aux comptes bancaires ouverts en Belgique et ne pouvait dès lors les taxer dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée sans commettre un détournement de procédure ;
- l'application de la majoration de 80 % prévue par l'article 1729 0 A du code général des impôts au titre de l'année 2016 ne peut pas être justifiée par la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux ainsi que la lutte contre la fraude fiscale dès lors que l'administration était informée de l'existence de ses comptes bancaires en Belgique et que l'assistance administrative permettait de connaître la nature et le montant des crédits bancaires y figurant ; cette majoration de 80 % doit être considérée dans ce cas précis comme une restriction illégale à la liberté de circulation des capitaux ;
- l'application de cette majoration de 1,25 à certains revenus réputés distribués correspond à une taxation d'un revenu dont le contribuable n'a jamais eu la disposition sur la base d'une assiette partiellement fictive ; conformément à la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 décembre 2023 Waldner, l'application de cette majoration est donc contraire à l'article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 avril 2023 et 23 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Il sollicite en outre une substitution de base légale afin que l'imposition entre les mains de M. B... des revenus réputés distribués soit fondée sur les dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts.
Par des mémoires distincts, enregistrés les 27 décembre 2023 et 5 février 2024, M. B... a demandé à la cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de
l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts.
Par un mémoire enregistré le 2 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce que la cour ne transmette pas au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Par une ordonnance n° 23PA00510 du 12 juillet 2024, la présidente de la 5ème chambre a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Une note en délibéré, présentée pour M. B..., a été enregistrée le 4 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellig, rapporteure ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Planchat, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'une vérification de comptabilité de la société Pro Exo Com portant sur les exercices clos en 2013, 2014 et 2015, ainsi que d'un examen de situation fiscale personnelle portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, l'administration a assujetti M. B... à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales au titre des années 2015 et 2016. M. B... relève appel du jugement du 7 décembre 2022, en ce qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté partiellement sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes, d'une part, de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. (...) ". D'autre part, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.
3. En l'espèce, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande que l'imposition entre les mains de M. B... des revenus réputés distribués soit fondée sur les dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts plutôt que sur celles du c de l'article 111 du même code. Il y a lieu de faire droit à cette demande de substitution de base légale, d'ailleurs non contestée par le requérant, qui est propre à justifier l'imposition et ne prive le contribuable d'aucune garantie attachée à la procédure d'imposition. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts, dès lors dès lors que la somme de 8 585 euros qualifiée de profit sur le Trésor ne pourrait pas correspondre à une rémunération ou un avantage occulte, est inopérant et ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, lors des vérifications de comptabilité dont la société Pro Exo Com a fait l'objet, l'administration a constaté que des factures d'achats de marchandises du fournisseur camerounais Sotradif n'étaient pas comptabilisées. En se bornant à soutenir que l'administration fiscale ne produit aucun élément propre à la société pour établir que celle-ci a procédé à ces achats sans les avoir enregistrés dans sa comptabilité et que les achats mentionnés sur les déclarations d'échange de biens de sociétés tierces correspondent à des marchandises qui ont effectivement été livrées, sans assortir ses allégations d'aucune pièce justificative, M. B... ne conteste pas sérieusement l'existence des achats non comptabilisés constatés par l'administration fiscale. Par ailleurs, M. B... ne conteste pas sa qualité de seul maître de l'affaire, faisant peser sur lui la charge de la preuve de l'absence d'appréhension des sommes en cause par ses soins. Dans ces conditions, il ne rapporte pas, contrairement à ce qu'il soutient, la preuve qui lui incombe de l'absence d'appréhension des sommes en litige.
5. En troisième lieu, après avoir obtenu des autorités fiscales belges, dans le cadre d'une demande d'assistance administrative internationale, des informations permettant d'identifier les comptes en litige, le service vérificateur a constaté que les sommes de 30 175 euros en 2015 et de 25 800 euros en 2016 ont été portées au crédit de l'un de ces comptes. En dépit de la lettre qui lui a été adressée en date du 6 septembre 2018, M. B... n'a pas déféré à la demande d'éclaircissements ou de justifications prévue à l'article L. 16 du livre des procédures fiscales. En se bornant à soutenir que l'administration fiscale connaissait la nature et l'origine desdites sommes, le requérant ne produit aucune pièce de nature à établir la cause juridique et l'origine de ces sommes, lesquelles ont donc été imposées à bon droit dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée, sans qu'un quelconque détournement de procédure ne puisse être utilement invoqué.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites (...) ". Aux termes de l'article 1729-0 A du code général des impôts dans sa version applicable : " I. Une majoration de 80 % s'applique aux droits dus en cas de rectification du fait : / a) Des sommes figurant ou ayant figuré sur un ou plusieurs comptes qui auraient dû être déclarés en application du deuxième alinéa de l'article 1649 A. / Le montant de cette majoration ne peut être inférieur au montant de l'amende prévue au 2 du IV de l'article 1736 (...) ".
7. Les dispositions de l'article 1649 A, qui instaurent à la charge des résidents de France une obligation de déclarer à l'administration des impôts les références des comptes bancaires dont ils sont titulaires à l'étranger, prévoient un dispositif de nature purement déclarative qui ne subordonne pas les transferts de fonds vers un compte ouvert à l'étranger ou en provenance de ce compte à une autorisation préalable de l'administration. Dans ces conditions, M. B... n'est en tout état de cause pas fondé à soutenir que les dispositions sanctionnant la méconnaissance d'une telle obligation déclarative serait contraire au principe de la libre circulation des capitaux.
8. En cinquième lieu, s'agissant de l'application d'un coefficient de 1,25 à la base d'imposition, aux termes de l'article 158 du code général des impôts : " (...) 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par un coefficient de 1,25. Ces dispositions s'appliquent : (...) 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice (...) ".
9. M. B... se prévaut de l'arrêt Waldner contre France (n° 26604/16) du 7 décembre 2023, par lequel la Cour européenne des droits de l'homme a jugé contraire au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la majoration prévue au 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts et applicable aux titulaires de bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux ou bénéfices agricoles quand ils ne sont pas adhérents à un organisme de gestion agréés. Il soutient que la majoration prévue au 2° du 7 du même article, appliquée aux revenus distribués, méconnaît également l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, le législateur a entendu, en adoptant les dispositions contestées, soumettre à une imposition plus forte certains revenus de capitaux mobiliers distribués dans des conditions irrégulières ou occultes, afin de dissuader de telles opérations, et a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. La majoration en cause repose dès lors suffisamment sur une base raisonnable. Cette majoration, qui porte sur des revenus de capitaux mobiliers dissimulés, non spontanément déclarés par le contribuable, ne conduit pas à une charge excessive au regard des facultés contributives des contribuables et n'entraîne donc pas une surcharge financière disproportionnée à l'encontre du contribuable. Dans ces conditions, la méthode retenue par le législateur, pour les revenus réputés distribués en application du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, n'a pas rompu le juste équilibre qui doit exister entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts est contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.
10. Enfin, le moyen tiré de ce que la majoration prévue au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts serait contraire au principe d'égalité constitutionnellement garanti, qui n'a pas été présenté par un mémoire distinct, est irrecevable.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme quelconque sur leur fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques).
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Delage, président assesseur,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 28 octobre 2024.
La rapporteure,
W. LELLIGLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00510 2