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30/09/2024 | FRANCE | N°23PA01885

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 30 septembre 2024, 23PA01885


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 25 février 2022 par laquelle l'inspectrice du travail de la Polynésie française a accordé à la société Banque de Tahiti l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire et la décision du 6 mai 2022 par laquelle la directrice du travail de la Polynésie française a confirmé cette autorisation.



Par jugement n° 2200288 du 7 février 2023, le tribu

nal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 25 février 2022 par laquelle l'inspectrice du travail de la Polynésie française a accordé à la société Banque de Tahiti l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire et la décision du 6 mai 2022 par laquelle la directrice du travail de la Polynésie française a confirmé cette autorisation.

Par jugement n° 2200288 du 7 février 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 mai 2023, 19 février et 4 avril 2024 et le 13 mai 2024 ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Athon-Perez, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200288 du 7 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler la décision du 25 février 2022 et la décision du 6 mai 2022 ;

3°) de mettre à la charge de la société Banque de Tahiti la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que la minute n'est pas signée ;

- s'agissant de la divulgation de données confidentielles, ces faits ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier la demande d'autorisation de licenciement sollicitée ;

- s'agissant du retard dans le transfert de 63 dossiers relevé par l'audit de la Caisse d'Epargne d'Île-de-France, du défaut d'exécution d'autres tâches professionnelles, de l'absence de déclaration de risque opérationnel, même à considérer que certains manquements seraient fondés ce qui est contesté, ils ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

- aucun reproche sur ses qualités professionnelles ne lui a été fait depuis sa prise de poste comme responsable du précontentieux en 2009 ; il a toujours dépassé ses objectifs et a toujours perçu des primes chaque année jusqu'au mois de janvier 2021 pour rétribuer ce dépassement ;

- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec son mandat syndical.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2024, la Polynésie française, représentée par son président, représentée par Me Quinquis, demande à la cour de rejeter la requête de M. B....

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 13 janvier, 7 mars et 23 avril 2024, la Banque de Tahiti, représentée par son Me Mestre, demande à la cour de rejeter la requête de M. B... et de mettre à sa charge la somme de 500 000 F CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et que l'intéressé a enfreint ses obligations professionnelles en violant le secret professionnel et bancaire par la transmission par mail d'informations individuelles concernant des clients de la banque au service privé de la médecine travail, à la direction du travail, à l'inspection du travail et à divers collaborateurs de la banque.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code du travail de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me Achard pour M. B...,

- et les observations de Me Mestre pour la société Banque de Tahiti.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... a été recruté par la société Banque de Tahiti le 13 mars 2002 et occupait en dernier lieu depuis le 14 décembre 2009 le poste de responsable du service précontentieux et/ou recouvrement amiable sous la direction d'un nouveau responsable du pôle légal et juridique depuis le 1er juin 2021. Il exerçait le mandat de délégué syndical au sein de la société depuis le 11 septembre 2018. Par courrier du 17 décembre 2021, il a été convoqué à un entretien préalable prévu le 27 décembre suivant. Par courrier reçu le 30 décembre 2021 par la direction du travail, la Banque de Tahiti a demandé l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute grave. Par décision du 25 février 2022, l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement, décision confirmée par la directrice du travail de la Polynésie française par sa décision du 6 mai 2022. Par jugement du 7 février 2023, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur la légalité des décisions des 25 février et 6 mai 2022 :

2. Aux termes de l'article LP. 2511-1 du code du travail de la Polynésie française : " Ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, le licenciement des salariés suivants : 1. délégué syndical ; 2. délégué du personnel ou délégué de bord ; 3. représentants du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; 4. membres du comité d'entreprise ou représentant syndical à ce comité ; 5. candidats aux fonctions de représentant du personnel, pendant les six mois qui suivent la publication des candidatures ; 6. anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux pendant six mois, après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat ". En vertu des dispositions du code du travail de la Polynésie française, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, à l'autorité hiérarchique compétente, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Pour autoriser le licenciement de M. B..., l'inspectrice du travail, après avoir considéré que les faits relatifs à la divulgation de données confidentielles n'étaient pas suffisamment graves pour justifier un licenciement a, en revanche, estimé que les griefs concernant le retard de transfert de dossiers constaté par l'audit de la caisse d'épargne d'Île-de-France et les conclusions de l'audit interne qui ont révélé des dysfonctionnements au sein du service précontentieux étaient matériellement établis et d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

En ce qui concerne le retard de transfert de dossiers constaté par l'audit de la caisse d'épargne d'Île de France :

4. Un audit réalisé par la caisse d'épargne d'Île-de-France, maison-mère de la Banque de Tahiti, réalisé du 11 octobre au 17 novembre 2021, a révélé l'existence d'un retard dans le transfert de soixante-trois dossiers présentant plus de cinq échéances d'impayés sur des crédits classiques et représentant un risque financier supérieur à 63 millions de francs pacifiques, éléments confirmés par l'audit interne diligenté ensuite par la société Banque de Tahiti. Cet audit a mis en évidence le fait qu'aucun transfert de dossiers du service précontentieux vers le service contentieux n'avait eu lieu entre les mois d'avril et de septembre 2021. Ces faits et leur caractère fautif ne sont pas contestés. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier qu'ils sont intervenus dans un contexte particulier où le service contentieux de la société Banque de Tahiti avait demandé au service précontentieux de ne plus lui transmettre de dossiers à l'exception des procédures collectives de surendettement de la fin du mois de février 2021 jusqu'au début du mois d'avril. Il ressort également des pièces du dossier que le service précontentieux s'est trouvé confronté, au cours de la période concernée, aux conséquences de l'absence de M. B..., placé en arrêt maladie de début juin à mi-juillet 2021, de l'absence de ses deux collaboratrices de fin juillet à mi-septembre 2021 et enfin du confinement général de la Polynésie française à compter du 23 août jusqu'en octobre 2021. De plus, il apparaît que ni le supérieur hiérarchique de M. B... ni le responsable du service contentieux, lequel, au demeurant, est devenu le nouveau supérieur hiérarchique de l'intéressé à compter du 1er juin 2021, ne se sont inquiétés de l'absence de transfert de ces dossiers au service contentieux entre les mois d'avril et de septembre 2021, avant le 8 novembre 2021, date du message adressé au requérant par son nouveau supérieur hiérarchique pointant ce retard et lui demandant des explications alors que la mission d'audit externe avait commencé depuis près d'un mois et qu'en tant qu'ancien responsable du service contentieux, il ne pouvait ignorer cette absence de transmission. Il ressort d'ailleurs du courriel du 22 février 2021 versé aux débats que le service contentieux de la société Banque de Tahiti a lui-même demandé au service précontentieux de ne plus lui transmettre de dossiers à l'exception des procédures collectives de surendettement de la fin du mois de février 2021 jusqu'au début du mois d'avril " compte tenu d'un chantier " nécessitant l'" investissement à temps plein " du service contentieux. Il n'est pas contesté qu'après le départ de son précédent supérieur hiérarchique, aucune revue trimestrielle du portefeuille du service n'a été réalisée à compter du mois d'avril 2021. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B... a exercé ses fonctions de responsable du service précontentieux et recouvrement amiable de la société Banque de Tahiti de décembre 2009 à 31 mai 2021 sous la responsabilité hiérarchique du même directeur en donnant pleinement satisfaction comme le montrent les primes de performance qui lui ont été régulièrement accordées et ceci pour la dernière fois en janvier 2021 suite au dépassement de ses objectifs annuels au titre de l'année 2020. Il ressort également de l'audit interne réalisé en 2019 que l'activité du service précontentieux dont il était responsable, était bien maîtrisée alors même que le service ne disposait pas d'un logiciel dédié ce qui le conduisait à alimenter manuellement les différents tableaux de suivi ainsi que la gestion des courriers. Il résulte de tout ce qui précède que si le retard de transfert de dossiers constaté par l'audit de la caisse d'épargne d'Île de France de soixante-trois dossiers présentant plus de cinq échéances d'impayés reproché à M. B... est établi, la gravité de la faute ainsi commise devait être nuancée par les éléments de contexte rappelés ci-dessus.

En ce qui concerne le non-respect des procédures internes au service précontentieux :

5. L'inspectrice du travail a également retenu, pour fonder sa décision, que les conclusions de l'audit interne révélaient des dysfonctionnements au sein du service précontentieux tenant au non respect des modes opératoires en vigueur, révélateurs de carence de M. B... tant dans la gestion de ses propres dossiers que dans sa gestion managériale.

6. En premier lieu, le rapport d'audit interne a relevé que le dossier de six clients possédant un crédit habitat pour un encours de 75,4 millions de francs pacifiques ne présentaient pas d'expertise de la garantie immobilière. Le guide procédural interne intitulé " mode opératoire - étapes et actions de recouvrement des prises en charge du dossier au précontentieux " prévoyait sur ce point qu'" en fonction des éléments figurant au dossier ", " une expertise immobilière sera diligentée avec l'accord préalable du N +1 ". M. B... soutient, sans être sérieusement contredit sur ce point, que tous les dossiers dont l'encours était inférieur à 20 millions de francs pacifiques étaient automatiquement provisionnés " au forfait " par le système informatique, un encours de prêt supérieur à ce seuil déclencheur permettant de présenter le dossier au comité Provision et au comité Watch List et que les nécessités tenant au budget dédié aux expertises immobilières avaient conduit son supérieur hiérarchique à cantonner le déclenchement d'une expertise immobilière aux dossiers dont l'encours était supérieur à 20 millions de francs pacifiques. En l'espèce, il ressort du tableau annexé à l'audit interne qu'aucun des dossiers concernés n'excédait cet encours.

7. En deuxième lieu, le rapport d'audit interne a relevé une carence dans la déclaration d'un " risque opérationnel ", de détournement de crédit, à défaut de signalement, par un agent de recouvrement, de l'absence, pourtant constatée, de construction de maison, alors que le guide procédural interne, en sa rubrique " M02.20.30 Déclarer et suivre les incidents " définit un incident de risque opérationnel comme la matérialisation d'un risque survenant à la suite d'un fait générateur et entraînant des impacts financiers tels que perte, gain, manque à gagner, coût interne, ou des impacts non financiers tels qu'impact d'image. Il ressort des pièces du dossier que ce dossier, parvenu au service précontentieux pendant l'arrêt de travail de M. B..., le 14 juin 2021, n'a été transmis au service contentieux que le 18 novembre 2021. Si ce dossier est effectivement parvenu au service précontentieux alors que M. B... était en congé pour raisons de santé, le mémo de transfert de ce dossier vers le service contentieux a été rédigé " suite à l'audit par la CEIDF " qui s'est déroulé du 7 octobre au 17 novembre 2021 de sorte que l'intéressé ne peut ainsi soutenir que ce risque a été déclaré et traité conformément à la procédure interne applicable " M02.20.30 - Déclarer et suivre les incidents ". Il ressort toutefois des pièces du dossier que ce dossier avait lui-même été transféré tardivement au service précontentieux alors que l'incident avait préalablement été identifié en agence.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'une des carences relevées à l'encontre de M. B... ne peut être regardée comme fautive et que si les autres le sont, elles s'inscrivent dans le contexte particulier rappelé ci-dessus. Au vu de l'ensemble des pièces du dossier, eu égard à l'ancienneté dont pouvait faire état M. B... dans l'entreprise et à l'absence de tout antécédent, les faits qui lui sont reprochés, pris dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme étant, dans ce contexte, d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée. M. B... est fondé à soutenir que pour ce motif les décisions du 25 février 2022 de l'inspectrice du travail et du 6 mai 2022 de la directrice du travail de la Polynésie française sont entachées d'une erreur d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué et sur les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement n° 2200288 du 7 février 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 février 2022 par laquelle l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire demandée par la société Banque de Tahiti et de la décision du 6 mai 2022 par laquelle la directrice du travail de la Polynésie française a confirmé cette décision. Par suite, ce jugement et ces deux décisions doivent être annulés.

Sur les frais d'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Banque de Tahiti au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Banque de Tahiti le versement d'une somme de 2 000 euros demandée par M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Les décisions du 25 février 2022 de l'inspectrice du travail et du 6 mai 2022 de la directrice du travail de la Polynésie française ainsi que le jugement n° 2200288 du 7 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française sont annulés.

Article 2 : La société Banque de Tahiti versera à M. B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Banque de Tahiti et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2024.

La rapporteure,

A. Collet La présidente,

A. Menasseyre

La greffière

N. Couty

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01885


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01885
Date de la décision : 30/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-30;23pa01885 ?
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