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05/07/2024 | FRANCE | N°23PA05059

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 05 juillet 2024, 23PA05059


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 6 mai 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.



Par un jugement n° 2210690 du 25 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision attaquée et enjoint à l'OFPRA de reconnaître à M. A... le statut d'apatride.




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Par une requête enregistrée le 7 décembre 2023, l'Office français de prote...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 6 mai 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.

Par un jugement n° 2210690 du 25 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision attaquée et enjoint à l'OFPRA de reconnaître à M. A... le statut d'apatride.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2023, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), représenté par Me Laymond, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 25 octobre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. A....

Il soutient que :

- le jugement contesté est entaché d'irrégularité en l'absence de conclusions du rapporteur public, le litige ne relevant pas des cas de dispense énumérés à l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative ;

- les juges de première instance ont entaché leur jugement d'erreurs de droit et d'appréciation et d'une dénaturation des pièces du dossier ;

- le jugement contesté est entaché d'une contradiction de motifs et d'une omission à statuer ;

- c'est à tort que les juges de première instance ont retenu que M. A... ne pouvait se prévaloir de la nationalité azerbaïdjanaise ; le jugement supplétif du tribunal de grande instance de Bobigny du 28 mai 2019 ne pouvait à lui seul constituer la preuve de son apatridie et l'intéressé n'a pas entrepris de démarches suffisantes répétées et appropriées auprès des autorités azerbaïdjanaises pour obtenir la nationalité de ce pays.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2024, M. B... A..., représenté par Me Griolet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'OFPRA la somme de 1 500 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par l'OFPRA ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;

- la loi sur la citoyenneté de la République d'Azerbaïdjan du 30 septembre 1998 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Griolet, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui avait sollicité la reconnaissance de la qualité d'apatride en 2016 sans obtenir satisfaction, a réitéré sa demande en 2019. Par une décision du 6 mai 2021, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande. Par un jugement du 25 octobre 2023, dont l'OFPRA relève régulièrement appel, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et enjoint à l'office de reconnaître à M. A... le statut d'apatride. Par la présente requête, l'OFPRA doit être regardé comme demandant l'annulation des articles 1er et 2 de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 732-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable au jugement attaqué : " Dans des matières énumérées par décret en Conseil d'Etat, le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger ". L'article R. 732-1-1 du même code précise que : " Sans préjudice de l'application des dispositions spécifiques à certains contentieux prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : / 1° Permis de conduire ; / 2° Refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ; / 3° Naturalisation ; / 4° Entrée, séjour et éloignement des étrangers, à l'exception des expulsions ; / 5° Taxe d'habitation et taxe foncière sur les propriétés bâties afférentes aux locaux d'habitation et à usage professionnel au sens de l'article 1496 du code général des impôts ainsi que contribution à l'audiovisuel public ; / 6° Prestation, allocation ou droit attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi ".

3. Il résulte des dispositions précitées que les recours dirigés contre les décisions prises par le directeur général de l'OFPRA sur les demandes de reconnaissance de la qualité d'apatride, qui ne sont pas régis par des dispositions spécifiques prévoyant que l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public, ne relèvent d'aucun des contentieux susceptibles de donner lieu à dispense de conclusions du rapporteur public. Par suite, le jugement attaqué, dont les visas indiquent que la rapporteure publique, sur sa proposition, a été dispensée par la présidente de la formation de jugement de présenter des conclusions au cours de l'audience publique, est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et doit être annulé pour ce motif, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens d'irrégularité soulevés par l'OFPRA. Il y a lieu en conséquence de statuer par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal.

Sur la légalité de la décision du 6 mai 2021 :

4. Aux termes du paragraphe 1er de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 : " Aux fins de la présente Convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation (...) ". Aux termes de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article L. 582-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article L. 582-2 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides reconnaît la qualité d'apatride aux personnes remplissant les conditions mentionnées à l'article L. 582-1, au terme d'une procédure définie par décret en Conseil d'Etat ". La reconnaissance de la qualité d'apatride implique d'établir que l'Etat susceptible de regarder une personne comme son ressortissant par application de sa législation ne la considère pas comme tel.

5. Pour rejeter la demande d'apatridie présentée par M. A..., l'OFPRA a relevé qu'en dépit de la production d'un acte d'état civil délivré sur le fondement d'un jugement supplétif du tribunal de grande instance de Bobigny rendu le 28 mai 2019, l'identité de M. A..., qui n'était pas recensée par les autorités azerbaïdjanaises selon les informations obtenues auprès de l'Ambassade de France à Bakou, n'était pas formellement établie. L'office a ainsi retenu que l'intéressé devait être considéré comme se présentant sous une fausse identité et a remis en cause la pertinence de ses démarches en vue d'obtenir la nationalité azerbaïdjanaise devant les autorités de ce pays, dès lors qu'elles avaient été entreprises sous une identité fallacieuse. L'office a relevé au surplus qu'à supposer que l'intéressé rapporte la preuve de son identité et de son état civil, il serait fondé à se prévaloir de la nationalité azerbaïdjanaise en application de l'article 5 de la loi sur la nationalité de la République d'Azerbaïdjan.

6. En premier lieu, M. A... a produit à l'instance un jugement supplétif d'acte de naissance du tribunal de grande instance de Bobigny du 28 mai 2019, mentionnant ses dates et lieu de naissance ainsi que sa filiation. En l'absence de tout élément contraire, l'OFPRA n'a pu légalement remettre en cause, par de simples suspicions de fraudes qui ne sont aucunement étayées, les informations relatives à son état civil telles qu'elles ont ainsi été reconnues.

7. En second lieu, M. A... qui, aux termes du jugement supplétif prononcé le

28 mai 2019, est né le 20 février 1960 à Bakou, dans l'ancienne République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan, alors membre de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), soutient y avoir vécu jusqu'en 2004, soit après l'indépendance de la République d'Azerbaïdjan, proclamée en 1991. Il entrait ainsi dans le champ d'application de l'article 5 de la loi azerbaïdjanaise du 30 septembre 1998 sur la citoyenneté, relatif soit aux personnes possédant la citoyenneté de la république d'Azerbaïdjan le jour de l'entrée en vigueur de cette loi, sous réserve d'enregistrement de la personne à son lieu de résidence au plus tard à cette date (article 5,1), soit aux personnes ayant leur lieu de résidence dans la République d'Azerbaïdjan avant le 1er janvier 1992 si elles en font la demande dans l'année suivant l'entrée en vigueur de la loi (article 5,2). L'intéressé n'invoque aucun élément permettant de considérer que ces dispositions ne lui étaient pas applicables. A ce titre, s'il fait valoir qu'il s'est abstenu de toute démarche en vue d'obtenir son enregistrement en Azerbaïdjan, préalable indispensable à la reconnaissance de sa citoyenneté, il n'apporte aucune explication pertinente susceptible de justifier cette abstention en se bornant à soutenir qu'il disposait d'un passeport soviétique et ne considérait pas utile de disposer d'autres pièces d'identité dans les actes de la vie courante. S'il ressort des pièces du dossier que M. A... a sollicité sans succès et à plusieurs reprises depuis 2017 la délivrance d'un acte d'état civil, pièce nécessaire à ses démarches de reconnaissance de la citoyenneté azerbaïdjanaise en application de l'article 6 de la loi du 30 septembre 1998, il ne justifie pas avoir présenté une demande en ce sens ou même tenté de le faire. En particulier, le courrier d'information qui lui a été adressé par l'office national de migration azerbaïdjanais le

16 janvier 2017 ne permet pas de considérer qu'il aurait engagé une procédure visant à obtenir la citoyenneté azerbaïdjanaise ni que les autorités de la République d'Azerbaïdjan auraient formellement refusé de lui reconnaître cette nationalité. Par suite, M. A... ne justifie pas, à la date de la décision attaquée, avoir engagé en vain des démarches répétées et assidues auprès de la République d'Azerbaïdjan pour se voir reconnaître la nationalité de ce pays ou s'être vu opposer un refus par les autorités azerbaïdjanaises après examen de sa demande. Dans ces conditions et alors même qu'il n'y a pas trace dans les registres de l'état civil azerbaïdjanais de son acte de naissance, M. A... n'établit pas entrer dans le champ d'application des stipulations précitées de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'OFPRA est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté, le tribunal administratif de Montreuil a annulé sa décision du

6 mai 2021. Il y a lieu en conséquence d'annuler ce jugement et de rejeter les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction de la demande de M. A... auxquelles il a été fait droit en première instance. Par suite, ses conclusions présentées au titre des frais liés à l'instance doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er: Les articles 1er et 2 du jugement n° 2210690 du tribunal administratif de Montreuil du 25 octobre 2023 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil est rejetée.

Article 3: Les conclusions de M. A... présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4: Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 5 juillet 2024.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA05059


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05059
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : GRIOLET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;23pa05059 ?
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