Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation.
Par un jugement n° 2100105 du 21 avril 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin 2023 et 22 septembre 2023, Mme B..., représentée par Me Achour, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 21 avril 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les juges de première instance ont entaché leur jugement d'erreurs de droit et de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation en retenant que la sanction prononcée était suffisamment motivée ;
- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente ;
- il a été pris en méconnaissance des droits de la défense ;
- la sanction de révocation prise à son encontre est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de la fonction publique ;
- la loi n° 83 634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 95 654 du 9 mai 1995 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., gardien de la paix, a obtenu la qualification d'officier de police judiciaire en 2014 et a été promue au grade de brigadier à compter du 1er juillet 2015. Affectée à la circonscription de sécurité publique du Raincy depuis 2007, le 4 juin 2015, elle a fait l'objet d'un rappel à la loi pour avoir, entre le 23 mars 2014 et le 7 octobre 2014, affiché sur son compte Facebook des propos relevant de l'apologie du crime et de la provocation publique à la discrimination, à la haine raciale ou à la violence envers des Etats et un groupe de personnes à raison de son origine ou de son appartenance ou non appartenance à une ethnie, nation, race, religion déterminée. A la suite d'une enquête administrative conduite par l'inspection générale de la police nationale portant sur les mêmes griefs, elle a été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire par une décision du 16 novembre 2019. Par un arrêté du 26 octobre 2020, le ministre de l'intérieur l'a révoquée de ses fonctions à titre disciplinaire, sanction conforme à l'avis rendu par le conseil de discipline réuni le 5 février 2020. Par la présente requête, Mme B... relève régulièrement appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement contesté :
2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, Mme B... ne peut utilement soutenir que les juges de première instance auraient entaché leur jugement d'erreurs de droit et de fait ou d'erreur manifeste d'appréciation en retenant que la sanction prononcée était suffisamment motivée, alors au demeurant et en tout état de cause, que ce moyen n'avait pas été soulevé devant eux.
Sur le bien-fondé de la sanction prononcée :
3. En premier lieu, si Mme B... soutient que l'arrêté attaqué a été signé par une autorité dont la compétence n'est pas établie, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs énoncés au point 3 du jugement contesté et non critiqués par de nouveaux arguments.
4. En deuxième lieu, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose que l'agent faisant l'objet d'une procédure disciplinaire soit informé de la sanction susceptible d'être prononcée à son encontre. Par suite, le moyen tiré de ce que Mme B... n'aurait pas été en mesure de préparer utilement sa défense au regard de la sanction de révocation prononcée, ne peut qu'être écarté.
5. En dernier lieu, d'une part, aux termes de de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors en vigueur et désormais codifié à l'article L. 533-1 du code de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors en vigueur : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / (...) / Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 434-11 du code de la sécurité intérieure : " Le policier (...) accomplissent leurs missions en toute impartialité. / Ils accordent la même attention et le même respect à toute personne et n'établissent aucune distinction dans leurs actes et leurs propos de nature à constituer l'une des discriminations énoncées à l'article 225-1 du code pénal. ". L'article R 434-12 du même code dispose : " Le policier (...) ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation ". L'article R. 434-14 de ce même code dispose : " Le policier (...) est au service de la population. / (...) Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d'une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération ". Aux termes de l'article R. 434-27 de ce code : " Tout manquement du policier ou du gendarme aux règles et principes définis par le présent code de déontologie l'expose à une sanction disciplinaire en application des règles propres à son statut, indépendamment des sanctions pénales encourues le cas échéant ". L'article R. 434-29 de ce même code dispose : " Le policier est tenu à l'obligation de neutralité.
/ Il s'abstient, dans l'exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. / Lorsqu'il n'est pas en service, il s'exprime librement dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l'égard des institutions de la République. ". Enfin, aux termes de l'article 29 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " Le fonctionnaire actif des services de la police nationale doit, en tout temps, qu'il soit ou non en service, s'abstenir en public de tout acte ou propos de nature à porter la déconsidération sur le corps auquel il appartient ou à troubler l'ordre public ".
7. Mme B... soutient que la sanction de révocation est disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés dont elle ne conteste pas la matérialité. Pour prononcer la sanction de révocation attaquée, le ministre de l'intérieur a retenu que Mme B... avait, entre les mois de mars et octobre 2014, posté sur son compte personnel Facebook en accès public sans paramétrage restrictif et alors qu'elle avait révélé sa profession de policier, des commentaires ouvertement haineux et vindicatifs à caractère discriminatoire, revendiquant avec véhémence ses convictions religieuses islamiques, ainsi que son hostilité à la politique gouvernementale française et à celle d'autres pays partenaires comme Israël et les Etats-Unis, ainsi qu'à leurs ressortissants, en usant d'une sémantique communautariste, religieuse et radicale et en tenant des propos subversifs et outranciers. Il est également reproché à Mme B... d'avoir fait l'éloge de l'organisation armée du Hamas dans sa lutte au côté du peuple palestinien présenté comme victime d'un " génocide " sioniste et partagé des publications appelant à participer à une manifestation en faveur de la Palestine organisée le 26 juillet 2014, officiellement interdite par la préfecture de police. Il résulte des dispositions citées au point 6 du présent arrêt qu'un policier ne doit se départir de sa dignité en aucune circonstance et à aucun moment, que ce soit en service ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, et doit s'abstenir de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale. Les publications et propos tenus par Mme B... sur le réseau social Facebook où ses fonctions étaient clairement affichées constituent ainsi des manquements caractérisés de l'intéressée à ses obligations statutaires et déontologiques, en particulier aux devoirs de réserve, d'exemplarité, de dignité, de neutralité et d'obéissance qui s'imposent à tout fonctionnaire de police et ont porté une atteinte grave à l'image du service public de la police nationale. Compte tenu de la gravité des manquements commis par Mme B... par l'expression d'idéologies diffusées sans restriction sur les réseaux sociaux pendant plusieurs mois et par nature incompatibles avec la qualité de fonctionnaire de police, le ministre de l'intérieur n'a pas entaché l'arrêté attaqué d'une erreur d'appréciation en lui infligeant la sanction disciplinaire de révocation. A ce titre, ni l'appréciation de ses états de service, ni la qualité de ses relations professionnelles ou l'existence de difficultés personnelles dont il n'est pas établi qu'elles auraient pu altérer son discernement, ni les circonstances qu'elle a bloqué l'accès à son compte Facebook après avoir été entendue dans le cadre de l'enquête judiciaire et qu'elle se serait abstenue par la suite de prendre parti dans le conflit du Moyen-Orient, ne sont de nature à atténuer sa responsabilité. Enfin, la circonstance que les faits qui lui sont reprochés n'auraient donné lieu qu'à un rappel à la loi, n'est pas davantage susceptible de remettre en cause l'incompatibilité de ses manquements avec les fonctions exercées. Le moyen tiré de la disproportion de la sanction prononcée doit ainsi être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 26 octobre 2020. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant aux frais liés à l'instance.
D E C I D E :
Article 1er: La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 5 juillet 2024.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02767