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05/07/2024 | FRANCE | N°23PA01537

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 05 juillet 2024, 23PA01537


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 décembre 2020 par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande de certificat d'exportation portant sur deux sculptures de la Renaissance représentant des figures féminines aux bras croisés, attribuées à Germain Pilon et ayant orné le tombeau de Jean de Morvillier.



Par un jugement n° 2101857 du 17 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa d

emande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire en réplique, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 décembre 2020 par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande de certificat d'exportation portant sur deux sculptures de la Renaissance représentant des figures féminines aux bras croisés, attribuées à Germain Pilon et ayant orné le tombeau de Jean de Morvillier.

Par un jugement n° 2101857 du 17 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 avril et 15 novembre 2023, M. C..., représenté par la SCP UGGC Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 février 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 4 décembre 2020 par laquelle la ministre de la culture a rejeté sa demande de certificat d'exportation portant sur deux sculptures ayant orné le tombeau de Jean de Morvillier ;

3°) d'enjoindre au ministre de la culture, à titre principal, de lui délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, l'attestation prévue par l'article L. 232-3 du code des relations entre le public et l'administration portant sur l'obtention implicite du certificat d'exportation sollicité, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de certificat d'exportation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a méconnu son office ainsi que le principe du contradictoire en relevant d'office et sans en informer les parties un moyen tiré de ce que la décision en litige devait être regardée comme une décision d'abrogation prise sur le fondement de l'article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision contestée du 4 décembre 2020 est illégale en ce qu'elle constitue une décision de retrait d'une décision créatrice de droits, intervenue au-delà du délai de quatre mois prévu par l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la dérogation prévue par l'article L. 242-2 de ce code n'est pas applicable ;

- subsidiairement, les conditions d'une abrogation sur le fondement de l'article L. 242-2 de ce code ne sont pas remplies ;

- la décision contestée aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire ;

- les sculptures en litige n'appartiennent pas au domaine public, faute d'avoir présenté un intérêt public au moment de leur acquisition.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2023, la ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire prévue par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, relevant d'une cause juridique distincte de celle dont relevaient les moyens de première instance, est irrecevable.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code du patrimoine ;

- le décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 ;

- le décret de l'Assemblée constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Hansen, représentant de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Me Rouillac, en qualité de mandataire de M. C..., a sollicité, par une demande reçue le 23 septembre 2019, la délivrance d'un certificat d'exportation de deux sculptures de la Renaissance représentant des figures féminines aux bras croisés, attribuées à Germain Pilon et ayant orné le tombeau de Jean de Morvillier (1506-1577), évêque d'Orléans. Par une décision du 4 décembre 2020, la ministre de la culture a rejeté sa demande. M. C... relève appel du jugement du 17 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. Il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions. Saisi, en l'espèce, du moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaissait les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration au motif qu'elle était intervenue au-delà du délai de quatre mois prévu par cet article, le tribunal l'a regardée comme une décision d'abrogation d'une décision créatrice de droit intervenue en application du 1° de l'article L. 242-2 de ce code. En statuant ainsi, il n'a pas relevé d'office un moyen qu'il aurait été tenu de communiquer aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. Par suite, les moyens tirés de ce qu'il aurait méconnu son office ainsi que le principe du contradictoire doivent être écartés.

Sur la légalité de la décision contestée :

3. D'une part, le décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 prévoit que " tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation (...) ". Aux termes de l'article 8 du décret de l'Assemblée constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 relatif aux domaines nationaux, aux échanges et concessions et aux apanages : " Les domaines nationaux et les droits qui en dépendent, sont et demeurent inaliénables sans le consentement et le concours de la nation ; mais ils peuvent être vendus et aliénés à titre perpétuel et incommutable, en vertu d'un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi, en observant les formalités prescrites pour la validité de ces sortes d'aliénations ". Aux termes de l'article 36 du même décret : " La prescription aura lieu à l'avenir pour les domaines nationaux dont l'aliénation est permise par les décrets de l'assemblée nationale, et tous les détenteurs d'une portion quelconque desdits domaines, qui justifieront en avoir joui par eux-mêmes ou par leurs auteurs, à titres de propriétaires, publiquement et sans trouble, pendant quarante ans continuels à compter du jour de la publication du présent décret, seront à l'abri de toute recherche ".

4. Il résulte de ces dispositions que si en mettant fin à la règle d'inaliénabilité du " domaine national ", le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 a rendu possible, pendant qu'il était en vigueur, l'acquisition par prescription des biens relevant de ce domaine, cette possibilité n'a été ouverte que pour les biens dont " un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi " avait préalablement autorisé l'aliénation.

5. Il ressort des pièces du dossier que les deux statues en litige ornaient le tombeau de Jean de Morvillier au sein du couvent des cordeliers de Blois. A ce titre, par effet du décret du 2 novembre 1789, elles ont intégré le domaine national. En l'absence d'un décret formel du corps législatif autorisant expressément leur aliénation, elles n'ont pas cessé d'appartenir au domaine national, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elles auraient été acquises par M. D... B... en 1793. Elles ont ensuite, faute de déclassement, fait partie du domaine public, et étaient à ce titre inaliénables et imprescriptibles. Enfin, l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques n'ayant pas eu, par elle-même, pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public, M. C... ne peut utilement soutenir que les sculptures en litige ne présenteraient pas un intérêt public au sens de l'article L. 2112-1 de ce code.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-1 du code du patrimoine : " Sont des trésors nationaux : (...) / 4° Les autres biens faisant partie du domaine public mobilier, au sens de l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, à l'exception de celles des archives publiques mentionnées au 2° du même article L. 2112-1 qui ne sont pas issues de la sélection prévue aux articles L. 212-2 et L. 212-3 du présent code (...) ". Aux termes de l'article L. 111-2 du même code : " L'exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels, autres que les trésors nationaux, qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique et entrent dans l'une des catégories définies par décret en Conseil d'Etat est subordonnée à l'obtention d'un certificat délivré par l'autorité administrative. / Ce certificat atteste à titre permanent que le bien n'a pas le caractère de trésor national (...) ". Aux termes de l'article L. 111-3-1 de ce même code : " L'instruction de la demande de certificat peut être suspendue s'il existe des présomptions graves et concordantes que le bien appartient au domaine public, a été illicitement importé, constitue une contrefaçon ou provient d'un autre crime ou délit. L'autorité administrative informe le demandeur, par une décision motivée, de la suspension de l'instruction et lui demande de justifier du déclassement du domaine public, de l'authenticité du bien ou de la licéité de sa provenance ou de son importation. / Si la preuve n'est pas rapportée par le demandeur dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d'Etat, la demande est déclarée irrecevable. (...) ".

7. En outre, aux termes de l'article R. 111-6 du code du patrimoine : " Le ministre chargé de la culture délivre ou refuse le certificat dans un délai de quatre mois à compter de la réception de la demande accompagnée de tous les renseignements et pièces justificatives (...) ". Aux termes de l'article R. 111-7 du même code, dans sa rédaction applicable à la décision attaquée : " Le délai mentionné à l'article R. 111-6 est suspendu dans les cas suivants : / 1° Lorsque, en application de l'article L. 111-3-1, le ministre chargé de la culture demande la preuve : / a) Du déclassement du bien du domaine public (...) / Le demandeur dispose d'un délai de quatre mois pour produire les éléments de preuve. Ce délai court depuis la date d'envoi au demandeur de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du ministre sollicitant des éléments de preuve. / A défaut de réception de ces éléments dans ce délai, la demande est rejetée. (...) ". Aux termes du I de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période : " Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus ". Aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : " Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 10 janvier 2020, reçu par le mandataire de M. C... le 14 janvier suivant, le ministre de la culture a rappelé la provenance des statues pour lesquelles un certificat d'exportation était demandé, l'appartenance de l'église des cordeliers au domaine national, et l'absence de preuve de leur déclassement. Il a ainsi fait état de présomptions graves et concordantes de l'appartenance de ces statues au domaine public, ce qui lui permettait, sur le fondement de l'article L. 111-3-1 du code du patrimoine, de demander au mandataire de M. C..., ainsi qu'il l'a fait, la preuve de cette non-appartenance. En vertu des dispositions combinées des articles L. 111-3-1 et R. 111-7 du code du patrimoine, celui-ci avait quatre mois pour apporter cette preuve. Ce délai a été prorogé de deux mois à compter du 23 juin 2020, en application des articles 1er et 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020, et courait ainsi jusqu'au 23 août 2020 inclus. Si le mandataire de M. C... a répondu au ministre de la culture dès le 27 janvier 2020, il a seulement fait état de ce que le tombeau de Jean de Morvillier avait été démantelé dès 1793 et, en tout état de cause, avant 1795. Or il résulte de ce qui a été exposé au point 5 que cette circonstance était sans incidence sur l'appartenance des statues au domaine national, puis au domaine public. Ainsi, M. C... n'avait pas apporté la preuve du déclassement des biens du domaine public à la date du 23 août 2020, de sorte que sa demande ne pouvait qu'être rejetée comme irrecevable. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient M. C..., aucune délivrance tacite du certificat d'exportation demandé n'a pu intervenir en application des dispositions combinées des articles L. 231-1 et L. 231-6 du code des relations entre le public et l'administration et L. 111-2 et R. 111-6 du code du patrimoine.

9. La demande présentée pour M. C... n'ayant fait naître aucune décision créatrice de droits, M. C... ne peut utilement invoquer les dispositions des articles L. 242-1, L. 242-2 et L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également, par voie de conséquence, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la ministre de la culture.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Bruston, présidente-assesseure,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne à la ministre de la culture, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA01537


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01537
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SCP UGGC ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;23pa01537 ?
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