Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2023 par lequel par lequel le préfet de Seine-et-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2309411 du 20 novembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 février 2024, M. D..., représenté par Me Saidi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2309411 du 20 novembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2023 par lequel par lequel le préfet de Seine-et-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de lui délivrer dès la notification de cette décision, un récépissé l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Saidi au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
La requête a été communiquée au préfet de Seine-et-Marne, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 14 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Vrignon-Villalba a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. G... D..., ressortissant de la Dominique, né le 8 décembre 1984 à Roseau, a été interpellé le 22 juillet 2023 pour des faits de violences aggravées sur son épouse. Estimant que l'intéressé ne pouvait justifier d'une entrée régulière en France, se maintenait irrégulièrement sur le territoire sans avoir sollicité la délivrance d'un premier titre de séjour et que son comportement constituait une menace pour l'ordre public, le préfet de Seine-et-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et lui a interdit de retourner en France pour une durée d'un an, par arrêté du 22 juillet 2023. M. D... relève appel du jugement du 20 novembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., dont la présence sur le territoire français est établie à compter du mois de juillet 2017, justifie depuis cette même date, soit depuis six années à la date de la décision en litige, de sa communauté de vie avec Mme B... E..., une compatriote, titulaire d'un titre de séjour valable jusqu'au 12 avril 2024, qu'il a épousée le 27 avril 2019. Il démontre que la cellule familiale est également composée des quatre enfants de son épouse, A... C..., né le 11 juin 2000 d'une première union, F... Mussen, né le 29 juillet 2005 d'une deuxième union, et Nicolas et Nicolaï Reymoudt, nés respectivement les 16 mai 2007 et 19 mai 2008 et issus d'une troisième union. Il ressort également des pièces du dossier que les trois derniers enfants de Mme E..., mineurs à la date de la décision en litige, sont de nationalité française, que le jeune F... souffre d'un handicap et que le père des deux plus jeunes est décédé. Il ressort encore des pièces du dossier, en particulier des attestations établies par les chefs d'établissement dans lesquels sont scolarisés trois des enfants de son épouse, que M. D... constitue l'interlocuteur privilégié des équipes éducatives et s'occupe de l'ensemble des démarches à effectuer, témoignant ainsi de son implication dans l'éducation des enfants. Par ailleurs, M. D... assiste son épouse, dont il ressort du bulletin de salaire produit pour le mois de décembre 2022 qu'elle exerçait une activité d'assistante de vie à temps complet en contrat à durée indéterminée depuis le 21 février 2022, avant d'être victime en novembre 2022 d'un accident du travail, et dont l'état de santé nécessite, selon les mentions du certificat médical établi le 31 mai 2023 par un chirurgien orthopédiste et traumatologue, la présence d'une personne de sa famille pour l'aider dans ses déplacements et les activités de sa vie quotidienne. Enfin, s'il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal du 22 juillet 2023, que l'intéressé a été interpellé en raison de coups portés à son épouse sur la voie publique et qu'il en a admis la matérialité, toutefois il ressort également des déclarations de l'intéressé lors de son audition, corroborées par l'attestation établie par son épouse, qui n'a pas souhaité porter plainte, que ces faits sont isolés. Dès lors, dans les conditions très particulières de l'espèce, M. D... est fondé à soutenir que la décision par laquelle le préfet de Seine-et-Marne l'a obligé à quitter le territoire français porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et qu'elle méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette illégalité entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions portant fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête ni sur la régularité du jugement, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. "
6. L'annulation d'une obligation de quitter le territoire français n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour mais il résulte de ces dispositions qu'elle implique que l'autorité administrative statue de nouveau sur le cas de l'étranger. Ainsi, il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés au litige :
7. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me Saidi de la somme de 1 200 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2309411 du 20 novembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 22 juillet 2023 du préfet de Seine-et-Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Seine-et-Marne de réexaminer la situation de M. D... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Saidi une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation par celui-ci à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., au préfet de Seine-et-Marne et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Melun.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2024.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24PA00653