Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 10 août 2022 notifiée le 30 août 2022, par laquelle le ministre de l'intérieur a pris à son encontre une interdiction administrative du territoire.
Par un jugement n° 2221804 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires qui n'ont pas été communiqués, enregistrés les 19 décembre 2023, 25 juin 2024 et 27 juin 2024, M. B..., représenté par Me Kling, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision du ministre de l'intérieur ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la réalité et l'actualité de la menace que constituerait sa présence en France ne sont pas caractérisées et ne sont pas établies par la seule production d'une note blanche qui n'est ni datée, ni signée et ni suffisamment précise ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B..., dont la requête ne contient aucun élément nouveau, ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'article 32 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 10 août 2022, le ministre de l'intérieur a pris à l'encontre de M. B... né le 10 octobre 1959, de nationalités irlandaise et algérienne, une interdiction administrative du territoire français. Par la présente requête, M. B... relève appel du jugement du 24 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont la situation est régie par le présent livre peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet de la décision d'interdiction administrative du territoire prévue à l'article L. 321-1 lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l'ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ". En vertu des dispositions de l'article L. 321-1 du même code : " Tout étranger peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet d'une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l'ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France ".
3. Pour justifier la mesure d'interdiction d'entrée et de séjour prise à l'encontre de M. B..., le ministre de l'intérieur a retenu qu'il a été signalé depuis les années 1990 pour son appartenance au Front islamique du Salut (FIS), qu'il évolue au sein de la mouvance jihadiste irlandaise et est apparu comme un proche d'un ancien membre du FIS qui a rejoint la zone
irako-syrienne et à l'encontre duquel a été pris un arrêté d'interdiction d'entrée et de séjour en France le 25 juillet 2021. Il a également relevé que compte tenu de ses convictions pro-jihadistes, de son expérience acquise au sein d'une organisation terroriste et de ses relations avec des membres de la mouvance jihadiste internationale, il pourrait, s'il venait à entrer sur le territoire français, constituer ou intégrer un groupe à vocation terroriste en vue de commettre ou fomenter une action violente et que dans le contexte de menace terroriste particulièrement élevé, sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.
4. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a fondé son appréciation sur les informations contenues dans une note blanche versée au contradictoire établie le 7 juillet 2022. Si cette note précise que M. B... s'est signalé dans les années 1990 pour son appartenance à l'organisation terroriste du FIS et rappelle brièvement les visées politiques de création d'un Etat islamique en Algérie et les actions terroristes au travers de l'armée islamique de Salut ayant conduit à la guerre civile dans ce pays entre 1991 et 2002, aucun fait précis n'illustre l'engagement de M. B..., la période de son adhésion à ce mouvement, sa durée, les éventuelles fonctions qu'il aurait exercées au sein de cette organisation ou encore l'actualité de cet engagement que l'intéressé conteste. Par ailleurs, si son évolution au sein de la mouvance islamiste radicale irlandaise est évoquée, elle n'est illustrée par aucun élément factuel et circonstancié susceptible d'appréhender la nature des relations qui lui sont prêtées, les contacts qu'il entretiendrait avec des islamistes radicaux et la manière dont s'illustrerait sa proximité avec un ancien membre du FIS, algéro-irlandais, qui a rejoint la zone irako-syrienne et a lui-même fait l'objet d'une interdiction du territoire français. A ce titre, si M. B... reconnaît avoir rencontré cet ancien membre du FIS, comme nombre de personnes, à la suite d'un accident dont la fille de ce dernier avait été victime en 2008 puis de manière fortuite à bord d'un avion à destination de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, il conteste fermement entretenir des relations personnelles avec ce dernier en France comme en Irlande ou partager une vision commune de la société avec celui-ci. Il fait valoir à ce titre avoir avec sa famille adopté un mode de vie éloigné de toute imprégnation d'idéologie islamique radicale, comme en témoignent l'éducation de ses quatre enfants dans des établissements scolaires catholiques en Irlande, la circonstance que sa femme ou ses filles ne portent pas le voile, l'activité de mannequin de l'une de ses filles ou encore la vente d'alcool dans les restaurants dont il est propriétaire en Irlande, ces éléments factuels étant étayés par des photographies et n'étant pas utilement contredits par le ministre en défense qui ne présente de son côté aucun élément tangible et personnalisé démontrant les prises de position radicales de M. B..., autre que son appartenance ancienne au FIS en Algérie sans justifier l'actualité de cet engagement depuis son départ de ce pays et son arrivée en Irlande en 1997. Par suite, compte tenu des éléments très parcellaires sur lesquelles se fonde la décision attaquée, qui ne sont ni datés, ni circonstanciés et ne sont assortis d'aucune autre pièce justificative que cette note blanche des services de renseignement, la réalité de la menace que constituerait la présence en France de M. B... et son actualité ne sont pas établies.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 10 août 2022 portant interdiction administrative du territoire français. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation de ce jugement et de cette décision.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er: Le jugement n° 2221804 du 24 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision du 10 août 2022 du ministre de l'intérieur portant interdiction administrative du territoire sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 11 octobre 2024.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05263