Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Victoria Square a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Ville de Paris à lui verser la somme de 985 807 euros, à parfaire, au titre des préjudices subis entre octobre 2017 et septembre 2019 en raison des travaux de rénovation réalisés au théâtre du Châtelet.
Par un jugement n° 2117192 du 28 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 août 2023, la société Victoria Square, représentée par Me Dumont, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la Ville de Paris à lui verser la somme de 985 807 euros, à parfaire, au titre des préjudices subis entre octobre 2017 et septembre 2019 en raison des travaux de rénovation réalisés au théâtre du Châtelet ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et d'une dénaturation des pièces du dossier ;
- la responsabilité sans faute de l'administration en raison de dommages de travaux publics est engagée dès lors que les deux conditions nécessaires que sont l'existence d'un lien de causalité et l'existence d'un préjudice anormal et spécial sont réunies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2023, la Ville de Paris, représentée par Me Léron, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Victoria Square au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Victoria Square ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 août 2024 à 12 heures.
Un mémoire, présenté par la société Victoria Square, a été enregistré le 11 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Pelé, pour la société Victoria Square, et de Me Léron pour la Ville de Paris.
Une note en délibéré a été présentée le 4 octobre 2024 pour la société Victoria Square.
Considérant ce qui suit :
1. La société Victoria Square a demandé à la Ville de Paris de lui verser la somme totale de 985 807 euros en réparation des préjudices subis par le commerce qu'elle exploite sous l'enseigne " le dernier bar avant la fin du monde " consécutivement aux travaux de rénovation qui ont été réalisés du mois de mars 2017 au mois de septembre 2019 au théâtre du Châtelet, dont 912 933,50 euros au titre des pertes d'exploitation et 72 873,50 euros au titre des dommages matériels et des dépenses engagées à l'issue du chantier pour relancer l'activité. En l'absence de suite donnée à sa demande, la société a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Ville de Paris à lui verser la somme de 985 807 euros. Elle relève appel du jugement du 28 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la société Victoria Square ne peut pas utilement, pour contester la régularité du jugement, soutenir que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une dénaturation des pièces du dossier ou d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'ouvrage délégué, et les constructeurs chargés des travaux sont responsables solidairement à l'égard des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient au tiers, victime d'un dommage de travaux publics, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre, d'une part, les travaux publics et, d'autre part, le préjudice dont il se plaint. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
4. La société Victoria Square soutient que les travaux de mise aux normes des installations techniques et de restauration partielle du théâtre du Châtelet, qui ont démarré au mois de mars 2017 et se sont achevés début décembre 2019 et qui ont nécessité, d'une part, la mise en place, pour des raisons de sécurité, d'échafaudages dont un au droit de la façade Victoria où se situe l'établissement qu'elle exploite sous l'enseigne " le dernier bar avant la fin du monde " et, d'autre part, l'installation d'une base de vie extérieure, accueillant les ouvriers du chantier en face de cet établissement et en masquant la visibilité, sont à l'origine directe de la baisse de son chiffre d'affaires et de son résultat d'exploitation en 2017, 2018 et 2019.
5. Il résulte de l'instruction que si le positionnement d'un échafaudage, à compter de septembre 2017 et jusqu'en août 2019, au droit de la façade Victoria, a rendu très difficilement exploitable la terrasse de l'établissement " le dernier bar avant la fin du monde ", celle-ci a pu continuer d'être utilisée ponctuellement, notamment pour accueillir les clients fumeurs, ainsi que la société le fait elle-même valoir, et comme en atteste le fait qu'elle a continué à s'acquitter de la redevance domaniale se rapportant au droit d'occupation du domaine public qui lui a été accordé par la Ville de Paris. A ce titre, la société n'allègue pas qu'elle aurait sollicité après de la Ville de Paris une suspension du paiement de la redevance à défaut pour elle de pouvoir exploiter la terrasse et que cela lui aurait été refusé. Surtout, la société n'apporte aucun élément permettant de préciser le préjudice économique en lien avec le fait de ne pas pouvoir utiliser tout ou partie de la terrasse, alors que, d'une part, selon les informations qui figurent dans le dossier de demande d'indemnisation, celle-ci peut en principe accueillir au maximum 36 places assises, contre 128 places à l'intérieur de l'établissement et, d'autre part, l'activité de restauration en terrasse à laquelle la société indique avoir renoncé en journée présentait nécessairement, eu égard aux stipulations de l'article 3 du bail signé entre la société et la Ville de Paris le 29 septembre 2006, tel qu'amendé le 31 mai 2012, un caractère accessoire.
6. Par ailleurs, ainsi que le tribunal administratif de Paris l'a relevé aux points 6 et 7 du jugement attaqué, si l'accès des clients et des fournisseurs a été rendu plus difficile, l'établissement " le dernier bar avant la fin du monde " est resté accessible depuis l'avenue Victoria. De même, malgré le positionnement des algécos installés dès septembre 2017, pour partie en face de l'établissement et l'impactant nécessairement, celui-ci est demeuré visible. Outre le fait qu'une signalisation a été mise en place par la ville depuis la place du Châtelet pour indiquer que les commerces de la rue Victoria restaient ouverts, l'enseigne du " dernier bar avant la fin du monde " est également restée visible depuis le trottoir de l'avenue Victoria le desservant ainsi qu'il ressort des pièces du dossier. Pour les piétons situés sur le trottoir d'en face, une signalétique a également été mise en place sur l'échafaudage de chantier par la Ville de Paris.
7. Enfin, il résulte de l'instruction que les produits d'exploitation de la société Victoria Square, qui ne fournit pour la période 2016 à 2019 que ses comptes d'exploitation, étaient déjà en baisse, de janvier à août 2017 par rapport à 2016, à période constante, ce qui suggère que l'activité du " dernier bar avant la fin du monde " présentait déjà une tendance à la baisse en raison de difficultés de gestion propres. Par ailleurs, avant la fermeture pour travaux décidée par l'établissement, la baisse des produits d'exploitation, bien que réelle, apparaît relativement faible. Si cette baisse est nettement plus marquée pour la période de novembre 2018 à septembre 2019, cela s'explique en partie par le fait que l'établissement a, selon la société, été fermé du 1er juillet au 10 septembre 2018, pour des travaux que " le dernier bar avant la fin du monde " a présenté, dans sa communication du 3 juin 2018 sur les réseaux sociaux, comme une fermeture " pour des raisons techniques ", afin de réaliser ses propres travaux de mise aux normes de sécurité en matière d'électricité et d'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Si elle soutient que ces travaux ont en réalité été réalisés en trois semaines et que pour le reste, la fermeture est en lien avec les travaux de rénovation du théâtre du Châtelet, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations.
8. Dans ces conditions, alors que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général, et à supposer même qu'il puisse être regardé comme spécial, la société Victoria Square ne justifie pas d'un préjudice grave en lien avec les travaux de rénovation du théâtre du Châtelet.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Victoria Square n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice d'exploitation pour 2017, 2018 et 2019. Par voie de conséquence, et alors qu'elle n'a pas repris en appel, avant la clôture de l'instruction, le moyen tiré de ce que le chantier a entraîné des dommages matériels qui ont rendu nécessaire, notamment, le remplacement de l'enseigne et du store roulant de l'établissement, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Victoria Square le versement à la Ville de Paris d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Victoria Square est rejetée.
Article 2 : La société Victoria Square versera à la Ville de Paris la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Victoria Square et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2024.
La rapporteure,
C. Vrignon-VillalbaLa présidente,
A. Menasseyre
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03884