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05/07/2024 | FRANCE | N°22PA05022

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 05 juillet 2024, 22PA05022


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil :



1°) de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le f

ondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 19...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil :

1°) de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1910142 du 29 août 2022, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge, d'une part, des intérêts de retard assortissant la rectification procédant de la réintégration, aux résultats des exercices clos en 2012 et 2013, des montants correspondant à la " part amont " de la provision de " dernier cœur " et, d'autre part, des suppléments d'impôts mis à sa charge en conséquence de la réintégration à ses résultats des mêmes exercices de la fraction de la provision gestion du combustible usé couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés (article 1er), et a rejeté le surplus des conclusions de la demande (article 2).

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 novembre 2022 et 3 juillet 2023, la SA EDF, représentée par Me Deysine, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 1910142 du 29 août 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013 et restant à sa charge et, à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des intérêts de retard afférents aux provisions pour gestion du combustible usé dans le cadre des appels principal et incident ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

A titre principal,

- s'agissant des éléments non refacturés pour les salariés mis à disposition de la caisse centrale d'activités sociales (CCAS) :

- en sa qualité de membre de la branche des industries électriques et gazières (IEG), elle est légalement tenue de verser à la CCAS, une contribution obligatoire qui, au titre des exercices vérifiés, était égale à 1% de son chiffre d'affaires ;

- conformément à l'article 25 du statut du personnel des IEG, elle est également tenue de mettre à disposition de la CCAS une partie de son personnel pour en assurer le fonctionnement ; l'absence de refacturation de certains éléments salariaux du personnel mis à disposition constitue depuis les années 1960 un usage contraignant, qui a la valeur d'un acquis social dont la remise en cause contribuerait à dégrader le climat social au sein de l'entreprise et rejaillirait négativement sur l'ensemble des négociations à mener avec les syndicats du personnel ; cette absence de refacturation s'assimile à un usage de la profession qui, conformément à la jurisprudence, justifierait sa normalité ;

- l'absence de refacturation partielle revient à préserver le budget de la CCAS qui était dans une situation financière dégradée au titre de l'année 2009 et qui agit dans l'intérêt de ses salariés, lesquels représentent une part prépondérante des effectifs bénéficiant des prestations de la CCAS et donc dans son intérêt même ;

- l'absence de refacturation partielle est nécessaire pour tenter de limiter l'impact négatif sur le renom et l'image d'EDF auquel la CCAS, dont la situation financière est dégradée, est intimement associée dans l'opinion publique ;

- en agissant dans l'intérêt de ses salariés et donc dans son propre intérêt, elle a retiré une contrepartie proportionnée de l'absence de refacturation d'une partie de ses coûts salariaux à la CCAS, dont les missions s'inscrivent dans celles habituellement dévolues aux comités d'entreprise ; le montant de cette contribution complémentaire n'est pas anormal dès lors qu'il ne représente que 0,94% de sa contribution obligatoire ;

- l'absence de refacturation à la CCAS et les diverses contreparties qu'elle en a retirées peuvent être regardées comme un arrangement global ;

- en s'abstenant de refacturer une partie des coûts du personnel, elle s'est conformée à la doctrine de l'administration fiscale relative aux dépenses engagées en faveur d'organismes gérant des œuvres sociales au bénéfice des salariés 4C-4424 n° 2, 3 et 4, 30-10-1997, reprise au

BOI-BIC-CHG-40-40-60 n°30, 12-9-2012 ;

- s'agissant de la part " amont " de la provision " dernier cœur " :

- la perte du dernier cœur est un coût inhérent aux opérations de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement et constitue une charge déductible ; la provision, l'actif de contrepartie et les amortissements régulièrement comptabilisés en ce qui concerne la part amont du " dernier cœur " ne doivent faire l'objet d'aucun retraitement pour la détermination du résultat fiscal car ils entrent dans le champ d'application de l'article 39 ter C du code général des impôts quand bien même il ne s'agit pas de coûts de démantèlement ; l'article 39 ter C du code général des impôts a pour objet de s'appliquer à l'ensemble des coûts futurs traités, sur le plan comptable, par l'enregistrement d'une provision et d'un actif de contrepartie amortissable en vertu de l'article 213-8 du plan comptable général (PCG) et de l'avis du Conseil national de la comptabilité (CNC) n° 2000-01 du

20 avril 2000 ;

- le champ d'application de l'article 39 ter C du code général des impôts a fait l'objet de commentaires publiés sous la référence 4 E-2-07, repris au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-BIC-PROV-60-100-10, dans lesquels l'administration prévoit son application aux provisions constituées en comptabilité pour des situations de dégradation immédiate conformément à l'avis du CNC n° 2005-H du 6 décembre 2005 ;

- les amortissements concernés doivent être déduits en vertu du principe de connexion entre comptabilité et fiscalité, dès lors qu'aucune règle fiscale n'exclut la déductibilité des amortissements régulièrement comptabilisés en ce qui concerne les actifs de contrepartie de provisions pour coûts futurs ; ces amortissements correspondent à la durée d'utilisation du site, qui coïncide avec la durée d'usage, techniquement documentées par les exploitations nucléaires et partagées avec les autorités de sûreté nucléaire ; le coût de " dernier cœur " est une charge probable et non éventuelle ; la mise à l'arrêt définitif entraînera la constatation d'une perte du combustible non irradié chargé dès lors que la société est contrainte, techniquement, de recharger de manière fractionnée le cœur de la centrale pour maintenir la production et que le combustible non totalement irradié ne peut pas être utilisé dans un autre réacteur pour des raisons techniques et de sécurité ;

- s'agissant de la provision pour gestion du combustible usé relative aux opérations de reprise et conditionnement et de mise à l'arrêt définitif et démantèlement :

- en application des obligations réglementaires qui s'imposent à elle, les provisions doivent être constituées au fur et à mesure de l'irradiation des combustibles pour couvrir les charges futures qui seront supportées à raison de leur gestion par la société Areva ; parmi ces charges figurent celles relatives aux coûts de la reprise et au conditionnement des déchets anciens (RCD) et de la mise à l'arrêt définitif et de démantèlement des usines d'AREVA de La Hague (MAD/DEM) visés par l'accord transactionnel forfaitaire et définitif aux termes duquel elle a versé à AREVA une soulte libératoire de 2,3 milliards d'euros (la " soulte AREVA ") ; à raison des prestations de gestion des combustibles non encore effectuées par AREVA, le versement de la soulte à AREVA n'a donné lieu à aucune charge dans son résultat fiscal ; la provision constituée au titre du traitement des combustibles usés conservait tout son objet et ne pouvait pas être reprise ; cette reprise n'est justifiée que lorsque les prestations sont effectivement rendues et donnent lieu à la constatation d'une charge ; tout autre traitement comptable serait contraire à la comptabilité d'engagement et aboutirait à remettre en cause le principe de rattachement des charges aux produits justifiant la constatation d'une provision ; la soulte constitue une composante du coût de gestion du combustible usé ;

- la provision qu'elle a comptabilisée ne fait pas double emploi avec la provision constatée par AREVA, dès lors que la provision qu'elle a comptabilisée a pour objet de couvrir la charge future de retraitement des combustibles usés alors que la provision comptabilisée par AREVA est destinée à anticiper les coûts de démantèlement des installations d'AREVA ;

- la constatation d'une charge constatée d'avance n'est pas incompatible avec le maintien d'une provision ; l'avis du comité d'urgence du CNV n° 2005-H du 6 décembre 2005 relatif à la comptabilisation des coûts de démantèlement, d'enlèvement et de remise en état de site prévoit l'obligation de comptabiliser une provision pour démantèlement et une créance dès lors qu'un tiers est engagé à prendre en charge la dépense de démantèlement ; la provision traduit le maintien de l'obligation de la SA EDF dans le traitement de combustibles usés et la charge constatée d'avance traduit le fait qu'AREVA doit à la SA EDF la réalisation de la prestation de traitement payée d'avance par la SA EDF au moyen de la soulte ;

- le service lie la déductibilité de la charge à son paiement, ce qui va à l'encontre des règles de comptabilité d'engagement auxquelles sont soumises les sociétés commerciales telle que la SA EDF ; les articles L. 123-12 et suivants du code de commerce et des règlements de l'ANC prévoient que toute entreprise commerciale est astreinte à la tenue d'une comptabilité d'engagement dans laquelle le fait générateur des charges et des produits est indépendant de leur paiement et qui doit retracer les créances certaines et les charges probables à la clôture de chaque exercice, par opposition à une comptabilité de caisse qui ne comprend que des produits réellement perçus et des charges effectivement payées ;

- le service a manqué à son obligation de loyauté en remettant en cause les provisions dotées alors qu'il a reconnu, en réintégrant au titre de l'exercice 2008 la fraction de la soulte correspondant aux engagements futurs d'AREVA, l'existence d'une charge constatée d'avance.

- s'agissant de la provision pour gestion du combustible usé couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de retraitement (URT) :

- à la clôture des exercices en litige, il n'y a aucune probabilité, en l'état de la technique et du parc nucléaire, de pouvoir utiliser les volumes d'URT entreposés ;

- la référence à l'arrêté du 21 mars 2007 relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires, pour conclure que le coût d'entreposage de l'URT ne fait pas partie des coûts futurs à provisionner, n'est pas pertinente, dès lors que l'objet de cet arrêté, destiné à sécuriser le financement des activités nucléaires, est distinct de celui des règles comptables et fiscales ;

A titre subsidiaire,

- s'agissant des intérêts de retard afférents à la provision pour gestion du combustible usé, en indiquant qu'elle tirait les conséquences d'un précédent contrôle au cours duquel l'ensemble du sujet de la soulte AREVA avait fait l'objet de discussions, elle a fait connaître les motifs justifiant sa position et a mis le service en mesure d'apprécier si le traitement fiscal appliqué lui paraissait pouvoir être admis.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 mars et 14 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut :

1°) au non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement, d'un montant de 1 938 182 euros en droits et 188 210 euros d'intérêts de retard, prononcé en cours d'instance, correspondant aux conséquences financières de la réintégration dans les résultats de la SA EDF des frais et rémunérations non refacturés afférents au personnel mis à la disposition de la caisse centrale des activités sociales ;

2°) au rejet du surplus des conclusions de la requête ;

3°) à l'annulation de l'article 1er du jugement n°1910142 rendu le 29 août 2022 par le tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il prononce la décharge des suppléments d'impôts mis à la charge de la SA EDF en conséquence de la réintégration à ses résultats des exercices clos en 2012 et 2013 de la fraction de la provision de gestion du combustible usé couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés.

Il fait valoir que :

- en ce qui concerne l'appel principal : les moyens de la requête de la SA EDF ne sont pas fondés ;

- en ce qui concerne l'appel incident :

- s'agissant de la provision relative à la gestion du combustible usé couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés : l'uranium de retraitement (URT), qui peut être réutilisé dans le processus de fabrication de l'électricité, constitue un stock de combustible nucléaire ; les produits correspondant aux charges d'oxydation et d'entreposage de l'URT sont les ventes de l'électricité engendrée par l'exploitation de ce combustible ; ainsi, des provisions pour charges d'oxydation et d'entreposage de l'URT ne peuvent être déduites au titre d'un exercice lorsque les produits correspondant à ces ventes n'ont pas été comptabilisés au titre du même exercice ; les produits correspondant à ces ventes n'ayant pas été comptabilisés au titre des exercices 2012 et 2013, les provisions litigieuses ne sont pas déductibles au titre de ces exercices ; ces charges d'entreposage ne seront déductibles qu'au titre de l'exercice de réalisation des produits tirés de l'exploitation de l'URT correspondant ; le fait que des obligations légales pèsent sur la société EDF, notamment l'obligation d'entreposage des matières radioactives en attente de traitement, n'a pas d'influence sur le traitement fiscal de la provision ; l'arrêté du 21 mars 2007 relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires, qui précise les coûts devant être provisionnés par l'exploitant dans le cadre de son obligation de gestion du combustible usé, ne prévoit pas la prise en compte du coût de l'entreposage de l'URT dans les coûts futurs devant être provisionnés ;

- s'agissant des autres moyens soulevés par la société EDF devant le tribunal administratif, l'administration s'en remet à ses écritures de première instance.

Par une ordonnance du 22 août 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 ;

- le décret n° 2007-243 du 23 février 2007 et l'arrêté du 21 mars 2007 relatifs à la sécurisation du financement des charges nucléaires ;

- le plan comptable général ;

- l'avis n° 2005-H du 6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Carrère, président,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations présentées pour la SA EDF par Me Deysine.

Une note en délibéré, enregistrée le 26 juin 2024, a été présentée pour la SA EDF par Me Deysine.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés ont été mises à la charge de la société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) par une proposition de rectification du 23 décembre 2015. La SA EDF relève appel de l'article 2 du jugement du 29 août 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle au titre des exercices clos en 2012 et 2013. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l'annulation de l'article 1er de ce jugement en tant qu'il prononce la décharge des suppléments d'impôts mis à la charge de la SA EDF en conséquence de la réintégration à ses résultats des exercices clos en 2012 et 2013 de la fraction de la provision de gestion du combustible usé couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 16 mars 2023, postérieure à l'enregistrement de la requête, le directeur régional des finances publiques a prononcé le dégrèvement de la somme de 2 126 392 euros, correspondant, en droits et pénalités, au titre des exercices 2012 et 2013, à la réintégration dans les résultats de la SA EDF des frais et rémunérations non refacturés afférents au personnel mis à la disposition de la caisse centrale d'activités sociales. Les conclusions de la requête de la SA EDF sont, dans cette mesure, devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur l'appel principal de la SA EDF :

En ce qui concerne la provision dite de " dernier cœur " :

3. Par l'article 1er du jugement attaqué, les premiers juges ont décidé la décharge des intérêts de retard afférents aux redressements d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle, au titre des exercices clos en 2012 et 2013, du fait du rejet de la provision dite de " dernier cœur. Le ministre ne conteste pas cette décharge. Le litige ne porte donc que sur les droits.

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

4. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation et compte tenu des dispositions de l'article 39 A, sous réserve des dispositions de l'article 39 B. / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".

5. Aux termes de l'article 39 ter C du code général des impôts : " Par exception aux dispositions du premier alinéa du 5° du 1 de l'article 39, la provision constituée en vue de couvrir les coûts de démantèlement, d'enlèvement d'installations ou de remise en état d'un site, qui résultent d'une obligation légale, réglementaire ou contractuelle ou d'un engagement de l'entreprise, et encourue ou formalisée soit dès l'acquisition ou la mise en service, soit en cours d'utilisation de cette installation ou de ce site, n'est pas déductible. A hauteur des coûts pris en charge directement par l'entreprise, cette provision a pour contrepartie la constitution d'un actif amortissable d'un montant équivalent. L'amortissement de cet actif est calculé suivant le mode linéaire et réparti sur la durée d'utilisation du site ou des installations. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux provisions destinées à faire face à des dégradations progressives de site résultant de son exploitation. / (...) ".

6. Il résulte de l'instruction qu'à compter de l'exercice clos en 2002, la SA EDF a constaté à son passif une provision visant à couvrir l'ensemble des charges futures actualisées de démantèlement des centrales nucléaires qu'elle exploite et, en contrepartie, un actif d'un montant équivalent, qu'elle a amorti suivant le mode linéaire de manière rétroactive depuis la date de mise en service de chaque centrale. Au sein de ce passif, elle a notamment comptabilisé une provision dite de " dernier cœur " correspondant à la totalité des charges liées à l'arrêt du dernier cœur du ou des réacteurs des centrales à démanteler, et comprenant une part " amont ", correspondant à la mise au rebut du combustible nucléaire qui n'aura pas été totalement irradié au moment de l'arrêt des réacteurs, ainsi qu'une part " aval ", correspondant aux coûts de retraitement, d'évacuation et de stockage de ce combustible.

7. A la suite de la vérification de comptabilité dont la SA EDF a fait l'objet, l'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2012 et 2013, la déduction des charges correspondant à l'amortissement de l'actif constaté en contrepartie de la part " amont " de la provision de " dernier cœur ". Elle a en effet estimé que cette part, dès lors qu'elle représentait le coût d'acquisition d'un stock de combustible, ne se rattachait pas aux coûts de démantèlement visés par l'article 39 ter C du code général des impôts.

8. La perte du combustible non irradié d'un réacteur nucléaire mis à l'arrêt constitue un coût qui est une conséquence directe de cet arrêt définitif et non des opérations de démantèlement et, dès lors, ce coût ne peut pas donner lieu à la constatation, en application de l'article 39 ter C du code général des impôts, d'une provision au titre des coûts futurs de démantèlement et d'un actif de contrepartie amortissable. La SA EDF soutient toutefois que, quand bien même il ne s'agit pas de coûts de démantèlement, le coût du combustible non irradié d'un réacteur nucléaire mis à l'arrêt a comptablement le caractère d'un passif, existant dès la mise en service du réacteur, et devant en conséquence être comptabilisé pour son montant estimé puis, conformément à une approche économique et ainsi que le prévoient les règles comptables, en particulier l'article 213-8 du plan comptable général, donner lieu à l'inscription en contrepartie d'un actif amortissable, dont il convient ensuite de tirer les conséquences fiscales.

9. Aux termes de l'article 213-8 du plan comptable général : " 1 - Le coût d'acquisition d'une immobilisation corporelle est constitué de : / son prix d'achat (...) ; / de l'estimation initiale des coûts de démantèlement, d'enlèvement et de restauration du site sur lequel elle est située, en contrepartie de l'obligation encourue, soit lors de l'acquisition, soit en cours d'utilisation de l'immobilisation pendant une période donnée à des fins autres que de produire des éléments de stocks. Dans les comptes individuels, ces coûts font l'objet d'un plan d'amortissement propre tant pour la durée que le mode (...) ". Comme le précise l'avis n° 2005-H du 6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité, ces coûts sont " la contrepartie de la provision pour démantèlement, enlèvement ou remise en état de site constatée au passif et constituée en application des dispositions de l'article 212-1 ". Aux termes de l'article 321-1 du plan comptable général : " Définition d'un passif / 1. - Un passif est un élément du patrimoine ayant une valeur économique négative pour l'entité, c'est-à-dire une obligation de l'entité à l'égard d'un tiers dont il est probable ou certain qu'elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers, sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci. (...) / 2. - Cette obligation peut être d'ordre légal, réglementaire ou contractuel. Elle peut également découler des pratiques passées de l'entité, de sa politique affichée ou d'engagements publics suffisamment explicitées qui ont créé une attente légitime des tiers concernés sur le fait qu'elle assumera certaines responsabilités. / 3. - Le tiers peut être une personne physique ou morale, déterminable ou non ". Aux termes de l'article 321-2 du même plan : " Estimation d'un passif / L'estimation du passif correspond au montant de la sortie de ressources que l'entité doit supporter pour éteindre son obligation envers le tiers. " Aux termes de l'article 321-3 du même plan : " / La contrepartie éventuelle est constituée des avantages économiques que l'entité attend du tiers envers lequel elle a une obligation ". Aux termes de l'article 322-1 du même plan : " A l'exception des cas prévus aux articles 322-4 et 322-13, un passif est comptabilisé lorsque l'entité a une obligation à l'égard d'un tiers, et qu'il est probable ou certain que cette obligation provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci ". Aux termes de l'article 322-2 du même plan : " A la clôture de l'exercice, un passif est comptabilisé si l'obligation existe à cette date et s'il est probable ou certain, à la date d'établissement des comptes, qu'elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de tiers sans contrepartie au moins équivalente attendue de ceux-ci après la date de clôture ".

10. Le coût de la " part amont " du " dernier cœur " correspond à la valeur comptable résiduelle du combustible non totalement irradié présent dans le réacteur à la date de son arrêt définitif. La mise au rebut de ce combustible est en général rendue nécessaire par des exigences techniques s'appliquant à la suite de la mise à l'arrêt, laquelle résulte d'une obligation prévisible dès la mise en service du réacteur, même si sa date est fixée par une décision ultérieure de l'autorité administrative, après, le cas échéant, demande de la société et avis de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette mise au rebut est comptablement matérialisée par la sortie de la valeur du " dernier cœur " de l'actif via une charge. Le coût ne saurait par suite être analysé que comme un accroissement des charges d'exploitation de la dernière période du cycle d'exploitation - débutant à la date à laquelle ont été chargés dans le réacteur les plus anciens des éléments de combustible non totalement irradiés encore présents à la date de son arrêt définitif.

11. Cet accroissement des charges d'exploitation, d'une part, correspond à une dépense engagée et financée, au moins en partie, avant le début des dernières périodes du cycle d'exploitation mentionnées au point précédent et, pour le reste, au plus tard au cours de ces périodes et n'entraîne ainsi aucune sortie concomitante de trésorerie qui serait postérieure à la fin du cycle d'exploitation du réacteur. D'autre part, il n'est pas établi que les produits d'exploitation attendus au cours des dernières périodes précédant la mise à l'arrêt du réacteur ne constitueraient pas une contrepartie au moins équivalente aux charges d'exploitation ainsi majorées. Il résulte de ce qui précède que la " part amont " du " dernier cœur " ne saurait être regardée comme une sortie de ressources sans contrepartie au moins équivalente, qui résulterait de la réalisation de l'obligation de mise à l'arrêt des réacteurs nucléaires née dès la date de leur mise en service.

12. Il résulte de ce qui précède que la SA EDF n'est pas fondée à soutenir qu'en tant qu'elle constituerait un coût futur inhérent aux opérations de démantèlement, la part amont de la provision pour " dernier cœur " ouvrirait droit, sur le fondement de l'article 39 ter C du code général des impôts, à une déduction au titre de l'amortissement de l'actif comptabilisé correspondant aux coûts d'acquisition d'une centrale nucléaire, sans qu'y fasse obstacle l'avis n° 2005-H du

6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité, lequel ne donne pas de la notion de démantèlement une acception différente de celle qu'impliquent les dispositions de l'article 39 ter C du code général des impôts.

13. En outre, et par suite, la SA EDF, qui en tout état de cause n'a comptabilisé aucune provision au titre des coûts de la " part amont " du " dernier cœur " avant la clôture des exercices en litige, ne saurait revendiquer, sur le terrain de la loi, de droit à une provision relative à des charges déjà engagées, ou à une provision relative à une perte en l'absence d'évaluation des coûts prévisionnels afférents à la " part amont ", à supporter au plus tard lors de l'arrêt d'une centrale, et des recettes escomptées.

S'agissant de l'interprétation administrative de la loi fiscale :

14. Les énonciations de l'instruction 4 E-2-07 du 30 mars 2007, reprises au Bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-BIC-PROV-60-100-10, par lesquelles la directrice de la législation fiscale a fait observer que les coûts de démantèlement, d'enlèvement et de remise en état de site au sens de l'article 39 ter C du code général des impôts sont identiques à ceux appréhendés par l'avis n° 2005-H du 6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité, ne donnent pas des dispositions mentionnées aux points 4 et 5 du présent arrêt une interprétation autre que celle appliquée par l'administration. Par suite, la SA EDF n'est pas fondée à se prévaloir de cette instruction sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la SA EDF tendant à la décharge des redressements en droits, seuls en litige, concernant la provision dite de " dernier cœur " doivent être rejetées.

En ce qui concerne la provision pour gestion du combustible usé - part relative aux opérations de reprise et de conditionnement des déchets (RCD) et de mise à l'arrêt définitif et démantèlement (MAD-DEM) :

S'agissant des droits :

16. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce code : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation (...) 2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services : Toutefois, ces produits doivent être pris en compte : / a. Pour les prestations continues rémunérées notamment par des intérêts ou des loyers et pour les prestations discontinues mais à échéances successives échelonnées sur plusieurs exercices, au fur et à mesure de l'exécution (...). ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. (...) ". Les dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts s'entendent, eu égard au principe de l'indépendance des exercices qui résulte des dispositions du 2 de l'article 38 du même code, comme autorisant la déduction des charges payées par l'entreprise au cours de l'exercice dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, à l'exception de celles " constatées d'avance ", c'est-à-dire correspondant au paiement d'un bien ou d'une prestation de service dont la livraison ou la fourniture n'interviendra qu'au cours d'un exercice ultérieur, sur les résultats duquel il y aura lieu de l'imputer. Au nombre de ces charges constatées d'avance figurent notamment les charges correspondant à des achats de prestations de services continues ou discontinues mais à échéances successives, au sens des dispositions du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, pour la partie de ces prestations fournies au cours d'exercices ultérieurs.

17. Il résulte de l'instruction que la société EDF, qui a la responsabilité juridique, en vertu de l'article L. 542-1 du code l'environnement, de la gestion du combustible usé, comprenant la reprise et le conditionnement des déchets (RCD) et la mise à l'arrêt définitif et le démantèlement de ses centrales nucléaires (MAD-DEM), dans le cadre des négociations menées avec la société AREVA depuis l'année 2000, d'une part, a utilisé l'usine UP2 400 de La Hague pour ses opérations de RCD, dans le cadre de la mise à l'arrêt définitif de cette usine en 2002, ce qui a rendu EDF redevable d'une indemnité à verser à AREVA au titre des travaux de MAD-DEM de cette usine et, d'autre part, a confié à AREVA le processus de MAD-DEM des usines UP2 800 et UP3 ayant vocation à traiter le combustible usé et dont la fin d'exploitation est prévue pour l'année 2040. En outre, plusieurs travaux portant sur des déchets devant faire l'objet d'opérations de RCD, sous-traités à la société Areva, n'avaient pas donné lieu à paiement par EDF ou restaient à réaliser par Areva. Un accord du 19 décembre 2008 a été signé entre les deux sociétés prévoyant la signature simultanée d'un protocole transactionnel, établi le 5 mai 2006, relatif au processus de MAD-DEM des usines de La Hague ainsi qu'au processus de RCD de l'usine UP2 400 et la signature d'un accord relatif au transport, au traitement et au recyclage de combustibles nucléaires usés issus des centrales nucléaires d'EDF en France, dit accord ATR. Cet accord du 19 décembre 2008 a été complété par un protocole additionnel du 12 juillet 2010 fixant à 2,3 milliards d'euros le montant de la contribution (dite soulte AREVA) due par la SA EDF à AREVA pour les prestations de RCD et de MAD-DEM. Cette somme devait être acquittée en quatre annuités entre 2008 et 2011.

18. Cet accord a été traduit comptablement par la SA EDF, d'une part, par une reprise des provisions constituées antérieurement pour faire face aux charges à venir incombant à Areva, et, d'autre part et corrélativement, par l'enregistrement pour son montant total de la soulte, versée en 2008, en charges, et donc à sa déduction du résultat fiscal. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 2008, ayant donné lieu à une proposition de rectification du 22 décembre 2011, l'administration a admis la déductibilité de la somme de 1 416 millions d'euros relative aux prestations déjà effectuées mais a remis en cause celle de 884 millions d'euros correspondant aux prestations d'AREVA non encore réalisées, se décomposant en 616 070 561 euros correspondant aux travaux de MAD-DEM des usines UP2 800 et UP3, et 268 925 003,80 euros correspondant aux travaux de RCD restant à accomplir.

19. A la suite de la vérification de comptabilité de la SA EDF portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, le service a constaté que la société avait inscrit, au titre de l'exercice 2012, en charges constatées d'avance la somme précitée de 884 millions d'euros, déduite extra comptablement, et a déduit en charges au titre de l'exercice 2012 une somme de 83 millions d'euros correspondant à des prestations réalisées par AREVA pendant la période de 2009 à 2012 et une somme de 19 millions d'euros au titre de l'exercice 2013 pour le même motif. Toutefois, la SA EDF a indiqué avoir reconstitué au 31 décembre 2008, dans le cadre des provisions pour gestion du combustible usé, pour un montant de 570 millions d'euros (chiffre arrondi) la provision pour prestations non encore réalisées de RCD (268 millions d'euros) et la provision pour prestations de MAD-DEM des sites UP2 800 et UP3 pour la période 2009-2040 (302 millions d'euros), avoir doté cette provision d'un montant de 223 millions d'euros (chiffre arrondi) au titre des nouveaux combustibles usés pour les exercices 2009 à 2012 et avoir repris sur les mêmes exercices la fraction des provisions correspondant aux volumes retraités par AREVA pour un montant total de 94 millions d'euros. Le service a également constaté au titre de l'exercice 2013 que la SA EDF avait comptabilisé une somme de 30 millions d'euros (chiffre arrondi) correspondant aux dotations, nettes de reprises, de provisions RCD et MAD-DEM. L'administration fiscale n'a pas admis la déductibilité de ces provisions et a donc réintégré aux résultats les montants au titre de l'exercice 2012 de 699 604 492 euros (soit 570 781 134 + 223 510 440 - 94 687 082) et au titre de l'exercice 2013 de 30 504 327 euros.

20. La SA EDF se prévaut, pour justifier l'inscription en comptabilité des provisions litigieuses, du maintien de sa responsabilité quant aux opérations de RCD et MAD-DEM indépendamment du fait d'avoir confié ces prestations à AREVA en contrepartie d'une soulte de 2,3 milliards d'euros. Elle invoque également le principe, en comptabilité d'engagement, de rattachement des charges aux produits s'opposant à la reprise de la provision en 2008 faute de produits consistant en la réalisation effective des prestations d'AREVA à cette date. Elle fait valoir l'absence de double emploi avec la provision constituée par AREVA qui concerne les coûts propres de démantèlement pour cette société et non les charges futures de retraitement des combustibles usés incombant à EDF. Elle soutient en outre que la comptabilisation en charges constatées d'avance à hauteur de la somme de 884 millions d'euros n'est pas incompatible avec la constitution de provisions faisant face aux risques échelonnés de sorties de trésorerie, faute de quoi, selon elle, plus tôt interviendrait la soulte, plus grand serait le délai de constatation effective de la contrepartie, en prestations, de la charge et donc de la déduction de cette charge, ainsi reportée au plus tard à la mise à l'arrêt définitif.

21. Il résulte de l'instruction que la soulte de 884 millions d'euros versée par EDF à la société Areva en application de l'accord du 19 décembre 2008 mentionné au point 17 a éteint définitivement tout engagement d'EDF vis-à-vis d'Areva, s'agissant des opérations couvertes par cet accord, et n'autorisait pas, à ce titre, la constitution de provisions pour charges futures. Au contraire, l'inscription de la somme correspondant en charges à constater d'avance traduit l'existence d'un paiement de prestations futures qu'Areva s'engage à réaliser en application de cet accord, d'une part au titre des opérations de MAD-DEM des usines UP2 800 et UP3 destinées à s'étaler jusqu'en 2040, d'autre part au titre des opérations de RCD non encore réalisées, EDF étant garanti de toute conséquence financière pouvant résulter, au regard de sa responsabilité légale au titre des opérations de gestion du combustible usé rappelée au point 17, d'un manquement d'Areva à ses propres obligations à son égard. C'est d'ailleurs pour ce motif que l'administration, lors du précédent contrôle mentionné au point 18, a réintégré la soulte de 884 millions d'euros correspondant aux prestations futures d'Areva, motif pris de ce que les prestations en cause n'étaient pas encore réalisées et que les charges afférentes ne pouvaient être déduites qu'au titre des exercices de réalisation effective des prestations dont elles sont la contrepartie. Par suite, il y a lieu de regarder le versement de cette soulte comme la contrepartie d'une prestation continue rendue par la société Areva à EDF, susceptible de donner lieu à déduction des charges correspondantes, payées par avance, au fur et à mesure de leur exécution sur le fondement des dispositions précitées des articles 38 2 bis, a, et 39 du code général des impôts, alors même que leur paiement est déjà intervenu par avance.

22. Il résulte de ce qui précède que l'administration, qui lors de ce précédent contrôle ne s'est pas prononcée sur l'existence d'un transfert de responsabilité juridique d'EDF à la société Areva pour refuser la déductibilité de la somme de 884 millions d'euros mentionnée, était fondée à réintégrer les provisions dotées par la SA EDF au titre des exercices en litige, lesquelles intégraient la majeure partie des charges censées être couvertes par la soulte mentionnée au point précédent, alors au demeurant que la société requérante avait déjà déduit, au titre de 2012, une charge de 83 millions d'euros correspondant à l'utilisation de la charge constatée d'avance, mentionnée au point 19, au titre des exercices 2009 à 2012. Par suite, et alors qu'elle n'est en tout état de cause pas fondée à invoquer un prétendu manquement à l'obligation de loyauté résultant de l'invocation d'un transfert de la responsabilité légale d'EDF à la société Areva, la SA EDF n'est pas fondée à demander la décharge des compléments d'imposition correspondant à la réintégration des provisions pour gestion du combustible usé - part relative aux opérations de reprise et de conditionnement des déchets (RCD) et de mise à l'arrêt définitif et démantèlement (MAD-DEM) au titre des exercices 2012 et 2013.

S'agissant des intérêts de retard :

23. Aux termes du II de l'article 1727 du code général des impôts : " L'intérêt de retard n'est pas dû (...) : 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit et de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées. ".

24. La société a indiqué dans la liasse fiscale déposée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 que : " Par notification de redressement du 22 décembre 2011 confirmée par la réponse aux observations du contribuable du 26 juillet 2012, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la charge à payer constatée par EDF en 2008 dans le cadre de la soulte AREVA. La société a donc tiré les conséquences de ce redressement pour la détermination du résultat imposable de 2012 en comptabilisant en 2012 des charges constatées d'avance qu'elle déduit fiscalement à hauteur de 884 995 565 euros. "

25. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 18 et 19, si, à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 2008, ayant donné lieu à une proposition de rectification du 22 décembre 2011, l'administration a remis en cause la provision de 884 millions d'euros correspondant aux prestations d'AREVA non encore réalisées et si la SA EDF explique, dans la note reproduite au point 24 du présent arrêt, qu'en conséquence, elle a inscrit cette somme de 884 millions d'euros, en charges constatées d'avance au titre de l'exercice 2012, elle n'explicite pas clairement les motifs de droit et de fait justifiant les inscriptions simultanées en comptabilité, d'une part, de déductions de charges du résultat, au fur et à mesure de leur engagement correspondant à la réalisation de prestations, venant en déduction du montant des charges constatées d'avance de manière extra comptable, et, d'autre part, de provisions pour les charges correspondant à des prestations non encore réalisées, lesquelles ont été rejetées par l'administration fiscale pour leur montant net des reprises effectuées lors de la réalisation des prestations. Par suite, la SA EDF ne peut soutenir, à titre subsidiaire, que l'intérêt de retard n'est pas dû en application du 2 du II de l'article 1727 du code général des impôts.

Sur l'appel incident du ministre portant sur la décharge des impositions liées à la provision pour gestion du combustible usé - part couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés (URT) :

26. La SA EDF, qui a la responsabilité juridique en vertu de l'article L. 542-1 du code l'environnement, de la gestion du combustible usé, a conclu un accord avec la société Areva, intitulé " Accord Traitement Recyclage ATR " par lequel la société Areva garantit la garde juridique et matérielle des combustibles usés, dont la part recyclable (96%) est issue du traitement de ces combustible usés (URT) qui fera l'objet de processus d'enrichissement et de conditionnement pour pouvoir être réutilisé en tant que combustible, en tant qu'uranium de retraitement enrichi (URE), dans un réacteur.

27. La SA EDF a inscrit en comptabilité une provision pour gestion du combustible usé, non encore enrichi, conformément aux prescriptions de l'article L. 594-1 du code de l'environnement qui comprend une part, sur une durée infinie limitée comptablement à 260 ans, relative à l'oxydation et l'entreposage de l'URT à Pierrelatte, dont la déductibilité a été rejetée par le service en ce qui concerne l'entreposage. Le service a en conséquence procédé à des rehaussements en base, correspondant aux coûts d'entreposage, à hauteur des montants de 433 920 892 euros au titre de l'exercice clos en 2012 et de 28 912 708 euros au titre de l'exercice clos en 2013.

28. Le ministre, dans le cadre d'un appel incident à l'encontre de la décharge prononcée par les premiers juges, fait valoir que l'URT a toujours une vocation certaine à un enrichissement, qui est la raison même du retraitement préalable, afin de ne pas accumuler les déchets. Selon lui, l'URT pouvait être réutilisé, une fois enrichi, le processus d'enrichissement n'ayant été interrompu partiellement en 2012 que pour des raisons économiques de coûts par rapport à l'enrichissement de l'uranium naturel, dans le processus de fabrication de l'électricité Par suite, les provisions pour charges en cause, au nom du principe de rattachement des charges aux produits de l'exercice, ne pouvaient être constituées, en vue de leur déductibilité du résultat au titre de ces exercices 2012 et 2013, faute de comptabilisation des produits futurs.

29. La SA EDF fait valoir, comme en première instance, que les perspectives d'utilisation d'URT, via l'enrichissement en URE, ne permettent pas d'affirmer que l'entreprise en tirera des avantages économiques. L'URT n'entre donc pas, selon elle, dans un cycle d'exploitation, faute de produits prévisibles (production d'électricité) et les charges et donc les provisions pour charges futures peuvent être déduites. En effet, selon la société, l'URE ne peut être utilisé que dans quatre réacteurs de Cruas, qui ne peuvent utiliser que 60 tonnes d'URT alors que la production d'URT par EDF est de 1050 tonnes par an et que le stock est de 16 380 tonnes à la clôture de l'exercice 2013. De plus la filière URT/URE a été arrêtée en 2012 et ne pourrait redémarrer sans investissements importants et les quatre réacteurs Cruas doivent s'arrêter en 2025 et aucune étude de sécurité n'a été menée par l'Agence de sûreté nucléaire pour permettre le relais d'utilisation d'URE par d'autres réacteurs. Le développement des réacteurs de 4ème génération à horizon 2050 est loin d'être certain Au total, cet URT ne peut à horizon de dix ans probablement pas faire l'objet d'un enrichissement pour des raisons techniques et peu certainement au-delà. Une sortie de ressources sans contrepartie est à l'inverse probable au sens de l'article 322-1 du plan comptable général.

30. Toutefois, d'une part, si le ministre s'appuie sur les constatations effectuées en 2014 par une commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur la politique énergétique de la France, selon lesquelles la filière de traitement enrichi n'a été suspendue courant 2013que pour des raisons économiques, à savoir le moindre coût d'enrichissement de l'uranium naturel, la perspective d'un accroissement de la filière d'enrichissement ne pouvait faire, quant à elle, à la date de la constitution des provisions, l'objet d'une datation précise. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que l'uranium de recyclage (URT) constitue un stock de combustible nucléaire susceptible d'exploitation notamment au titre du contrat " Accord Traitement Recyclage " conclu avec la société Areva, par lequel cette dernière assure l'entreposage de l'uranium retraité en vue de son enrichissement. D'autre part, l'administration ne soutient ni même n'allègue que l'URT en cause ne se rattache pas, en l'absence de produit déterminé comme contrepartie, aux opérations de toute nature déjà effectuées par la SA EDF. En l'absence de remise en cause des autres conditions auxquelles l'article 39,5° précité du code général des impôts subordonne la déduction des provisions en litige, l'administration n'est pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont prononcé la décharge des provisions litigieuses. Il y a lieu, par suite, de rejeter ses conclusions aux fins d'appel incident.

31. Il résulte de tout ce qui précède, en premier lieu, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la SA EDF à concurrence de la somme de 2 216 392 euros, en deuxième lieu, que la SA EDF n'est pas fondée à demander la réduction de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, de la contribution sociale et de la contribution exceptionnelle sur cet impôt à hauteur des sommes correspondant à la réintégration de la provision dite " de dernier cœur " et de la provision pour gestion du combustible usé - part relative aux opérations de reprise et de conditionnement des déchets (RCD) et de mise à l'arrêt définitif et démantèlement (MAD-DEM), et, en dernier lieu, que le ministre n'est pas fondé à demander le rétablissement des impositions en litige correspondant à la réintégration de la provision pour gestion du combustible couvrant les charges d'entreposage de l'uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés (URT).

32. Par suite, la SA EDF n'est pas fondée à demander que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, au titre des conclusions d'appel principal, la partie perdante, une somme au titre des frais d'instance et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) à concurrence du dégrèvement, au titre de l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale et la contribution exceptionnelle, en droits et intérêts de retard, de la somme de 2 126 392 euros, correspondant à la réintégration dans ses résultats des frais et rémunérations non refacturés afférents au personnel mis à la disposition de la caisse centrale d'activités sociales au titre des exercices clos en 2012 et 2013.

Article 2 : Les conclusions de la SA EDF sont rejetées pour le surplus.

Article 3 : Les conclusions aux fins d'appel incident du ministre de l'économie, des finances et la souveraineté industrielle et numérique sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Electricité de France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère président,

- M. Soyez, président assesseur,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 5 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

S. CARREREL'assesseur le plus ancien,

J-E. SOYEZ

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA05022


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05022
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Stéphane CARRERE
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : ERNST & YOUNG, SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;22pa05022 ?
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