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21/10/2024 | FRANCE | N°23PA01759

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 21 octobre 2024, 23PA01759


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une demande, enregistrée sous le n° 1809854, Mme G... C... veuve B... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à leur verser la somme de 53 753,49 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., leur époux et père, à la suite de sa prise en charge par le centre hospitalier de Meaux le 17 janvier 2014, somme assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.



Par une demande, enregistrée sous le n° 1904035, Mme G... C... veuve B... et M. E... B....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande, enregistrée sous le n° 1809854, Mme G... C... veuve B... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à leur verser la somme de 53 753,49 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., leur époux et père, à la suite de sa prise en charge par le centre hospitalier de Meaux le 17 janvier 2014, somme assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Par une demande, enregistrée sous le n° 1904035, Mme G... C... veuve B... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à verser à Mme C... veuve B... au titre de ses préjudices propres résultant de la prise en charge de son époux, M. A... B..., par le centre hospitalier de Meaux le 17 janvier 2014, la somme totale de 367 747,03 euros, somme assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, d'une part, et à M. B... au titre de ses préjudices propres résultant de la prise en charge de son père par le centre hospitalier de Meaux le 17 janvier 2014 la somme totale de 53 300,83 euros, somme assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement nos 1809854, 1904035 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Melun a condamné le grand hôpital de l'Est francilien à verser, d'une part, à Mme B... et à M. E... B... la somme de 8 302 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2018 et de leur capitalisation à compter du 20 juin 2019, d'autre part, à Mme B... la somme de 1 218,63 euros et à M. E... B... la somme de 1 956 euros au titre de leurs préjudices propres, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2019 et de leur capitalisation à compter du 19 mars 2020, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 9 692 euros au titre de ses débours et a mis à la charge définitive du grand hôpital de l'Est francilien les dépens liquidés et taxés à la somme totale de 2 860 euros.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée sous le n° 23PA01759 le 26 avril 2023, M. E... B..., représenté par Me De Folleville, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a limité à la somme de 8 302 euros le montant de l'indemnisation accordée au titre des préjudices subis par M. A... B... et à la somme de 1 956 euros le montant de l'indemnisation accordée au titre de ses préjudices propres ;

2°) de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à lui verser la somme de 53 753,49 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à lui verser la somme de 53 300,83 euros en réparation de ses préjudices propres, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge du grand hôpital de l'Est francilien le versement d'une somme de 4 000 euros à Me De Folleville, son avocat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat allouée au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

S'agissant des préjudices de M. A... B... :

- le taux journalier permettant d'évaluer le déficit fonctionnel temporaire doit être fixé à 32,26 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire de 100 %, à 16,13 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire de 50 %, à 9,68 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire de 30 % et à 8,06 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire de 25 %, soit une somme globale de 5 333,49 euros ; à titre subsidiaire, le taux journalier pour un déficit fonctionnel temporaire doit être fixé à 20 euros par jour ;

- eu égard au caractère brutal et violent des souffrances physiques et de la souffrance morale endurées par M. A... B..., l'indemnité accordée à ce titre sera de 30 000 euros, soit après application du taux de perte de chance de 30 %, de 9 000 euros ;

- le préjudice esthétique doit être évalué à 5 000 euros, soit après application du taux de perte de chance de 30 %, à 1 500 euros ;

- eu égard aux tarifs d'aide à domicile pratiqués en région parisienne, l'assistance par une tierce personne doit être évaluée à partir d'un taux horaire de 20 euros ; l'indemnité allouée doit être ainsi évaluée à 13 420 euros ;

S'agissant des préjudices de M. E... B... :

- l'indemnisation de son préjudice économique doit porter sur la durée de son contrat à durée déterminée qu'il a dû interrompre du fait de l'état de santé de son père et non sur la seule période d'essai ; son préjudice doit être évalué à 1 950,83 euros ;

- le remboursement au titre des frais d'obsèques doit comprendre les frais inhérents au déplacement en Algérie où a été inhumé M. A... B... ;

- son préjudice d'affection doit être évalué à 30 000 euros ;

- il a accompagné son père pendant ses derniers jours ; les premiers juges ont fait une insuffisante évaluation de son préjudice d'accompagnement et de ses troubles dans les conditions d'existence en les évaluant à 200 euros après application du taux de perte de chance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2024, le grand hôpital de l'Est francilien, représenté par le cabinet Le Prado et Gilbert, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. E... B... ;

et, par la voie de l'appel incident,

2°) de réformer le jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il le condamne à indemniser les consorts B... au titre de l'assistance apportée à M. A... B... par une tierce personne ;

3°) de rejeter la demande d'indemnisation des consorts B... au titre de l'assistance apportée à M. A... B... par une tierce personne ou, à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée pour ce poste de préjudice à de plus justes proportions.

Il soutient que :

S'agissant des préjudices de M. A... B... :

- en fixant le taux journalier permettant d'évaluer le déficit fonctionnel temporaire à 15 euros par jour, les premiers juges ont fait une appréciation généreuse de ce poste de préjudice qui sera confirmée ;

- les premiers juges ont fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. B... et de son préjudice esthétique en les évaluant respectivement à 14 000 euros et à 1 500 euros ;

- il ressort de la jurisprudence que, pour les années 2014 et 2015, les frais d'assistance par une tierce personne non spécialisée sont évalués sur la base d'un taux horaire de 13 euros ; le jugement sera donc confirmé quant au taux horaire retenu ;

- la période d'hospitalisation de M. B... du 12 mai au 9 juin 2015, date de son décès, ne saurait donner lieu à indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne ; la période à indemniser prend fin à la date du décès du patient ; les consorts B... n'ont pas justifié que M. B... n'avait pas perçu de somme ayant le même objet que celle allouée au titre des besoins en assistance par une tierce personne entre 2014 et 2015 ; dans ces conditions, aucune indemnité ne saurait être allouée à ce titre ; à titre subsidiaire, le montant de l'indemnité allouée sera ramené à de plus justes proportions ;

S'agissant des préjudices de M. E... B... :

- M. B... n'établissant pas qu'il aurait été embauché à l'issue de sa période d'essai, l'indemnisation de la perte de gains professionnels pour la période postérieure à la période d'essai ne présente aucun caractère certain et ne saurait être indemnisée ;

- les frais de rapatriement du corps du patient à l'étranger n'ont pas à être indemnisés ;

- les premiers juges ont fait une juste appréciation de son préjudice d'affection pour un enfant majeur ne vivant plus au foyer ;

- le préjudice d'accompagnement ne peut être indemnisé lorsque le décès est survenu brutalement ; les troubles dans les conditions d'existence ont duré un mois ; dans ces conditions, les premiers juges ont fait une appréciation généreuse de ce poste de préjudice qui ne saurait être majorée.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne qui n'a pas produit d'observations.

M. E... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 20 juillet 2022.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 23PA02019 le 10 mai 2023 et le 24 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Andrieux, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a limité à la somme de 8 302 euros le montant de l'indemnisation accordée au titre des préjudices subis par M. A... B... et à la somme de 1 218,63 euros le montant de l'indemnisation accordée au titre de ses préjudices propres ;

2°) de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à lui verser la somme de 53 753,49 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice d'affection, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par le grand hôpital de l'Est francilien ;

5°) de mettre à la charge du grand hôpital de l'Est francilien le versement d'une somme de 1 500 euros à Me Andrieux, son avocat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat allouée au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

S'agissant des préjudices de M. A... B... :

- eu égard au caractère brutal et important des souffrances endurées par M. B..., l'indemnité accordée à ce titre ne peut être inférieure à 30 000 euros, soit après application du taux de perte de chance à 10 000 euros ;

- les périodes précédant le 12 mai 2015, date de l'hospitalisation de M. B..., doivent donner lieu à indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne ;

S'agissant des préjudices de Mme B... :

- les premiers juges ont procédé à une évaluation insuffisante de son préjudice d'affection ; eu égard à la douleur ressentie du fait du décès de son mari, il doit être évalué à 50 000 euros ; en retenant une évaluation moyenne de 25 000 euros, l'indemnité allouée, après application du taux de perte de chance, est de 8 333,33 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2024, le grand hôpital de l'Est francilien, représenté par le cabinet Le Prado et Gilbert, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme B... ;

et, par la voie de l'appel incident,

2°) de réformer le jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il le condamne à indemniser les consorts B... au titre de l'assistance apportée à M. A... B... par une tierce personne ;

3°) de rejeter la demande d'indemnisation des consorts B... au titre de l'assistance apportée à M. A... B... par une tierce personne ou, à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée pour ce poste de préjudice à de plus justes proportions.

Il soutient que :

S'agissant des préjudices de Mme B... :

- les premiers juges ont fait une juste appréciation de son préjudice d'affection qui a été évalué, avant application du taux de perte de chance, à 20 000 euros ;

S'agissant des préjudices de M. A... B... :

- les premiers juges ont fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. B... en l'évaluant à 14 000 euros ;

- la requérante ne précisant pas les postes de préjudices susceptibles d'être majorés en appel, ni les motifs pour lesquels le tribunal aurait procédé à une évaluation insuffisante des préjudices de M. A... B..., les conclusions tendant à sa condamnation à verser la somme de globale de 53 753,49 euros en réparation des préjudices de ce dernier doivent être rejetées ;

- la période d'hospitalisation de M. B... du 12 mai au 9 juin 2015, date de son décès, ne saurait donner lieu à indemnisation au titre des frais d'assistance par une tierce personne ; la période à indemniser prend fin à la date du décès du patient ; les consorts B... n'ont pas justifié que M. B... n'avait pas perçu de somme ayant le même objet que celle allouée au titre des besoins en assistance par une tierce personne entre 2014 et 2015 ; dans ces conditions, aucune indemnité ne saurait être allouée à ce titre ; à titre subsidiaire, le montant de l'indemnité allouée sera ramenée à de plus justes proportions.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne qui n'a pas produit d'observations.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 20 juillet 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Maouche, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 17 janvier 2014, M. A... B..., né le 31 décembre 1934, présentant des difficultés respiratoires, a été conduit par les pompiers au service des urgences de l'hôpital de Meaux. Il a été hospitalisé dans le service de court séjour gériatrique de cet établissement où il a subi plusieurs examens, dont un scanner thoraco-abdomino-pelvien le 20 janvier 2014, qui a mis en évidence une opacité thoracique hétérogène. Une antibiothérapie lui a été prescrite et il a regagné son domicile le 24 janvier 2014. Le 8 mai 2015, il a à nouveau été pris en charge par le personnel soignant du centre hospitalier de Meaux " pour douleur, dyspnée et toux, crachats hémoptoïques ", avec altération de l'état général. Le 13 mai 2015, au vu des examens effectués au sein du service de médecine interne, le diagnostic de cancer pulmonaire métastatique de stade IV a été posé. Transféré le 1er juin 2015 dans le service de réanimation pour détresse respiratoire, M. B... est décédé le 9 juin 2015. Par une ordonnance du 6 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a prescrit une expertise médicale et a désigné le Dr F... qui a remis son rapport le 5 octobre 2017. Le 20 juin 2018, Mme B... et M. E... B... ont formé auprès du centre hospitalier de Meaux une demande indemnitaire préalable au titre des préjudices subis par M. A... B..., leur mari et père. La Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), assureur du centre hospitalier de Meaux, a adressé aux consorts B... une proposition indemnitaire en date du 28 août 2018, qu'ils ont refusée. Par une première demande, Mme B... et M. E... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le grand hôpital de l'Est francilien, venant aux droits du centre hospitalier de Meaux, à leur verser la somme de 53 753,49 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., leur époux et père, du fait du retard de diagnostic de son cancer pulmonaire. Par une seconde demande, ils ont demandé au tribunal de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à verser à Mme B... et à M. E... B... respectivement les sommes de 367 747,03 euros et de 53 300,83 euros au titre de leurs préjudices propres, résultant du retard de diagnostic du cancer pulmonaire de leur mari et père. Par un jugement du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Melun a condamné le grand hôpital de l'Est francilien à verser, d'une part, à Mme B... et à M. E... B... la somme de 8 302 euros en réparation des préjudices subis par M. A... B..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2018 et de leur capitalisation à compter du 20 juin 2019, d'autre part, à Mme B... la somme de 1 218,63 euros et à M. E... B... la somme de 1 956 euros au titre de leurs préjudices propres, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2019 et de leur capitalisation à compter du 19 mars 2020, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 9 692 euros au titre de ses débours et a mis à la charge définitive du grand hôpital de l'Est francilien les dépens liquidés et taxés à la somme totale de 2 860 euros. Les consorts B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à leurs prétentions indemnitaires et Mme B... doit être regardée comme demandant à la cour de condamner le grand hôpital de l'Est francilien à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice d'affection. Le grand hôpital de l'Est francilien demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il le condamne à indemniser les consorts B... au titre de l'assistance apportée à M. A... B... par une tierce personne ou, à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité allouée pour ce poste de préjudice à de plus justes proportions.

2. Les requêtes de M. E... B... et de Mme B... sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

3. Il ressort de la lecture du jugement du 22 avril 2022 que le tribunal a jugé que, du fait des manquements commis par le personnel soignant du centre hospitalier de Meaux dans la prise en charge de M. A... pendant la période comprise entre le 17 janvier et le 19 décembre 2014, qui ont entraîné un retard de onze mois dans le diagnostic et le traitement du cancer pulmonaire à l'origine de son décès, la responsabilité du grand hôpital de l'Est francilien est engagée à l'égard des consorts B... et que ces manquements ont entraîné pour M. B... une perte de chance d'éviter que le dommage qui en a résulté qui doit être fixée à 30 % , ce que les parties ne contestent pas en appel.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de M. A... B... :

S'agissant des frais d'assistance par une tierce personne :

4. Il ressort du point 16 du jugement que pour évaluer le montant de l'indemnité due au titre de l'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne de M. A... B... en lien avec la faute commise par le centre hospitalier de Meaux, les premiers juges ont retenu que l'état de santé de l'intéressé nécessitait l'aide d'une tierce personne à raison d'une heure par jour du 25 mars au 5 août 2014, d'une heure trente par jour du 13 août au 17 décembre 2014 et du 24 décembre 2014 au 7 août 2015, et de deux heures par jour du 10 au 12 mai 2015, c'est-à-dire les périodes mentionnées par l'expert dans son rapport. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. B... a été hospitalisé à partir du 8 mai 2015 et est décédé le 9 juin suivant. Dans ces conditions, ainsi que le soutient le grand hôpital de l'Est francilien, la période comprise entre le 8 mai et le 7 août 2015 ne saurait donner lieu à indemnisation au titre de ce poste de préjudice.

5. M. E... B... soutient que les premiers juges ont procédé à une appréciation insuffisante des frais d'assistance par une tierce personne et que, eu égard aux tarifs d'aide à domicile pratiqués en région parisienne, le taux horaire à prendre en considération doit être fixé à 20 euros. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. A... B... nécessitait l'aide d'une tierce personne à raison d'une heure par jour du 25 mars au 5 août 2014 (134 jours), d'une heure trente par jour du 13 août au 17 décembre 2014 et du 24 décembre 2014 au 7 mai 2015 (262 jours), et de deux heures par jour du 10 au 12 mai 2015 (trois jours). Il sera fait une juste appréciation de son préjudice sur ces périodes, sur la base d'un taux horaire de l'assistance par une tierce personne non spécialisée évalué à 18 euros et proratisé pour prendre en compte les congés payés et les jours fériés sur une base annuelle de 412 jours, en le fixant à la somme de 10 830 euros, soit après application du taux de perte de chance de 30 %, à 3 249 euros. Il ne résulte pas de l'instruction, et alors qu'à la suite de la mesure d'instruction effectuée par la cour, le département de Seine-et-Marne n'a pas communiqué d'éléments quant à une éventuelle prise en charge de M. A... B... au titre de la prestation de compensation du handicap, que celui-ci aurait bénéficié de cette prestation. Dans ces conditions, la somme de 3 249 euros doit être mise à la charge du grand hôpital de l'Est francilien et le jugement doit être réformé en ce sens.

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

6. Il résulte de l'instruction que M. A... B... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 25 % du 25 mars au 5 août 2014 (134 jours) et du 13 août au 17 décembre 2014 (127 jours), de 30 % du 24 décembre 2014 au 7 mai 2015 (135 jours), de 50 % du 6 au 12 août 2014 et du 18 au 23 décembre 2014 (13 jours) et un déficit fonctionnel temporaire total du 8 mai 2015 au 9 juin 2015, date de son décès. Dans ces conditions, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, après application du taux de perte de chance de 30 %, à la somme de 727 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

7. Il ressort du rapport d'expertise que les souffrances endurées par M. A... B... jusqu'à la date de son décès le 9 juin 2015, du fait du retard dans le diagnostic et la prise en charge du cancer pulmonaire du patient, ont été évaluées à 5/7. Eu égard à la durée de la période pendant laquelle M. B... a enduré ces souffrances ainsi qu'à la nature de l'affection en cause, les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, après application du taux de perte de chance de 30 %, à la somme de 4 200 euros.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

8. Il résulte de l'instruction que M. A... B... a subi un préjudice esthétique temporaire estimé à 1,5/7, ce qui correspond à un préjudice esthétique qualifié de léger, résultant notamment d'une gêne respiratoire et d'une altération de son état général en lien avec la faute commise par le personnel soignant du centre hospitalier de Meaux. Au vu de ces éléments, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant, après application du taux de perte de chance de 30 %, à 421 euros.

9. Si Mme B... et M. E... B... sollicitent la condamnation du grand hôpital de l'Est francilien à leur verser la somme totale de 53 753,49 euros au titre des préjudices subis par M. A... B..., ils ne contestent pas l'évaluation par le tribunal des préjudices autres que ceux examinés ci-dessus.

En ce qui concerne les préjudices de Mme B... :

10. Mme B... soutient que son préjudice d'affection doit être évalué, avant application du taux de perte de chance de 30 %, à 50 000 euros, ou à tout le moins à 25 000 euros. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice d'affection de Mme B... en l'évaluant à 20 000 euros, soit après application du taux de perte de chance de 30 %, à 6 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices de M. E... B... :

S'agissant du préjudice économique de M. B... :

11. Il résulte de l'instruction que M. E... B... disposait d'un contrat à durée déterminée conclu avec la société Thimeau pour un emploi d'opérateur de production pour la période du 1er juin au 12 juillet 2015, dont la rémunération mensuelle brute était fixée à 1 463,12 euros et comprenant une période d'essai de six jours. Il n'a travaillé que la seule journée du 1er juillet 2015, c'est-à-dire la première journée de la période d'essai, du fait de l'état de santé de son père. Il ressort en effet de l'attestation du 3 juin 2015 du praticien prenant en charge M. A... B..., qui avait été transféré le 1er juin 2015 dans le service de réanimation polyvalente du centre hospitalier de Meaux, que la présence de M. B... auprès de son père était nécessaire jusqu'à son décès le 9 juin 2015. M. E... B... soutient que son préjudice économique doit être évalué au regard de la durée totale de son contrat de travail et non de la durée de la seule période d'essai. Toutefois, en l'absence de pièces au dossier justifiant de la volonté des parties de poursuivre la relation contractuelle, notamment après le décès de M. B..., c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le préjudice économique de M. E... B... ne présentait un caractère certain que pour la seule période d'essai. Dans ces conditions, le tribunal a procédé à une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant, après avoir soustrait la journée du 1er juillet 2015 pour laquelle M. B... avait été rémunéré et après application du taux de perte de chance de 30 %, à 87 euros.

S'agissant des frais d'obsèques :

12. Les victimes indirectes ont droit à être indemnisées des frais d'obsèques, pourvu qu'ils ne soient pas excessifs ni dépourvus de lien de causalité directe avec la faute commise. M. E... B... sollicite le remboursement à hauteur de 50 % des frais de transport du cercueil de son père, inhumé en Algérie, son pays d'origine, et des billets de deux accompagnateurs qui se sont élevés à un montant total de 2 700 euros. Toutefois, la facture du 10 juin 2015, versée aux débats par M. B... et qui porte la mention " acquittée ", n'est pas établie au nom de M. B... mais à celui de " l'Association islamique cultuelle et culturelle de Meaux chez M. D... ". Dans ces conditions, M. E... B... n'établit pas avoir supporté les frais dont il sollicite le remboursement. Par suite, il n'y a pas lieu de réformer le jugement attaqué sur ce point.

S'agissant du préjudice d'affection :

13. Il résulte de l'instruction que M. E... B... a subi un préjudice d'affection du fait du décès de son père. Dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice d'affection de l'intéressé, enfant majeur ne vivant plus au domicile familial, en l'évaluant à 5 000 euros, soit après application du taux de perte de chance de 30 %, à 1 500 euros.

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence :

14. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. A... B... s'est dégradé à compter du 8 mai 2015 et qu'il a été hospitalisé à partir du 12 mai 2015 dans le service de médecine générale de l'hôpital de Meaux puis, à partir du 1er juin suivant, dans le service de réanimation polyvalente de cet établissement jusqu'à son décès le 9 juin 2015. M. E... B... a apporté son soutien à son père hospitalisé, en particulier à partir du 2 juin 2015, ainsi qu'il a déjà été dit. Au vu de ces éléments, les premiers juges ont fait une juste appréciation du " préjudice d'accompagnement " et des troubles dans les conditions d'existence en les évaluant à 200 euros après application du taux de perte de chance de 30 %.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... B... est seulement fondé à demander une majoration de l'indemnité allouée par le tribunal au titre des frais d'assistance par une tierce personne, et entrée dans la succession de M. A... B.... En revanche, les conclusions présentées par Mme B... ainsi que les conclusions d'appel incident présentées par le grand hôpital de l'Est francilien doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

16. Dans l'instance n° 23PA01759, M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me De Follevielle, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge du grand hôpital de l'Est francilien la somme de 2 000 euros à verser à Me De Folleville, avocat de M. B....

17. En revanche, dans l'instance n° 23PA02019, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à sa charge du grand hôpital de l'Est francilien, qui n'est pas, dans cette instance, la partie perdante, la somme que demande l'avocat de Mme B... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 8 302 euros mise à la charge du grand hôpital de l'Est francilien par l'article 1er du jugement nos 1809854, 1904035 du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun est portée à 8 597 euros.

Article 2 : Le jugement nos 1809854, 1904035 du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le grand hôpital de l'Est francilien versera la somme de 2 000 euros à Me De Folleville, avocat de M. B..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Si Me De Folleville recouvre cette somme, il renoncera à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., à Mme G... C... veuve B..., au grand hôpital de l'Est francilien et à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

A. Menasseyre

Le greffier

P. Tisserand

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 23PA01759, 23PA02019 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01759
Date de la décision : 21/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-21;23pa01759 ?
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