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11/07/2024 | FRANCE | N°22PA02905

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 11 juillet 2024, 22PA02905


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les trois décisions du 19 août 2019 par lesquelles l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché des produits biocides AQUABAC XT, AQUABAC 200G et AQUABAC DF3000 et d'écarter des débats les extraits du rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur l'équivalence

technique.



Par un jugement n° 1926430 du 15 avril 2022, le tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sumitomo Chemical Agro Europe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les trois décisions du 19 août 2019 par lesquelles l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché des produits biocides AQUABAC XT, AQUABAC 200G et AQUABAC DF3000 et d'écarter des débats les extraits du rapport de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur l'équivalence technique.

Par un jugement n° 1926430 du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 22 juin et 4 août 2022, les 28 juin et 3 octobre 2023 et le 8 mars 2024, la société Sumitomo Chemical Agro Europe, représentée par Me Lantrès, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1926430 du 15 avril 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les trois décisions du 19 août 2019 par lesquelles l'ANSES a autorisé la mise sur le marché des produits biocides AQUABAC XT, AQUABAC 200G et AQUABAC DF3000 ;

3°) de mettre à la charge de l'ANSES le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société requérante soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs, relatives à la date de dépôt des demandes, à la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée et à la compétence de l'ANSES pour approuver l'équivalence technique entre deux substances ;

- ce jugement est entaché d'erreur de droit en ne prenant pas en compte la disparition rétroactive des autorisations de mise sur le marché délivrées le 30 août 2016 et en considérant que l'ANSES pouvait reprendre l'instruction des dossiers de demande correspondant à ces autorisations ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation en constatant l'équivalence technique entre les substances Bti BMP 144 et Bti AM65-62, en raison de l'impossibilité de se fonder sur le rapport de l'INRA et du caractère non pertinent du procès-verbal du comité d'experts de l'ANSES du 9 juillet 2015.

Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 31 août et 13 octobre 2023, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), représentée par Me Flocco, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la société requérante, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la requête est irrecevable, en raison de sa tardiveté. En outre, elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.

Par un mémoire en défense, un mémoire et des pièces, enregistrés les 4 septembre et 16 octobre 2023 ainsi que le 1er février 2024, la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (Cera), représentée par la SELARL Drai Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la société requérante, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la société requérante s'est désistée d'office, en application de l'article R. 612-5 du code de justice administrative, dès lors qu'elle n'a pas produit son mémoire complémentaire dans le délai de la mise en demeure qui lui avait été adressée. En outre, la requête est irrecevable, en raison de sa tardiveté. Enfin, aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2023, la société CERA, représentée par la SELARL Drai Associés verse au dossier le rapport de l'INRA du 28 novembre 2014 et demande que ce document ne soit pas soumis au principe du contradictoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides ;

- la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jasmin-Sverdlin,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Lantrès et de Me Koem Van Maldegem, avocats, pour la société Sumitomo Chemical Agro europe,

- les observations de Me Flocco, avocat, pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail,

- et les observations de Me Girard de la SELARL Drai Associés, avocat, pour la société CERA.

Vu la note en délibéré présentée pour la société Sumitomo Chemical Agro Europe, enregistrée le 2 juillet 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par trois décisions en date du 19 août 2019, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a délivré à la société Compagnie européenne de réalisations antiparasitaires (Cera) des autorisations de mise sur le marché pour trois produits biocides destinés à lutter contre les moustiques, dénommés AQUABAC XT, AQUABAC DF3000 et AQUABAC 200G. La société Sumitomo Chemical Agro Europe, qui commercialise un produit destiné à lutter contre les moustiques dénommé Vectobac, relève appel du jugement n° 1926430 du 15 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des trois décisions du 19 août 2019 de l'ANSES.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, si la société Sumitomo Chemical Agro Europe soutient que le principe du contradictoire a été méconnu, dès lors que l'évaluation faite par l'ANSES concernant l'équivalence technique entre deux souches de Bacillus thuringiensis var israeliensis : Bti BMP144 et Bti AM65-62 se fonde sur un rapport de l'INRA du 28 novembre 2014 dont seules les pages 1 (introduction) et 17 (conclusion) lui ont été communiquées, il ressort des pièces du dossier que le tribunal a communiqué à la société requérante l'ensemble des pièces dont il a été saisi. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.

3. En second lieu, si la société Sumitomo Chemical Agro Europe soutient que le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu'il est entaché d'erreurs de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, de telles critiques relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Par suite, ces moyens seront écartés.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la compétence de l'ANSES pour procéder à l'évaluation des substances :

4. Aux termes de l'article 13 de la directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides : " Coopération pour l'utilisation des informations concernant la deuxième demande et les demandes ultérieures d'autorisation / 1. Dans le cas d'un produit biocide déjà autorisé en vertu des articles 3 et 5 et sans préjudice des obligations imposées par l'article 12, l'autorité compétente peut accepter qu'un deuxième demandeur ou qu'un demandeur ultérieur d'une autorisation se réfère aux informations fournies par le premier demandeur dans la mesure où le deuxième demandeur ou le demandeur ultérieur peut démontrer que le produit biocide est similaire et que ses substances actives sont identiques à celles du produit qui a été antérieurement autorisé, y compris le degré de pureté et la nature des impuretés. ". Aux termes de l'article 54 du règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides : " Lorsqu'il est nécessaire d'établir l'équivalence technique de substances actives, la personne cherchant à établir cette équivalence (ci-après dénommée " demandeur") présente une demande à l'Agence et paie les redevances applicables, conformément à l'article 80, paragraphe 1. ". Aux termes de l'article 91 du même règlement : " Mesures transitoires concernant les demandes d'autorisation d'un produit biocide présentées en vertu de la directive 98/8/CE / Les demandes d'autorisation de produits biocides soumises aux fins de la directive 98/8/CE dont l'évaluation n'est pas terminée au 1er septembre 2013 sont évaluées par les autorités compétentes conformément aux dispositions de ladite directive. / ". Il résulte des dispositions de ce dernier article, éclairées par le point 67 du préambule du règlement, que les dispositions transitoires s'appliquent aux demandes soumises avant le 1er septembre 2013.

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment des copies d'écran du site de l'European Chemicals Agency (ECHA) et du courriel des services de la Commission européenne (DG Health and Food Safety, Unit E.4, Pesticides and Biocides), que les demandes d'autorisation pour les trois produits biocides concernés ont été soumises aux autorités européennes par la société CERA le 30 août 2013, et non le 6 septembre suivant, date à laquelle ces demandes ont été déposées au ministère chargé de l'écologie.

6. D'autre part, la société requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée par le Conseil d'Etat dans sa décision nos 459834, 459865 du 5 avril 2023, dès lors que l'objet, la cause et les parties ne sont pas identiques à ceux du présent litige.

7. Par suite, les demandes d'autorisation ayant été soumises avant le 1er septembre 2013 et, nonobstant la circonstance que le dossier n'a été complet que le 22 juillet 2016, l'évaluation des demandes n'étant pas terminée à cette date, l'ANSES était compétente, conformément aux dispositions précitées de la directive du 16 février 1998, pour se prononcer sur l'équivalence technique des deux substances, ce qu'elle a fait dans les conclusions de son évaluation révisée du 12 août 2019.

En ce qui concerne la procédure d'instruction des demandes d'autorisation :

8. D'une part, la circonstance que les autorisations de mise sur le marché délivrées le 30 juin 2016 ont été annulées par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 7 février 2019, qui n'implique pas que de nouvelles demandes d'autorisation soient présentées, est sans incidence sur la possibilité pour l'ANSES de reprendre l'instruction des dossiers déposés initialement le 30 août 2013.

9. D'autre part, aucun délai n'étant prévu pour l'instruction des demandes d'autorisation de mise sur le marché, la société Sumitomo Chemical Agro Europe n'est pas fondée à soutenir que les demandes présentées le 30 août 2013 étaient prescrites.

En ce qui concerne l'équivalence technique entre les substances Bti BMP 144 et Bti AM65-52 :

10. D'une part, si la société Sumitomo Chemical Agro Europe soutient que les substances Bti BMP 144 et Bti AM65-52 ne sont pas équivalentes, il ressort des pièces du dossier, notamment de la conclusion du rapport de l'INRA du 28 novembre 2014, qui lui a été communiquée, ainsi que des avis de deux membres du comité d'experts spécialisés de l'ANSES, que ces substances ont été reconnues comme techniquement équivalentes, alors, au demeurant, que les éléments produits par la société requérante ne sont pas de nature à remettre en cause cette reconnaissance.

11. D'autre part si, la société Sumitomo Chemical Agro Europe soutient que la méthode d'évaluation retenue par l'INRA dans le cadre de l'élaboration de son rapport du 28 novembre 2014 n'est pas fiable, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations, alors que l'expression " experimental error " correspond à la marge d'erreur admise au regard de la précision des mesures et non à une erreur commise dans la mise en œuvre du protocole expérimental.

12. Enfin, la société requérante produit une étude britannique du 23 décembre 2015 concluant à l'absence d'équivalence technique entre les deux souches en cause après avoir relevé des différences de séquençages et donc une fréquence de mutation plus importante par rapport à la source initiale. Toutefois, cette étude, qui confirme la marge d'erreur expérimentale mentionnée au point précédent, quelle que soit la méthode de séquençages, alors que le rapport de l'INRA relève également une fréquence de mutation plus importante mais la considère comme non significative, ne permet pas de considérer que les substances Bti BMP 144 et Bti AM65-52 ne sont pas équivalentes.

13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'ANSES aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'équivalence technique entre les substances Bti BMP 144 et Bti AM65-52 avait été démontrée de manière suffisamment fiable.

14. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de désistement d'office et les fins de non-recevoir soulevées en défense et de se fonder sur le rapport de l'INRA du 28 novembre 2014, la société Sumitomo Chemical Agro Europe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête à fin d'annulation des décisions de l'ANSES du 19 août 2019.

Sur les frais de l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ANSES, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Sumitomo Chemical Agro Europe à ce titre.

16. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Sumitomo Chemical Agro Europe le versement à l'ANSES et à la société Cera de la somme de 5 000 euros à chacune sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Sumitomo Chemical Agro Europe est rejetée.

Article 2 : La société Sumitomo Chemical Agro Europe versera à l'ANSES la somme de 5 000 euros et la même somme de 5 000 euros à la société Cera, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sumitomo Chemical Agro Europe, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et à la société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2024.

La rapporteure, Le président,

I. JASMIN-SVERDLIN J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02905


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02905
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Irène JASMIN-SVERDLIN
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : CABINET FIELDFISHER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;22pa02905 ?
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