Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... B..., Mme G... C... et Mme D... E... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 19 janvier 2022 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption sur un bien situé 18 rue Girard.
Par un jugement n° 2203856 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 29 mai 2023, la commune de Montreuil, représentée par Me Moghrani, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 2203856 du 30 mars 2023 ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. B..., Mme C... et Mme E... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. B... et Mme C... le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de fait en retenant que la ville n'avait pas reçu délégation du droit de préemption à la date de la décision en litige ;
- cette décision est suffisamment motivée ;
- elle est justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;
- il n'y a plus lieu de statuer, le vendeur devant être réputés avoir renoncé à la vente en application de l'article R. 213-10 du code de l'urbanisme ;
- les moyens soulevés par les requérants en première instance ne sont pas fondés, notamment celui tiré d'un prétendu défaut de base légale.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 juillet 2023, M. B... et Mme C..., représentés par Me Ferrand, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Montreuil le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la commune de Montreuil n'a pas critiqué le jugement attaqué en tant qu'il a retenu le moyen tiré du défaut de base légale de la décision de préemption ;
- les moyens de la commune de Montreuil ne sont pas fondés.
Par un mémoire en réplique enregistré le 28 juillet 2023, la commune de Montreuil, représentée par Me Moghrani, persiste dans les conclusions de sa requête.
Elle soutient que la décision n'est pas dépourvue de base légale.
La requête a été communiquée à Mme E... qui n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,
- les observations de Me Gien substituant Me Moghrani, représentant la commune de Montreuil,
- et les observations de Me Ferrand, représentant M. B... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 19 janvier 2022, le maire de Montreuil a préempté un bien immobilier situé sur la parcelle cadastrée AR n° 146, 18 rue Girard à Montreuil. M. B... et Mme C..., acquéreurs évincés ainsi que Mme E..., propriétaire de ce bien, ont saisi le tribunal administratif de Montreuil qui, par un jugement du 30 mars 2023, a annulé cette décision. La commune de Montreuil fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 213-10 du code de l'urbanisme : " À compter de la réception de l'offre d'acquérir (...), le propriétaire dispose d'un délai de deux mois pour notifier au titulaire du droit de préemption : / a) Soit qu'il accepte le prix ou les nouvelles modalités proposés (...) / b) Soit qu'il maintient le prix ou l'estimation figurant dans sa déclaration et accepte que le prix soit fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation c) Soit qu'il renonce à l'aliénation. / Le silence du propriétaire dans le délai de deux mois mentionné au présent article équivaut à une renonciation d'aliéner ". Si la circonstance que le propriétaire d'un bien a, à la suite de la réception de la décision de préemption à un prix inférieur à celui qui figure dans la déclaration d'intention d'aliéner, renoncé à l'aliénation de ce bien, dans les conditions prévues par ces dispositions, fait obstacle à ce que le titulaire du droit de préemption en poursuive l'acquisition, la décision de préemption continue toutefois d'empêcher que la vente soit menée à son terme au profit de l'acquéreur évincé.
3. La seule circonstance qu'un propriétaire renonce, en application des dispositions citées au point précédent de l'article R. 213-10 du code de l'urbanisme, à aliéner un bien qui fait l'objet d'une décision de préemption n'est pas de nature, à elle seule, à épuiser les effets de cette décision, qui fait toujours obstacle à l'exécution du compromis de vente conclu au profit de M. B... et Mme C.... Par suite, la demande de première instance n'avait pas perdu son objet et c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'exception de non-lieu à statuer soulevée par la commune de Montreuil.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département ".
5. La commune de Montreuil produit des justificatifs des mesures prises pour assurer la publicité de la délibération CT 2020-02-04-23 du conseil de territoire d'Est Ensemble Grand Paris approuvant la mise en place du droit de préemption urbain et du droit de préemption urbain renforcé sur la commune de Montreuil et constituant le fondement légal de la décision du 19 janvier 2022 en litige. La circonstance que cette décision vise, à tort, des délibérations obsolètes du conseil municipal est sans incidence sur sa légalité. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision en litige, les premiers juges ont retenu le moyen tiré d'une absence de base légale.
6. En deuxième lieu, toutefois, l'article L. 5211-3 du code général des collectivités territoriales prévoit que " les dispositions du chapitre premier du titre III du livre premier de la deuxième partie relatives au contrôle de légalité et à la publicité et à l'entrée en vigueur des actes des communes sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale ". Aux termes de l'article L. 2131-1 du même code : " I. - Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'ils ont été portés à la connaissance des intéressés dans les conditions prévues au présent article et, pour les actes mentionnés à l'article L. 2131-2, qu'il a été procédé à la transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement prévue par cet article ". Aux termes de l'article L. 2131-2 de ce code : " I.- Sont transmis au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement, dans les conditions prévues au II : 1° Les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal en application de l'article L. 2122-22 (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la décision n° 2022-58 du 18 janvier 2022, par laquelle le président du conseil de territoire d'Est Ensemble Grand Paris a délégué à la commune de Montreuil l'exercice du droit de préemption urbain, a été transmise au préfet de la Seine-Saint-Denis pour contrôle de légalité le 20 janvier 2022. Par suite, la décision de préemption en litige, signée le 19 janvier 2022 par le maire de Montreuil, est entachée d'incompétence, quand bien même le conseil municipal lui avait délégué l'exercice du droit de préemption. Dans ces conditions, la décision de préemption en litige doit être annulée, sans que la commune de Montreuil ne puisse utilement faire valoir que ce vice d'incompétence n'a exercé aucune influence sur le sens de la décision et n'a privé les acquéreurs d'aucune garantie.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ".
9. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
10. D'une part, si la décision attaquée mentionne que l'immeuble objet de la préemption " est situé dans le secteur Croix de Chavaux et plus précisément au cœur de la place Paul Langevin qui a fait l'objet d'un aménagement récent dans le cadre de la transformation de ce secteur stratégique ", que le projet de transformation de ce secteur " consiste en une nouvelle configuration de l'espace public, en un renouveau de tènement foncier et en une activation des rez-de-chaussée, comme l'exprime l'Orientation d'Aménagement et de Programmation Sectorielle Communale Croix-de-Chavaux " et que " l'acquisition de ce bien par la Ville de Montreuil permettra de participer à cette dynamique en s'ouvrant sur la place Paul Langevin, en lien avec la mutation de l'usine Chaptal ", ces éléments de contexte ne permettent pas d'éclairer la nature du projet poursuivi par la commune, qui se borne à indiquer de façon imprécise que la parcelle préemptée doit permettre la réalisation d'un " programme social et solidaire accueillant du public ". La décision en litige est ainsi insuffisamment motivée.
11. D'autre part, en se bornant à faire valoir que le quartier de " La Croix de Chavaux " fait l'objet d'une orientation d'aménagement et de programmation au sein du plan local d'urbanisme intercommunal, la commune n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de son projet de " programme social et solidaire accueillant du public ", ladite OAP ne mentionnant pas un tel projet. La commune de Montreuil n'établit ainsi pas la réalité du projet à la date de la décision contestée. Il en résulte que les premiers juges ont pu, à bon droit, retenir également ce motif pour annuler la décision contestée.
12. En vertu des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'une décision d'urbanisme en retenant un ou plusieurs moyens, de se prononcer expressément sur le bien-fondé des différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui, afin d'apprécier si ce moyen ou l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montreuil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de préemption du 19 janvier 2022.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B... et Mme C... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Montreuil demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Montreuil une somme de 2 000 euros à verser à M. B... et Mme C... sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Montreuil est rejetée.
Article 2 : La commune de Montreuil versera à M. B... et Mme C... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Montreuil et à M. F... B..., Mme G... C... et Mme D... E....
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
- M. François Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 septembre 2024.
Le rapporteur, Le président,
F. A... I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02376