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28/10/2024 | FRANCE | N°22PA01807

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 28 octobre 2024, 22PA01807


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société européenne Aubépar Industries a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012 pour un montant total en droits et pénalités de 4 561 410 euros par un avis de mise en recouvrement du 15 décembre 2014 ou, à titre subsidiaire, de

prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités y afférentes à concurrence d'un mo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société européenne Aubépar Industries a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012 pour un montant total en droits et pénalités de 4 561 410 euros par un avis de mise en recouvrement du 15 décembre 2014 ou, à titre subsidiaire, de prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités y afférentes à concurrence d'un montant de 3 420 915 euros.

Par un jugement n° 1900486 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 avril 2022 et le 15 mars 2023, la société Aubépar Industries, représentée par Me Austry et Me Dardour-Attali du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses pour un montant total en droits et pénalités de 4 561 410 euros ou, à titre subsidiaire, à concurrence d'un montant de 3 420 915 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la preuve de l'existence d'un but exclusivement fiscal n'est pas apportée par l'administration dès lors qu'il existe une contrepartie financière à la cession des titres de la société ABC Arbitrage, même si cette cession s'est faite sans contrepartie numéraire, et que la réorganisation du groupe présente un intérêt économique et s'inscrit dans une logique d'efficacité et de rationalisation juridique et économique qui n'est nullement accessoire ; en outre, le regroupement du personnel au sein d'une entité unique a rendu possible la conclusion d'un accord de participation des salariés conformément à l'article L. 3322-1 du code du travail à compter de l'exercice 2012 et toujours en vigueur à ce jour ; le tribunal n'était pas fondé à estimer que la société Financière du Bailli n'exerçait pas un rôle de centrale de trésorerie contrairement à ce qu'elle faisait valoir, d'une part, et à juger, d'autre part, que la société Financière du Bailli pouvait en tout état de cause, et sans le moindre risque d'insécurité juridique, exercer les fonctions de centrale de trésorerie au sein du Groupe avant la réorganisation ;

- la société Aubépar Industries, en mettant en œuvre la réorganisation du groupe, n'a pas appliqué littéralement les articles 145 et 216 du code général des impôts à l'encontre de l'intention du législateur alors que l'intérêt de groupe peut être invoqué pour écarter l'existence d'un abus de droit et que la société Aubépar a non seulement maintenu son activité immobilière mais encore a développé cette activité et l'a consolidée ;

- à titre subsidiaire, sur le quantum des rectifications, le bénéfice du régime des sociétés mères ne pouvait être remis en cause sur l'intégralité des 39,7 millions d'euros de dividendes versés par la société Aubépar ; cette remise en cause devait se limiter au seul bénéfice distribuable qui résultait de cette opération soit 19,7 millions d'euros ;

- à titre subsidiaire, elle entend se prévaloir du mécanisme de la compensation prévu à l'article L. 205 du livre des procédures fiscales dès lors que l'imposition à laquelle elle a été soumise sur la plus-value latente, en application du 2 de l'article 221 du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur, a été établie sur le fondement de dispositions contraires à la liberté d'établissement ; le tribunal a admis, contrairement à ce que faisait valoir l'administration en défense, que les dispositions du 2 de l'article 221 étaient contraires à la liberté d'établissement, mais il a considéré, pour conclure au rejet de sa demande, que ce moyen était inopérant dans le cadre d'un plein contentieux fiscal relatif au bien-fondé de l'impôt et ne pouvait avoir d'incidence que dans le cadre d'un litige relatif au recouvrement de l'impôt ; d'une part, en soulevant d'office cette fin de non-recevoir, qui n'avait pas été invoquée en défense par l'administration, sans avoir invité la requérante à faire valoir ses observations sur cette question, le tribunal a méconnu les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ; d'autre part, les motifs ainsi retenus par le tribunal sont erronés dès lors que la non-conformité des dispositions applicables ne se limite pas à un décalage de paiement de l'impôt lorsqu'il est dû à l'occasion du transfert d'un actif hors de France mais conduit également à une différence dans la détermination de l'imposition établie à l'occasion d'un tel transfert selon qu'il concerne une situation européenne ou une situation purement interne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête

Il soutient que les moyens soulevés par la société Aubépar Industries ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Delage,

- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique,

- et les observations de Me Austry, représentant la société Aubépar Industries.

Considérant ce qui suit :

1. La société européenne Aubépar Industries, qui a été constituée le 12 octobre 2010 en Belgique et qui disposait d'un établissement stable en France, rue Vivienne à Paris dans le 2ème arrondissement, a procédé, le 21 décembre 2010, à une augmentation de capital d'un montant de 49,3 millions d'euros, réalisée par apport de ses associés, M. B... et Mme A..., de 98,7 % des titres de la société européenne Aubépar qu'ils détenaient. La valorisation de cet apport a été effectuée à partir principalement de la valeur des titres de la société ABC Arbitrage que détenait la société Aubépar à hauteur de 13,77 % du capital de cette société mais qui représentaient les deux tiers de son actif. Le 16 décembre 2011, la " succursale " française de la société Aubépar a cédé à la " succursale " française de la société Aubépar Industries environ 5,5 millions d'actions d'ABC Arbitrage au prix total de 33,8 millions d'euros. Le " siège " de la société Aubépar a également cédé au " siège " de la société Aubépar Industries environ 650 000 actions de la société ABC Arbitrage au prix total d'environ 4 millions d'euros. Ces cessions étant réalisées à crédit, la société Aubépar a enregistré une créance de 37,8 millions d'euros sur la société Aubépar Industries. Le 20 mars 2012, la société Aubépar a décidé de distribuer des dividendes pour 39,7 millions d'euros à ses actionnaires dont 39,1 millions d'euros à la société Aubépar Industries, sa société mère, cette somme compensant la dette de 37 millions d'euros que la société Aubépar Industries avait à son égard et qui représente le prix d'achat des actions de la société ABC Arbitrage en 2011. Par ailleurs, à la clôture de l'exercice du 30 mars 2012, la société Aubépar Industries a comptabilisé une provision pour dépréciation des titres de la société Aubépar d'un montant de 39 millions d'euros qui génère pour elle un déficit reportable de 30 millions d'euros. Ayant opté pour le régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, la société Aubépar Industries a retranché de ses résultats imposables de l'exercice clos en 2012 les dividendes perçus de la société Aubépar, après défalcation d'une quote-part de frais et charges.

2. La société Aubépar Industries a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 mars 2012 à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'application du régime des sociétés mères prévu par l'article 216 du code général des impôts aux dividendes d'un montant de 37 234 082 euros que lui avait distribués en 2012, sa filiale, la société Aubépar, dont 98,7% des titres lui avaient été apportés par ses associés dans le cadre de son augmentation de capital décidée le 21 décembre 2010. L'administration fiscale a considéré que ces opérations, l'augmentation de capital en décembre 2010, l'acquisition des titres de la société ABC Arbitrage et l'option pour le régime mère-fille en 2012 qui exonère d'impôt sur les sociétés le dividende perçu, suivie de la constitution, au titre du même exercice 2012, d'une provision pour dépréciation des titres de cette filiale, ont permis à la société Aubépar Industries de réaliser une économie d'impôt sur les sociétés, au titre de l'exercice 2012, de 2 365 065 euros et de dégager un déficit reportable en avant de 30 138 888 euros, c'est-à-dire une économie d'impôt sur les sociétés sur exercice futur de 10 046 296 euros, alors que ces opérations ne se sont traduites sur le plan économique et financier par aucun avantage pour la société fille, ayant eu pour seul objectif le transfert de l'essentiel de son portefeuille de titres de participation de la société ABC Arbitrage au profit de la société mère et, pour cette dernière, d'échapper à l'impôt, par une application littérale des dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts, contraire à l'intention de leur auteur. La société Aubépar Industries a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer, à titre principal, la décharge et, à titre subsidiaire, la réduction des impositions supplémentaires en ayant résulté en matière d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012. Elle relève appel du jugement du 22 février 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

3. Lorsqu'il écarte un moyen comme inopérant, le juge se borne à répondre à ce moyen sans avoir à en relever un nouveau d'office dont il devrait informer les parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions présentées à titre principal :

4. D'une part, aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à 1'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à 1'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation. (...) c. les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans (...) ". Aux termes de l'article 216 du même code, dans sa rédaction alors applicable

:" 1. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles./ En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. /Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. ". ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

6. Il résulte de l'ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des articles 20 et 21 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication des sociétés mères dans le développement économique des sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française.

7. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que les opérations en litige ont permis le transfert des titres de la société ABC Arbitrage détenus par la société Aubépar au profit de la société requérante sans transfert financier au profit de la filiale alors qu'au 30 septembre 2010, ils représentaient 94 % de la valeur d'expertise de la société, soit une valeur de 47,6 millions, et ont également permis à la société Aubépar Industries de réaliser une économie d'impôt sur les sociétés, au titre de l'exercice 2012, de 2 365 065 euros et de dégager un déficit reportable en avant de 30 138 888 euros. L'administration s'est en outre fondée sur la circonstance que la société Aubépar, créée en 2004, qui a cédé ses titres de la société ABC Arbitrage à la société requérante, créée postérieurement en octobre 2010, était elle-même une société holding et que le transfert de son principal actif n'a donné lieu à aucun flux financier à son profit, alors qu'après ces opérations de cession les mêmes personnes physiques contrôlaient ces deux entités. Elle en a conclu que les opérations avaient permis une économie d'impôt importante pour la société requérante sans qu'elles présentent un intérêt économique ou financier.

8. La société requérante oppose que ces opérations avaient pour objet un intérêt économique de réorganisation du groupe dans une logique d'efficacité et de rationalisation juridique et économique. Si elle fait valoir des éléments à caractère général relatifs à l'intérêt de constituer une holding d'un point de vue du suivi des résultats par activité et de direction du personnel, elle n'est pas en mesure d'en chiffrer les bénéfices. La société requérante soutient en particulier que la réorganisation des filiales par branches d'activités est particulièrement courante pour les actifs immobiliers des groupes exerçant plusieurs activités, et fait valoir qu'il n'était pas possible de constituer une nouvelle entité à laquelle les actifs de la société Aubépar auraient été transmis. Toutefois, si elle expose à cet égard que les quatorze participations dans des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) concernaient des sociétés pourvues pour la plupart de clauses d'agrément, elle ne justifie pas concrètement que les parts de SCPI ne pouvaient être effectivement transférées de gré à gré. De même, elle ne justifie aucunement des difficultés qui auraient pu s'opposer au transfert de sa participation dans la société civile immobilière C et Couturier, alors au surplus qu'elle expose que la société Aubépar a ultérieurement renforcé sa participation dans cette société civile immobilière en souscrivant à une augmentation de capital de cette dernière. La société Aubépar Industies soutient encore qu'en permettant de distinguer résultats exceptionnels et passifs liés à l'immobilier d'une part, et résultats opérationnels d'autre part, le regroupement a rendu possible la conclusion d'un accord de participation des salariés conformément à l'article L. 3322 du code du travail à compter de l'exercice 2012 et toujours en vigueur. Toutefois, et alors d'ailleurs que la société ne précise pas les obstacles organisationnels ou juridiques auxquels elle se serait heurtée à défaut de réorganisation, la mesure ainsi mise en place ne concerne qu'un effectif très faible, la société Aubépar Industries ayant regroupé cinq salariés et un dirigeant rémunéré à l'échelle du groupe. Elle soutient également que la création d'une holding tête de groupe était également nécessaire pour que la société Financière du Bailli, détenue également par M. B... et Mme A..., puisse jouer un rôle de centrale de trésorerie pour le groupe Aubépar, en conformité avec les dispositions relatives au " monopole bancaire ". Il résulte toutefois de l'instruction que, selon la décision rendue le 10 décembre 2003 sous le numéro 02-13.449 par la Cour de cassation, cette société pouvait déjà assurer ce rôle en bénéficiant de l'exception prévue par l'article L. 511-7 du code monétaire et financier dès lors que les sociétés étaient contrôlées par les mêmes personnes physiques. Ainsi, le caractère indispensable de la réorganisation n'apparaît pas démontré. En tout état de cause, et quelles que soient les difficultés pour la société Aubépar Industries à évaluer l'avantage économique et financier invoqué, à le supposer même établi, il résulte de ce qui précède que cet avantage ne peut qu'être regardé comme négligeable au regard de l'avantage fiscal procuré, l'administration faisant valoir à cet égard que l'économie d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2012 et suivants s'élève à 12 411 361 euros.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction que, du fait des opérations en litige, la société Aubépar s'est retrouvée privée de son principal actif, les titres de la société ABC Arbitrage, représentant au 30 septembre 2010 plus de 94 % de sa valeur d'expertise. La société requérante se prévaut de ce que, d'une part, la filiale a conservé un actif immobilier sous forme d'un usufruit ainsi que des participations dans des sociétés à prépondérance immobilière et qu'elle a maintenu cette activité qui lui procure des revenus, et d'autre part, de ce que cette même société a réalisé, postérieurement, un investissement en 2016 ayant conduit à un résultat exceptionnel de 900 000 euros en 2018, ainsi qu'un investissement de 750 000 euros en 2017. Toutefois, ces circonstances et notamment cet investissement, sans commune mesure avec la valeur de l'actif initialement détenu, ne sont de nature à justifier ni de mesures concrètes prises par le groupe pour assurer le développement de cette filiale alors d'ailleurs qu'à la suite de cette distribution de dividendes d'un montant élevé, la société requérante a comptabilisé une provision pour dépréciation des titres de la société Aubépar s'élevant à 39 millions d'euros à la clôture de l'exercice 2012, ni d'un intérêt pour le groupe à transférer les titres de la société ABC Arbitrage en ayant recours au régime des sociétés mères.

10. Il résulte de ce qui précède que l'option pour le régime des sociétés mères suivie de la cession par la société Aubepar des titres de la société ABC Arbitrage à la société Aubepar Industries et d'une distribution de dividendes à cette dernière utilisée pour procéder au règlement de cette cession, a permis de constituer, au titre du même exercice, une provision pour dépréciation des titres et de générer pour la société Aubepar Industries un déficit reportable de 30 millions d'euros et d'échapper ainsi à l'impôt, par une application littérale des dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts, contraire à l'intention de leur auteur. Elle révèle l'existence d'un montage fiscal constitutif d'un abus de droit au sens des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

11. En second lieu, la société requérante conteste le quantum des rectifications. Elle soutient que la remise en cause du bénéfice du régime des sociétés mères ne devait pas porter sur la somme de 39,7 millions d'euros de dividendes versés par la société Aubépar mais sur le seul bénéfice distribuable qui résultait de cette opération, soit 19,7 millions d'euros correspondant à la plus-value réalisée. A cet effet, d'une part, elle soutient que si les titres de la société ABC Arbitrage n'avaient pas été cédés, la société Aubépar aurait été acquise et aurait procédé à une distribution de ses réserves de vingt millions d'euros dans le cadre du régime mère-fille. Toutefois, n'est pas de nature à faire obstacle à ce que soient écartés comme procédant d'un abus de droit des actes passés ou réalisés dans le seul but d'atténuer la charge fiscale supportée par le contribuable, la circonstance que l'intéressé aurait pu réduire cette charge de manière identique en faisant le choix de passer ou de réaliser d'autres actes que ceux argués d'abus de droit. L'argument ainsi soulevé, au demeurant hypothétique, doit donc être écarté. Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que ces réserves ne provenaient pas d'un exercice antérieur à la constitution de la société Aubépar Industries le 12 octobre 2010 et que leur appréhension par la société mère n'aurait pas encouru la qualification d'abus de droit. D'autre part, si, comme le relève la requérante, la société Aubépar a été cédée à la société Aubépar Industries avant que les titres de la société ABC Arbitrage soient cédés, la cession des actions de la société ABC Arbitrage a été réalisée à crédit et réglée postérieurement par compensation avec les dividendes distribués. Cette distribution a donc bien eu pour effet dans sa totalité de compenser la dette de 37 millions d'euros que la société Aubépar Industries avait à l'égard de sa filiale et qui représente le prix d'achat des actions de la société ABC Arbitrage en 2011.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées à titre principal par la société Aubépar Industries doivent être rejetées.

En ce qui concerne la demande de compensation :

13. À titre subsidiaire, la société Aubépar Industries demande une compensation à concurrence d'un montant en droits et pénalités de 3 420 915 euros au motif qu'elle a déclaré à tort au titre de l'exercice 2012 un produit d'un montant de 5 320 810 euros représentant la plus-value de cession latente à laquelle elle a été soumise en application du 2 de l'article 221 du code général des impôts à la suite de l'affectation de titres de la société ABC Arbitrage au profit du siège de la société Aubépar Industries à Bruxelles. Elle fait valoir que ces dispositions dans leur rédaction alors en vigueur sont contraires à la liberté d'établissement.

14. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande " . Et aux termes de l'article L. 205 du même livre : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ".

15. Aux termes de l'article 221 du code général des impôts : " (...) 2. En cas de dissolution, de transformation entraînant la création d'une personne morale nouvelle, d'apport en société, de fusion, (...) l'impôt sur les sociétés est établi dans les conditions prévues aux 1 et 3 de l'article 201 (...) ".

16. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre (...) ".

17. Il résulte de la décision C-371/10 de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 novembre 2011 que si la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne fait obstacle, eu égard au désavantage de trésorerie par rapport à une société similaire qui maintiendrait son siège et ses actifs sur place, à l'imposition immédiate des plus-values latentes en cas de transfert dans un autre Etat de l'Union, elle ne s'oppose pas à la fixation définitive de cette imposition au moment du transfert d'actif mais seulement à son recouvrement immédiat. La société Aubepar Industries allègue qu'en l'absence de mécanisme de dégrèvement d'office de l'imposition en cas de retour en France, une entreprise qui transfèrerait ses actifs de retour en France serait moins bien traitée qu'une entreprise qui les maintient hors de France. Toutefois, elle ne justifie ainsi pas, par ce raisonnement purement hypothétique, d'une méconnaissance de la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. S'il résulte également de la jurisprudence précitée de la Cour de justice de l'Union européenne que la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité s'oppose au recouvrement immédiat de l'imposition litigieuse résultant de la plus-value latente en litige, il résulte de l'instruction que la société requérante, qui avait déclaré un résultat déficitaire au titre de l'exercice clos le 31 mars 2012, n'a alors été soumise à aucune imposition à l'impôt sur les sociétés. La circonstance que son résultat est devenu bénéficiaire à la suite de la vérification de comptabilité qui a conduit à l'émission d'un avis de mise en recouvrement en date du 15 décembre 2014 pour un montant en droits et pénalités de 4 561 410 euros est à cet égard sans incidence dès lors que, ainsi qu'il vient d'être dit, seul le recouvrement immédiat de l'imposition en tant qu'il porte sur la plus-value latente serait contraire à la liberté d'établissement et qu'ainsi c'est à bon droit que le tribunal a considéré qu'il appartenait à la société requérante le cas échéant de solliciter des délais de paiement auprès du comptable et a rejeté la demande de compensation qu'elle formulait.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société Aubépar Industries n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées, l'Etat n'étant pas partie perdante dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Aubépar Industries est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société européenne Aubépar Industries et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- M. Delage, président assesseur,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 28 octobre 2024.

Le rapporteur,

Ph. DELAGELe président,

A. BARTHEZ

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA01807


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01807
Date de la décision : 28/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: M. Philippe DELAGE
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-28;22pa01807 ?
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