Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 21 août 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Périphériques et Matériels de Contrôle (PMC) à le licencier pour motif disciplinaire et la décision implicite du 16 février 2021 par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé contre cette décision.
Par jugement n° 2103372 du 27 octobre 2023 rectifié par ordonnance n° 2103372 du 9 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 21 août 2020 et la décision implicite du 16 février 2021 par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B... contre cette décision et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 décembre 2023 et 29 mars 2024 ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice adminstrative, la société PMC, représentée par Me Beot-Rabiot, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2103372 du 27 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions de l'enquête interne et les multiples attestations produites établissent que les faits reprochés à M. B... étaient suffisamment graves pour justifier son licenciement pour faute ;
- la faute résultant de fausses accusations de harcèlement moral proférées de mauvaise foi est d'une gravité suffisante pour que lui soit accordée l'autorisation de licencier M. B... ;
- l'enquête interne a été impartiale et probante ;
- la faute résultant du comportement agressif et autoritaire de M. B... est à l'origine d'une dégradation des conditions de travail de ses collègues et est d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée ;
- les faits qui sont reprochés à M. B... ne sont pas prescrits ;
- la décision de l'inspecteur du travail est suffisamment motivée en fait et en droit ;
- la demande de communication, des motifs de la décision de rejet du recours hiérarchique formulée après l'expiration du délai de recours contentieux n'est pas susceptible de remettre en cause la légalité de cette décision implicite devenue définitive.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er mars 2024, M. B..., représenté par Me Bouyssou, demande à la cour de rejeter la requête de la société PMC et de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société PMC ne sont pas fondés ;
- l'enquête interne qui a été menée n'était pas neutre ;
- le doute doit bénéficier au salarié ;
- les décisions qui ont été annulées lui font particulièrement grief ;
- il existe un lien entre les décisions attaquées et son mandat syndical.
La requête a été transmise à la ministre du travail, de la santé et des solidarités qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
-les observations de Me Beot-Rabiot pour la société Périphériques et Matériels de Contrôle,
- et les observations de Me Bouyssou pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a été recruté par la société Périphériques et Matériels de Contrôle (PMC) le 1er décembre 2006 en qualité d'ingénieur d'études et il occupait en dernier lieu le poste de responsable MOE (maître d'œuvre) pour les développements logiciels " TOTE ". Il exerçait le mandat de délégué syndical et de représentant syndical au sein du comité social et économique. Le 30 avril 2020, il a été convoqué à un entretien préalable prévu le 15 mai suivant. Par courrier du 2 juin 2020, la société PMC a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute. Par décision du 21 août 2020, l'inspecteur du travail l'a autorisée à licencier M. B... pour motif disciplinaire. Le 12 octobre 2020, ce dernier a formé un recours hiérarchique contre cette décision devant la ministre du travail, recours qui a été implicitement rejeté. Par jugement du 27 octobre 2023, dont la société PMC relève appel, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 21 août 2020 et la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B... contre cette décision.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a adressé, le 8 janvier 2020, un courriel au directeur général de la société PMC pour l'informer de son " malaise " et de sa " détresse " et de sa volonté de le rencontrer afin de " trouver des solutions " pour résoudre les difficultés qu'il connaissait. Il a ainsi indiqué que durant des semaines, la directrice des ressources humaines, devenue sa supérieure hiérarchique depuis le mois de janvier 2019, l'aurait accusé à tort d'être à l'origine de l'invalidation des élections professionnelles 2018 organisées dans l'entreprise et qu'il avait été " agressé oralement " plusieurs fois devant ses collègues et une fois en présence de ce directeur général. Il l'a également informé que depuis le début de l'année 2019, il subissait " quotidiennement un harcèlement moral de la part de quelques collègues " et " une forte pression " de la part de la nouvelle directrice de son service et que son mal-être était aussi lié au non-respect par ces salariés du process et des procédures de fonctionnement mises en place et au fait qu'ils " n'arrêtent pas de le court-circuiter " et d'essayer " de prendre ses responsabilités de management et d'animation des équipes ". Le directeur général lui a alors rapidement proposé un rendez-vous que l'intéressé, placé dès le 10 janvier 2020 en arrêt de travail, puis d'ailleurs jusqu'à la rupture de son contrat, n'a pu honorer. Le 5 février 2020, le comité social et économique de la société PMC a été convoqué avec pour ordre du jour " la mise en place d'une enquête interne à la suite de la dénonciation par M. B... d'une situation constitutive, selon lui, de harcèlement moral ". Une commission chargée de réaliser une enquête interne a alors été mise en place et elle a rendu son rapport le 4 mars 2020 après l'audition de vingt-trois salariés de l'entreprise et M. B... n'a pas souhaité être entendu. Ce rapport conclut " au caractère infondé des dénonciations de M. B... et à la mauvaise foi dont il a manifestement fait preuve dans le cadre de ses dénonciations " et relève qu'il est apparu lors de l'enquête que le comportement de ce dernier était à l'origine de la dégradation des conditions de travail à l'égard de plusieurs salariés de l'entreprise. Plusieurs salariés ont ensuite réitéré les plaintes qu'ils avaient portées à la connaissance de la commission en signant des attestations du 13 mars au 24 avril 2020.
4. La société PMC a ensuite saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement fondée sur deux motifs, la dénonciation de mauvaise foi d'agissements de harcèlement moral et la dégradation importante, par son comportement, des relations de travail, de nature à troubler le bon fonctionnement de l'entreprise.
5. S'agissant du premier grief, il ressort du contenu du courriel que M. B... a adressé le 8 janvier 2020 au directeur général de la société PMC, tel qu'exposé au point 3, que, comme l'a d'ailleurs relevé l'inspecteur du travail ayant établi le rapport d'instruction du recours hiérarchique formé par M. B..., les éléments que l'intéressé a portés à la connaissance du directeur général de la société PMC avaient pour objet de lui faire part de sa situation de souffrance au travail, de difficultés relationnelles et organisationnelles et de son souhait de le rencontrer pour que des solutions soient trouvées. Si ce courriel évoque une situation de harcèlement moral, cela concerne uniquement des faits concernant quelques collègues sans autre précision et non pas, comme il l'a été indiqué dans l'ordre du jour de la réunion du 5 février 2020 du comité social et économique, pour qu'une enquête soit diligentée concernant " la dénonciation par M. B... d'une situation constitutive, selon lui, de harcèlement moral ". Le courriel du 8 janvier 2020, ne dénonce pas une situation de harcèlement moral de manière générale et à l'encontre de tous les protagonistes cités mais seulement à l'encontre de quelques collègues non identifiés. Par suite, le caractère imprécis de ces indications, qui illustraient une souffrance au travail que l'intéressé souhaitait porter à la connaissance de sa hiérarchie, ne peut être regardé comme révélant une intention de nuire aux personnes identifiées dans le courriel du 8 janvier 2020. Ainsi, contrairement à ce qu'a considéré l'inspecteur du travail dans sa décision du 21 août 2020, M. B... ne peut être regardé comme ayant proféré des accusations de harcèlement moral en connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à ce titre.
6. S'agissant du second grief relatif à la dégradation importante, par son comportement, des relations de travail de nature à troubler le bon fonctionnement de l'entreprise, il ressort du rapport de l'enquête interne du 4 mars 2020 que les différents témoignages mentionnés ne font qu'identifier des faits disparates qui sont imprécis, non datés et non circonstanciés et qui pour certains sont, de plus, seulement évoqués de manière indirecte et non par les salariés concernés qui ne sont pas identifiés. Par ailleurs si la société PMC produit sept attestations de salariés entendus lors de l'enquête interne qui réitèrent leurs témoignages concernant le comportement de M. B..., leurs déclarations n'identifient pas davantage de faits suffisamment précis, datés et circonstanciés qui permettraient de caractériser le comportement reproché à M. B... et ne font d'ailleurs pas état à cette occasion d'une dégradation de leurs conditions de travail mais caractérisent seulement l'existence d'une situation conflictuelle. Par suite, le second grief reproché à M. B... n'est pas davantage établi et n'est pas, contrairement à ce qu'a considéré l'inspecteur du travail dans sa décision du 21 août 2020, constitutif d'une faute qui serait d'une gravité suffisante pour accorder l'autorisation de licenciement sollicitée.
7. Il résulte de ce qui précède que la société PMC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 21 août 2020 ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B... contre cette décision et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à ce dernier sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société PMC au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société PMC la somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société PMC est rejetée.
Article 2 : La société PMC versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Périphériques et Matériels de Contrôle et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2024.
La rapporteure,
A. ColletLa présidente,
A. Menasseyre
La greffière
N. Couty
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05356