Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Société Kingfisher Investissements a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt mises à sa charge au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2016.
Par un jugement n° 2012327 du 20 décembre 2022, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de la société Kingfisher Investissements à concurrence du dégrèvement accordé en cours d'instance par l'administration fiscale, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 janvier 2023 et 21 décembre 2023, la société Kingfisher Investissements, représentée par Me Berthelot, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2022 en tant que le tribunal n'a pas fait entièrement droit à sa demande ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des impositions supplémentaires restant en litige ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande reconventionnelle du ministre est irrecevable ;
- les ristournes en litige constituent au regard de la législation fiscale et comptable, des réductions de prix et non la contrepartie de prestations de coopération commerciale rendues au profit de ses fournisseurs ;
- les conventions commerciales conclues avec les fournisseurs distinguent les prestations de coopération commerciale des obligations inhérentes à l'opération d'achat-vente générant les réductions de prix accordées par les fournisseurs ;
- les prestations de coopération commerciale font l'objet d'une facturation spécifique avec taxe sur la valeur ajoutée émise par la société Castorama France et le prix de ces prestations constitutif du chiffre d'affaires pour le distributeur n'est pas retranché du prix de revient des stocks ;
- l'intégralité des ristournes doivent résulter d'une obligation spécifique mise à la charge du client distributeur qui bénéficie de la réduction de prix ;
- les ristournes résultant de la présence de gammes de produits ou de références du fournisseur dans un nombre minimum de magasins sont conditionnées par l'obligation incombant à la société Castorama France de commander un assortiment défini des gammes ou références du fournisseur, permettant de pouvoir disposer d'un stock permanent de ces produits dans un nombre minimum de magasins. Cette obligation d'achat est indissociable de la passation de commandes de produits. En outre, cette obligation limitée à une obligation d'achat minimum de produits n'emporte pas obligation de mettre en avant ces produits, ne s'inscrit pas dans le cadre de la revente des produits au client final et ne tend pas à favoriser leur commercialisation ;
- toute réduction de prix est causée par une obligation ou un engagement à la charge de celui qui en bénéficie. Si les ristournes accordées par les fournisseurs de la société Castorama France résultent d'obligations mises contractuellement à la charge de celle-ci, cela ne permet en aucun cas de requalifier les réductions de prix en services de coopération commerciale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut, à titre principal, au rejet de la requête et demande, à titre subsidiaire, à la Cour, à titre reconventionnel, de rétablir, afin de tirer toutes les conséquences de la correction symétrique des exercices clos les 31 janvier 2015 et 2017, les cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, initialement acquittées par la société requérante et dont elle avait été dégrevée par une décision du 19 novembre 2019, à concurrence, respectivement, de 1 369 885 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2015 et 637 498 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2017.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le règlement n° 2014-3 du 5 juin 2014 de l'Autorité des normes comptables relatif au plan comptable général ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Castorama France, qui exerce son activité dans le secteur du commerce de détail de quincaillerie, peinture et verres en grandes surfaces, a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité portant sur la période du 1er février 2014 au 31 janvier 2017, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause l'évaluation de ses stocks au titre des années 2015, 2016 et 2017. Après avoir vainement réclamé auprès de l'administration fiscale, la société Kingfisher Investissements a demandé au Tribunal administratif de Montreuil, en sa qualité de société mère du groupe fiscalement intégré auquel la société Castorama France appartient, de prononcer la décharge des impositions supplémentaires qui ont découlé de ce contrôle fiscal. La société Kingfisher Investissements fait appel du jugement du 20 décembre 2022 en tant que les premiers juges n'ont pas fait entièrement droit à sa demande s'agissant de la valorisation de ses stocks au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2016.
Sur le bien-fondé des impositions supplémentaires :
2. En vertu du 3 de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l'exercice, si ce cours est inférieur au prix de revient. Aux termes du a du 1 de l'article 38 nonies de l'annexe III à ce code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, le coût de revient, auquel les produits en stock sont évalués, s'entend, " pour les biens acquis à titre onéreux, du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des frais de transport, de manutention et autres coûts directement engagés pour l'acquisition des biens et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies ". Selon l'article 213-31 du règlement n° 2014-3 du 5 juin 2014 de l'Autorité des normes comptables relatif au plan comptable général, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Le coût d'acquisition des stocks est constitué du : / - prix d'achat, y compris les droits de douane et autres taxes non récupérables, après déduction des rabais commerciaux, remises, escomptes de règlement et autres éléments similaires / - ainsi que des frais de transport, de manutention et autres coûts directement attribuables à l'acquisition des produits finis, des matières premières et des services / (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a remis en cause la déduction, pour la détermination du prix de revient des marchandises figurant dans les stocks de la société Castorama France, des sommes perçues de ses fournisseurs à titre de " ristournes inconditionnelles " à concurrence de, respectivement, 19 579 339 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2015, 32 049 083 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2016 et 30 197 683 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2017, au motif que ces " ristournes " ne constituent pas des réductions de prix admises en diminution du prix d'acquisition des marchandises dès lors qu'elles étaient la contrepartie de prestations de services réalisées par la société Castorama France au profit de ses fournisseurs et ayant pour objet d'assurer la commercialisation des marchandises acquises auprès de ceux-ci en exécution de contrats dits de " coopération commerciale ". Après que l'administration fiscale a prononcé, au cours de la première instance, des dégrèvements correspondant aux montants des prestations de référencement centralisé, de centralisation des facturations et paiements et de passation des commandes sous forme d'échanges de données informatisées, les premiers juges ont considéré, pour rejeter le surplus des conclusions de la demande de la société Kingfisher Investissements, que l'obligation faite à la société Castorama France de commander un assortiment précisément défini des gammes ou références du fournisseur de manière à pouvoir disposer d'un stock permanent de ces produits dans un nombre minimum de magasins, a pour objet d'assurer la présence et la visibilité des produits des distributeurs en vue de leur assurer une notoriété auprès des consommateurs finaux et que, dans ces conditions, ces prestations de services réalisées par le distributeur au profit de ses fournisseurs ont pour objet d'assurer la promotion des produits acquis auprès de ceux-ci en exécution de contrats dits " de coopération commerciale " et doivent être qualifiées de services propres à favoriser la commercialisation de ses produits ou services aux consommateurs ou en vue de leur revente aux professionnels et ne relevant pas des obligations d'achat et de vente.
4. Contrairement à ce que soutient la société Kingfisher Investissements, l'obligation faite à la société Castorama France, en exécution des conventions de coopération commerciale conclues avec certains de ses fournisseurs, de garantir la présence obligatoire de certaines gammes et références de ses fournisseurs dans un nombre minimum de magasins doit être regardée, au cas présent, comme un service rendu aux fournisseurs visant à favoriser la commercialisation de leurs marchandises à l'occasion de leur revente aux consommateurs ou en vue de leur revente aux professionnels, dès lors que la présence physique d'un nombre prédéfini de catégories de marchandises dans un nombre minimum de lieux de vente a pour effet d'en assurer la visibilité constante et, partant, la notoriété auprès des clients finaux, alors même qu'il est constant que les marchandises ne font l'objet d'aucune mise en valeur particulière dans les linéaires des magasins exploités par la société Castorama France. En outre, il n'est pas établi que les " ristournes " en litige seraient consenties par les fournisseurs lors de l'acquisition des marchandises. Ainsi, les sommes en litige perçues par la société Castorama France de ses fournisseurs au moment convenu ne constituent pas une contrepartie non détachable des opérations d'achat et de vente entre les intéressés et, par suite, ne concourent pas à la formation du prix de revient des marchandises convenu entre eux au sens de l'article 38 nonies de l'annexe III au code général des impôts et ne peuvent, de ce fait, venir en diminution de ce prix en application des dispositions du même article, alors même que l'obligation de proposer certaines marchandises dans un nombre minimum de magasins est susceptible, d'un point de vue économique, d'avoir une influence sur leur achat ultérieur. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le service a réintégré dans les résultats imposables de la société Castorama France la somme de 12 469 744 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2016, après correction symétrique du bilan de cet exercice corrélative à une minoration de la base imposable d'un montant de 3 604 958 euros constatée par le service au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2015, cette somme ne pouvant être regardée comme des " remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus " au sens de l'article 38 nonies de l'annexe III au code général des impôts ou comme étant incluses dans les " autres éléments similaires " à ces remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement visés par l'article 213-31 du règlement n° 2014-3 du 5 juin 2014 de l'Autorité des normes comptables relatif au plan comptable général.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la société Kingfisher Investissements n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur les conclusions reconventionnelles présentées par le ministre :
6. Aux termes de l'article R. 200-15 du livre des procédures fiscales : " L'administration peut, au cours de l'instance, présenter des conclusions reconventionnelles tendant à l'annulation ou à la réformation de la décision prise sur la réclamation primitive. Ces conclusions sont communiquées au réclamant dans les conditions prévues par le code de justice administrative ". Si ces dispositions permettent à l'administration de demander au juge de l'impôt, saisi par un contribuable, de rétablir une imposition ayant fait l'objet d'un dégrèvement antérieurement à la saisine du juge et ceci bien que l'administration ait elle-même la faculté de remettre la somme dégrevée à la charge du contribuable, elles ne sauraient avoir légalement pour effet d'autoriser la présentation de telles conclusions après l'expiration du délai dans lequel l'administration peut, compte tenu des dispositions législatives en vigueur et des divers actes interruptifs de prescription, exercer son droit de reprise.
7. Le ministre conclut, à titre subsidiaire, au rétablissement, au titre des exercices clos les 31 janvier 2015 et 2017, de la fraction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, initialement acquittée par la société Kingfisher Investissements, dont le dégrèvement d'office, prononcée le 19 novembre 2019, procède de la prise en compte de la correction symétrique des bilans corrélativement à une minoration des bases imposables constatée par le service, à concurrence, en droits, de, respectivement, 1 369 885 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2015 et 637 498 euros au titre de l'exercice clos le 31 janvier 2017. Toutefois, ainsi que le soutient à bon droit la société requérante, le ministre n'est pas recevable à demander en appel le rétablissement de ces impositions primitives dont le dégrèvement a été accordé au titre des exercices clos les 31 janvier 2015 et 2017 par une décision antérieure à la saisine du Tribunal administratif de Montreuil mais qui n'ont fait l'objet d'aucune conclusion devant les premiers juges.
Sur les conclusions tendant au versement par l'Etat d'intérêts moratoires :
8. Les conclusions de la société Kingfisher Investissements tendant à l'application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, qui sont nouvelles en appel et qui ont été au demeurant présentées après l'expiration du délai d'appel, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Kingfisher Investissements demandent au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Kingfisher Investissements est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à titre reconventionnel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Société Kingfisher Investissements et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée au directeur chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAU
Le président,
B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00429