Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite, née le 10 novembre 2020, par laquelle la ministre des armées a, d'une part, refusé de lui accorder un congé pour invalidité temporaire imputable au service, à compter du 30 avril 2019, et a, d'autre part, refusé de lui octroyer la protection fonctionnelle ainsi que la décision du 29 décembre 2020 par laquelle la ministre a refusé de lui octroyer la protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2019840/6-3 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la pathologie présentée par Mme A..., enjoint au ministre des armées de placer Mme A... en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 30 avril 2019, et rejeté sa demande pour le surplus.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 mai 2023, et des mémoires enregistrés les 30 novembre 2023 et 15 avril 2024 Mme A..., représentée par Me Coll, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mars 2023 en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre le refus d'octroi de protection fonctionnelle ;
2°) d'annuler la décision du 29 décembre 2020 par laquelle la ministre des armées a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché de plusieurs erreurs de droit ;
- la décision du 29 décembre 2020 est insuffisamment motivée en droit et en fait ;
- elle est entachée d'un vice de procédure, en l'absence de mise en œuvre de la procédure d'orientation et de traitement des signalements de harcèlement moral et sexuel et de l'enquête administrative prévue par les dispositions du décret n° 2020-256 du 13 mars 2020 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que la protection fonctionnelle devait lui être accordée en tant que victime de harcèlement sexuel et moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 18 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 21 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 2020-256 du 13 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., adjointe administrative principale au ministère des armées, gestionnaire au sein du bureau du pôle statistiques et prévisions export de la direction générale pour l'armement, a sollicité, le 1er septembre 2020, l'octroi de la protection fonctionnelle et d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service, à compter du 30 avril 2019. Le silence gardé sur sa demande a fait naître une décision implicite de rejet, le 10 novembre 2020. Sa demande de protection fonctionnelle a par la suite fait l'objet d'une décision expresse de refus le 29 décembre 2020. Par un jugement n° 2019840/6-3 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de reconnaissance d'imputabilité au service de la pathologie présentée par Mme A..., enjoint au ministre des armées de la placer en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 30 avril 2019, et rejeté sa demande pour le surplus. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre le refus de protection fonctionnelle.
2. En premier lieu, le moyen tiré des erreurs de droit commises par les premiers juges ne relèvent pas de l'office du juge d'appel mais de celui du juge de cassation. De tels moyens se rapportent au bien-fondé du jugement et non à sa régularité.
3. En deuxième lieu, la décision du 29 décembre 2020, qui vise l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, cite la jurisprudence du Conseil d'État en matière de harcèlement, reprend les principaux faits invoqués et détaille les raisons pour lesquelles la ministre a considéré que le harcèlement tant sexuel que moral invoqué n'est pas caractérisé, est suffisamment motivée.
4. En troisième lieu, le moyen tiré de ce qu'en l'absence d'enquête administrative, le ministre a méconnu le dispositif ayant pour objet de recueillir les signalements des agents qui s'estiment victimes d'actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d'agissements sexistes dans la fonction publique, ainsi qu'aux témoins de tels agissements, prévu par les dispositions de l'article 6 quater A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur, et l'article 1er du décret du 13 mars 2020 relatif au dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d'agissements sexistes dans la fonction publique, est inopérant à l'appui de conclusions dirigées contre une décision statuant sur une demande relative au bénéfice de la protection fonctionnelle, laquelle est prise indépendamment de la procédure de signalement.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. / (...) ". Aux termes de l'article 6 quinquies de cette loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; (...) / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ". Et aux termes de son article 11 : " (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".
6. D'une part, ces dispositions établissent à la charge des collectivités publiques dont dépendent des fonctionnaires et à leur profit, lorsqu'ils sont mis en cause ou ont été victimes d'attaques, de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. Des agissements répétés de harcèlement moral sont de ceux qui peuvent permettre, à l'agent public qui en est l'objet, d'obtenir la protection fonctionnelle prévue par les dispositions précitées.
7. D'autre part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
8. Enfin, il résulte des dispositions de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 que sont constitutifs de harcèlement sexuel des propos ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante.
9. Mme A... soutient qu'elle a été victime d'une situation de harcèlement sexuel de la part d'un de ses collègues, qui lui a tenu des propos obscènes lors d'une conversation téléphonique en octobre 2016, puis a tenté de l'embrasser dans un ascenseur de leur lieu de travail. Elle produit, à l'appui de ses allégations, des courriers électroniques échangés avec ce collègue entre le 19 et le 21 octobre 2016, au cours duquel elle relate le premier incident et reçoit les excuses de son interlocuteur pour son comportement. Dans ces conditions, à les supposer établis, ces faits, par leur caractère isolé et leur gravité relative, ne peuvent être regardés comme constitutifs d'un harcèlement sexuel.
10. Mme A... se prévaut en outre d'une situation de harcèlement moral subi depuis la fin de l'année 2015, matérialisée par une mise à l'écart de la part de ses collègues et supérieurs hiérarchiques, qui ne l'informent pas des congés annuels, des moments de convivialité, ou d'éléments tenant à l'organisation du service et au suivi des dossiers, qu'elle a fait l'objet de remarques humiliantes de la part de ses homologues et de propos vexatoires de la part de sa hiérarchie, que ses compétences professionnelles ont été publiquement remises en cause, qu'elle a été soumise à un chantage pour l'attribution d'un bureau individuel, et qu'elle a tenté, en vain, d'alerter la direction. Les pièces du dossier, et en particulier les nombreux courriers électroniques produits par la requérante et notamment ceux qu'elle s'adresse à elle-même, s'ils témoignent d'une forte souffrance au travail, ne permettent toutefois pas de faire présumer une situation de harcèlement moral, compte tenu du climat de tensions et d'antagonismes réciproques entretenus dans son environnement immédiat de travail, du comportement vétilleux de l'intéressée et des efforts persistants engagés par ses supérieurs hiérarchiques pour apaiser ces conflits, notamment par des tentatives de médiation et par l'intervention de la cellule de lutte contre le harcèlement.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande relative à la protection fonctionnelle. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE:
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre des armées et des anciens combattants.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.
La rapporteure,
C. BORIES
La présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre des armées et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02390 2