Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société hôtelière Paris Les Halles a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner solidairement la Ville de Paris, la société d'économie mixte Paris Seine (SemPariSeine) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP) à lui verser la somme, sauf à parfaire, de 12 237 333 euros HT, soit 14 804 799,60 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à la date de saisine de la juridiction, et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux de réaménagement du quartier des Halles, d'autre part, de condamner solidairement la SemPariSeine et la RATP à lui verser la somme de 32 246 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine de la juridiction, en raison de l'endommagement de ses locaux techniques. La SemPariSeine a présenté des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la SHPH à lui verser la somme de 24 595,81 euros HT, au titre du remboursement du coût de location d'un enregistreur de bruit, qu'elle a préfinancé à hauteur d'un tiers.
Par un jugement nos 2005511/6-3, 2007087/6-3 et 2011089/6-3 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de la SHPH et a mis à sa charge les frais de l'expertise ordonnée le 12 avril 2012 par le vice-président du tribunal, liquidés à la somme de 79 332,56 euros. Il a par ailleurs rejeté les conclusions reconventionnelles de la SemParisSeine.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 août 2022, des mémoires en réplique enregistrés les 23 juin et 15 septembre 2023, appuyés de pièces complémentaires enregistrées le 13 octobre 2023, et un mémoire récapitulatif enregistré le 21 mai 2024 après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la SHPH, représenté par Me Cabanes, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures résultant de son mémoire récapitulatif :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner solidairement la Ville de Paris, la SemPariSeine et la RATP à lui verser la somme, sauf à parfaire, de 12 337 333 euros HT soit 14 804 799.60 euros TTC en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux de réaménagement du quartier des Halles, assortie des intérêts au taux légal à la date de saisine du tribunal administratif de Paris, et de la capitalisation de ceux-ci après un an d'intérêts échus ;
3°) de condamner solidairement la SemPariSeine et la RATP à lui verser la somme de 32 246 euros HT, en réparation de l'endommagement de ses locaux techniques pendant les travaux, avec toutes conséquences de droit, assortie des intérêts légaux à la date de saisine du tribunal ;
4°) de mettre à la charge solidaire de la Ville de Paris, de la SemPariSeine et de la RATP la somme de 10 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de condamner solidairement la Ville de Paris, la SemPariSeine et la RATP aux entiers dépens.
Elle soutient que :
- son action n'est pas prescrite, contrairement à ce que soutient la SemPariSeine ;
- l'expertise demandée par le tribunal administratif de Paris a été régulièrement menée ;
- les préjudices constitués par les nuisances sonores et les vibrations occasionnées par le chantier ainsi que par les difficultés d'accès à l'hôtel et la visibilité réduite de l'établissement présentent un caractère anormal ;
- ces nuisances, dont l'effet a été aggravé par le manque d'anticipation et de coordination des maîtres d'ouvrage, ont considérablement nui à son activité et entraîné une perte substantielle de marge brute, en particulier en 2016 et 2017, qui n'a pas été compensée par des avantages qu'elle aurait retirés de ces travaux ;
- elle a dû exposer des frais supplémentaires d'exploitation et d'investissement, en recrutant des bagagistes et des collaborateurs spécialisés dans la relation clients supplémentaires pour pallier les difficultés d'accessibilité et le manque de visibilité de l'établissement pendant le chantier, en ayant davantage eu recours aux plateformes de réservation en ligne pour atténuer le déficit de communication des maîtres d'ouvrage, et en procédant au changement des fenêtres des chambres ;
- le préjudice total peut être évalué à la somme de 12 237 333 euros HT, soit 9 640 344 euros pour la perte de marge brute d'exploitation, 2 220 214 euros pour les frais supplémentaires d'exploitation et 476 775 euros pour les frais supplémentaires d'investissement ;
- s'agissant de la remise en état des locaux techniques endommagés et du préjudice de jouissance, elle établit la réalité de ses préjudices.
Par des mémoires en défense, enregistré les 26 avril, 26 juin, 28 juillet, 18 septembre et 13 octobre 2023, et un mémoire récapitulatif enregistré le 17 mai 2024 après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la RATP, représentée par Me Grange, conclut, dans le dernier état de ses écritures résultant de son mémoire récapitulatif, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, au rejet des conclusions de la requête en ce qu'elles sont dirigées contre la RATP, à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation de la SemPariSeine et de la Ville de Paris solidairement, ou l'une à défaut de l'autre, à garantir pleinement ou partiellement la RATP de toutes condamnations qui pourraient intervenir à son encontre, et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la SHPH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ensemble des sujétions et nuisances imposées à cet établissement durant le chantier ne présente pas de caractère grave et spécial ;
- les préjudices allégués ne sont, en tout état de cause, pas établis ;
- s'agissant des locaux techniques de l'hôtel, d'une part, les dommages ne lui sont pas imputables, d'autre part, la perte de jouissance de cet espace n'est pas établie et, en tout état de cause, largement surestimée par la société requérante.
Par des mémoires, enregistrés les 25 mai et 28 juillet 2023, et un mémoire récapitulatif enregistré le 29 avril 2024 après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la SemPariSeine, représenté par Me Alix, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures résultant de son mémoire récapitulatif, de prononcer la nullité du rapport d'expertise de M. B... et de l'écarter des débats, à titre principal, de rejeter la requête de la SHPH pour irrecevabilité, à titre subsidiaire, de la mettre hors de cause de l'instance, en toutes hypothèses, de rejeter la requête en toutes ses conclusions ainsi que les conclusions de la RATP dirigées contre elle, à titre reconventionnel, de condamner la société requérante à lui verser la somme de 24 595,81 euros HT, au titre du remboursement du coût de location de l'enregistreur de la chambre n° 158, qu'elle a préfinancé à hauteur d'un tiers, et en tout état de cause, de laisser les frais d'expertise à la charge de la SHPH, de rejeter les conclusions présentées par cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la SHPH le versement de la somme de 10 000 euros HT au titre de ces mêmes dispositions.
Elle soutient que :
- le rapport d'expertise de M. B... est entaché de nullité dès lors que l'impartialité de l'expert est en cause, que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, que le rapport d'expertise repose sur une analyse technique sommaire des nuisances sonores alléguées et que le partage de responsabilité entre les parties prenantes au chantier ne repose sur aucune justification sérieuse ;
- l'action de la requérante est prescrite en ce qui concerne la prétendue gêne sonore et les difficultés d'accès alléguées induites par les travaux ;
- la responsabilité de la SemPariSeine, qui est intervenue sur le chantier des Halles en qualité de mandataire de la Ville de Paris, maître d'ouvrage de l'opération, ne saurait être engagée par la SHPH à raison des prétendus dommages qu'elle estime avoir subis ;
- les préjudices allégués liés aux opérations de chantier ne présentent pas de caractère grave et spécial ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre le prétendu préjudice d'exploitation et les travaux de réaménagement du quartier des Halles ;
- en tout état de cause, si la SHPH devait être indemnisée de ses préjudices, il conviendrait de mettre en balance le quantum des prétendus préjudices subis avec l'intérêt que cette restauration du forum des Halles présente pour l'hôtel, tant au regard de sa visibilité et son accessibilité, qu'au regard de l'augmentation de la fréquentation du quartier, impactant inévitablement les réservations de l'hôtel ;
- s'agissant des locaux techniques, l'action de la requérante est prescrite ; le lien entre les désordres allégués et les travaux réalisés sous sa maîtrise d'ouvrage déléguée ne sont pas établis.
Par des mémoires enregistrés les 28 avril, 25 juillet et 13 octobre 2023, et un mémoire récapitulatif enregistré le 21 mai 2024 après l'invitation prévue à l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut, dans le dernier état de ses écritures résultant de son mémoire récapitulatif, au rejet de la requête, au rejet des conclusions de la RATP en tant qu'elles sont dirigées contre elle, et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de la SHPH.
Elle soutient que :
- ni les nuisances sonores, ni les difficultés d'accès alléguées, ne présentent le caractère de gravité ou d'anormalité qui permettrait d'engager la responsabilité sans faute de la Ville de Paris ;
- la SHPH ne démontre ni l'existence de graves pertes d'exploitation, ni l'existence d'un préjudice financier en lien avec le chantier décrié ;
- l'opération de réaménagement de la place Marguerite de Navarre a en réalité profité à la SHPH ;
- les travaux effectués sous la maîtrise d'ouvrage déléguée de la SemPariSeine pour le compte de la Ville de Paris ont pris fin en avril 2013, soit une durée d'environ 2 ans sur la période totale de 7 ans de travaux qui est ici mise en cause.
Par ordonnance du 22 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier,
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Michelin pour la SHPH, de Me Gorse pour la Ville de Paris, de Me Condroyer pour la RATP et de Me Alix pour la SemParisSeine.
Une note en délibéré a été présentée pour la SHPH le 10 septembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. La société hôtelière Paris Les Halles (SHPH), titulaire d'un bail emphytéotique consenti le 2 août 1983 par la Ville de Paris, exploite l'établissement hôtelier " Novotel Paris Les Halles " situé 8 place Marguerite de Navarre à Paris (75001). A la fin de l'année 2010, des travaux de réaménagement du quartier des Halles ont été entrepris par la Ville de Paris. Parallèlement, le syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) a entamé un projet de restructuration du pôle métro/RER de la station Châtelet. La maîtrise d'ouvrage du chantier était partagée entre la Ville de Paris, la société d'économie mixte Paris Seine (SemPariSeine), intervenant en son nom et pour son compte, et la RATP. Ce chantier incluait, notamment, la restructuration du forum des Halles et la construction d'un toit de verre et de métal dénommée " la Canopée ", le réaménagement du jardin public, la restructuration des voiries souterraines par la suppression de voies d'accès et voies de sortie en surface, la restructuration du parking Berger et celle du parking situé sous l'hôtel Novotel ainsi que la restructuration du pôle Transports et la création d'un nouvel accès pour le RER et le métro sur la place Marguerite de Navarre. Par deux ordonnances des 27 avril et 4 mai 2010, prises à la demande, respectivement, de la RATP d'une part, et de la Ville de Paris et de la SemPariSeine d'autre part, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a désigné deux experts judiciaires, dont M. D... C..., avec pour mission de décrire l'état de différents immeubles situés dans le périmètre des travaux de réaménagement du quartier des Halles, et de dire si aux termes de ces travaux, les immeubles avaient été affectés de dommages. Par ailleurs, par deux ordonnances du 30 mars 2011 et du 13 avril 2012, prises à la demande de la SHPH, le vice-président du tribunal a désigné M. A... B... en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de décrire la nature et l'étendue des désordres affectant le complexe hôtelier géré par la SHPH, ainsi que de décrire et mesurer les nuisances sonores et les difficultés d'accès aux locaux provoqués par les travaux de réaménagement du quartier des Halles. Les rapports d'expertise de M. B... et de M. C... ont été rendus, respectivement, le 19 mars et le 15 décembre 2018, après l'achèvement du chantier. Par un courrier en date du 29 novembre 2019, la SHPH a adressé à la Ville de Paris, la SemPariSeine et la RATP une demande d'indemnisation préalable d'un montant de 12 237 333 euros HT, soit 14 804 799,60 euros TTC, en réparation des préjudices subis du fait des travaux de réaménagement du quartier des Halles. Les trois maîtres d'ouvrage ont implicitement rejeté cette demande. Par deux courriers des 13 janvier et 18 mai 2020, la SHPH a adressé, respectivement, à la RATP et à la SemPariSeine des demandes préalables d'un montant de 32 246 euros HT à raison des préjudices qu'elle estime avoir subis au titre de désordres causés sur les locaux techniques de l'hôtel. Ces demandes ont été implicitement rejetées. La SHPH a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, de condamner solidairement la Ville de Paris, la SemPariSeine et la RATP à lui verser la somme de 14 804 799,60 euros TTC, d'autre part, de condamner solidairement la SemPariSeine et la RATP à lui verser la somme de 32 246 euros HT. Elle relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal a rejeté ses demandes et a mis à sa charge les frais de l'expertise ordonnée le 12 avril 2012 par le vice-président du tribunal, liquidés à la somme de 79 332,56 euros. Par la voie de l'appel incident, la SemParisSeine demande l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles.
Sur le préjudice économique de la société lié aux nuisances induites par le chantier :
2. La SHPH soutient qu'elle a subi, pour les exercices clos de 2013 à 2017, un préjudice économique important en lien avec les nuisances sonores et les difficultés d'accès résultant des travaux de réaménagement du quartier des Halles, préjudice dont elle demande, en qualité de tiers, la réparation, solidairement, à la Ville de Paris, la SemParisSeine et la RATP sur le fondement de la responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics.
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale opposée par la SemPariSeine :
3. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. En outre, il résulte des articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge.
4. Les préjudices dont la SHPH demande réparation, à savoir la baisse de son bénéfice net et les frais supplémentaires engagés pour limiter l'impact du chantier sur son exploitation, pouvaient être connus et mesurés l'année au cours de laquelle les dépenses ont été engagées ou à la fin de chaque exercice comptable. Toutefois, l'expertise ordonnée les 30 mars 2011 et 13 avril 2012 par le vice-président du tribunal administratif de Paris, avec pour l'expert désigné mission de décrire la nature et l'étendue des désordres affectant le complexe hôtelier géré par la société hôtelière Paris Les Halles, ainsi que de décrire et mesurer les nuisances sonores et les difficultés d'accès aux locaux provoqués par les travaux de réaménagement du quartier des Halles, a interrompu le délai de prescription jusqu'au 19 mars 2018, date à laquelle l'expert a remis son rapport, après la fin des travaux. Par suite, à la date de sa demande indemnitaire, le 29 novembre 2019, la créance de la SHPH n'était pas prescrite.
En ce qui concerne la régularité de l'expertise :
5. La SemPariSeine reprend en appel le moyen en défense, qu'elle avait invoqué en première instance et tiré de ce que le rapport d'expertise rendu par M. B... est entaché d'un défaut d'impartialité et de contradictoire. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris aux points 6 et 7 de son jugement.
En ce qui concerne la responsabilité :
6. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'ouvrage délégué, et les constructeurs chargés des travaux sont responsables solidairement à l'égard des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient au tiers, victime d'un dommage de travaux publics, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre, d'une part, les travaux publics et, d'autre part, le préjudice dont il se plaint. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
7. La SHPH soutient que la responsabilité sans faute de la Ville de Paris, de la SemPariSeine et de la RATP est engagée en raison des nuisances sonores générées par les travaux de réaménagement du quartier des Halles, pendant près de huit ans, et de la dégradation notable de l'accessibilité à l'hôtel, rendue complexe en raison de l'ampleur des travaux de restructuration des voiries souterraines, du parking sous l'hôtel et du parking Berger, et de la restructuration totale du pôle d'échanges de Châtelet-les-Halles ainsi que la création d'un nouvel accès à la salle d'échange du RER. Elle soutient également que ces travaux étalés sur plusieurs années ont nui à la visibilité de l'hôtel. Il en résulterait pour elle, pour les exercices clos de 2013 à 2017, un préjudice économique qu'elle chiffre à 12 337 333 euros, dont 9 640 344 euros de perte de marge brute d'exploitation, 2 220 214 euros de frais supplémentaires d'exploitation et 476 775 euros de frais supplémentaires d'investissement.
8. Selon les données fournies par la SHPH, le taux d'occupation de l'hôtel était d'environ 81 % en 2010, 85 % en 2011, 83 % en 2013 et 2014, et 81 % en 2015. Il a ensuite baissé à 68 % en 2016, avant de remonter à 74 % en 2017 puis à 82 % en 2018. Par ailleurs, la moyenne du chiffre d'affaires de l'établissement pour les années 2008 à 2010, antérieurement au début des travaux, s'établissait à 19,72 millions d'euros. Ce chiffre d'affaires atteignait 21,42 millions d'euros en 2011, année de début des travaux, 21,8 millions d'euros en 2012, 21,55 millions d'euros en 2013, 20,77 millions d'euros en 2014, 21,61 millions d'euros en 2015, 17,87 millions d'euros en 2016, 19,47 millions d'euros en 2017 et 23,44 millions d'euros en 2018. Ainsi, entre les années 2010 et 2018, la fréquentation de l'hôtel est restée sensiblement la même, à l'exception des années 2016 et 2017, et le chiffre d'affaires de la société a été systématiquement supérieur à la moyenne de référence précitée, à l'exception de l'année 2016, où la société a enregistré une diminution de 10 % de son chiffre d'affaires par rapport à cette moyenne et de 18 % par rapport à 2015.
9. La SHPH fait valoir que la stabilité, en dehors de l'année 2016 et, dans une moindre mesure, de l'année 2017, du taux d'occupation de l'hôtel et du chiffre d'affaires de la société s'explique par les dépenses qu'elle a engagées, à savoir, d'une part, le changements des fenêtres des chambres et, d'autre part, le recrutement de bagagistes et de collaborateurs spécialisés dans la relation avec les clients, pour pallier les difficultés d'accessibilité et le manque de visibilité de l'établissement pendant le chantier, et par un recours accru aux plateformes de réservation en ligne pour atténuer le déficit de communication des maîtres d'ouvrage, ce qui a entraîné le paiement de commissions plus importantes. Elle en déduit que son préjudice doit être examiné au regard non pas de son chiffre d'affaires, mais de sa perte de marge nette, qu'elle estime davantage représentative de l'impact négatif du chantier sur son activité. Selon les calculs qu'elle a effectués à partir des rapports annuels de ses commissaires aux comptes, en additionnant, pour chacune des années considérées, le résultat comptable et l'impôt sur les sociétés, puis en retranchant les produits financiers ou exceptionnels qu'elle a considérés comme étant sans lien avec l'exploitation, la perte de " bénéfice net avant IS et hors éléments exceptionnels " s'établit à 9 176 000 euros si on prend comme période de référence les années 2008 à 2010, et à 7 964 00 euros si on prend comme période de référence les années 2008 à 2012, pendant lesquelles la SHPH indique elle-même que les travaux n'avaient pas démarré ou venaient juste de démarrer. Au cours de la période allant de 2013 à 2017, le résultat d'exploitation, qui est le mieux à même de refléter les évolutions des produits et charges de la société, a ainsi baissé, en moyenne, de 36,4 % par rapport à la période de référence allant de 2008 à 2012.
10. Toutefois, les années 2016 et 2017, où la baisse du résultat d'exploitation est la plus marquée, s'inscrivent dans un contexte dans lequel les établissements hôteliers de la capitale, notamment ceux recevant de nombreux touristes étrangers, ont été touchés, suite aux attentats de Paris de 2015, par une baisse sensible de leur activité, qui a partiellement concouru à la baisse de bénéfices observée par la SHPH. Au regard des données produites au dossier, tirées notamment de l'observatoire de l'hôtellerie, qui recueille mensuellement les données d'environ 140 hôtels quatre étoiles localisés à Paris représentant une capacité d'hébergement d'environ 11 600 chambres, soit un taux de couverture d'environ 39 % du parc existant à Paris en établissements quatre étoiles, cette baisse d'activité, mesurée par la baisse du taux d'occupation, est attribuable, s'agissant d'un hôtel appartenant à la catégorie des " hôtels haut de gamme standard ", à hauteur de 10 % à la situation conjoncturelle liée aux attentats terroristes commis en 2015. Si l'analyse du RevPar (revenu disponible par chambre) réalisée par la SHPH montre que le Novotel des Halles a connu pendant ces deux années une baisse de " performance " nettement plus marquée que les autres hôtels parisiens de sa catégorie, ce qui tend à démontrer, au-delà des effets potentiellement induits par les tarifs relativement plus élevés pratiqués par l'établissement notamment en 2016, un effet en lien avec les travaux de réaménagement du quartier des Halles, la SHPH ne donne aucune indication sur la part de la baisse du résultat d'exploitation en lien avec les attentats et celle en lien avec les travaux, alors qu'ainsi qu'il a déjà été dit, 10 % de la baisse de son taux d'occupation, qui est passé de 81 % en 2015 à 68 % en 2016, peut s'expliquer par le contexte post-attentats.
11. Par ailleurs, pour évaluer le préjudice de la société, il y a également lieu de prendre en compte les avantages qu'elle a pu retirer de la réalisation du chantier, liés à l'amélioration de son environnement immédiat et de sa desserte. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le chantier de restructuration du forum des Halles s'est traduit par l'aménagement majoritairement piétonnier de la place Marguerite de Navarre, auparavant ouverte à la circulation, de sorte que les alentours immédiats de l'hôtel sont devenus moins bruyants, malgré la localisation de l'établissement au cœur de Paris. Par ailleurs, la création d'un pôle transports en commun accessible directement depuis la surface par des escaliers mécaniques situés à proximité de l'hôtel ainsi que l'installation de deux ascenseurs facilitant l'accès à l'établissement depuis le pôle transport, constituent des éléments d'amélioration de la desserte et de l'environnement de l'hôtel. A cet égard, le bénéfice net de la société s'est établi à 5,725 millions d'euros en 2019, soit une augmentation de 78 % par rapport à la moyenne de 3,2 millions d'euros sur la période 2008-2010, immédiatement antérieure aux travaux. Cet accroissement du bénéfice de l'établissement doit être regardé comme résultant de manière substantielle de l'amélioration notable et permanente de son environnement immédiat, liée aux opérations de restructuration du quartier des Halles. En outre, cette amélioration a profité de manière spécifique au " Novotel Paris Les Halles ", qui est l'un des deux seuls établissements hôteliers donnant sur la place Marguerite de Navarre.
12. Enfin, la SHPH ne peut pas à la fois demander la réparation de sa perte de marge nette, dans le calcul duquel les frais supplémentaires d'exploitation et d'investissement qu'elle soutient avoir dû exposer ont été pris en compte, et le paiement de ces frais. En tout état de cause, d'une part, la société n'établit pas que le changement de politique commerciale qu'elle a mis en œuvre durant les opérations de chantier en ayant davantage recours aux plateformes de réservations en ligne, auxquelles sont versées des commissions pour chaque réservation effectuée par ce biais, serait en lien direct et certain avec les nuisances alléguées, alors que ces sites constituent désormais un canal de distribution privilégié dans le secteur de l'hôtellerie. D'autre part, les frais supplémentaires de personnels qui auraient été exposés durant le chantier, et que la société chiffre à un montant de 566 647 euros entre 2012 et 2018, ne présentent pas le caractère d'un préjudice grave au regard du chiffre d'affaires réalisé par la société sur la période, et ce alors qu'il résulte des rapports des commissaires aux comptes produits par la SHPH que les dépenses de personnels avaient déjà augmenté avant le début des travaux, passant de 2,8 millions d'euros en 2008 à 3,6 millions en 2011 et 3,9 millions en 2015, et ont continué d'augmenter après ceux-ci, pour atteindre 4,3 millions en 2019. Il en va de même des frais liés aux changements des fenêtres de l'hôtel, qui en outre constituent des éléments d'amélioration permanente et peuvent expliquer la forte augmentation, notamment à partir de 2014, des dotations aux amortissements, qui ont significativement contribué à la baisse du résultat d'exploitation et du bénéfice.
13. Il résulte de ce qui précède que la SHPH n'est pas fondée à soutenir que le préjudice économique résultant pour elle des nuisances sonores et des difficultés d'accès à son établissement pendant le déroulement des travaux de réaménagement du quartier des Halles présente un caractère grave.
Sur les préjudices résultant de la dégradation des locaux techniques de l'hôtel :
14. La SHPH soutient que les travaux de réaménagement du quartier des Halles sont à l'origine d'infiltrations et d'inondations dans ses locaux techniques, rendant ceux-ci inutilisables pendant près de deux ans. Elle demande, en sa qualité de tiers, la condamnation, solidairement, de la SemPariSeine et de la RATP, sur le fondement de la responsabilité pour dommages accidentels de travaux publics, à lui verser la somme de 32 246 euros HT, dont 11 280 euros HT de frais de remise en état des locaux, 3 244,03 euros HT de frais de constats d'huissier et 16 232,70 euros HT au titre de la perte de jouissance des locaux.
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale opposée par la SemPariSeine :
15. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise de M. C..., désigné par ordonnances des 30 mars 2011 et 12 avril 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Paris, que des infiltrations d'eau ont été constatées dans les locaux technique de l'hôtel exploité par la SHPH au cours de l'année 2015 et que ces infiltrations ont perduré jusqu'à la fin des travaux en 2018. La SHPH n'a eu connaissance des conclusions définitives de l'expert qu'à compter du 15 décembre 2018, date de remise de son rapport, dans lequel il évalue les préjudices à la somme de 32 246 euros HT. Par suite, la SHPH n'a pu évaluer les dommages allégués dans toute leur étendue qu'à compter de la remise du rapport. Par ailleurs, à supposer même que les dommages soient apparus dès 2010, ainsi que la SemPariSeine le soutient, l'expertise ordonnée par les deux ordonnances du 30 mars 2011 et du 13 avril 2012 par le vice-président du tribunal administratif de Paris, a interrompu le délai de prescription jusqu'au 15 décembre 2018, date de remise rapport. Par suite, à la date à laquelle la SHPH a adressé sa demande indemnitaire à la SemPariSeine, le 18 mai 2020, sa créance n'était pas prescrite.
En ce qui concerne la responsabilité :
16. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise de M. C..., que des venues d'eau importantes et continues ont inondé et endommagé les locaux techniques de la société pendant une période s'étendant de mars 2015 à décembre 2017. La présence de ces venues d'eau a été corroborée par un constat d'huissier du 1er octobre 2015 mettant en exergue une " présence d'eau importante " dans les locaux techniques. Les visites de chantier ont également permis de constater la persistance de ces venues d'eau, de l'ordre de 5 centimètres en moyenne. L'expert a conclu que les infiltrations provenaient de la zone de travaux, notamment des joints de dilatation entourant les locaux, lesquels sont situés en partie sur l'emprise de la RATP et en partie à l'extérieur de cette même emprise, sur la place Marguerite de Navarre. Le rapport précise également que ces infiltrations avaient vraisemblablement plusieurs origines. En outre, ce même rapport relève l'absence de mesures correctrices prises par les maîtres d'ouvrage en vue d'endiguer ce phénomène, en dépit de demandes répétées en ce sens. Dans ces conditions, il est suffisamment établi que la dégradation des locaux techniques de l'hôtel est en lien direct et certain avec les travaux de réaménagement du quartier des Halles. En tenant compte des conclusions des rapports d'expertise de M. C..., il y a lieu de considérer que la responsabilité de cette dégradation incombe pour moitié à la RATP et pour l'autre moitié à la SemPariSeine.
En ce qui concerne les préjudices :
17. La SHPH a précisé, dans ses demandes préalables, que la remise en état normal d'exploitation des locaux techniques a fait l'objet d'un devis, le 10 juillet 2017, de la société Parinet pour un montant de 11 280 euros HT. Ce montant a été validé par l'expert. Ni la RATP, ni la SemParisSeine n'apportent d'éléments permettant de remettre en cause cette appréciation. Par suite, et alors que la victime d'un dommage n'est pas tenue de faire l'avance des frais des travaux nécessaires pour remédier aux dommages subis, il y a lieu de retenir cette somme. Par ailleurs, la SHPH a exposé, pour le constat des dommages, des frais d'huissier, pour un montant de 3 244 euros validé par l'expert. Enfin, il sera fait une juste appréciation du préjudice de jouissance lié à l'impossibilité pour la SHPH d'utiliser les locaux aux fins de stockage, en lui allouant à ce titre la somme de 2 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts :
18. Ces sommes porteront intérêts à compter du 7 juillet 2020, date à laquelle la SHPH a saisi le tribunal administratif de Paris, ainsi que celle-ci le demande.
En ce qui concerne les intérêts des intérêts :
19. La capitalisation des intérêts a été demandée le 25 août 2022, date à laquelle la SHPH a saisi la cour. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.
Sur les conclusions d'appel incident de la SemPariSeine :
20. La SemPariSeine demande, dans son mémoire enregistré le 25 mai 2023, à titre reconventionnel, la condamnation de la SHPH à lui rembourser le coût de la location de l'enregistreur acoustique placé dans la chambre n° 158 ayant permis d'analyser le niveau des nuisances sonores liées au chantier au cours des opérations d'expertise pour un total de 24 595,81 euros, soit un tiers de la somme totale. Alors qu'elle avait déjà formulé de telles conclusions en première instance, elle doit être regardée comme demandant, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions reconventionnelles. Toutefois, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que les mesures effectuées au cours de l'expertise ont permis de mettre en évidence des nuisances sonores importantes et fréquentes au sein de l'hôtel Novotel exploité par la SHPH. Eu égard à la matérialité de ces nuisances sonores, il n'apparaît pas manifestement inéquitable de maintenir le financement partagé de cet appareil entre la société requérante, la SemParisSeine et la RATP. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, les conclusions d'appel incident de la SemPariSeine ne peuvent qu'être rejetées.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la SHPH est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices subis en raison de la dégradation des locaux techniques de l'hôtel qu'elle exploite.
22. Par ailleurs, la SemPariSeine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le tribunal a rejeté ses conclusions, présentées à titre reconventionnel, tendant à la condamnation de la SHPH à lui verser la somme de 24 595,81 euros HT, au titre du remboursement du coût de location de l'enregistreur de la chambre n° 158, qu'elle a préfinancé à hauteur d'un tiers.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris, la SemPariSeine et la RATP, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes pour l'essentiel, le versement de la somme que la SHPH demande au titre des frais de l'instance.
24. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la SHPH une somme que la Ville de Paris, la SemPariSeine et la RATP réclament sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La RATP et la SemParisSeine sont condamnées, chacune, à verser à la SHPH la somme totale de 8 262 euros en réparation des dommages subis suite à la dégradation des locaux techniques de l'hôtel qu'elle exploite. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2020. Les intérêts échus le 25 août 2022 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 30 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société hôtelière Paris Les Halles, à la Ville de Paris, à la société d'économie mixte Paris Seine et à la Régie autonomie des transports parisiens.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2024.
La rapporteure,
C. Vrignon-Villalba
La présidente,
A. Menasseyre
La greffière,
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commisaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22PA03960