Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 17 mars 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, d'enjoindre à cette même autorité de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut de procéder à un nouvel examen de sa situation sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2206067 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés respectivement les 12 mars 2023 et 14 juillet 2023 M. D..., représenté par Me Deat-Pareti, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2206067 du 10 février 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le refus de renouvellement de titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le pays de renvoi, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français et la décision de signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, contenus dans l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 15 mars 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation ;
- l'arrêté attaqué méconnait les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) dès lors qu'il réside en France depuis plus de dix ans et que le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour ;
- le préfet aurait dû également saisir cette commission sur le fondement de l'article L. 425-9 du CESEDA ;
- le refus de renouvellement de titre de séjour méconnait les dispositions de l'article
L. 425-9 du CESEDA dès lors qu'il ne pourrait bénéficier du traitement nécessaire à son état dans son pays d'origine ;
- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation en ce qu'elle retient qu'il constitue un risque de trouble pour l'ordre public ;
- l'arrêté attaqué méconnait les dispositions de l'article L. 313-11.7° du CESEDA et les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors notamment qu'il vit en France depuis plus de dix ans et y a toujours travaillé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2023, le préfet de la Seine Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant malien, a sollicité le 30 août 2021 le renouvellement de son titre de séjour en tant qu'étranger malade. Par un arrêté en date du 17 mars 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé le renouvellement de ce titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. D... a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Il relève appel du jugement du 10 février 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des termes du jugement qu'il a suffisamment répondu à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant. Par ailleurs la contestation des réponses ainsi apportées par le tribunal auxdits moyens est sans incidence sur la régularité du jugement et ne peut être utilement formulée qu'à l'encontre de son bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. ". Enfin, aux termes de l'article 6 de l'arrêté du
27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis (...) précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ;b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative :
1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23,
L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ".
5. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de l'Office français de l'immigration et de l'intégration venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires et, en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Il ressort des pièces produites par le requérant et notamment des trois certificats médicaux en date des 23 avril 2018, 26 novembre 2019, et 14 juin 2021 du Professeur A..., hépatologue, qui suit M. D..., ainsi que du certificat du même praticien du 24 février 2023, postérieur à l'intervention de l'arrêté attaqué mais qui peut renseigner sur l'état du requérant à la date de cet arrêté, que celui-ci est atteint d'une hépatite B chronique et que son état a justifié, d'une part, son placement sous analogue nucléosidique pour une durée indéterminée et d'autre part, son inclusion depuis plusieurs années dans un programme de dépistage du cancer du foie. Le praticien indique que ces deux mesures ne sont pas disponibles dans son pays d'origine et que l'absence de leur mise en œuvre l'expose " à des risques de complications mortelles ". Si le préfet produit devant la Cour un article de " bibliosanté " indiquant que le Tenofovir disoproxil fumarate est la molécule de référence contre l'hépatite B et qu'elle est disponible au Mali et si le requérant ne conteste plus dans le dernier état de ses écritures la présence de cette molécule au Mali, le préfet n'établit ni même n'allègue que M. D... pourrait y bénéficier du programme de dépistage du cancer du foie auquel il participe. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, il est fondé à soutenir que le refus de renouvellement de titre de séjour qui lui a été opposé méconnait les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est ainsi entaché d'illégalité. Par ailleurs dès lors que le requérant remplissait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions de l'article L. 425-9, le préfet ne pouvait, en application de l'article L. 432-13 du même code, cité ci-dessus, opposer un refus à sa demande de renouvellement de titre sans saisir préalablement la commission du titre de séjour.
7. Aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ".
8. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté par le requérant qu'il est connu au fichier du traitement des antécédents judiciaires pour des faits d'usage de faux document administratif constatant un droit ou une identité ou une qualité ou accordant une autorisation commis les 8 janvier 2016 et 20 avril 2016 et qu'il a, pour ces faits, été condamné par le tribunal de grande instance de Bobigny le 28 février 2018 à une obligation d'accomplir un stage de citoyenneté et le 16 mai 2018 à 600 euros d'amende avec sursis. Compte tenu notamment de la nature de ces faits, et de leur ancienneté de quatre ans à la date d'intervention de la décision attaquée, et alors qu'il n'apparait pas que l'intéressé aurait commis quelque autre infraction que ce soit depuis lors, ces faits ne suffisent pas, pour répréhensibles qu'ils soient, à établir que le requérant représenterait à la date de l'arrêté en litige, une menace pour l'ordre public justifiant un refus de renouvellement de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 432-1 précité. Par suite M. D... est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué est, à ce titre également, entaché d'illégalité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il est par suite fondé à en demander l'annulation ainsi que celle de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 17 mars 2022 portant refus de renouvellement de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, décision fixant le pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
10. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder au réexamen de la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à M. D... de la somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2206067 du 10 février 2023 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du préfet de la Seine Saint-Denis en date du 17 mars 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder au réexamen de la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : l'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marianne Julliard, présidente de la formation de jugement,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
- Mme Mélanie Palis De Koninck, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 octobre 2024.
La rapporteure,
M-I E...La présidente,
M. C...
Le greffier,
É. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01039