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12/07/2024 | FRANCE | N°22PA04251

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 12 juillet 2024, 22PA04251


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... ainsi que Mme D... E... et M. B... E..., ses enfants majeurs, ont, par une première requête enregistrée sous le n° 1907207, demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à Mme A... la somme de 910 000 euros et à Mme E... et M. E... la somme de 50 000 euros chacun, portant intérêts à compter de la date de réception de la demande et avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait

des conditions de leur logement de 2014 à 2017, et d'ordonner, avant dire droit, une exper...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... ainsi que Mme D... E... et M. B... E..., ses enfants majeurs, ont, par une première requête enregistrée sous le n° 1907207, demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à Mme A... la somme de 910 000 euros et à Mme E... et M. E... la somme de 50 000 euros chacun, portant intérêts à compter de la date de réception de la demande et avec capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des conditions de leur logement de 2014 à 2017, et d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale pour évaluer les conséquences que l'exposition aux nuisances ont occasionné sur leur état de santé, sur leur perspective professionnelle et sur leur vie personnelle.

Mme A... a, par une deuxième requête enregistrée sous le n° 2022071, demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 octobre 2020 par laquelle la ministre de la culture a décidé, à la suite de l'accident de service qu'elle a subi, de fixer la date de consolidation au 28 octobre 2017 et son taux d'incapacité à 4 %, et d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale propre à évaluer les conséquences que l'exposition aux nuisances a occasionnées sur son état de santé.

Mme A... a enfin, par une troisième requête enregistrée sous le n° 2125106, demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 23 septembre 2021 par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande d'allocation temporaire d'invalidité, et d'enjoindre à la ministre de faire droit à sa demande d'allocation temporaire d'invalidité.

Par un jugement no 1907207, 2022071 et 2125106 du 19 juillet 2022, le Tribunal administratif de Paris, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 19 septembre 2022, et des mémoires enregistrés les 21 novembre 2022, 11 octobre 2023 et 21 juin 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme A..., Mme E..., et M. E..., représentés par Me Crusoé, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1907207, n° 2022071, n° 2125106 du 19 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'Etat à verser à Mme A... la somme de 910 000 euros, et à Mme E... et M. E... la somme de 50 000 euros chacun, portant intérêts à compter de la date de réception de leur demande avec capitalisation de ces intérêts ;

3°) d'annuler la décision du 29 octobre 2020 par laquelle le ministre de la culture a décidé, à la suite de l'accident de service subi par Mme A..., de fixer la date de consolidation au 28 octobre 2017 et le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) ;

4°) d'annuler la décision du 23 septembre 2021 par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande d'allocation temporaire d'invalidité ;

5°) d'ordonner une expertise médicale avant dire droit afin d'évaluer les conséquences que l'exposition aux nuisances ont occasionné sur leur état de santé ;

6°) d'enjoindre à la ministre de la Culture de faire droit à la demande d'allocation temporaire d'invalidité de Mme A..., dans un délai d'un mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme totale de 5 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été signé par le magistrat-rapporteur, la présidente de chambre et le greffier d'audience ;

- il est irrégulier en raison d'une insuffisance de motivation ;

- il méconnaît l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- il est irrégulier en tant qu'il n'a pas répondu à la demande d'expertise formulée dans le cadre de la requête enregistrée sous le n° 1907207.

- l'administration a commis une faute en ayant manqué à son obligation de sécurité, en méconnaissance de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article L. 4121-1 du code du travail ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée à l'égard de Mme A... qui a droit à la réparation de l'intégralité des conséquences dommageables de son accident de service ;

- les troubles dans les conditions d'existence subis doivent être estimés, pour Mme A..., à hauteur de 300 000 euros, et pour chacun de ses enfants, à hauteur de 50 000 euros ;

- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice d'agrément subis doivent être estimés, pour Mme A..., à la somme globale de 100 000 euros ;

- le préjudice moral de Mme A... doit être estimé à hauteur de 95 000 euros ;

- le préjudice financier résultant de sa période de congés maladie doit être estimé à 75 000 euros ;

- le préjudice corporel de Mme A... s'élève à 100 000 euros ;

- son préjudice de carrière s'élève à 150 000 euros ;

- son préjudice de retraite s'élève à 90 000 euros ;

- la décision du 29 octobre 2020 est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'aucun représentant du personnel n'a participé à la séance au cours de laquelle sa situation a été évoquée par la commission de réforme ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à la date de consolidation de son état de santé ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à son taux d'invalidité ;

- la décision du 23 septembre 2021 est signée par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dès lors que Mme A... remplissait toutes les conditions fixées par le décret n° 63-756 du 13 août 1968.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2023, la ministre de la Culture conclut au rejet de la requête présentée par Mme A... et ses enfants Mme E... et M. E....

Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

La requête et les mémoires complémentaires ont été communiqués à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le décret n° 63-756 du 13 août 1968

- le décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;

- le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Crusoé pour Mme A..., Mme E... et M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 27 février 2014 Mme C... A..., titulaire du corps des techniciens des services culturels et des bâtiments de France, a été affectée, à compter du 14 mars 2014, au musée archéologique national et domaine national de Saint-Germain-en-Laye, rattaché à la direction générale du patrimoine du ministère de la culture et de la communication, en tant qu'adjointe au chef du service accueil surveillance et sécurité/sûreté des publics et du bâtiment. Dans le cadre de ses fonctions, elle a emménagé, avec ses enfants, Mme D... et M. B... E..., dans un logement de fonctions situé à l'intérieur du château de Saint-Germain-en-Laye qui a fait l'objet, à compter de septembre 2014, d'un important chantier de restauration. Le 5 janvier 2016, Mme A... a déposé une déclaration de maladie professionnelle, en faisant valoir l'impact des nuisances dues aux travaux sur son état de santé et le 6 septembre 2016, elle a été placée en congé pour maladie. La commission de réforme auprès de l'administration centrale a émis, le 5 décembre 2016, un avis défavorable à la demande de reconnaissance de maladie professionnelle et un avis favorable à l'imputabilité au service de l'accident déclaré le 5 janvier 2016. Par une décision du 19 janvier 2017, la ministre de la culture et de la communication a suivi l'avis de la commission, sans retenir à ce stade de taux d'incapacité ni de date de consolidation. Le 1er novembre 2017, Mme A... a repris son service, en tant que cheffe de service du pôle accueil, surveillance et sécurité, au musée national Jean-Jacques Henner, à Paris. Le 19 décembre 2018, elle a adressé au ministère de la culture une demande indemnitaire, à laquelle une décision implicite de rejet a été opposée. Par un arrêté du 25 mars 2019, le ministre de la culture a reconnu l'accident de service déclaré le 5 janvier 2016 comme imputable au service, et par un arrêté du 29 octobre 2020, il a fixé le taux d'incapacité de Mme A... à 4 % et la date de consolidation au 28 octobre 2017. Par un courrier électronique du 23 septembre 2021, le ministère a répondu à une demande d'allocation temporaire d'invalidité de Mme A..., en lui indiquant ne pas pouvoir à ce stade y donner une suite favorable. Par la présente requête, Mme A... et ses enfants relèvent appel du jugement du 19 juillet 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes tendant à l'indemnisation des préjudices de toute nature qu'ils estiment avoir subis du fait de leurs conditions de logement et à l'annulation des deux décisions des 29 octobre 2020 et 23 septembre 2021.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il résulte de la combinaison des articles R. 741-7, R. 751-2 et R. 751-4-1 du code de justice administrative que seule la minute du jugement doit comporter la signature manuscrite du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier, et que sont notifiées aux parties des expéditions qui ne mentionnent que les noms et fonctions des trois signataires. Il suit de là que la circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à la requérante ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier de première instance transmis à la Cour que la minute du jugement attaqué a été signée par la présidente, le rapporteur et le greffier d'audience.

3. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que Mme A... avait, devant le tribunal administratif de Paris, sollicité l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité sans faute en se prévalant de la décision du Conseil d'Etat du 4 juillet 2003, en vertu de laquelle un fonctionnaire victime d'un accident ou d'une maladie reconnus imputable au service a droit, même en l'absence de faute de son employeur, à la réparation de préjudices distincts de ceux résultant des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle, lesquels sont réparés par l'allocation d'une rente viagère ou d'une allocation temporaire d'invalidité. Les premiers juges ont omis de se prononcer sur la responsabilité sans faute de l'Etat et l'indemnisation des préjudices résultant pour Mme A... de son accident reconnu imputable au service. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il n'a pas exposé les motifs pour lesquels il a écarté ce fondement de responsabilité, au demeurant d'ordre public. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande tendant à l'indemnisation de ces préjudices, présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.

4. En troisième lieu, Mme A... soutient que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il n'a pas statué sur la demande d'expertise formulée dans la requête n° 1970207. Cependant, une telle omission n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ledit jugement dès lors que les premiers juges ne sont pas tenus de motiver expressément leur refus de recourir aux mesures d'instruction suggérées par les parties.

5. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ". Il ressort des pièces du dossier que les premiers juges ont omis de viser tous les moyens soulevés par Mme A... au soutien de la requête n° 2125106 à fin d'annulation de la décision du 23 septembre 2021. Dans ces conditions, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en tant qu'il a statué sur cette requête et doit par suite, dans cette mesure, être annulé. Il y a dès lors lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur ces conclusions.

Sur le fond du litige :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision du 29 octobre 2020 :

6. En premier lieu les requérants reprennent, en appel, les moyens tirés de ce que la décision du 29 octobre 2020 serait entachée d'un vice de procédure et d'une insuffisance de motivation, sans apporter en appel d'élément de droit ou de fait nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation portée sur ces moyens par les premiers juges. Par suite, il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par le Tribunal.

7. En second lieu, pas plus en appel qu'en première instance Mme A..., en se bornant à produire des audiogrammes réalisés en juin 2015 et décembre 2020, sans interprétation médicale, n'établit que la fixation de son taux d'incapacité permanente à 4 %, pour une perte de fonction auditive, serait entachée d'une erreur d'appréciation. Ces mêmes documents ainsi qu'un certificat médical établi le 12 janvier 2021, qui indique que la date de consolidation de son état de santé, au vu d'un audiogramme du 11 décembre 2020, devrait être fixée au 18 mai 2019 ne suffisent pas non plus à remettre en cause l'appréciation des deux médecins de la commission de réforme, reprise dans la décision du 29 octobre 2020, fixant la date de consolidation au 28 octobre 2017, soit un an après la cessation de l'exposition de Mme A... aux nuisances sonores du chantier, à partir de son arrêt de travail de septembre 2016. Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner sur ce point une expertise, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision du 29 octobre 2020 serait entachée d'erreur d'appréciation sur la date de consolidation de son état de santé ni sur le taux d'incapacité partielle permanente résultant de son accident du 5 janvier 2016.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 septembre 2021 :

8. Le courrier électronique du 23 septembre 2021, par lequel les services du ministère de la culture informent Mme A..., qui leur avait adressé un formulaire de demande d'allocation temporaire d'invalidité ainsi que diverses pièces médicales, que son dossier n'est à cette date pas complet et qu'ils ne peuvent entreprendre un nouvel examen de sa demande d'allocation temporaire d'invalidité tant que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur le recours qu'elle a intenté à l'encontre de la décision du 29 octobre 2020, n'a pas le caractère d'une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir. Par suite, le ministre de la culture est fondé à soutenir que ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

Quant à la responsabilité sans faute de l'Etat :

9. Le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux, d'une autre nature que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle, ou des préjudices personnels, peut obtenir de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.

10. Par une décision du 9 novembre 2017 le ministre de la culture a reconnu le caractère d'accident de service à l'arrêt de travail dont a bénéficié Mme A... à compter du 5 janvier 2016. Il résulte de l'instruction que Mme A... a subi, du fait des suites de cet accident de service, qui a engendré un arrêt de travail prolongé pour des acouphènes, des troubles du sommeil et de la concentration ainsi que du fait de l'altération de son audition, des troubles dans ses conditions d'existence dont elle est fondée à demander la réparation.

11. Il résulte par ailleurs de ce qui est jugé en ce qui concerne la décision du 29 octobre 2020 que l'accident de travail subi par Mme A... est à l'origine, après consolidation de son état de santé, d'un taux d'incapacité permanente partielle de 4 %. Il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices résultant de cette incapacité ainsi que des troubles subis dans ses conditions d'existence en condamnant l'Etat à verser à Mme A..., âgée de 53 ans à la date de cet accident, une somme de globale de 5 000 euros, Mme A... ne justifiant en revanche d'aucun préjudice moral subi du fait de cet accident.

12. Il résulte par ailleurs des principes énoncés au point 9 que Mme A... n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à indemniser les préjudices financiers et de carrière, au demeurant non justifiés, qui résulteraient pour elle de son accident de service.

13. Mme A... a droit à ce que la somme de 5 000 euros mise à la charge de l'Etat porte intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, le 19 décembre 2018. Ces intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter du 19 décembre 2019.

Quant à la méconnaissance de l'obligation de sécurité :

14. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurés aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article 2 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail : " Dans les collectivités et établissements mentionnés à l'article 1er, les locaux et installations de service doivent être aménagés, les équipements doivent être réalisés et maintenus de manière à garantir la sécurité des agents et des usagers. Les locaux doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de sécurité nécessaires à la santé des personnes. ". Il résulte de ces dispositions que les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents.

15. Il résulte de l'instruction que les travaux affectant directement le logement de Mme A... ont été regroupés dans le temps afin de réduire leur nuisance immédiate pour les occupants de l'appartement de fonction, notamment en ce qui concerne les travaux sur ses fenêtres en février et août 2015, que ces fenêtres ont fait l'objet d'un calfeutrement pour éviter les infiltrations de poussières et que les signalements de Mme A... relatifs à des infiltrations d'eau, en août 2015, ont été immédiatement suivis de consignes délivrées par l'administration aux entreprises chargées du chantier pour y remédier, en indiquant que la présence du logement de fonction imposait des précautions particulières. Enfin, il résulte de l'instruction que l'administration a proposé à Mme A... plusieurs visites de logements alternatifs à partir de mars 2017, alors que l'intéressée n'établit pas qu'elle aurait sollicité un relogement antérieurement à cette période. Par ailleurs il est constant que l'administration a procédé à l'achat d'un casque de réduction de bruit dès le lendemain de la demande formulée par Mme A..., le 22 janvier 2015, et l'a équipée de bouchons d'oreille, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les horaires des travaux auraient causé des nuisances sonores en dehors de ses périodes d'activité. Enfin les requérants n'établissent pas, par les pièces qu'ils produisent, que les nuisances subies pendant les travaux auraient excédé les conséquences normales produites par un chantier de cette ampleur, et nécessitaient des mesures supplémentaires à celles qui ont été prises, alors que le médecin de prévention, qui a examiné Mme A... à plusieurs reprises pendant cette période, a seulement recommandé l'acquisition de bouchons d'oreille Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'administration aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne prenant pas les mesures imposées par les dispositions précitées de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 pour limiter les nuisances causées par le chantier.

Quant au harcèlement moral :

16. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".

17. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

18. Mme A..., qui se borne à soutenir que l'administration n'aurait mis en œuvre aucune action pour protéger son état de santé et l'aurait exposée avec sa famille de manière continue à des nuisances, n'apporte aucun élément de nature à faire présumer que son administration, qui a mis en œuvre une série de mesures de nature destinées à atténuer les nuisances inévitables d'un chantier de grande ampleur, aurait commis à son encontre des agissements répétés susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement.

Quant à la salubrité et la décence du logement :

19. Aux termes de l'article 2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent : " Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires : (...) 2. (...) Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l'extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l'air suffisante. (...) 6. Les dispositifs d'ouverture et de ventilation des logements permettent un renouvellement de l'air adapté aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ".

20. La circonstance que les lourds travaux de restauration du château aient engendré des infiltrations d'eau, une diminution de l'isolation thermique et phonique pendant la période de changement des fenêtres ainsi que des infiltrations de poussières du chantier ne suffit à retirer au logement son caractère décent. S'Il résulte de l'instruction, et notamment d'un rapport d'expertise, réalisé le 25 janvier 2016 pour l'assureur de l'une des entreprises du chantier, en présence de représentants de l'administration et de Mme A..., que le logement était affecté, dans l'une de ses chambres, de traces de coulures sèches sur un mur ainsi que de traces de salpêtre sur les voûtes en briques situées à l'aplomb du chemin de ronde, ce même rapport a constaté que " les peintures sont dans un très bon état général ", tandis que les traces de coulures sèches constatées dans le reste de l'appartement ne constituaient pas des infiltrations. Il résulte également de l'instruction qu'après le départ de Mme A... à la fin de l'année 2017, ce logement a été reconverti, sans travaux supplémentaires, en bureaux accueillant les conservateurs. Dans ces conditions, les requérants n'apportent pas d'éléments suffisants pour établir que le logement dans lequel ils ont été logés de 2014 à 2017 présentait un caractère indécent ou insalubre, au sens des dispositions précitées, susceptible d'engager la responsabilité de l'administration.

21. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander la condamnation.de l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2018 et de la capitalisation des intérêts échus à compter du 19 décembre 2019, le surplus de sa requête ainsi que les conclusions de Mme E... et M. E... devant être rejetés.

Sur le frais de l'instance :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme A..., les conclusions de Mme E... et M. E..., parties perdantes, présentées sur le même fondement devant être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1907207, n° 2022071, n° 2125106 du 19 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a statué sur les requêtes n° 1907207 et n° 2125106.

Article 2 : L'Etat (ministre de la culture) est condamné à verser à Mme A... une somme de 5 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2018, ces intérêts étant capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts à compter du 19 décembre 2019.

Article 3 : L'Etat (ministre de la culture) versera à Mme A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... ainsi que les conclusions de Mme E... et M. E... sont rejetés.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... A..., à Mme D... E..., à M. B... E..., à la ministre de la culture et à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.

La rapporteure,

P. HAMON

Le président,

B. AUVRAY

La greffière

L. CHANA

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04251
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : AARPI ANDOTTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-12;22pa04251 ?
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