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12/07/2024 | FRANCE | N°24PA00167

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 12 juillet 2024, 24PA00167


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.



Par une ordonnance n° 2314486 du 10 novembre 2023, le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis

au Tribunal administratif de Montreuil la requête présentée par M. A....



Par un jugement n°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par une ordonnance n° 2314486 du 10 novembre 2023, le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis au Tribunal administratif de Montreuil la requête présentée par M. A....

Par un jugement n° 2313362 du 5 décembre 2023, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et quatre mémoires complémentaires, enregistrés les 10 janvier 2024, 25 janvier 2024, 26 janvier 2024, 21 mai 2024 et 10 juin 2024, M. A..., représenté par Me Crusoé, demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler le jugement du 5 décembre 2023 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil ;

3°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il a fait droit aux demandes de substitution de motif et de substitution de base légale présentées par le préfet du Val-de-Marne alors que celles-ci ont été formulées oralement par le préfet au cours de l'audience devant le Tribunal administratif de Montreuil et n'ont pas été régularisées dans le cadre d'observations écrites, qu'il n'a pas été en mesure de préparer ses observations sur ces demandes et d'apporter les pièces qui auraient permis d'y faire échec et que le jugement n'est pas revêtu de la signature du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil ;

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions des 2°, 3° et 4° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie résider en France depuis l'âge de 13 ans, qu'il est entré régulièrement sur le territoire français en 1989 et qu'il a résidé en France pendant plus de dix ans sous couvert d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il n'est pas établi que les éléments sur lesquels l'autorité préfectorale s'est appuyée pour prononcer la mesure d'éloignement auraient été portés à sa connaissance à la suite d'une consultation régulière du fichier relatif au traitement des antécédents judiciaires ;

- sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle emporte des conséquences excessives sur son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- par une décision du 25 janvier 2024, la Cour européenne des droits de l'homme a décidé d'indiquer au gouvernement français de suspendre son éloignement jusqu'au 7ème jour après réception de l'arrêt, par la Cour, qui sera rendu par la Cour administrative d'appel de Paris.

La requête de M. A... a été communiquée au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas présenté d'observation en défense.

Par une ordonnance du 21 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 juin 2024 à 12h.

Par une décision du 13 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Zeudmi Sahraoui ;

- et les observations de Me Crusoé, représentant de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant haïtien né le 3 novembre 1984, est entré en France, selon ses déclarations, en 1989 en compagnie de sa mère. Par un arrêté du 20 octobre 2023, le préfet du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. M. A... fait appel du jugement du 5 décembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'admission de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 13 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A.... Ses conclusions tendant à ce que la Cour lui accorde le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont ainsi devenues sans objet.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 776-14 du code de justice administrative : " La présente section est applicable aux recours dirigés contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1, lorsque l'étranger est placé en rétention (...). ". Aux termes de l'article R. 776-24 du même code : " Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou par le magistrat désigné, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations. ". Aux termes de l'article R. 776-26 dudit code : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience. ". Aux termes de l'article R. 776-27 du même code : " (...) / A moins qu'un procès-verbal d'audience signé par le juge et par l'agent chargé du greffe de l'audience ait été établi, le jugement mentionne les moyens nouveaux soulevés par les parties lors de l'audience. / (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été placé, le 7 novembre 2023, en rétention administrative au centre du Mesnil-Amelot et que sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 octobre 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français a été jugée par le Tribunal administratif de Montreuil selon la procédure mentionnée aux articles R. 776-14 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, il était loisible au préfet du Val-de-Marne de présenter, au cours de l'audience devant le Tribunal administratif, de nouveaux moyens, y compris une demande de substitution de motif et de base légale sans qu'il fût nécessaire de confirmer cette demande par un mémoire écrit. Par ailleurs M. A... qui ne conteste pas avoir eu la possibilité de formuler au cours de l'audience des observations sur la demande présentée par le préfet du Val-de-Marne, ne peut, compte tenu de l'urgence qui s'attachait à cette procédure, soutenir ne pas avoir disposé du temps nécessaire pour préparer ses observations et pour réunir les pièces qui auraient été de nature à faire échec aux demandes de substitution de motif et de base légale présentées par l'administration.

5. En second lieu, aux termes de l'article R 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Aux termes de l'article R. 741-8 du même code : " Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience. "

6. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil et par le greffier d'audience conformément aux dispositions précitées.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, cette décision indique que M. A... né le 3 novembre 1984 à Aquin de nationalité haïtienne, a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement de douze mois pour des faits d'envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques qui a pris fin le 7 novembre 2023, que sa présence constitue ainsi une menace pour l'ordre public, qu'il ne justifie pas de circonstances humanitaires, qu'il est célibataire, sans charge de famille et que ses liens personnels et familiaux en France ne sont pas intenses et stables. Cette décision est ainsi suffisamment motivée.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I. - Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, aux articles L. 114-1, L. 114-2, L. 211-11-1, L. 234-1 et L. 234-2 du code de la sécurité intérieure et à l'article L. 4123-9-1 du code de la défense, les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : (...) / 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et programmation relative à la sécurité : " Il est procédé à la consultation prévue à l'article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure pour l'instruction des demandes d'acquisition de la nationalité française et de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers et des demandes de visa ou d'autorisation de voyage prévus aux articles L. 312-1, L. 312-2 et L. 312-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que pour la nomination et la promotion dans les ordres nationaux. ".

9. M. A... soutient qu'il n'est pas établi que les informations sur lesquelles s'est fondé le préfet du Val-de-Marne pour considérer que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public ont fait l'objet d'une consultation régulière du fichier du traitement des antécédents judiciaires conformément à l'article R. 40-29 du code de procédure pénale. Toutefois, d'une part, le requérant ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions qui se rapportent aux enquêtes prévues à l'article 17-1 précité de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et programmation relative à la sécurité qui concerne l'instruction des demandes de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers. D'autre part, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le préfet du Val-de-Marne a eu connaissance de la condamnation de M. A... pour des faits d'envois réitérés de messages malveillants à la suite d'une consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention "étudiant" ; / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; (...) ".

11. M. A... soutient qu'il réside en France depuis 1989, soit depuis qu'il a l'âge de 5 ans et que le préfet du Val-de-Marne ne pouvait, en application des dispositions précitées, prononcer à son encontre une mesure d'éloignement. Si M. A... produit plusieurs pièces, notamment des certificats de scolarité pour les années 1989 à 1994 puis 1998-1999, une attestation de prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Val d'Oise pour la période 21 novembre 1996 au 24 août 2000, quelques courriers de l'agence nationale pour l'emploi et des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce datant des 19 septembre 2002, 16 décembre 2002, 24 mars 2004, deux attestations d'entrée en stage pour les périodes de janvier 2003 à juillet 2003 et de juin à septembre 2007, une attestation de Pôle emploi relative à la période d'octobre 2017 à mai 2018, un courrier de la préfecture du Val d'Oise daté du 3 avril 2015, trois récépissés de demande de titre de séjour en date des 12 février 2004, 12 septembre 2007 et 31 janvier 2022, un titre de séjour couvrant la période du 2 juillet 2020 au 1er juillet 2021, un certificat de travail pour la période du 4 mars 2022 au 25 avril 2022 et les certificats de naissance de ses trois enfants nés sur le territoire français les 14 décembre 2014, 2 janvier 2016, 5 novembre 2018, et qu'il ressort des pièces du dossier et, notamment, du bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. A..., que l'intéressé a fait l'objet d'une dizaine de condamnations pénales à compter de 2001, dont plusieurs peines d'emprisonnement, il ne produit aucune pièce établissant sa résidence en France pour les années 2005, 2006, 2008 à 2010 et 2019. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il réside en France depuis l'âge de 13 ans, ni même qu'il y réside régulièrement depuis plus de dix ans ni qu'il y réside depuis plus de vingt ans. Dès lors, le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. A... méconnaît les dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

12. Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. M. A... se prévaut de l'ancienneté de son séjour en France, de la présence sur le territoire français de ses trois enfants, de sa mère et de son frère qui sont de nationalité française et de l'absence de toute attache familiale en Haïti, pays qu'il a quitté à l'âge de 5 ans. Toutefois, M. A... n'établit pas résider habituellement en France depuis son entrée sur le territoire français en 1989. Il n'établit pas davantage, par les deux attestations établies par sa mère et son frère dans des termes peu circonstanciés, qu'il entretiendrait des liens étroits avec eux, ni même qu'il entretiendrait des contacts avec ses trois enfants ou participerait à leur entretien et à leur éducation. Le requérant ne produit aucune pièce permettant de justifier de son intégration en France ni même de ce qu'il serait totalement isolé en Haïti. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, et alors même que la présence de M. A... en France ne constituerait pas une menace pour l'ordre public, le préfet du Val-de-Marne pouvait, sans méconnaître l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, prononcer à l'encontre de l'intéressé une mesure d'éloignement.

Sur la légalité de la décision refusant à M. A... un délai de départ volontaire :

14. En premier lieu, la décision litigieuse indique que la présence en France de M. A... constitue une menace pour l'ordre public dès lors qu'il a été condamné à une peine d'emprisonnement de douze mois pour des faits d'envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques et qu'en application de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire lorsque le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public. Dès lors, la décision refusant à M. A... un délai de départ volontaire est suffisamment motivée.

15. En deuxième lieu, si M. A... soutient que la décision lui refusant un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.

16. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

17. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

18. Il ressort des pièces versées aux débats par M. A... que la situation que connaît Haïti, notamment depuis le second semestre de l'année 2023, se caractérise par un climat de violence généralisée se traduisant notamment par des affrontements opposant des groupes criminels armés entre eux et ces groupes à la police haïtienne et que cette violence atteint, à Port-au-Prince ainsi que dans les départements de l'Ouest et de l'Artibonite, un niveau d'une intensité exceptionnelle, entraînant un grand nombre de victimes civiles. Si M. A... est né à Aquin, commune située dans le département du Sud, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en cas d'exécution d'office de la décision litigieuse, l'intéressé serait en mesure d'y retourner sans rejoindre ou traverser notamment Port-au-Prince. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que son éloignement vers Haïti l'exposerait à des traitements inhumains ou dégradants prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions du requérant tendant à ce que la décision fixant Haïti comme pays de renvoi soit annulée.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

19. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.

Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

20. Il ressort des termes mêmes des dispositions citées au point précédent que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

21. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

22. Si la décision portant interdiction de retour sur le territoire français indique que M. A... a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement de douze mois pour des faits d'envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques, que sa présence constitue ainsi une menace pour l'ordre public, qu'il ne justifie pas de circonstances humanitaires, qu'il est célibataire, sans charge de famille et que ses liens personnels et familiaux en France ne sont pas intenses et stables, que la durée de l'interdiction de retour fixée à trois ans ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au regard de sa vie privée et familiale, elle ne comporte aucune mention quant à la durée de présence en France de l'intéressé alors qu'il est constant que M. A... est entré pour la première fois en France en 1989. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que la durée de l'interdiction sur le territoire français prononcée à son encontre est insuffisamment motivée.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 octobre 2023 du préfet du Val-de-Marne en tant qu'il fixe Haïti comme pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et qu'il prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Sur les frais d'instance :

24. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés à l'occasion du présent litige et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Les décisions contenues dans l'arrêté du 20 octobre 2023 par lesquelles le préfet du Val-de-Marne a fixé Haïti comme pays à destination duquel M. A... pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans sont annulées.

Article 3 : Le jugement n° 2313362 du 5 décembre 2023 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

La rapporteure,

N. ZEUDMI SAHRAOUI

Le président,

B. AUVRAY

La greffière,

L. CHANA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA00167


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00167
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Nadia ZEUDMI-SAHRAOUI
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : AARPI ANDOTTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;24pa00167 ?
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