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11/07/2024 | FRANCE | N°24PA01703

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 11 juillet 2024, 24PA01703


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. J... C..., M. C... D... et le syndicat général CFDT transports centre francilien, représentés par Me Champion, ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 13 septembre 2023 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire conclu entre, d'une part, la société Kuehne+Nagel et, d'autre part, les organisations syndicales CFE-C

GC, CGT et CFTC, portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. J... C..., M. C... D... et le syndicat général CFDT transports centre francilien, représentés par Me Champion, ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 13 septembre 2023 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire conclu entre, d'une part, la société Kuehne+Nagel et, d'autre part, les organisations syndicales CFE-CGC, CGT et CFTC, portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Kuehne + Nagel et d'annuler la décision du 17 janvier 2024 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a retiré sa décision du 13 septembre 2023 et a validé l'accord collectif majoritaire conclu entre la société Kuehne+Nagel et les organisations syndicales CFE-CGC, CGT et CFTC, avec effet rétroactif au 13 septembre 2023.

Par un jugement n° 2312074 du 12 février 2024, le tribunal administratif de Paris a, par son article 2, annulé la décision du 13 septembre 2023, par son article 3, annulé la décision du 17 janvier 2024 en tant qu'elle a un effet rétroactif, par son article 4, mis à la charge de l'Etat le versement à M. C..., à M. D... et au syndicat général CFDT transports centre francilien d'une somme de 500 euros au titre des frais d'instance et, par son article 5, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 avril 2024 et des mémoires en réplique enregistrés les 13 et 23 mai 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, M. J... C..., M. C... D... et le syndicat général CFDT transports centre francilien, représentés par Me Champion, demandent à la cour :

1°) de réformer ou, à titre subsidiaire, d'annuler les articles 3 et 5 du jugement du 12 février 2024 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 17 janvier 2024 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire conclu entre la société Kuehne+Nagel et les organisations syndicales CFE-CGC, CGT et CFTC ;

3°) d'annuler l'accord collectif majoritaire conclu entre la société Kuehne+Nagel et les organisations syndicales CFE-CGC, CGT et CFTC, le 21 juillet 2023 ;

4°) à titre principal, de mettre à la charge de la société Kuehne + Nagel une somme de 1 500 euros à verser à chacun des requérants personnes physiques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 3 500 euros à verser au syndicat SGTCF-CFDT ; à titre ; à titre subsidiaire de mettre ces sommes à la charge de l'Etat.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision du 17 janvier 2024 en toutes ses dispositions ;

- en retirant la décision du 13 septembre 2023 le 17 janvier 2024, soit plus de quatre mois après son édiction, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a méconnu l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le tribunal ne pouvait, sans méconnaître son office, se prononcer sur la décision du 13 septembre 2023 sans s'être, préalablement, prononcé sur la validité de la décision de retrait du 17 janvier 2024 ;

- la décision du 17 janvier 2024 est entachée d'incompétence dès lors que la décision du 24 décembre 2023 portant délégation de signature n'est pas signée ;

- la décision du 17 janvier 2024 est illégale pour les mêmes raisons que la décision du 13 septembre 2023 ;

- la légalité d'une décision s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, la décision du 17 janvier 2024 n'a pu régulariser l'incompétence qui affectait la décision du 13 septembre 2023, une décision entachée d'incompétence ne pouvant être régularisée par une décision postérieure ;

- la décision du 13 septembre 2023 est entachée d'incompétence ;

- en l'absence de conséquences excessives, il n'y a pas lieu de moduler dans le temps les effets de l'annulation de cette décision ;

- sa motivation est insuffisante au regard de l'article L. 1233-57-4 du code du travail ;

- ils ont bien intérêt à agir en annulation de l'accord valant plan de sauvegarde, même s'ils n'en sont pas signataires ;

- l'accord collectif conclu le 21 et non le 13 juillet 2023 est nul en raison des manœuvres dolosives et de l'accord occulte au prix desquelles il a été signé, et alors que les indemnités supralégales proposées dans cet accord avaient vocation à figurer dans le plan ;

- la consultation du comité social et économique central en date du 12 juillet 2023 est irrégulière dès lors qu'à cette date, aucun accord collectif écrit ne lui a été soumis ;

- une personne non élue ayant participé au vote et modifié son équilibre, les désignations des cabinets 3E Consultants, Apex-Isast et Tandem sont illégales ;

- en l'absence d'information / consultation des comités sociaux et économiques des établissements du Coudray-Montceaux (91), d'Arcueil (94) et de Rungis (94) de la société Kuehne+Nagel, qui font partie du même bassin d'emploi que le site de Wissous (91) la procédure de consultation est irrégulière, alors que le décret n° 2015-1637 du 10 décembre 2015 qui limite la zone d'emploi minimale à la zone d'emploi définie par l'INSEE est contraire à l'esprit de la loi et est donc illégal ;

- la procédure de consultation est irrégulière en l'absence de consultation, prévue par l'article L. 2343-4 du code du travail, du comité européen de groupe ;

- la procédure de consultation est irrégulière en l'absence d'organisation d'une réunion extraordinaire du comité social et économique, qui n'a pas été en mesure de voter une demande d'injonction auprès de la DRIEETS en temps utile ;

- les entraves apportées au travail des experts 3E Consultants et Apex-Isast affectent la régularité de la procédure de consultation ;

- le délai de trois mois fixé par l'article L. 1233-30 du code du travail n'a pas été respecté ;

- la procédure de consultation est irrégulière en l'absence de communication des données chiffrées sur le secteur d'activité de la société Kuehne + Nagel incluant le fret aérien, maritime et terrestre ;

-elle est également défaillante en raison de l'absence d'information sur les conséquences environnementales des transferts d'activité Princesse A... A... et Cabaia ;

- la société Kuehne + Nagel ne pouvait légalement mettre en œuvre le projet Cabaia sur le site de Châtres 3 avant la signature de l'accord collectif au 21 juillet 2023 ;

- les mesures de gestion des risques psychosociaux se sont avérées insuffisantes eu égard à la détresse des salariés.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2024, la SAS Kuehne+Nagel, représentée par Me Bredon, conclut :

1°) à titre principal à l'annulation de l'article 2 du jugement et au rejet de la demande des appelants et de leur appel ;

2°) à titre subsidiaire à l'annulation de l'article 3 du jugement et au rejet de la demande des appelants et de leur appel ;

3°) à titre plus subsidiaire, à l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas différé dans le temps les conséquences de l'annulation prononcée et au rejet de la demande des appelants et de leur appel, à ce que les effets de cette annulation soient différés jusqu'à l'entrée en vigueur de la décision du 17 janvier 2024, au rejet du surplus de la demande des appelants et de leurs conclusions d'appel ;

4°) à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge des appelants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement est insuffisamment motivé dans sa partie se prononçant sur la décision du 13 septembre 2023, qui n'était pas entachée d'incompétence ;

- la décision du 17 janvier 2024 ne s'analyse pas comme une décision de retrait mais comme une mesure de régularisation, dont la possibilité doit être reconnue dans le contentieux de la validation des plans de sauvegarde pour l'emploi ;

- subsidiairement, les effets dans le temps de l'annulation de la décision du 13 septembre 2023 doivent être modulés afin de lui permettre de conserver ses effets jusqu'à l'adoption de la nouvelle décision de validation du PSE du 17 janvier 2024 ;

- les requérants de première instance ne justifiaient pas d'un intérêt à agir à l'encontre de la décision du 17 janvier 2024 en tant qu'elle retire la décision du 13 septembre 2023 ;

- les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 mai 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut à l'annulation de l'article 3 du jugement et au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- les requérants de première instance n'avaient pas d'intérêt à agir contre la décision du 17 janvier 2024 retirant celle du 13 septembre 2023 ;

- le tribunal a pu valablement ne pas se prononcer en premier lieu sur la décision du 17 janvier 2024, dès lors que celle du 13 septembre 2023 était encore en vigueur ;

- l'administration a régularisé par la décision de validation du 17 janvier 2024, la décision de validation en purgeant la décision initiale de son illégalité externe, sans en modifier le sens ou le dispositif, de sorte que la décision de validation du 17 janvier 2024 n'est pas entachée de rétroactivité illégale ;

- les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 14 mai 2024, la clôture de l'instruction a été reportée au 24 mai 2024 à 12 heures.

Les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de relever d'office des moyens d'ordre public tirés :

- de l'incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur des conclusions dirigées contre un accord collectif,

- de la méconnaissance, par le premier juge saisi simultanément de conclusions tendant à l'annulation d'une décision et à celle de son retrait, de son office,

- de ce que les conclusions dirigées contre la décision du 13 septembre 2023 sont devenues sans objet,

- de l'irrecevabilité de conclusions dirigées contre un accord collectif.

M. C... et autres ont présenté des observations en réponse à ces informations, enregistrées les 14 juin 2024 et 28 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Menasseyre,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Fowdar représentant M. C... et autres, de Me Lajeunesse représentant la société Kuehne+Nagel et de M. G..., représentant la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Considérant ce qui suit :

1. La société Kuehne+Nagel, spécialisée dans les activités de logistique et de cargaison maritime, aérienne et terrestre a projeté, à la suite de la résiliation d'un contrat conclu avec la société Amazon UE portant sur l'exécution d'une prestation logistique au sein de l'établissement Châtres 3, de procéder à une restructuration entraînant la suppression de 63 postes et la modification des 26 contrats de travail des salariés de l'établissement de Wissous en raison de sa fermeture, le projet pouvant ainsi aboutir à 89 ruptures de contrats de travail. Un accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi a été signé le 21 juillet 2023 par le directeur des ressources humaines et les délégués syndicaux centraux des organisations syndicales C.F.E-C.G.C, C.G.T. et C.F.T.C. Par une décision du 13 septembre 2023, l'adjointe au chef du département des entreprises de la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé cet accord. Alors que le tribunal administratif de Melun avait été saisi par trois salariés et par le syndicat général CFDT transports centre francilien, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France a, par une décision du 17 janvier 2024, retiré la décision du 13 septembre 2023 et pris une nouvelle décision validant l'accord avec effet rétroactif au 13 septembre 2023, nouvelle décision contre laquelle ont été présentées des conclusions additionnelles. Par jugement du 12 février 2024, le tribunal administratif de Melun a, après avoir donné acte du désistement d'un des requérants, annulé la décision du 13 septembre 2023, annulé la décision du 17 janvier 2024 en tant qu'elle rétroagissait à compter du 13 septembre 2023, et rejeté le surplus de la demande dont il était saisi. M. C... et autres relèvent appel de ce jugement, en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à leurs demandes. La société Kuehne+Nagel demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 13 septembre 2023 et, à titre subsidiaire, en tant qu'il a partiellement annulé celle du 17 janvier 2024. Par la même voie incidente, la ministre du travail relève appel du jugement en tant qu'il a partiellement annulé la décision du 17 janvier 2024.

2. Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-24-1 du même code : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité social et économique et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 1233-57-2 du même code : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : / 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; / 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique ; / 3° La présence dans le plan de sauvegarde de l'emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et L. 1233-63 ; / 4° La mise en œuvre effective, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20. ".

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'accord collectif signé le 21 juillet 2023 :

3. Aux termes de l'article L. 1235-7-1 du code du travail : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4. / Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. / Le recours est présenté dans un délai de deux mois par l'employeur à compter de la notification de la décision de validation ou d'homologation, et par les organisations syndicales et les salariés à compter de la date à laquelle cette décision a été portée à leur connaissance conformément à l'article L. 1233-57-4. / Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois. Si, à l'issue de ce délai, il ne s'est pas prononcé ou en cas d'appel, le litige est porté devant la cour administrative d'appel, qui statue dans un délai de trois mois. Si, à l'issue de ce délai, elle ne s'est pas prononcée ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d'Etat. / Le livre V du code de justice administrative est applicable. ".

4. Il résulte de ces dispositions, posant un principe d'unicité du contentieux en matière de plan de sauvegarde pour l'emploi visant à éviter la multiplication des procédures, qu'un accord majoritaire ne saurait faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation de cet accord : il n'est susceptible d'aucun recours autre que celui dirigé contre la décision de validation. Cette irrecevabilité ne fait cependant nullement obstacle à ce que la validité de cet accord puisse être contestée, à l'appui de conclusions dirigées contre la décision le validant. Il suit de là que les conclusions tendant à l'annulation de l'accord conclu en juillet 2023 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la régularité du jugement :

5. Lorsque le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant, d'une part, à l'annulation d'une décision et, d'autre part, à celle de son retrait et qu'il statue par une même décision, il lui appartient de se prononcer sur les conclusions dirigées contre le retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, de constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière.

6. En l'espèce, le tribunal administratif de Melun était parallèlement saisi de conclusions tendant à l'annulation de la décision du 13 septembre 2023, portant validation de l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi et de conclusions tendant à l'annulation du retrait de cette décision. En commençant par statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 13 septembre 2023, alors qu'à la date de son jugement, elle avait été retirée, le tribunal ne s'est pas conformé aux prescriptions rappelées au point précédent. En outre, dès lors que le tribunal a considéré que les requérants n'étaient pas recevables à contester le retrait de la décision du 13 septembre 2023, cela aurait dû le conduire à constater qu'à la date à laquelle il statuait, cette décision avait disparu de l'ordonnancement juridique, disparition qui faisait obstacle à ce que le tribunal puisse l'annuler. En annulant néanmoins cette décision, il n'a pas tiré les conséquences de ses propres énonciations. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens des parties, que le jugement doit être annulé en tant qu'il se prononce sur la décision du 13 septembre 2023.

7. Il y a lieu de se prononcer sur les conclusions dirigées contre la décision du 13 septembre 2023 par la voie de l'évocation. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, qui cherchaient à obtenir la disparition rétroactive de cette décision, ils ne justifient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision du 17 janvier 2024 portant retrait de cette dernière décision, les effets du retrait étant identiques à ceux d'une annulation contentieuse. La décision de retrait du 17 janvier 2024 étant, dès lors, elle-même devenue définitive, les conclusions tendant à l'annulation de la décision de 13 septembre 2023 étaient dépourvues d'objet dès l'introduction de la requête d'appel. Il ne saurait, par suite, y être fait droit et les moyens articulés par M. C... et autres contre cette décision sont inopérants. Eu égard au caractère définitif de ce retrait, les conclusions tendant à ce que les effets de l'annulation contentieuse de la décision du 13 septembre 2023 soient différés dans le temps sont également dépourvues d'objet.

Sur la rétroactivité de la décision de validation du 17 janvier 2024 :

8. Lorsque, après avoir pris une décision validant un accord collectif portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, l'administration constate que sa décision est entachée d'une irrégularité tenant à la signature de la décision par une personne qui, au sein du service compétent de l'Etat, n'était pas la bonne, l'autorité compétente dispose de la faculté de régulariser cette validation en la réitérant, manifestant ainsi qu'elle entend s'approprier le contenu de l'acte initial. Un tel acte de régularisation qui ne produit pas lui-même pour le passé des effets qui n'ont pas déjà été produits et a seulement pour objet de maintenir les effets déjà produits par un autre acte administratif auquel il se substitue ne saurait être regardé comme affecté d'une rétroactivité illégale. Sont sans influence sur cette faculté les dispositions de l'article L. 1233-57-4 du code du travail, permettant seulement, en cas de silence de l'autorité administrative gardé pendant quinze jours, la naissance d'une décision implicite d'acceptation.

9. Par sa décision du 17 janvier 2024, le directeur régional adjoint des entreprises de la DRIEETS d'Ile-de-France a, tout en retirant la décision initiale validant l'accord collectif majoritaire déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Kuehne+Nagel, réitéré, sous sa propre signature, cette décision à l'identique, à compter du 13 septembre 2023. Ce faisant, l'auteur de la décision du 17 janvier 2024 a seulement entendu régulariser le vice affectant la décision initiale, et tenant à sa signature par l'adjointe du chef du département des entreprises. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que cette décision était affectée d'une rétroactivité illégale et l'ont annulée dans cette mesure.

Sur la compétence de l'auteur de la décision du 17 janvier 2024 :

10. Par une décision n° 2023-201 du 24 décembre 2023 régulièrement publiée le 26 décembre 2023 au recueil des actes administratifs spécial de la région Ile-de-France, M. E... F..., DRIEETS d'Ile-de-France a donné délégation à M. B... I..., directeur régional adjoint, chef du pôle économie, emploi et solidarité, à l'effet de signer les décisions de validation ou de refus de validation des accords collectifs signés en application de l'article L. 1233-24-1 du code du travail. Contrairement à ce qui est soutenu, la décision en cause comporte bien la signature de M. F.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté.

Sur la validation de l'accord collectif majoritaire :

En ce qui concerne la procédure d'information consultation :

Quant à l'information relative au contenu de l'accord collectif majoritaire :

11. Il résulte des dispositions de l'article L. 1233-28 du code du travail que l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours, doit réunir et consulter le comité social et économique. A ce titre, le I de l'article L. 1233-30 du même code dispose, s'agissant des entreprises ou établissements qui emploient habituellement au moins cinquante salariés, que l'employeur réunit et consulte l'institution représentative du personnel sur " 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail " et que celle-ci " tient au moins deux réunions espacées d'au moins quinze jours ". Le même I précise toutefois que " Les éléments mentionnés au 2° du présent I qui font l'objet de l'accord mentionné à l'article L. 1233-4-1 ne sont pas soumis à la consultation du comité d'entreprise prévue au présent article. ". Aux termes de l'article L. 1233-31 du même code : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. / Il indique : / 1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-57-2 du même code : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : / (...) / 2° La régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique ".

12. En application des dispositions du 2° de l'article L. 1233-57-2 du code du travail, il incombe à l'administration saisie d'une demande de validation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi conclu au niveau d'une entreprise, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique prescrite par ces dispositions a été régulière. Elle ne peut légalement accorder la validation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. Il appartient à ce titre à l'administration de s'assurer que l'employeur a adressé au comité social et économique, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité, tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause. Cependant, dès lors qu'il résulte de l'article L. 1233-30 du code du travail que l'employeur n'est pas tenu de soumettre pour avis au comité d'entreprise les éléments du projet de licenciement collectif fixés par l'accord collectif majoritaire qu'il soumet à la validation de l'administration, il ne peut être utilement soutenu que la décision validant un tel accord serait illégale à raison d'un vice affectant la consultation du comité d'entreprise sur ces mêmes éléments.

13. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la société Kuehne+Nagel n'était pas tenue de soumettre pour avis au CSE les éléments du projet de licenciement collectif fixés par l'accord collectif majoritaire soumis à la validation de l'administration. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que les négociations en vue de la conclusion d'un accord collectif majoritaire prévues par l'article L. 1233-24-1 du code du travail entre les organisations syndicales et l'employeur ont abouti favorablement à l'issue de leur réunion du 11 juillet 2023, et que, lors de la réunion du 12 juillet 2023, le CSE central a été informé du contenu de cet accord. Alors que les projets d'accord collectif ne sont, en application de l'article L. 2312-14 du code du travail, pas soumis à consultation du comité social et économique, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'un projet d'accord formalisé aurait dû être soumis au CSE. La circonstance que l'accord lui-même n'a été signé que le 21 juillet 2021 est également sans incidence sur la régularité de la procédure d'information et de consultation. Enfin, l'argument selon lequel " l'argumentation du Directeur de la DRIEETS IDF et de la société KUEHNE+NAGEL viole l'article 2.2 de la Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs " est manifestement dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Quant aux conditions dans lesquelles il a été recouru à une expertise :

14. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-34 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le comité social et économique peut, le cas échéant sur proposition des commissions constituées en son sein, décider, lors de la première réunion prévue à l'article L. 1233-30, de recourir à une expertise pouvant porter sur les domaines économique et comptable ainsi que sur la santé, la sécurité ou les effets potentiels du projet sur les conditions de travail ". Aux termes de l'article L. 1233-35 du même code : " L'expert désigné par le comité social et économique demande à l'employeur, dans les dix jours à compter de sa désignation, toutes les informations qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L'employeur répond à cette demande dans les huit jours. Le cas échéant, l'expert demande, dans les dix jours, des informations complémentaires à l'employeur, qui répond à cette demande dans les huit jours à compter de la date à laquelle la demande de l'expert est formulée ". Aux termes de l'article L. 1233-35-1 du code du travail : " Toute contestation relative à l'expertise est adressée, avant transmission de la demande de validation ou d'homologation prévue à l'article L. 1233-57-4, à l'autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette décision peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L. 1235-7-1 ". Lorsque l'assistance d'un expert-comptable a été demandée selon les modalités prévues par ces dispositions, la circonstance que l'expert-comptable n'ait pas eu accès à l'intégralité des documents dont il a demandé la communication ne vicie pas la procédure d'information et de consultation du comité social et économique si les conditions dans lesquelles l'expert-comptable a accompli sa mission ont néanmoins permis au comité social et économique de disposer de tous les éléments utiles pour formuler ses avis en toute connaissance de cause.

15. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'administration n'a été saisie d'aucune contestation concernant la désignation des experts, à laquelle il a été procédé lors de la première réunion du CSE le 15 mai 2023, contestation imposée par l'article L. 1233-35-1 du code du travail et que le procès-verbal de cette réunion ne fait apparaître aucune difficulté au moment du vote ayant conduit à la désignation des cabinets 3E Consultants, Apex-Isast et Tandem. Il ressort également des pièces du dossier que les experts ont mené à bien leur mission et que la qualité de leur travail n'est pas critiquée. Si les appelants indiquent qu'au cours de la première réunion du 15 mai 2023, certains membres du CSE se sont interrogés sur la présence d'une représentante syndicale CFDT ayant participé à la désignation de ces experts, ils se bornent à invoquer la déception des votants insatisfaits face à " l'absence d'initiatives de la part de l'expert pour solliciter la transmission des documents requis auprès de l'employeur et omettre d'informer les délégués syndicaux centraux sur l'illégalité des indemnités transactionnelles par accord séparé ", sans apporter de précision sur ces différents points. En se bornant à formuler ces critiques, sans démontrer comment et en quoi les experts n'ont pas exercé leur mission dans des conditions permettant au CSE de formuler ses avis en toute connaissance de cause, les appelants ne remettent pas sérieusement en cause le déroulement de la procédure d'information consultation.

16. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le 5 juillet 2023, les élus du CSE central ont saisi le DRIEETS d'une demande d'injonction en application de l'article L. 1233-57 du code du travail, portant notamment sur certains documents déclarés comme manquants par le cabinet d'expertise 3E Consultants. Par une lettre du 10 juillet 2023, la société Kuehne+Nagel a répondu de manière précise et circonstanciée à la demande d'injonction concernant les informations demandées par le cabinet 3E Consultants et a détaillé les informations déjà communiquées à l'expert-comptable. Le 12 juillet 2023, le DRIEETS a rejeté la demande d'injonction au motif que l'administration avait pu constater que l'ensemble des documents existants au sein de l'entreprise dont la communication était demandée dans le cadre de l'injonction du 5 juillet 2023 avait bien été transmis à ce cabinet. Alors que le rapport d'expertise du cabinet 3E Consultants analyse en détail l'impact induit par la perte du contrat conclu avec la société Amazon UE et l'évolution des contrats " Fast Retailing " et Cabaia, il ressort du tableau récapitulant les échanges entre l'entreprise et l'expert versé aux débats que les documents en cause ont bien été transmis dans les délais requis. Il n'est pas contesté que le fichier d'entrée/sortie du personnel des sites concernés par le projet a été envoyé par mail au directeur de mission du cabinet 3E Consultants, le 1er juin 2023. Ainsi, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que des éléments essentiels n'auraient pas été communiqués à l'expert ou que cette communication aurait été effectuée tardivement, empêchant ce dernier de rendre un rapport exhaustif sur des questions essentielles. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que des entraves apportées à l'expertise du cabinet 3 E Consultant auraient fait obstacle à ce que le CSE soit mis à même d'émettre un avis régulier.

17. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que des entraves auraient été apportées à l'expertise du cabinet Apex-Isast doit être écarté, pour les motifs exposés au point 21 du jugement du tribunal administratif de Melun.

Quant au refus de fixation d'une réunion extraordinaire en temps utile pour délibérer sur une demande d'injonction auprès de la DRIEETS :

18. Si l'employeur a refusé de fixer une réunion extraordinaire dès sa saisine, le 27 juin 2023 par le secrétaire du CSE central afin de délibérer sur la demande d'injonction mentionnée aux points précédents, il ressort des pièces du dossier que les élus ont pu délibérer sur cette demande dès la réunion de présentation des rapports des experts, le 5 juillet suivant et que la délibération sur l'injonction a pu être régulièrement prise par les élus. Par ailleurs, si le CSE central a fait part, lors de la réunion du 22 juin 2023, des difficultés rencontrées par le cabinet 3E Consultants dans l'accomplissement de sa mission d'accompagnement des organisations syndicales, il n'a pas pour autant évoqué son souhait de formuler une demande d'injonction. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le CSE central n'aurait pas été en mesure de voter la demande d'injonction auprès de la DRIEETS en temps utile. En tout état de cause, et ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, le DRIEETS a rejeté la demande d'injonction au motif que tous les éléments existants et entrant dans le périmètre de la mission de l'expert-comptable avaient été consultés par le Cabinet 3E Consultants. Il suit de là que les appelants ne sont pas fondés à critiquer la procédure d'information consultation sur ce point.

Quant à la pertinence du secteur d'activité retenu pour l'information du CSE :

19. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe et que l'employeur est, par suite, amené à justifier son projet au regard de la situation économique du secteur d'activité dont relève l'entreprise au sein de ce groupe, les éléments d'information adressés par l'employeur au comité social et économique doivent porter non seulement sur la situation économique du secteur d'activité qu'il a lui-même pris en considération, mais aussi sur les raisons qui l'ont conduit à faire reposer son analyse sur ce secteur d'activité. Toutefois, d'une part, l'employeur, qui informe et consulte le comité social et économique sur son propre projet, n'est pas tenu d'adresser des éléments d'information relatifs à la situation économique d'un autre secteur d'activité que celui qu'il a retenu. D'autre part, l'administration n'a pas à se prononcer, lorsqu'elle statue sur une demande de validation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, sur le motif économique du projet de licenciement collectif, dont il n'appartient qu'au juge du licenciement, le cas échéant ultérieurement saisi, d'apprécier le bien-fondé. Dès lors, la circonstance que le secteur d'activité retenu par l'employeur ne serait pas de nature à établir le bien-fondé du projet soumis au comité social et économique ne saurait être utilement invoquée pour contester la légalité d'une décision de validation.

20. Il résulte de ce qui vient d'être dit que, dès lors que la société Kuehne+Nagel informait l'institution représentative du personnelle sur son propre projet, portant sur le secteur d'activité de la logistique contractuelle, elle n'était pas tenue d'adresser à cette instance ou aux experts des éléments d'information relatifs à la situation économique des secteurs d'activité du fret aérien ou du fret maritime, différents de celui qu'elle avait retenu. Il suit de là que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le refus de communiquer au CSE les éléments comptables relatifs à ses activités de fret aérien et de fret maritime aurait affecté la procédure d'information et de consultation.

Quant à l'information sur les conséquences environnementales du projet de réorganisation :

21. Aux termes de l'article L. 2312-8 du code du travail : " II- Le comité est informé et est consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, (...). III- Le comité est informé et consulté sur les conséquences environnementales des mesures mentionnées au II du présent article. "

22. Il ne résulte d'aucun texte qu'il appartiendrait à l'autorité administrative, saisie d'une demande de validation d'un accord collectif en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, dans le cadre de son contrôle mentionné au point 12, de s'assurer que le comité social et économique a été régulièrement informé et consulté en application, de l'articles L. 2312-8 du code du travail. Par suite, les appelants ne peuvent utilement soutenir que la décision de validation qu'ils attaquent est illégale au motif que l'administration n'aurait pas exercé un tel contrôle. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier, en particulier du chapitre 8 du livre II du document d'information remis le 24 avril 2023, que la société Kuehne+Nagel a avisé le CSE des conséquences environnementales de son projet.

Quant à la durée de la procédure d'information et de consultation :

23. Aux termes du II de l'article L. 1233-30 du code du travail : " Le comité social et économique rend ses deux avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de sa première réunion au cours de laquelle il est consulté sur les 1° et 2° du I, à : 1° Deux mois lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent ; / 2° Trois mois lorsque le nombre des licenciements est au moins égal à cent et inférieur à deux cent cinquante ; / (...) En l'absence d'avis du comité social et économique dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté ". Il résulte de ces dispositions que la durée de la procédure d'information-consultation peut être portée à trois mois dans la seule hypothèse où le nombre de licenciements pour motif économique envisagés excède cent.

24. Il ressort des pièces du dossier que le nombre de licenciements pour motif économique envisagés s'élevait à quatre-vingt-quinze lors de l'envoi de l'ordre du jour à la première réunion d'information consultation du CSE central. Si M. C... et autres soutiennent, en se fondant sur le rapport du cabinet 3E consultants, que le nombre de ruptures de contrat de travail pour motif économique serait " au moins égal à 108 ", ils ne l'établissent, en tout état de cause, pas par la seule référence à ce rapport dont les affirmations ne sont, sur ce point, pas étayées dès lors qu'il se borne à postuler, sans en apporter la démonstration, que onze départs contraints ou ruptures conventionnelles " plus qu'équivoques de Châtres 3 " et deux ruptures conventionnelles " de Wissous " intervenues en 2022 et 2023 devraient être ajoutés aux chiffres retenus par l'entreprise. Il ne ressort pas, par ailleurs, des pièces du dossier que le chiffrage initial sur lequel le CSE a été consulté aurait été dépassé. Dans ces conditions, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le délai de consultation afférent à la procédure ayant donné lieu à la signature de l'accord collectif validé par la DRIEETS d'Ile-de-France, a été fixé à deux mois.

Quant à la nécessité de consulter le comité d'entreprise européen :

25. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut de consultation du comité d'entreprise européen par adoption des motifs retenus aux points 26 et 27 du jugement.

Quant à la consultation des comités sociaux et économiques des établissements du Coudray-Montceaux, d'Arcueil, de Rungis et de Lieusaint :

26. Il résulte de l'article L. 1233-5 du code du travail que le CSE doit être consulté en l'absence de critères d'ordre des licenciements fixés par la convention ou l'accord collectif, l'employeur étant alors chargé de les définir, et que le périmètre d'application des critères d'ordre peut être fixé par accord collectif. En l'absence d'accord, ce périmètre d'application des critères est au minimum celui de la zone d'emploi qui est celle d'implantation des établissements concernés par la suppression d'emploi. L'article D 1233-2 du code a défini ces " zones d'emploi " comme étant celles référencées dans l'atlas des zones d'emploi établi par l'Institut national de la statistique et des études économiques et les services statistiques du ministre chargé de l'emploi.

27. Il ressort de la lecture de l'accord validé par l'administration que les parties ont convenu de restreindre le périmètre d'application des critères d'ordre au seul établissement de Châtres 3. En présence d'un accord sur ce périmètre, la référence au périmètre minimum d'application des critères apparaît dépourvue de pertinence. L'accord ayant défini ce périmètre, les développements consistant à critiquer le périmètre minimal qui ne trouve à s'appliquer qu'en l'absence d'accord sont inopérants. Si, par ailleurs, l'article L. 1233-36 du code du travail impose une consultation des comités d'établissement intéressés dès lors que les mesures envisagées excèdent le pouvoir du ou des chefs d'établissement concernés ou portent sur plusieurs établissements simultanément, le fait que les établissements du Coudray-Montceaux, d'Arcueil et de Rungis appartiendraient à la même zone d'emploi que les établissements de Wissous ou de Châtres 3 ne saurait leur conférer la qualité d'" établissements intéressés " au sens de ces dispositions. Au demeurant, l'employeur soutient sans être contredit qu'il n'existe pas de CSE d'établissement sur le site d'Arcueil.

28. Dans ces conditions, et alors que les CSE d'établissement de Châtres 1, Châtres 3, Ferrières-en-Brie et Wissous ont été consultés sur l'opération projetée, le projet de licenciement collectif économique, les conséquences du projet de réorganisation ainsi que, en ce qui concerne le CSE d'établissement de Wissous, sur le projet de fermeture du site et la recherche d'un repreneur et que, d'autre part, l'accord collectif valant plan de sauvegarde de l'emploi signé le 21 juillet 2023 a limité le périmètre des critères d'ordre de licenciement à l'établissement de Châtres 3, les appelants ne peuvent utilement soutenir que les CSE d'établissement du Coudray-Montceaux, d'Arcueil, de Rungis et de Lieusaint auraient dû être consultés au motif qu'ils feraient partie de la même zone d'emploi que les sites de Wissous et de Châtres 3.

Quant à la date du début de la réorganisation opérée par la société Kuehne+Nagel :

29. Il appartient à l'administration, saisie d'une demande de validation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde pour l'emploi, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique a été régulière et que cette procédure a été menée à son terme avant toute mise en œuvre de la réorganisation projetée. Il lui appartient à ce titre de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, seul compétent, qu'aucune décision de cessation d'activité ou de réorganisation de la société, expresse ou révélée par un acte quelconque, n'a été prise par l'employeur avant l'achèvement de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel.

30. Les requérants soutiennent, sans être contredits sur ce point, qu'une vingtaine de salariés a été affectée sur le site de Châtres 3, dans le cadre de la mise en œuvre du transfert sur ce site de la prestation logistique afférente aux produits de la société Cabaia, avant la signature de l'accord collectif, le 21 juillet 2023. Il n'est toutefois pas contesté que ces affectations ont été réalisées postérieurement au 17 juillet 2023, soit après la dernière réunion du CSE et l'achèvement de la procédure d'information consultation engagée le 3 mai précédent. Il ressort également des pièces du dossier qu'à la date de la dernière réunion du CSE central, le transfert de la logistique des produits concernés n'était pas encore effectif. Dès lors, M. C... et autres ne sont pas fondés à soutenir que la régularité de la procédure d'information et de consultation relative au plan de sauvegarde de l'emploi se trouverait affectée par une mise en œuvre anticipée de la réorganisation projetée.

31. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à contester l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique.

En ce qui concerne la validité de l'accord collectif majoritaire :

32. Il résulte des dispositions du code du travail citées au point 2, notamment du 1° de l'article L. 1233-57-2, que des vices affectant, le cas échéant, les conditions de négociation d'un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 1233-24-1 ne sont susceptibles d'entraîner l'illégalité de l'acte validant cet accord que s'ils sont de nature à entacher ce dernier de nullité.

33. Pour contester la validité de l'accord collectif conclu par la société Kuehne+Nagel, les appelants soutiennent qu'il a été obtenu au prix d'un autre accord lui-même illicite pour prévoir, avant licenciement, le versement d'indemnités transactionnelles, de telles manœuvres s'apparentant, selon eux, à des manœuvres dolosives. Il ressort des pièces du dossier que, le 21 juillet 2023, les organisations syndicales CGT, CFTC et CFE-CGC ont signé un accord portant sur le montant de l'indemnité transactionnelle susceptible d'être versée aux salariés licenciés signataires d'un protocole d'accord transactionnel individuel les faisant renoncer à tout recours contre la société Kuehne+Nagel. Il ressort du procès-verbal de la réunion du 12 juillet 2023 que le CSE central a été informé de l'aboutissement des négociations concernant cet accord, en même temps que de celles portant sur l'accord déterminant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, et du fait que les salariés ne seraient pas avisés de la possibilité de conclure une transaction et d'obtenir une telle indemnité avant de se voir notifier leur licenciement. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, en invoquant le caractère selon eux dolosif des négociations au prix desquelles a été conclu l'accord collectif signé le 21 juillet 2023, ils se réfèrent à un vice du consentement entachant l'accord des signataires, et non à une nullité absolue de cet accord. Ainsi que l'a relevé le tribunal, ils ne peuvent, faute d'être parties à cet accord, invoquer un tel vice du consentement. Il n'appartenait pas, par ailleurs, à l'administration de se prononcer sur la validité de l'accord distinct portant sur le montant des indemnités transactionnelles susceptibles d'être versées en cas de licenciement.

34. Il résulte de ce qui précède que les circonstances invoquées par les appelants ne sont pas de nature à entraîner la nullité de l'accord soumis à validation. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de validation attaquée serait, pour ce motif, entachée d'illégalité, doit être écarté.

En ce qui concerne le contrôle du respect, par l'employeur, de son obligation de santé et sécurité :

35. Si les requérants soutiennent, de façon lapidaire, que les mesures de gestion des risques psychosociaux se sont avérées insuffisantes eu égard à la détresse des salariés, il y a lieu d'écarter leur contestation sur ce point par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 39 à 41 du jugement.

En ce qui concerne la motivation de la décision :

36. Il y a lieu d'écarter la contestation, par les appelants, de la motivation de la décision par adoption des motifs retenus par les premiers juges, aux points 42 et 43 du jugement.

37. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 17 janvier 2024 en tant qu'elle avait un effet rétroactif, que la société Kuehne+Nagel est fondée à soutenir que c'est à tort qu'il a annulé la décision du 13 septembre 2023 et que M. C... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté le surplus de leur demande. Les conclusions présentées par ces derniers au titre des frais d'instance ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées pour la société Kuehne+Nagel au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Melun du 12 février 2024 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... C..., premier dénommé pour l'ensemble des appelants en l'application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la société Kuehne+Nagel et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente-rapporteure,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024

La présidente-rapporteure,

A. Menasseyre L'assesseure la plus ancienne,

M.-H...

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA01703 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01703
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Anne MENASSEYRE
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CHAMPION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;24pa01703 ?
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