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21/10/2024 | FRANCE | N°24PA00400

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 21 octobre 2024, 24PA00400


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 28 novembre 2023 par lesquels le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 2327427/8 du 17 janvier 2024, la magistrate désignée par le

président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 28 novembre 2023 par lesquels le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2327427/8 du 17 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Calvo Pardo, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 janvier 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 28 novembre 2023 du préfet de police de Paris ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de Paris ou au préfet territorialement compétent de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors notamment qu'il est entré régulièrement en France, que son comportement n'est pas constitutif d'une menace à l'ordre public et qu'il réside en France depuis plus de trois années ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de son intégration professionnelle ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa situation répond aux conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le prive ainsi de la possibilité d'obtenir un titre de séjour sur ce fondement ;

S'agissant de la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il ne présente pas de risque de soustraction à la mesure d'éloignement et que son comportement n'est pas constitutif d'une menace à l'ordre public ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle le prive de la possibilité de voir sa situation examinée au regard de son droit au séjour ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle le prive de la possibilité d'obtenir un visa pour venir en France et fait obstacle à la présentation d'une demande de titre de séjour pendant plus de deux ans ;

- la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français est disproportionnée compte tenu de son intégration personnelle et professionnelle dans la société française.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2024, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un courrier en date du 2 septembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de procéder d'office à une substitution de base légale, la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français trouvant sa base légale, non dans les dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celles du 2° du même article.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Larsonnier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien né le 24 juin 1994 et entré en France le 2 février 2020 muni d'un visa de type C valable du 17 janvier 2020 au 14 juillet 2020, a été interpellé le 28 novembre 2023 pour des faits de détention et usage d'un faux document administratif. Par deux arrêtés du 28 novembre 2023, le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Par un jugement du 17 janvier 2024, dont M. A... relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, la décision en litige vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier ses articles 3 et 8, l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ainsi que les dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle mentionne que M. A..., né le 24 juin 1994, de nationalité tunisienne et qui ne peut justifier d'un titre de séjour pour se maintenir sur le territoire français, est dépourvu de document de voyage et ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français. En outre, elle précise que l'intéressé s'est déclaré célibataire et sans enfant à charge et porte l'appréciation selon laquelle, il n'est pas porté, dans les circonstances propres au cas d'espèce, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, et alors que le préfet n'était pas tenu de reprendre l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle de M. A..., la décision en litige comporte l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.

3. En deuxième lieu, si M. A... entend soutenir que la décision en litige méconnaît le principe général du droit d'être entendu qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par l'intéressé, qu'il a été entendu par les services de police le 28 novembre 2023 sur sa situation personnelle, notamment en ce qui concerne son âge, sa nationalité, l'emploi qu'il exerce en France, les conditions et la date de son embauche et le montant de son salaire, son niveau d'études et ses diplômes, sa situation de famille, les raisons et conditions de son entrée en France ainsi que ses conditions d'hébergement. Le requérant a eu ainsi la possibilité, au cours de cet entretien, de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer sur la décision prise à son encontre. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., qui a indiqué qu'il n'accepterait pas de quitter le territoire français si une mesure d'éloignement lui était notifiée, disposait d'informations tenant à sa situation personnelle qu'il a été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure qu'il conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision. Ainsi, quand bien même il n'aurait pas été en mesure, en raison de sa garde à vue, de produire les documents justificatifs concernant sa situation personnelle et professionnelle, l'administration disposait de l'ensemble des éléments d'information utiles à l'examen de sa situation. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de police de Paris a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... avant de prendre la décision portant obligation de quitter le territoire français.

5. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré (...) ".

6. Pour prononcer à l'encontre de M. A... une obligation de quitter le territoire français, le préfet de police de Paris s'est fondé, ainsi qu'il a déjà été dit au point 2, sur les dispositions précitées du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour, en relevant notamment que l'intéressé ne pouvait justifier être entré régulièrement en France. Toutefois, M. A... justifie pour la première fois en appel être entré en France le 2 février 2020 sous couvert d'un visa Schengen de court séjour valable du 17 janvier au 14 juillet 2020. Par suite, la décision en litige ne pouvait être prise sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour.

7. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition du 28 novembre 2023, que M. A... s'est maintenu sur le territoire français après l'expiration de son visa le 14 juillet 2020 et qu'il a déclaré que son dossier de demande de titre de séjour avait été adressé à son avocat qui tentait d'obtenir un rendez-vous en préfecture afin de l'y déposer. Toutefois, aucune pièce au dossier ne permet d'étayer ces dernières affirmations. Dans ces conditions, M. A... s'est maintenu sur le territoire français après l'expiration de son visa sans être titulaire d'un titre de séjour. Il s'ensuit que la décision contestée trouve son fondement légal dans les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui peuvent être substituées à celles du 1° du même article dès lors, en premier lieu, que, s'étant maintenu sur le territoire français après l'expiration de son visa sans avoir demandé la délivrance d'un titre de séjour, M. A... se trouvait dans la situation où, en application des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police de Paris pouvait décider de l'obliger à quitter le territoire français, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces dispositions. La circonstance que le requérant réside habituellement en France depuis son arrivée le 2 février 2020 et qu'il exerce une activité professionnelle ne remet pas en cause l'appréciation portée sur le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

9. M. A... ne peut utilement soutenir, au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public dès lors que le préfet de police de Paris ne s'est pas fondé sur ce motif pour prendre sa décision.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que la présence habituelle de M. A... sur le territoire français n'est établie qu'à compter du 12 août 2020, c'est-à-dire depuis seulement un peu plus de trois ans à la date de la décision en litige. Il ressort des mentions du procès-verbal d'audition du 28 novembre 2023 que le requérant a déclaré devant les services de police être célibataire et sans enfant à charge, qu'aucun membre de sa famille ne vivait en France et que l'ensemble de ses attaches familiales se trouvait en Tunisie où lui-même a vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans. S'il justifie exercer une activité professionnelle à temps partiel depuis le 1er janvier 2022 en qualité d'employé polyvalent au sein d'une entreprise de restauration, celle-ci ne nécessite pas de qualification particulière, ne lui procure que de faibles revenus et présente au demeurant un caractère relativement récent à la date de la décision en litige. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le préfet de police de Paris, en obligeant M. A... à quitter le territoire français, n'a pas porté, eu égard aux objectifs poursuivis par cette mesure, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

12. En sixième lieu, M. A... soutient que le préfet de police de Paris aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle dès lors qu'il dispose, compte tenu de l'ancienneté de son séjour sur le territoire français et de son insertion professionnelle, d'un motif justifiant son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, ces dispositions, qui ne peuvent utilement être invoquées par les ressortissants tunisiens dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien régit, pour ce qui les concerne, la délivrance de titre de séjour au titre d'une activité salarié, ne prescrivent pas, en tout état de cause, la délivrance de plein droit d'un titre de séjour qui aurait été susceptible de faire échec à une mesure d'éloignement.

13. Au vu des éléments énoncés au point 12, et à supposer même que le comportement de M. A... ne constitue pas une menace pour l'ordre public, le préfet de police de Paris n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision portant obligation de quitter le territoire français sur sa situation personnelle. Enfin, la seule circonstance que l'intéressé, qui n'a au demeurant pas déposé de demande de titre de séjour ainsi qu'il a déjà été dit, serait privé de l'opportunité de voir sa situation examinée au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permet pas davantage d'établir que la décision en litige serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision de refus d'accorder un délai de départ volontaire :

14. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) /3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".

15. En premier lieu, il ressort des termes de la décision en litige que pour refuser à M. A... l'octroi d'un délai de départ volontaire, le préfet de police de Paris a considéré que son comportement était constitutif d'une menace à l'ordre public, l'intéressé ayant été signalé par les services de police le 28 novembre 2023 pour des faits de détention frauduleuse et usage de faux document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation, et qu'il existait un risque qu'il se soustraie à l'exécution de la mesure d'éloignement dès lors que l'intéressé, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire en France, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour et qu'il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes dans la mesure où il ne peut présenter de documents d'identité ou de voyage en cours de validité et qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. D'une part, la circonstance que M. A... a présenté à son employeur une fausse carte d'identité italienne lors de son embauche en janvier 2021 ne permet pas, à elle seule, de considérer que la présence en France de l'intéressé constituerait une menace pour l'ordre public. S'il ressort des pièces du dossier que M. A... a également été interpellé en avril 2021 pour des faits de recel d'une mobylette, il n'est pas contesté qu'aucune suite judiciaire n'a été donnée à ces faits. Au vu de ces seuls éléments, le comportement du requérant ne peut être regardé comme constituant une menace pour l'ordre public. Il s'ensuit que le préfet de police de Paris ne pouvait lui refuser l'octroi d'un délai de départ volontaire pour ce motif. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré régulièrement en France le 2 février 2020 sous couvert d'un visa court séjour, qu'il est détenteur d'un passeport en cours de validité et que, même s'il a déclaré lors de son audition être hébergé chez un ami dans le 17ème arrondissement, il justifie d'un hébergement personnel dans le 2ème arrondissement. Dans ces conditions, le préfet de police de Paris ne pouvait pas retenir ces motifs pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire.

16. Le préfet de police de Paris soutient, pour la première fois en appel, que la situation de M. A... entre dans le champ d'application du 4 ° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il pouvait ainsi légalement refuser d'accorder un délai de départ volontaire. Il ressort des mentions du procès-verbal d'audition du 28 novembre 2023, qu'à la question " dans le cas où la préfecture de police de Paris décide de vous reconduire dans votre pays d'origine, accepteriez-vous d'exécuter cette décision ' ", M. A... a répondu par la négative et qu'il a ainsi expressément fait part de son intention de ne pas se conformer à l'exécution d'une éventuelle mesure d'éloignement prononcée à son encontre. Ce motif est de nature à fonder légalement la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police de Paris aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif. Il y a donc lieu de procéder à la substitution de motif que le préfet de police de Paris doit être regardé comme ayant formé dans son mémoire en défense sur laquelle M. A... a été invité à présenter ses observations et qui ne le prive d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué.

17. En second lieu, la seule circonstance que le requérant, qui n'a pas déposé de demande de titre de séjour ainsi qu'il a déjà été dit, serait privé de l'opportunité de voir sa situation examinée au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permet pas davantage d'établir que la décision en litige serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

18. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable à la date de la décision en litige : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les (...) décisions d'interdiction de retour (...) prévues aux articles L. 612-6 (...) sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées ".

20. La décision prononçant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier ses articles 3 et 8 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 612-6. Elle mentionne que l'intéressé a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en date du 28 novembre 2023 sans délai de départ volontaire Il ressort également des termes de cette décision que le préfet de police de Paris a, pour fixer la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, considéré que, l'intéressé représentait une menace pour l'ordre public compte tenu de son signalement par les services de police le 28 novembre 2023 pour détention et usage d'un faux document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation, qu'il allègue être entré sur le territoire français le 2 février 2020 sans le justifier et qu'il ne peut se prévaloir de liens suffisamment anciens, forts et caractérisés avec la France, étant constaté qu'il se déclare célibataire et sans enfant à charge. Enfin, la décision relève que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, la décision comporte l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui en constitue le fondement. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

21. En deuxième lieu, il résulte des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 18, que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ il lui appartient d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés par les dispositions de l'article L. 612-10, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.

22. M. A... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qui n'est assortie d'aucun délai de départ volontaire. Si le requérant soutient que la décision en litige le prive de la possibilité d'obtenir un visa pour venir en France et fait obstacle à la présentation d'une demande de titre de séjour, ces seules circonstances, alors qu'il n'avait pas déposé de demande de titre de séjour depuis son arrivé en France le 2 février 2020 ainsi qu'il a déjà été dit, ne constituent pas des circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, la décision du préfet de police de Paris prononçant à l'encontre de M. A... une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur d'appréciation.

23. En revanche, il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a pas fait l'objet d'une précédente obligation de quitter le territoire français, qu'il vit en France, ainsi qu'il a déjà été dit, depuis le 12 août 2020, soit depuis un peu plus de trois ans à la date de la décision en litige, et qu'il exerce une activité professionnelle dans le secteur de la restauration depuis le 1er janvier 2022. Il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a déjà été dit au point 15, que le comportement du requérant puisse être regardé comme constituant une menace pour l'ordre public. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, en prononçant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour d'une durée de vingt-quatre mois, le préfet de police de Paris a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Compte tenu du caractère indivisible de la décision en litige, qui porte à la fois sur le principe de l'interdiction de retour sur le territoire français et sur la durée de cette interdiction, la décision prise à l'encontre de M. A... doit être annulée sans qu'une telle annulation ne fasse obstacle à ce que l'administration, qui, comme il a été dit au point 22, a pu régulièrement décider de prendre à l'encontre du requérant une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français, prenne une nouvelle mesure d'interdiction, pour une durée mieux adaptée à la situation de M. A... au regard des quatre critères fixés par la loi.

24. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 28 novembre 2023 par laquelle le préfet de police de Paris a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Le jugement attaqué doit donc être annulé dans cette mesure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

25. L'annulation de la décision du 28 novembre 2023 du préfet de police de Paris prononçant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois, prononcée par le présent arrêt, n'implique pas le réexamen de sa situation mais seulement l'effacement de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de police de Paris, ou tout autre préfet territorialement compétent, de faire procéder à cet effacement dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sauf pour cette autorité à prendre, d'ici là une nouvelle mesure d'interdiction, pour une durée mieux adaptée à la situation de M. A... et tenant compte du délai d'ores et déjà écoulé depuis l'interdiction initialement prononcée.

Sur les frais liés à l'instance :

26. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. (...) ".

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. A... demande sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2327427/8 du 17 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 28 novembre 2023 du préfet de police de Paris prononçant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Article 2 : La décision du 28 novembre 2023 du préfet de police de Paris prononçant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet compétent de faire procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, à la suppression, par les services compétents, du signalement de M. A... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2024.

La rapporteure,

V. LarsonnierLa présidente,

A. Menasseyre

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00400


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00400
Date de la décision : 21/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CALVO PARDO

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-21;24pa00400 ?
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