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03/10/2024 | FRANCE | N°23PA02505

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 03 octobre 2024, 23PA02505


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les décisions des 16 février 2021 et 9 février 2021 par lesquelles le préfet de la Seine-Saint-Denis leur a retiré leur carte d'identité et leur passeport.



Par des ordonnances n° 2107640, n°2103612 et n° 2103609 du 4 mai 2023, le président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs requêtes.



Pro

cédure devant la Cour :



I- Par une requête enregistrée le 7 juin 2023 sous le n° 23PA02505, Mme B... F...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler les décisions des 16 février 2021 et 9 février 2021 par lesquelles le préfet de la Seine-Saint-Denis leur a retiré leur carte d'identité et leur passeport.

Par des ordonnances n° 2107640, n°2103612 et n° 2103609 du 4 mai 2023, le président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs requêtes.

Procédure devant la Cour :

I- Par une requête enregistrée le 7 juin 2023 sous le n° 23PA02505, Mme B... F..., représentée par Me Boukhelifa, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du tribunal administratif de Montreuil n° 2107640 en date du 4 mai 2023 ;

2°) d'annuler la décision de retrait de sa carte nationale d'identité et de son passeport prise par le préfet de la Seine-Saint-Denis le 16 février 2021, confirmée le 29 avril 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui restituer sa carte d'identité et son passeport ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la décision litigieuse est entachée d'un défaut de base légale et d'une erreur de droit, dès lors que les dispositions de l'article 30 du code civil, l'article 2 du décret du 22 octobre 1995 et l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 n'autorisent pas l'administration à prononcer le retrait de sa carte nationale d'identité et de son passeport.

La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoire en défense, en dépit d'une mise en demeure adressée le 31 janvier 2024.

II- Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 29 juin 2023 et le 15 avril 2024 sous le n° 23PA02869, Mme D... F..., représentée par Me Mohandi, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'ordonnance du tribunal administratif de Montreuil n°2103612 en date du 4 mai 2023 ;

2°) d'annuler la décision de retrait de sa carte nationale d'identité et de son passeport prise par le préfet de la Seine-Saint-Denis le 9 février 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui restituer sa carte d'identité et son passeport, dans le cas où leur destruction informatique serait avérée ou, dans le cas où une telle restitution serait impossible, de lui délivrer une carte d'identité et un passeport d'une durée de validité coïncidant avec la durée restant à courir des titres qui lui auraient été retirés, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la décision litigieuse est entachée d'un défaut de base légale et d'une erreur de droit, dès lors que les dispositions de l'article 30 du code civil, l'article 2 du décret du 22 octobre 1995 et l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 n'autorisent pas l'administration à prononcer le retrait de sa carte nationale d'identité et de son passeport ;

- cette décision porte atteinte à sa liberté d'aller et de venir ;

- la demande présentée par le préfet afin que soit prononcée une injonction de réexamen est infondée, dès lors que sa carte d'identité et son passeport sont en cours de validité.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant des conclusions à fin d'annulation et conclut au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il fait valoir qu'il s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant du bien-fondé des moyens tirés du défaut de base légale et de l'atteinte à la liberté d'aller et venir et que seule une injonction de réexamen pourrait être, le cas échéant, prononcée.

III- Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 29 juin 2023 et le 15 avril 2024 sous le n° 23PA02870, M. E... F..., représenté par Me Mohandi, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'ordonnance du tribunal administratif de Montreuil n° 2103609 en date du 4 mai 2023 ;

2°) d'annuler la décision de retrait de sa carte nationale d'identité et de son passeport prise par le préfet de la Seine-Saint-Denis le 9 février 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui restituer sa carte d'identité et son passeport, dans le cas où leur destruction informatique serait avérée ou, dans le cas où une telle restitution serait impossible, de lui délivrer une carte d'identité et un passeport d'une durée de validité coïncidant avec la durée restant à courir des titres qui lui auraient été retirés, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la décision litigieuse est entachée d'un défaut de base légale et d'une erreur de droit, dès lors que les dispositions de l'article 30 du code civil, l'article 2 du décret du 22 octobre 1995 et l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 n'autorisent pas l'administration à prononcer le retrait de sa carte nationale d'identité et de son passeport ;

- cette décision porte atteinte à sa liberté d'aller et de venir ;

- la demande présentée par le préfet afin que soit prononcée une injonction de réexamen est infondée, dès lors que sa carte d'identité et son passeport sont en cours de validité.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant des conclusions à fin d'annulation et conclut au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il fait valoir qu'il s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant du bien-fondé des moyens tirés du défaut de base légale et de l'atteinte à la liberté d'aller et venir et que seule une injonction de réexamen pourrait être, le cas échéant, prononcée.

Le 4 septembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'incompétence du juge statuant seul par ordonnance dans des affaires qui auraient dû être jugées en formation collégiale, dès lors que les requêtes ne pouvaient être regardées comme ne comportant que des moyens inopérants.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité ;

- le décret n° 2005-1726 relatif aux passeports électroniques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,

- et les observations de Me Mohandi, représentant Mme D... F... et M. E... F....

Considérant ce qui suit :

1. Par des décisions des 16 et 9 février 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a procédé au retrait de la carte nationale d'identité et du passeport de Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F..., nés respectivement le 20 août 1997, 15 avril 1986 et 6 septembre 1993 en Algérie, de Mme C... F..., de nationalité française et de M. A... F..., de nationalité algérienne. Par des ordonnances nos 2107640, 2103612 et 2103609 du 4 mai 2023 dont les requérants relèvent appel, sous les nos 23PA02505, 23PA02869 et 23PA02870, le président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs requêtes tendant à l'annulation de ces décisions et à ce qu'il soit enjoint au préfet de leur restituer leur carte nationale d'identité et leur passeport.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 23PA02505, n° 23PA02869 et n° 23PA02870 ont le même objet et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur la régularité des ordonnances attaquées :

3. Aux termes de l'article R. 221-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours (...) les requêtes ne comportant que (...) des moyens inopérants (...). ".

4. D'une part, le premier juge a considéré que, dès lors que le certificat de nationalité française avait été refusé aux requérants par le service de la nationalité des Français nés et établis hors de France le 21 décembre 2006, le préfet était tenu de procéder au retrait des documents d'identité des requérants et que, se trouvant ainsi en situation de compétence liée pour retirer aux requérants leurs titres, les moyens qu'ils soulevaient étaient inopérants et devaient être écartés. Toutefois, l'administration ne se trouve pas en situation de compétence liée pour exiger la restitution des documents d'identité d'une personne dont la demande de certificat de nationalité française a été rejetée par le service compétent, dès lors qu'il lui appartient d'apprécier si, au vu des justificatifs éventuellement présentés par l'intéressé, il existe un doute suffisant sur sa nationalité. D'autre part, il résulte de ce qui vient d'être exposé que le premier juge a, à tort, statué seul par voie d'ordonnance en lieu et place d'un jugement en formation collégiale. Il s'ensuit que, en regardant comme inopérants les moyens articulés à l'encontre des décisions préfectorales des 16 et 9 février 2021 et en statuant seul par voie d'ordonnance, le premier juge a méconnu sa compétence et entaché les ordonnances attaquées d'irrégularité. En conséquence, il y a lieu de prononcer l'annulation des ordonnances attaquées et, pour la Cour, d'évoquer et de statuer sur les demandes présentées par les requérants devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur la légalité des décisions préfectorales de retrait des documents d'identité :

5. Aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". Selon l'article 30 de ce code : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants. ". Aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. (...) /A l'étranger, elle est délivrée ou renouvelée par le chef de poste diplomatique ou consulaire. / Le demandeur justifie de son domicile par tous moyens, notamment par la production d'un titre de propriété, d'un certificat d'imposition ou de non-imposition, d'une quittance de loyer, de gaz, d'électricité ou de téléphone ou d'une attestation d'assurance du logement. (...) ". L'article 4 du décret du 30 décembre 2005 dispose : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. (...) ". Selon le premier alinéa de l'article 6 du même décret : " Le demandeur justifie de son domicile ou de sa résidence par tous moyens, notamment par la production d'un titre de propriété, d'un certificat d'imposition ou de non-imposition, d'une quittance de loyer, de gaz, d'électricité, de téléphone ou d'une attestation d'assurance du logement. ".

6. Il ressort des termes des décisions attaquées que le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé, pour prononcer le retrait de la carte d'identité et du passeport de Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... sur le refus, par le service de la nationalité des Français nés et établis hors de France, le 21 décembre 2006, de leur délivrer un certificat de nationalité française. Toutefois, les dispositions citées au point précédent n'autorisent pas l'administration à retirer une carte nationale d'identité ou un passeport. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme B... F... dispose d'un passeport délivré le 13 avril 2019 et valable jusqu'au 12 avril 2029 et d'une carte nationale d'identité délivrée le 11 avril 2016 et valable jusqu'au 10 avril 2031, que Mme D... F... dispose d'une carte nationale d'identité délivrée le 27 juin 2016 et valable jusqu'au 26 juin 2031 et que M. E... F... dispose d'un passeport délivré le 25 octobre 2015 et valable jusqu'au 24 octobre 2025 et d'une carte nationale d'identité délivrée le 18 avril 2016 et valable jusqu'au 17 avril 2031, ces documents d'identité et de voyage ayant été délivrés aux requérants postérieurement à la décision de refus de leur délivrer un certificat de nationalité française, en date du 21 décembre 2006. Enfin, il est constant qu'aucune décision du tribunal judiciaire n'a constaté l'extranéité des requérants, qui, nés d'une mère française, possèdent la nationalité française. En conséquence, Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... sont fondés à soutenir le préfet de la Seine-Saint-Denis a inexactement appliqué les dispositions citées au point 5 du présent arrêt et a entaché les décisions litigieuses d'un défaut de base légale.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... sont fondés à demander l'annulation des décisions en date des 16 et 9 février 2021 par lesquelles le préfet de la Seine-Saint-Denis leur a demandé de restituer leur carte nationale d'identité et leur passeport.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et eu égard aux motifs retenus par la Cour pour prononcer l'annulation des décisions attaquées, que soit rétablie la situation juridique dont bénéficiaient les requérants. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur, soit de maintenir les titres d'identité et de voyage des requérants pour la durée restant à courir, soit, dans le cas où ces décisions auraient eu pour effet, comme l'indique le préfet de la Seine-Saint-Denis dans ses écritures en défense, d'invalider ces titres d'identité et de voyage, de leur en délivrer de nouveaux d'une durée de validité coïncidant avec la durée restant à courir des titres ayant été invalidés, et ce, dans un délai d'un mois à compter de la mise à disposition du présent arrêt.

Sur les frais d'instance :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante à l'instance, le versement à chacun des requérants d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les ordonnances nos 2107640, 2103612 et 2103609 du 4 mai 2023 du président de la 8ème chambre du tribunal administratif de Montreuil et les décisions des 16 et 9 février 2021 par lesquelles le préfet de la Seine-Saint-Denis a demandé à Mme B... F..., Mme D... F... et M. E... F... de restituer leur carte nationale d'identité et leur passeport sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur soit de maintenir les titres d'identité et de voyage des requérants pour la durée restant à courir de ces titres, soit, dans le cas où ces décisions auraient eu pour effet d'invalider ces titres d'identité et de voyage, de leur en délivrer de nouveaux, d'une durée de validité coïncidant avec la durée restant à courir des titres ayant été invalidés, et ce, dans un délai d'un mois à compter de la mise à disposition du présent arrêt.

Article 3 : L'État (ministre de l'intérieur) versera à chacun des requérants une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F..., à Mme D... F..., à M. E... F... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.

La rapporteure, Le président,

I. G... I. LUBEN

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 23PA02505, 23PA02869, 23PA02870


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02505
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Irène JASMIN-SVERDLIN
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : BOUKHELIFA

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;23pa02505 ?
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