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04/07/2024 | FRANCE | N°23PA03172

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 04 juillet 2024, 23PA03172


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Auchan Hypermarché a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté n° P093-20210814 du 14 août 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis en tant qu'il subordonne à la présentation du " passe sanitaire " l'accès aux centres commerciaux de plus de 20 000 m² " A... " et " Bel Est ".



Par un jugement n° 2114181 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 juillet 2023 et le 13 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Auchan Hypermarché a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté n° P093-20210814 du 14 août 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis en tant qu'il subordonne à la présentation du " passe sanitaire " l'accès aux centres commerciaux de plus de 20 000 m² " A... " et " Bel Est ".

Par un jugement n° 2114181 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 juillet 2023 et le 13 mars 2024, la société Auchan Hypermarché, représentée par la société d'avocat Cornet-Vincent-Segurel (CVS), demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 mai 2023 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 août 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis en tant qu'il subordonne à la présentation du " passe sanitaire " l'accès aux centres commerciaux de plus de 20 000 m² " A... " et " Bel Est " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé et méconnaît ainsi les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et la circulaire du 31 août 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

- le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas procédé à un examen concret de la configuration des lieux, ni vérifié l'existence d'un risque de contamination par la covid-19 inhérent à chaque centre commercial, avant d'édicter l'arrêté contesté ;

- l'arrêté contesté est illégal en raison de l'illégalité des dispositions de l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de sortie de crise sanitaire, dans leur rédaction issue du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 dès lors que ces dispositions réglementaires méconnaissent le principe d'égalité entre les différents commerces et que leur objectif est de pénaliser les grands commerces et ceux situés dans les centres commerciaux et d'inciter à la vaccination contre la covid-19 ; les conditions de calcul des surfaces seuil telles que déterminées par ces dispositions sont manifestement illégales ; ces dispositions réglementaires portent une atteinte grave et disproportionnée à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la libre concurrence entre les opérateurs du marché de la grande distribution ;

- il est entaché d'erreur d'appréciation dès lors que les centres commerciaux ne présentaient pas plus de risques de contamination par la covid-19 que les autres établissements recevant du public dont l'accès n'avait pas été subordonné à la présentation du " passe sanitaire " ; la mesure imposant la présentation du " passe sanitaire " n'est donc pas justifiée ;

- la mesure imposant la présentation du " passe sanitaire " n'est pas proportionnée et adaptée au regard de l'objectif poursuivi de sauvegarde de la santé publique et porte ainsi atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprendre, au principe de libre concurrence et à la liberté d'aller et venir ;

- en limitant la mesure prescrivant la présentation du " passe sanitaire " aux seuls commerces et centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés, l'arrêté contesté méconnaît le principe d'égalité ;

- il porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et au droit à la protection des données personnelles.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Auchan Hypermarché exploite deux établissements situés respectivement au sein du centre commercial " A... " à Epinay-sur-Seine et au sein du centre commercial le " Bel Est " à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Afin de lutter contre une nouvelle dégradation de la situation sanitaire due à l'épidémie de covid-19, le préfet de la Seine-Saint-Denis a, par un arrêté du 14 août 2021, prescrit l'obligation de présenter un " passe sanitaire " et rendu obligatoire le port du masque de protection pour accéder aux grands magasins et centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés du département de la Seine-Saint-Denis. La société Auchan Hypermarché a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler cet arrêté en ce qu'il subordonne l'accès des centres commerciaux " A... " et " Bel Est " à la présentation du " passe sanitaire ". Par un jugement du 17 mai 2023, dont la société Auchan Hypermarché relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes du point II-A de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction issue de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, applicable à la date de l'arrêté contesté : " A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 15 novembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : / (...) 2° Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées les activités suivantes : / (...) f) Sur décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient, les grands magasins et centres commerciaux, au-delà d'un seuil défini par décret, et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport. / Cette réglementation est rendue applicable au public et, à compter du 30 août 2021, aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou évènements lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue. (...) ". Selon les termes du point III du même article : " Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées aux I et II, il peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions. / Lorsque les mesures prévues aux mêmes I et II doivent s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède pas le territoire d'un département, le Premier ministre peut habiliter le représentant de l'Etat dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l'agence régionale de santé. Cet avis est rendu public. / Les mesures prises en application des deux premiers alinéas du présent III le sont après consultation des exécutifs locaux ainsi que des parlementaires concernés. (...) ". Et aux termes du point IV de ce même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l'objet d'une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent ".

3. D'autre part, selon les termes de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021 et applicable au litige : " I. - Les personnes majeures doivent, pour être accueillies dans les établissements, lieux, services et évènements mentionnés aux II et III, présenter l'un des documents suivants : / 1° Le résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest mentionné au 1° de l'article 2-2 réalisé moins de 72 heures avant l'accès à l'établissement, au lieu, au service ou à l'évènement. Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent 1° sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2 ; / 2° Un justificatif du statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ; / 3° Un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l'article 2-2. / La présentation de ces documents est contrôlée dans les conditions mentionnées à l'article 2-3. / A défaut de présentation de l'un de ces documents, l'accès à l'établissement, au lieu, au service ou à l'évènement est refusé, sauf pour les personnes justifiant d'une contre-indication médicale à la vaccination dans les conditions prévues à l'article 2-4. / II. - Les documents mentionnés au I doivent être présentés pour l'accès des participants, visiteurs, spectateurs, clients ou passagers aux établissements, lieux, services et évènements suivants : / (...) 7° Les magasins de vente et centres commerciaux, relevant du type M mentionné par le règlement pris en application de l'article R. 143-12 du code de la construction et de l'habitation, comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée calculée est supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés, sur décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport. / La surface mentionnée au précédent alinéa est calculée dans les conditions suivantes : / a) La surface commerciale utile est la surface totale comprenant les surfaces de vente, les bureaux et les réserves, sans déduction de trémie ou poteau et calculée entre les axes des murs mitoyens avec les parties privatives, et les nus extérieurs des murs mitoyens avec les parties communes. La surface est prise en compte indépendamment des interdictions d'accès au public ; / b) Il faut entendre par magasin de vente ou centre commercial tout établissement comprenant un ou plusieurs ensembles de magasins de vente, y compris lorsqu'ils ont un accès direct indépendant, notamment par la voie publique, et éventuellement d'autres établissements recevant du public pouvant communiquer entre eux, qui sont, pour leurs accès et leur évacuation, tributaires de mails clos. L'ensemble des surfaces commerciales utiles sont additionnées pour déterminer l'atteinte du seuil de 20 000 m², y compris en cas de fermeture, même provisoire, de mails clos reliant un ou plusieurs établissements ou bâtiments. (...) ".

Sur la motivation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis :

4. L'arrêté contesté, qui doit être motivé en application des dispositions du 7° du II de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 citées au point 3, mentionne que les grands magasins et centres commerciaux mettent en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et pour une durée prolongée, qu'ils présentent ainsi un risque important de propagation du virus, notamment pour les établissements dont la surface excède 20 000 mètres carrés, et qu'à la suite du développement rapide du variant Delta dans le département de la Seine-Saint-Denis, la situation sanitaire s'est dégradée, avec un taux d'incidence de 222 cas pour 100 000 habitants toutes tranches d'âge confondues, et proche de 350 cas pour 100 000 habitants s'agissant des tranches d'âge comprises entre 10 et 40 ans. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a porté l'appréciation selon laquelle compte-tenu de la dégradation de la situation sanitaire dans le département, il convenait de subordonner l'accès de l'ensemble des grands magasins et centres commerciaux de plus 20 000 mètres carrés à la présentation d'un QR code traduisant soit le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19. Il a précisé les douze grands magasins et centres commerciaux concernés par cette mesure dont les centres commerciaux " Bel Est " et " A... " situés respectivement à Bagnolet et à Epinay-sur-Seine. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société requérante, le préfet de la Seine-Saint-Denis a énoncé de manière suffisamment précise les considérations de fait sur lesquelles il s'est fondé pour décider de subordonner l'accès des centres commerciaux " Bel Est " et " A... " à la présentation du " passe sanitaire ". La société requérante ne peut utilement invoquer la circulaire du 31 août 1979 relative à la motivation des actes administratifs, qui est dépourvue de valeur réglementaire. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation en fait de l'arrêté contesté doit être écarté.

Sur l'examen de la situation des centres commerciaux " A... " et " Bel Est " :

5. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Saint-Denis a procédé à l'examen de la situation sanitaire du département au regard de la contamination par la covid-19, notamment au regard du degré de rapidité de propagation de la nouvelle souche du virus, le Delta et du taux de contamination par tranche d'âge, et des particularités des centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés où se concentre un nombre important de personnes et pour une durée prolongée et dont il résulte un risque important de propagation du virus. Le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est ainsi livré à un examen approfondi de la situation avant d'édicter l'arrêté en litige. La société Auchan Hypermarché n'apporte aucune précision quant à une éventuelle spécificité ou configuration particulière des centres commerciaux " Bel Est " et " A... " qui aurait justifié un examen plus approfondi que celui effectué par le préfet de la Seine-Saint-Denis. Dans ces conditions, le moyen tiré d'un examen insuffisant par le préfet de la Seine-Saint-Denis de la spécificité des centres commerciaux " Bel Est " et " A... " au regard du risque de contamination par la covid-19 doit être écarté.

Sur l'exception d'illégalité de l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié :

6. A la suite d'une nouvelle dégradation de la situation épidémique liée à la covid-19, la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a modifié la loi du 31 mai 2021 afin notamment de permettre au Premier ministre d'étendre le champ d'application du " passe sanitaire ", en particulier aux grands magasins et centres commerciaux, au-delà d'un seuil défini par décret, sur décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport. Le décret du 7 août 2021 en a tiré les conséquences en modifiant l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 pour subordonner à la présentation du " passe sanitaire " l'accès à des établissements, lieux, services et évènements supplémentaires, en particulier aux magasins de vente et centres commerciaux comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée calculée est supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés, dans les conditions prévues par la loi, en définissant la notion de surface commerciale utile et les établissements concernés.

7. A la date de l'édiction du décret du 7 août 2021, l'épidémie de la covid-19 était en cours d'aggravation rapide par l'effet d'un nouveau variant du virus, devenu prépondérant, beaucoup plus contagieux et qui, selon les avis scientifiques alors disponibles, présentait plus de risques de causer des formes graves de la maladie. Entre la deuxième semaine de juillet et la première semaine d'août 2021, le taux d'incidence était passé de 41 pour 100 000 habitants à 236 pour 100 000, tandis que le nombre hebdomadaire de nouvelles hospitalisations était passé de 783 à 4 764, le nombre hebdomadaire d'admissions en soins critiques de 154 à 1 086 et le nombre hebdomadaire de décès en établissement de santé ou médico-social de 165 à 347. Dans ce contexte, la préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus. Les prévisions faisaient état d'une " quatrième vague " épidémique que la couverture vaccinale, si elle était restée à son niveau alors constaté, ou sur sa tendance spontanée de progression, n'aurait pas pu freiner. Les vagues précédentes n'avaient ainsi pu être endiguées qu'au prix de mesures de confinement, de couvre-feu et de fermeture d'établissements, notamment à l'automne 2020, des magasins de vente et centres commerciaux comportant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée était supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés.

8. En premier lieu, d'une part, dans le contexte décrit au point précédent, les magasins de vente et centres commerciaux concernés par le décret du 7 août 2021, caractérisés par la concentration de nombreux commerces dans un espace clos, mettaient en présence simultanément un nombre important de personnes et présentaient donc un risque de contamination accru, comme l'a d'ailleurs relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, par laquelle il a déclaré conforme à la Constitution l'obligation de présentation du " passe sanitaire " pour accéder aux centres commerciaux au-delà d'un certain seuil, en raison tant de la promiscuité des personnes présentes, qu'il s'agisse des clients comme du personnel, que des interactions sociales qui s'y déroulent.

9. D'autre part, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, la garantie de l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité n'imposait pas d'assurer l'accès à ces biens et services se trouvant dans l'enceinte des grands magasins et centres commerciaux soumis à l'obligation de présentation du " passe sanitaire ", mais devait être prise en compte dans ses décisions par le représentant de l'Etat dans le département, de telle sorte que les clients des centres commerciaux concernés, y compris ceux qui ne détenaient pas un " passe sanitaire ", aient la possibilité d'accéder à de tels biens et services, en particulier alimentaires et de santé, dans des magasins ou établissements situés à une distance raisonnable de ces centres, appréciée au regard de la densité urbaine et des moyens de transport disponibles.

10. Il s'ensuit que les dispositions du décret du 7 août 2021, qui se bornent à rappeler une disposition qui figure dans la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, en précisant ses modalités d'application, et à renvoyer sa mise en œuvre à des décisions du représentant de l'Etat dans le département, à la condition que les caractéristiques des magasins de vente ou des centres commerciaux et la gravité des risques de contamination le justifient et que soit garanti l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité, ces décisions pouvant au demeurant être soumises au contrôle du juge, sont justifiées par la protection de la santé publique et adaptées à l'objectif poursuivi de lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19, et non comme le soutient la société requérante à un objectif d'incitation à la vaccination, sans être entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

11. En deuxième lieu, les grands magasins de vente et les centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés, en mettant simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et pour une durée prolongée, présentent ainsi qu'il a déjà été dit un risque important de propagation du virus. Les commerces situés au sein de ces établissements sont donc dans une situation différente de ceux situés en dehors de ces établissements. Dès lors, en prévoyant que l'obligation de présentation d'un " passe sanitaire " s'applique aux seuls grands magasins et centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui repose sur une différence de situation et qui est en rapport direct avec l'objet de la loi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté.

12. En troisième lieu, si les dispositions du décret du 7 août 2021 modifiant les dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 ont prévu que la surface prise en compte pour le calcul du seuil de 20 000 mètres carrés est la surface commerciale utile, laquelle comprend les surfaces de vente, les bureaux et les réserves, sans inclure les espaces extérieurs affectés aux points de retrait dits " drive ", la surface commerciale utile est une notion déjà reconnue par les professionnels du secteur, favorisant ainsi sa connaissance et la correcte application de ces dispositions et reflétant le fait que, contrairement à ce qui est soutenu, la surface des réserves et des bureaux n'est pas sans lien avec la surface de vente ni avec la fréquentation du centre commercial. Si cette définition ne permet pas d'exclure du calcul du seuil de 20 000 mètres carrés les surfaces non accessibles au public de façon habituelle ou temporaire, elle garantit néanmoins la correcte application de la règle, fondée sur des éléments objectifs ne dépendant pas de décisions prises par les responsables des magasins et centres commerciaux concernés. En outre, dès lors que la circulation du personnel, qui peut accéder à ces différentes surfaces, et ses relations avec la clientèle, qui n'a accès qu'à la surface de vente, peuvent favoriser les interactions sociales, la prise en compte de l'ensemble de ces surfaces est adaptée à l'objectif poursuivi de lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19.

13. En quatrième lieu, la société Auchan Hypermarché soutient que les dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 dans sa version issue du décret du 7 août 2021 porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de libre concurrence, dès lors notamment que ses magasins ont connu une perte de clientèle, une diminution du chiffre d'affaires et un alourdissement de leurs charges du fait du coût supplémentaire inhérent à la mise en place des procédures de contrôle à l'entrée des magasins. Toutefois, elle ne produit aucun commencement de justification de ce coût supplémentaire qui au demeurant pouvait être réparti entre l'ensemble des magasins situés dans les centres commerciaux de " A... " et du " Bel Est ". Afin d'étayer ses affirmations selon lesquelles l'obligation de présenter un " passe sanitaire " afin de pouvoir accéder à ses magasins situés dans les centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés a induit une baisse significative des chiffres d'affaires de ces magasins, la société Auchan Hypermarché verse au dossier des attestations de la directrice finances, performances et patrimoine établies le 3 septembre 2021 et comportant des tableaux élaborés par ses soins retraçant l'évolution du chiffre d'affaires des magasins Auchan concernés par l'arrêté contesté. S'agissant du magasin Auchan du centre commercial " A... " situé à Epinay-sur-Seine, il ressort du tableau présenté qu'il a subi une baisse de son chiffre d'affaires, incluant au demeurant le chiffre d'affaires du service Drive alors que ce dernier n'était pas soumis à l'obligation du " passe sanitaire ", comprise entre 8,5 % et 38,5 %, entre le 16 août 2021, date de l'entrée en vigueur de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis, et le 31 août 2021. Il ressort toutefois de ce tableau que le chiffre d'affaires du magasin avait commencé à diminuer avant la mise en œuvre de la mesure contestée, à l'exception de la journée du samedi 15 août 2021 (+ 2 %). Ainsi, entre le 11 et le 14 août 2021, le chiffre d'affaires avait diminué respectivement de 15 %, 17,6 %, 12,6 % et 9,9 %. Il ressort des données concernant le magasin Auchan du centre commercial " Bel Est " situé à Bagnolet que, sur la même période, la baisse du chiffre d'affaires, englobant également le chiffre d'affaires du service Drive, est comprise entre 14,6 % et 45,8 %, à l'exception du 31 août (+1,9 %). Toutefois, comme pour le magasin précédent, la diminution du chiffre d'affaires avait commencé dès le 11 août 2021 (- 12,1 %). Dans ces conditions, dans un contexte marqué par les vacances estivales et un rebond de l'épidémie de covid-19, il ne ressort pas des pièces du dossier que la baisse du chiffre d'affaires de ces deux magasins Auchan serait directement liée à l'obligation de présenter un " passe sanitaire ". En tout état de cause, à supposer même que ce lien de causalité soit établi, eu égard au contexte de reprise rapide de l'épidémie de covid-19 qui prévalait à la date où ont été adoptées les dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 dans sa version issue du décret du 7 août 2021 et qui imposait, pour la préservation des personnes les plus exposées aux formes graves, non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus, l'ampleur de la diminution du chiffre d'affaires de ces deux magasins n'est pas de nature à établir que les dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 dans sa version issue du décret du 7 août 2021 porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de libre concurrence.

14. Il ressort des points 6 à 13 que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des dispositions de l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié par le décret du 7 août 2021 sur le fondement duquel a été édicté l'arrêté préfectoral du 14 août 2021, doit être écarté.

Sur l'atteinte portée à liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de libre concurrence :

15. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, la situation sanitaire s'était dégradée dans le département de la Seine-Saint-Denis du fait de la rapidité de propagation de la nouvelle souche du virus de la covid-19, le Delta, beaucoup plus contagieuse et devenue prépondérante, avec un taux d'incidence de 222 cas pour 100 000 habitants toutes tranches d'âge confondues, et proche de 350 cas pour 100 000 habitants s'agissant des tranches d'âge comprises entre 10 et 40 ans. Ces taux étaient ainsi supérieurs au taux d'incidence de 50 pour 100 000 habitants, regardé comme un " seuil d'alerte ". Dans un tel contexte, et alors que les magasins de vente et centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés caractérisés, ainsi qu'il a déjà été dit au point 8, par la concentration de nombreux commerces dans un espace clos, mettaient en présence simultanément un nombre important de personnes et présentaient donc un risque de contamination accru, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-824 DC déjà citée, la mesure prise, sur le fondement des dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifié, par le préfet de la Seine-Saint-Denis subordonnant l'accès aux centres commerciaux " A... " et " Bel Est " à la présentation d'un " passe sanitaire ", et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait pour objet d'inciter à la vaccination, est justifiée.

16. La société requérante se borne à reproduire en appel le moyen, sans l'assortir d'éléments nouveaux, tiré de ce que la mesure en litige ne serait pas adaptée dès lors que les grands magasins et centres commerciaux, où les gestes barrières seraient respectés, ne constituaient pas des lieux de contamination. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 20 de leur jugement, d'écarter ce moyen repris en appel. En tout état de cause, la possibilité d'exiger, lorsque la gravité de la situation sanitaire le justifie, la présentation du " passe sanitaire " pour accéder aux grands magasins et centres commerciaux d'une surface de plus de 20 000 mètres carrés ayant été prévue par l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, qui a été déclaré conforme à la Constitution par la décision n° 2021-824 DC du Conseil constitutionnel déjà citée, et précisée par les dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, la société requérante ne peut utilement soutenir, en se prévalant de plusieurs études scientifiques et au motif que les grands magasins et les centres commerciaux d'une surface de plus de 20 000 mètres carrés ne constitueraient pas des lieux où le taux de contamination par la covid-19 serait le plus élevé, que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pourrait pas légalement subordonner leur accès à la présentation du " passe sanitaire ".

17. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 13, il ne ressort pas des pièces du dossier que la baisse de chiffres d'affaires des magasins Auchan situés dans les centres commerciaux " A... " et " Bel Est ", pour la période du 16 au 31 août 2021, serait directement liée à l'obligation de présenter un " passe sanitaire " ou en tout état de cause, à supposer même que ce lien de causalité soit établi, que l'ampleur de la diminution des chiffres d'affaires de ces deux magasins serait de nature à établir que l'arrêté contesté porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de libre concurrence. En outre, ainsi qu'il a déjà été dit, l'augmentation des charges du fait des contrôles supplémentaires à l'entrée des magasins à fin de vérifier la détention du " passe sanitaire " invoquée par la société requérante n'est pas établie.

Sur l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir :

18. Eu égard à la situation sanitaire dans le département de la Seine-Saint-Denis à la date de l'arrêté contesté et aux caractéristiques propres des grands magasins et des centres commerciaux d'une surface de plus de 20 000 mètres carrés, qui présentaient un risque de contamination accru pour leurs clients, ainsi qu'il a déjà été dit au point 15, la mesure imposant la présentation d'un " passe sanitaire " pour accéder à ces commerces ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir.

Sur le principe d'égalité :

19. Les grands magasins de vente et les centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés, en mettant simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et pour une durée prolongée, présentent ainsi qu'il a déjà été dit un risque important de propagation du virus. Les commerces situés au sein de ces établissements sont donc dans une situation différente de ceux situés en dehors de ces établissements. Dès lors, en prévoyant que l'obligation de présentation d'un " passe sanitaire " s'applique aux seuls grands magasins et centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés du département de la Seine-Saint-Denis, et notamment les centres commerciaux de A... d'Epinay-sur-Seine, et du Bel Est de Bagnolet dans lesquels se trouvent les magasins Auchan, l'arrêté contesté instaure une différence de traitement qui repose sur une différence de situation et qui est en rapport direct avec l'objet de la loi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté.

Sur le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit à la protection des données personnelles :

20. Si la société requérante soutient que la mesure visant à interdire l'accès aux centres commerciaux de plus de 20 000 mètres carrés aux personnes non titulaires du " passe sanitaire " est manifestement disproportionnée et porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale et au droit à la protection des données personnelles, elle n'assortit pas ces moyens de précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Auchan Hypermarché n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Auchan Hypermarché est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Auchan Hypermarché et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA03172 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03172
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : C.V.S.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23pa03172 ?
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