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04/07/2024 | FRANCE | N°22PA02445

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 04 juillet 2024, 22PA02445


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Les Laboratoires Servier a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme, fixée à 55 187 809,60 euros dans le dernier état de ses écritures, correspondant à 30 % du total des sommes qu'elle avait, à la date du 1er avril 2021, versées en réparation des dommages liés à la prise de Mediator pour les personnes à qui celui-ci a été prescrit entre le 7 juillet 1999 et le 30 novembre 2009, ainsi qu'aux organismes sociaux.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Les Laboratoires Servier a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme, fixée à 55 187 809,60 euros dans le dernier état de ses écritures, correspondant à 30 % du total des sommes qu'elle avait, à la date du 1er avril 2021, versées en réparation des dommages liés à la prise de Mediator pour les personnes à qui celui-ci a été prescrit entre le 7 juillet 1999 et le 30 novembre 2009, ainsi qu'aux organismes sociaux.

Par un jugement n° 1905502/6-1 du 25 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande et a rejeté les conclusions qu'il a qualifiées de reconventionnelles présentées à titre subsidiaire par le ministre de la santé tendant à ce que soient déduites de l'indemnisation mise à la charge de l'Etat les dépenses de fonctionnement du collège d'experts mentionné à l'article L. 1142-24-4 du code de la santé publique, soit, en dernier lieu, la somme de 9 573 828 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif enregistrés les 25 mai et 23 août 2022, le ministre de la santé demande à la cour, à titre principal, d'annuler le jugement n° 1905502 du 25 mars 2022 du tribunal administratif de Paris et, à titre subsidiaire, de déduire de l'indemnisation mise à la charge de l'Etat les dépenses de fonctionnement du collège d'experts mentionné à l'article L. 1142-24-4 du code de la santé publique, pour un montant de 9 573 828 euros.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal est insuffisamment motivé en ce qui concerne le moyen tiré de ce que le préjudice dont la société requérante demande la réparation découle directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle elle s'est elle-même placée ;

- les préjudices dont la société Les Laboratoires Servier entend demander réparation à l'Etat sont directement liés à ses propres agissements fautifs dans la commercialisation du Médiator, et à la situation irrégulière dans laquelle elle s'est elle-même placée ; en application de l'exception d'illégitimité, ces préjudices ne peuvent lui ouvrir droit à réparation de la part de la puissance publique ;

- à titre subsidiaire, il y a lieu de déduire de l'éventuelle indemnisation mise à la charge de l'Etat les dépenses de fonctionnement du collège d'experts mentionné à l'article L. 1142-24-4 du code de la santé publique.

Par des mémoires en défense enregistrés le 3 octobre 2022 et le 23 avril 2024, la société Les Laboratoires Servier conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que l'Etat lui verse une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tendant au rejet de la demande présentée par la société Les Laboratoires Servier devant le tribunal administratif de Paris sont nouvelles en appel et de ce fait, irrecevables ;

- par courrier du 8 juin 2018, la Direction Générale de la Santé a reconnu l'obligation de contribution à la dette incombant à l'Etat à hauteur de 30 % des sommes versées aux victimes ;

- c'est à juste titre que le tribunal n'a pas accueilli " l'exception d'illégitimité " opposée par le ministre de la santé ;

- les conclusions reconventionnelles tendant à ce que les dépenses de fonctionnement du collège d'experts mentionné à l'article L. 1142-24-4 du code de la santé publique soient déduites de l'indemnisation accordée à la société sont irrecevables dès lors qu'elles se rattachent à un litige distinct qu'il appartient à l'ONIAM, si il s'y estime fondée, d'engager par l'émission d'un titre exécutoire relatif à ces sommes, en application du privilège du préalable dont il dispose en tant qu'établissement public administratif.

Par lettre du 8 avril 2024, les parties ont été informées, en application de la décision du 19 avril 2013, Chambre de commerce et d'industrie d'Angoulême, n° 340093, du Conseil d'Etat de ce que l'intervention, le 20 décembre 2023, de l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Paris, jugeant caractérisée l'infraction d'escroquerie et infirmant le jugement du 29 mars 2021 sur ce point, constituait une circonstance nouvelle justifiant la réouverture de l'instruction.

Par des mémoires enregistrés le 24 avril et le 23 mai 2024, la société Les Laboratoires Servier a présenté ses observations, en faisant valoir notamment que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 décembre 2023, rendu en matière pénale, n'est pas définitif, puisqu'il fait l'objet d'un pourvoi en cassation, qui est suspensif, qu'en l'état, cet arrêt ne saurait donc présenter de portée juridique et être pris en compte par le juge administratif et que de plus, d'une part, la cour n'est pas liée par la qualification juridique des faits opérés par le juge pénal dans l'arrêt rendu par la cour d'appel et, d'autre part, que cela n'a pas d'incidence sur l'appréciation de la gravité des fautes commis par l'Etat et par elle-même.

Par un mémoire enregistré le 7 mai 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités a présenté ses observations en faisant valoir que compte tenu des faits, constitutifs des infractions pénales d'obtention frauduleuse de documents administratifs et d'escroquerie, relevés par la cour d'appel de Paris, l'exception d'illégitimité qu'elle a soulevée ne peut qu'être retenue.

Par ordonnance du 14 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Moiroux, pour la société Les Laboratoires Servier.

Une note en délibéré, présentée par la société Les Laboratoires Servier, a été enregistrée le 13 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 22 novembre 2018, réceptionné le 27 novembre suivant, la société Les Laboratoires Servier a transmis une demande indemnitaire préalable à la ministre en charge de la santé tendant à ce que l'Etat l'indemnise à hauteur de 30 % du total des sommes qu'elle a versées en réparation des dommages liés à la prise de Mediator pour les personnes à qui celui-ci a été prescrit entre le 7 juillet 1999 et le 30 novembre 2009, ainsi qu'aux organismes sociaux. Aucune réponse n'a été apportée à cette demande qui a été ainsi implicitement rejetée. La société Les Laboratoires Servier a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser au titre de ces dépenses, arrêtées au 1er avril 2021, la somme totale de 55 187 809,60 euros. Le ministre de la santé relève appel du jugement du 25 mars 2022 par lequel le tribunal a fait droit à cette demande.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Les Laboratoires Servier :

2. La société Les Laboratoires Servier soutient que l'Etat n'ayant pas expressément conclu au rejet de sa demande indemnitaire devant les premiers juges, les conclusions d'appel de la requête tendant au rejet de la demande présentées devant le tribunal sont nouvelles et, par conséquent, irrecevables. Toutefois, dans son mémoire en défense devant le tribunal, le ministre, après avoir relevé que les décisions fixant à 30 % la part de responsabilité de l'Etat correspondaient à des hypothèses dans lesquelles la juridiction était saisie par des victimes et non, comme en l'espèce, par la personne responsable du dommage, s'est prévalu de la jurisprudence du Conseil d'Etat selon laquelle une faute d'une particulière gravité délibérément commise fait obstacle à ce qu'une personne privée qui a été condamnée à réparer un dommage puisse se prévaloir de la faute de l'administration. Il demandait pour ce motif, à titre principal, que le tribunal sursoie à statuer jusqu'à l'intervention du jugement pénal en précisant qu'" à défaut, le taux de responsabilité ne peut pas être maintenu à hauteur de 30 % ". Dans ces conditions, et ainsi que le tribunal l'a jugé, même s'il n'a pas expressément conclu en ce sens, le ministre devait être regardé comme demandant, implicitement mais nécessairement, à titre principal, le rejet de la demande de la société Les Laboratoires Servier et, à titre subsidiaire, en cas de condamnation, que le montant des dépenses de fonctionnement du collège d'experts mentionné à l'article L. 1142-24-4 du code de la santé publique s'impute sur les sommes éventuellement mises à sa charge. Si la société Les Laboratoires Servier se prévaut de la lettre du 8 juin 2018 dans laquelle le directeur général de la santé rappelle à la société la procédure pénale en cours et indique " qu'en tout état de cause, et sans préjudice des décisions définitives qui pourraient intervenir, l'Etat ne pourra rembourser les Laboratoires Servier dans les limites de sa responsabilité qu'au vu de la liste des victimes et des montants versés à chacune d'elle ", il ne ressort pas des termes de cette lettre que le ministre aurait, préalablement à la saisine du tribunal, accepté le principe d'une indemnisation. En toute hypothèse, une telle circonstance ne faisait pas obstacle à ce que, au stade contentieux, il décide finalement de se raviser. Alors que, d'une part, saisi de conclusions indemnitaires, le juge n'est pas tenu d'accorder une somme au moins égale à celle que l'administration s'était déclarée prête à verser à l'amiable au demandeur et, d'autre part, que les personnes morales de droit public ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas, la société Les Laboratoires Servier n'est ainsi, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les conclusions du ministre tendant au rejet de sa demande indemnitaire sont irrecevables pour être nouvelles en appel.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. La société Les Laboratoires Servier a commercialisé le Mediator, médicament dont la substance active était le benfluorex, jusqu'au 30 novembre 2009, date de la suspension de son autorisation de mise sur le marché. Il résulte de l'instruction que les patients ayant absorbé du benfluorex ont été exposés à des effets indésirables graves et nombreux, notamment d'ordre neurologique et cardiovasculaire.

4. La responsabilité civile de la société Les Laboratoires Servier a été recherchée à compter de l'année 2010 devant le juge judiciaire par certains patients. Elle a été définitivement reconnue par un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 20 septembre 2017, n° 16-19.643. Par de très nombreux jugements, le juge judiciaire a ainsi condamné la société Les Laboratoires Servier à indemniser les victimes directes de l'intégralité de leurs préjudices en lien avec l'administration du Mediator, conformément au principe d'obligation in solidum qui permet à une victime, devant le juge civil, lorsque plusieurs personnes sont co-auteurs du même dommage, d'agir contre un seul de ces co-auteurs et d'obtenir une condamnation à la réparation intégrale de son préjudice, à charge ensuite au défendeur ainsi assigné d'engager une nouvelle action en justice à l'encontre des tiers dont la faute a concouru à la réalisation du dommage. Il résulte de l'instruction que la société requérante a également indemnisé en vertu de jugements judiciaires plusieurs organismes versant des prestations sociales au titre du régime général de la sécurité sociale, en leur qualité de victimes indirectes et en réparation des débours qu'ils avaient engagés en lien avec les effets secondaires du Mediator sur certains de leurs assurés.

5. Dans un but d'accélération et de simplification de l'indemnisation des victimes, la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 a inséré dans le code de la santé publique une section relative à l'indemnisation des victimes du benfluorex, composée des articles L. 1142-24-1 à L. 1142-24-8. Cette procédure non-juridictionnelle est, aux termes de l'article L. 1142-24-1, " sans préjudice des actions qui peuvent être exercées conformément au droit commun ". Il résulte de l'instruction que, lorsque la société Les Laboratoires Servier a indemnisé les victimes, tant directes qu'indirectes, à l'issue de cette procédure sur le fondement de l'article L. 1142-24-6 du code de la santé publique, ou lorsqu'elle a reversé les sommes correspondantes à cette indemnisation à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), subrogé dans les droits de la victime, sur le fondement de son article L. 1142-24-7, les protocoles transactionnels correspondants visaient à mettre à la charge de la société intimée l'intégralité de la réparation des préjudices subis par les victimes et non la seule part de cette réparation lui incombant.

6. Enfin, il résulte de l'instruction que des protocoles transactionnels sont également parfois intervenus entre la société requérante et certaines victimes en dehors de la procédure prévue aux articles L. 1142-24-1 et suivants du code de la santé publique.

7. Par les pièces produites au dossier de l'instance, la société Les Laboratoires Servier justifie avoir versé à ces différents titres, au 1er avril 2021, un total de 183 959 365,36 euros, aux victimes directes et indirectes du benfluorex.

8. Certaines victimes ont également recherché la responsabilité de l'Etat devant le juge administratif. Par un arrêt n° 14PA04082 du 31 juillet 2015, confirmé sur ce point en cassation par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux nos 393902 et 393926 du 9 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'à partir du 7 juillet 1999, tant les dangers du benfluorex, substance active de la spécialité pharmaceutique Mediator, que le déséquilibre entre les bénéfices et les risques tenant à l'utilisation du Mediator étaient suffisamment caractérisés pour que l'abstention de prendre les mesures adaptées, consistant en la suspension ou le retrait de l'autorisation de mise sur le marché de la molécule, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par ailleurs, par un arrêt devenu définitif du 4 août 2017, n° 16PA00157 et 16PA03634, rendu sur renvoi du Conseil d'Etat décidé par sa décision nos 393902 et 393926 mentionnée ci-dessus, la cour a jugé que les agissements fautifs des laboratoires Servier étaient de nature à exonérer l'Etat, pour l'ensemble de la période du 7 juillet 1999, date à laquelle sa responsabilité s'est trouvée engagée, au 30 novembre 2009, date à laquelle sa responsabilité a cessé, de 70 % de cette responsabilité quant à la réparation des conséquences dommageables pour les patients de la prise de Mediator.

9. En principe, la responsabilité de l'administration peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. Lorsque cette faute et celle d'un tiers ont concouru à la réalisation d'un même dommage, le tiers co-auteur qui a indemnisé la victime peut se retourner contre l'administration, en vue de lui faire supporter pour partie la charge de la réparation, en invoquant la faute de celle-ci. Il peut, de même, rechercher la responsabilité de l'administration, à raison de cette faute, pour être indemnisé de ses préjudices propres. Sa propre faute lui est opposable, qu'il agisse en qualité de co-auteur ou de victime du dommage. A ce titre, dans le cas où il a délibérément commis une faute d'une particulière gravité, il ne peut se prévaloir de la faute que l'administration aurait elle-même commise en négligeant de prendre les mesures qui auraient été de nature à l'empêcher de commettre le fait dommageable.

10. Par ailleurs, ainsi que le Conseil d'Etat l'a jugé dans une décision n° 310334 du 29 mai 2009, l'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives s'attache aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs et statuent sur le fond de l'action publique. Une décision rendue en dernier ressort présente à cet égard un caractère définitif, même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable.

11. Il résulte de l'instruction que si, lors de sa commercialisation, les propriétés métaboliques du benfluorex étaient mal connues, les laboratoires Servier ont su, au moins à partir de la fin de l'année 1993, qu'un des principaux métabolites du benfluorex était la norfenfluramine, molécule dérivée des amphétamines. La norfenfluramine, de même que la fenfluramine, ont été retirées du marché du médicament en septembre 1997, en raison d'un risque de survenue d'hypertension artérielle pulmonaire en cas de prise de ces anorexigènes. Alors que l'Agence du médicament n'avait pas connaissance, à cette date, de la proximité métabolique du benfluorex et des fenfluramines et n'était donc pas en mesure de prendre les décisions qui s'imposaient, les laboratoires Servier, quant à eux, connaissaient cette proximité et auraient pu, également au vu des cas d'hypertension artérielle pulmonaire qui leur avaient été notifiés, prendre les mesures nécessaires pour s'assurer de l'innocuité du Mediator ou, à tout le moins, informer les médecins et les patients des risques liés à la prise de ce médicament. Ils ont à l'inverse décidé de développer une stratégie de communication destinée à celer à l'Agence du médicament les caractéristiques anorexigènes du benfluorex et ses effets indésirables. Des informations volontairement erronées ont été adressées à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) mais également à des acteurs médicaux. En outre, bien que l'efficacité du Mediator pour lutter contre les pathologies pour lesquelles il avait fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché ait été remise en cause, les laboratoires Servier ont réussi à faire maintenir par l'AFSSAPS l'indication thérapeutique relative au diabète. Enfin, les laboratoires Servier ont œuvré pour discréditer les propos de médecins qui avaient signalé des cas d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies cardiaques liés à la prise de Mediator et ont fait appel à des experts ayant des intérêts dans la société ou des liens avec celle-ci pour influencer les décisions des commissions et directions de l'AFSSAPS. Ces agissements délibérés, particulièrement graves et répétés sur une longue période, ont d'ailleurs conduit le tribunal correctionnel de Paris, le 29 mars 2021 à retenir à l'encontre des différentes sociétés du groupe Servier, dont la société Les Laboratoires Servier, titulaire de l'autorisation de mise sur le marché et des brevets du Médiator et exploitant pharmaceutique du produit, notamment, des faits de tromperie aggravée et d'homicides et blessures involontaires avec manquements délibérés. Dans son arrêt du 20 décembre 2023, dont l'autorité de la chose jugée s'attache aux constations de faits qui en constituent le soutien, la cour d'appel de Paris a également retenu, à l'encontre des sociétés du groupe Servier, d'une part, les faits d'obtention indue d'autorisation grâce à des manœuvres frauduleuses, s'agissant tant de l'autorisation initiale de mise sur le marché du Médiator que des renouvellements successifs, d'autre part, le chef d'escroquerie à l'égard des organismes de sécurité sociale qui sont intervenus dans le remboursement du Médiator, eu égard au choix qui a été fait par le groupe Servier, dans le cadre de sa stratégie commerciale, de réorienter le benfluorex sur un marché plus lucratif que celui des anorexigènes pour lequel il avait initialement été étudié. Les laboratoires Servier ont ainsi délibérément commis une faute d'une particulière gravité. Dans ces conditions, et alors même que l'Agence nationale de sécurité du médicament, qui a succédé à l'AFSSAPS, a été condamnée, par le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 mars 2021 dont elle n'a pas relevé appel, pour homicides et blessures involontaires à raison des négligences dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire, la société Les Laboratoires Servier, qui a indemnisé les victimes de ses agissements et est subrogée dans les droits de celles-ci, ne peut pas se prévaloir de la faute commise par l'Etat pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator, ce qui aurait été de nature à l'empêcher de commettre le fait dommageable dont les préjudices qu'elle invoque sont la conséquence directe. Est sans incidence, à cet égard, la circonstance que la cour, dans son arrêt du 4 août 2017 rendu dans le cadre d'un litige introduit par une personne physique demandant à l'Etat, et non à la société Servier, la réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la prise du Médiator, arrêt qui n'est revêtu que de l'autorité relative de la chose jugée, a considéré que les agissements fautifs des laboratoires Servier étaient de nature à exonérer l'Etat de 70 % de sa responsabilité quant à la réparation des conséquences dommageables pour les patients de la prise de Mediator. En toute hypothèse, la société Les laboratoires Servier ayant, ainsi qu'il a été dit, délibérément commis une faute d'une particulière gravité, elle ne peut se prévaloir de la faute que l'administration a elle-même commise et qui a été reconnue par l'arrêt du 4 août 2017.

12. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la santé est fondé, ainsi qu'il le demande à titre principal, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la société Les Laboratoires Servier.

13. Il n'y a pas lieu, en conséquence, de statuer sur les conclusions présentées à titre subsidiaire par le ministre.

Sur les frais liés à l'instance :

14. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Les Laboratoires Servier doivent dès lors être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 25 mars 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Les Laboratoires Servier devant le tribunal et ses conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la société Les Laboratoires Servier.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02445


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02445
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CABINET SIMMONS ET SIMMONS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;22pa02445 ?
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