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05/07/2024 | FRANCE | N°21PA06242

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 05 juillet 2024, 21PA06242


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) A... Télévision a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015, ainsi que des pénalités correspondantes et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.



Par un jugement n° 1925139 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) A... Télévision a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015, ainsi que des pénalités correspondantes et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1925139 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 décembre 2021, le 3 octobre 2022 et le 5 janvier 2024, la SARL A... Télévision, représentée par Mes Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a refusé de faire droit à ses conclusions aux fins de décharge des impositions et pénalités consécutives à la réintégration des annuités d'amortissement afférentes à l'acquisition de " bandes masters " en 2013 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et en pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, et des pénalités auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015 à raison de la réintégration mentionnée ci-dessus, soit à hauteur d'une somme globale de 374 908 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les amortissements pratiqués sur les extraits d'archives acquis de M. A..., à hauteur de 153 171 euros au titre de l'année 2013 et 214 285,71 euros par an au titre des années 2014 et 2015, résultent de l'acquisition d'un actif incorporel ;

- les bandes masters cédées par. M. A... ne comportent que des extraits de vidéoclips, dont la diffusion est couverte par le droit de citation ;

- en tout état de cause, si elles n'étaient pas couvertes par ce droit, l'utilisation de ces bandes, sans l'accord de leurs auteurs et des artistes, pouvait être inscrite au bilan de l'entreprise, et donner droit à dotation aux amortissements, en raison de l'autonomie du droit fiscal par rapport au droit de la propriété artistique ;

- l'utilisation effective de ces bandes a permis de réduire sa dépendance envers l'institut national audiovisuel (INA) qui lui louait l'autorisation de diffusion d'extraits à un prix incompatible avec le prix auquel la chaîne FR3 rémunérait l'émission " Les Grands du Rire ".

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 janvier 2022 et le 12 décembre 2022, le ministre chargé des comptes publics oppose une fin de non-recevoir aux conclusions tendant à la décharge des droits et pénalités en litige, supérieurs au montant de 366 806 euros, et conclut au rejet du surplus de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Soyez,

- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 2013, 2014 et 2015 la Sarl A... Télévision, société de production de films, de vidéos et de programmes de télévision, a fait l'objet de diverses rectifications au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur les sociétés. Ayant réclamé en vain contre ces rappels, assortis d'une pénalité pour manœuvres frauduleuses, elle en a demandé la décharge au tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 2 novembre 2021, a confirmé les rectifications. En appel, elle ne reprend que ses conclusions tendant au rétablissement, à hauteur de 153 171 euros au titre de l'année 2013 et 214 285,71 euros au titre des années 2014 et 2015, des dotations aux amortissements de la collection des bandes master acquises auprès de son gérant et associé unique M. A..., et à la décharge de la pénalité déjà mentionnée.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre chargé des comptes publics :

2. Si la Sarl A... Télévision demande la décharge des impositions à hauteur d'un total de 374 908 euros en droits et pénalités, l'administration relève que les intérêts de retard s'élèvent à seulement 6 331 euros au titre de l'exercice clos en 2013, et non à 14 432 euros. Par suite, doit être accueillie la fin de non-recevoir opposée aux conclusions en décharge de la requérante, en tant qu'elles dépassent la somme de 366 806 euros, en droits et pénalités.

Sur les conclusions aux fins de décharge d'imposition :

3. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts: " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicable sauf loi contraire, il incombe en principe à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôt que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause ainsi que sur l'existence de la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle n'a pas de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

4. Il résulte de l'instruction que M. B..., dit A..., avait reçu en cadeau, et pour son usage personnel, des bandes master comportant des enregistrements de 1 413 de vidéoclips des années 60 à 90, et qu'il les a cédés en 2013 à la SARL A... Télévision pour un prix de 1 500 139 euros en vue de leur réutilisation dans l'émission hebdomadaire de France 3 " Les Grands du Rire ". Compte tenu de la durée d'amortissement de sept ans de cet élément d'actif, inscrit pour une valeur de 1 500 000 euros, et du taux d'actualisation d'environ 11 % retenu d'après le rapport de l'expert-comptable qui a évalué le prix d'acquisition de ces bandes masters, la SARL A... Télévision a inscrit en charges des dotations aux amortissements au titre des exercices clos en 2013, 2014, et 2015.

5. En premier lieu, pour remettre en cause la déduction de ces dotations, l'administration estime que l'exploitation des extraits enregistrés sur ces bandes master dans l'émission " Les Grands sur Rire " concernés ne saurait présenter un caractère résiduel, ni, partant, entrer dans le champ de l'exception, d'une part, aux droits d'auteur, prévue par l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle et, d'autre part, aux droits voisins prévue par l'article L. 211-3 du même code. Par suite, elle allègue que M. A..., qui n'était pas titulaire de ces droits, ne pouvait céder les extraits en question en vue d'une exploitation. Elle en infère que ces derniers ne constituaient pas pour la SARL A... Télévision une source de profit pérenne, et qu'ainsi, ils ne pouvaient être inscrits dans les comptes de la requérante en tant qu'actif incorporel. Pour autant, l'administration à qui incombe la charge de la preuve du caractère anormal des charges constituées par l'amortissement de cet actif, en application des règles précédemment rappelées, n'établit pas l'existence de droits dus par M. A... au titre des clips cédés gratuitement. A supposer que de tels droits existent, elle ne démontre pas davantage qu'ils seraient dus par la société, l'administration ayant au demeurant reconnu le versement aux auteurs de droits dus par France Télévision, en qualité de diffuseur de ces clips. En tout état de cause, le risque éventuel qu'aurait pris la SARL A... Télévision en utilisant ces clips en méconnaissance du droit de la propriété intellectuelle ne saurait à lui seul faire obstacle à l'existence de contreparties éventuellement retirées par la Sarl A... Télévision de l'acquisition et de l'exploitation de ces clips.

6. En deuxième lieu, l'administration met tout d'abord en doute l'intérêt de l'acquisition des bandes master mentionnées ci-dessus, et des dotations aux amortissements qui en découlent, motif pris de l'absence de contrepartie significative de cet actif. Toutefois, la SARL A... Télévision fait valoir qu'il était de son intérêt d'acquérir en propre des bandes master plutôt que de se trouver en position de dépendance à l'égard de son unique fournisseur, l'INA, qui avait augmenté ses coûts de location. Ainsi, et alors même que cette substitution n'aurait pas entraîné une augmentation du chiffre d'affaires et du bénéfice de la société, et que seule serait avérée l'utilisation de 23,14 % des bandes sur les 1 413 extraits achetées à M. A..., il apparaît que la requérante tirait un avantage de cette acquisition en pleine propriété. De plus, la requérante allègue une nette diminution à partir de 2013 des droits inscrits en comptabilité et effectivement versés à l'INA qui passeraient d'une moyenne de 669 810 euros (de 2007 à 2012) à 279 873 euros (de 2013 à 2016). En se bornant à faire valoir, sur la base de chiffres communiqués par l'INA, que les rémunérations versées à cet institut n'ont pas baissé depuis l'achat des bandes masters à M. A..., l'administration oppose un terme de comparaison inapproprié, ces chiffres incluant les droits versés aux producteurs et aux auteurs. Enfin, l'intérêt objectif de disposer en pleine propriété des matériaux appropriés à la production de l'émission déjà mentionnée n'est pas compromis par l'absence alléguée par l'administration de substituabilité entre les extraits loués à l'INA et ceux provenant de la collection cédée par M. A..., dès lors qu'il est constant que ces derniers ont trouvé à être utilisés au titre de l'activité de producteur de la SARL A... Télévision auprès de France Télévision. En second lieu, et à cet égard, il résulte de l'instruction que la SARL A... Télévision, confrontée à une diminution des recettes en provenance de France Télévision à raison de la réduction des recettes publicitaires, et à des parts d'audience inférieures à ce que requéraient ses obligations contractuelles, a pu développer de nouvelles ressources auprès de cette dernière au cours des années en litige.

7. Il résulte de ce qui précède que l'administration, qui n'a pas remis en cause la valeur d'inscription des clips musicaux retenue à l'actif de la SARL A... Télévision, et en conséquence le montant des amortissements déduits, n'apporte pas la preuve lui incombant de l'absence de contrepartie retirée à l'exploitation des bandes " master " acquises auprès de M. A....

Sur les pénalités pour manœuvres frauduleuses :

8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " 1. Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ".

9. En l'absence d'acte anormal de gestion établi, l'amende infligée au titre des dispositions précitées est dépourvue de justification.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la Sarl A... Télévision est seulement fondée à soutenir que c'est à tort, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge d'un complément d'imposition d'un montant de 366 806 euros, en droits et pénalités, et à en obtenir la décharge.

Sur les frais de l'instance :

11. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la partie perdante les frais exposés par l'autre partie et non compris dans les dépens.

12. La SARL A... Télévision étant en l'espèce la partie qui l'emporte, il y lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en sa faveur au titre des dispositions mentionnées.

D E C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la requête de la SARL A... Télévision tendant à la décharge d'une somme supérieure au montant de 366 806 euros, en droits et pénalités, doivent être rejetées.

Article 2 : La SARL A... Télévision est déchargée du complément d'imposition de

366 806 euros, en droits et pénalités.

Article 3 : Le jugement n° 1925139 du tribunal administratif de Paris en date du

2 novembre 2021 est annulé.

Article 4 : L'Etat versera à la SARL A... Télévision une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administratif.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) A... Télévision et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Carrère, président,

M. Soyez, président assesseur,

Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 5 juillet 2024.

Le rapporteur,

J-E. SOYEZLe président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA06242


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06242
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Jean-Eric SOYEZ
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : ELLIS SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;21pa06242 ?
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