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03/07/2024 | FRANCE | N°24PA00734

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 03 juillet 2024, 24PA00734


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision par laquelle le préfet du Val-d'Oise a implicitement refusé d'abroger l'arrêté du 2 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.



Par une ordonnance n° 2314175 du 22 décembre 2023, le président de la 11ème

chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision par laquelle le préfet du Val-d'Oise a implicitement refusé d'abroger l'arrêté du 2 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.

Par une ordonnance n° 2314175 du 22 décembre 2023, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2024, M. B..., représenté par Me Bertrand, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2314175 du 22 décembre 2023 du président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet du Val-d'Oise a implicitement refusé d'abroger l'arrêté du 2 juin 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de trois mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance :

- le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil ne pouvait rejeter sa demande par ordonnance, dès lors que sa requête n'était pas manifestement irrecevable ;

En ce qui concerne la décision refusant l'abrogation de l'arrêté du 2 juin 2023 :

- elle est insuffisamment motivée.

Par une lettre du 13 juin 2024, les parties ont été informées qu'en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité sur les conclusions de la requête à fin d'annulation de la décision refusant d'abroger l'arrêté du 2 juin 2023 en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois, dans la mesure où le requérant ne démontre pas résider hors du territoire français, à la date de saisine de la juridiction.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juin 2024, le préfet du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête en se référant à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les observations de Me Bertrand, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né le 17 juin 1994, est entré en France en août 2022 selon ses déclarations. Par un arrêté du 2 juin 2023, le préfet du Val-d'Oise lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois. Il a sollicité, par lettre du 1er juillet 2023, reçue le 6 juillet 2023 par le préfet du Val-d'Oise, l'abrogation de cet arrêté, justifiant d'un changement de situation de fait, dès lors qu'il disposait d'une promesse d'embauche. En l'absence de réponse apportée à sa demande d'abrogation, M. B... demande l'annulation du refus implicite qui lui a été opposé. Par une ordonnance du 22 décembre 2023, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

M. B... relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. Aux termes de l'article L. 243-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé sous réserve, le cas échéant, de l'édiction de mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6. ". Aux termes de l'article

L. 231-4 du même code : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : 1° Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ; ".

3. Il résulte de ces dispositions que le silence gardé par le préfet du Val-d'Oise, sur la demande qu'il a reçu le 6 juillet 2023 et tendant à l'abrogation de la décision portant obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre le 2 juin 2023 revêt le caractère d'une décision non réglementaire et non créatrice de droit, et ne tend pas à titre principal à l'adoption d'une décision individuelle. Dès lors l'absence de réponse du préfet a fait naître une décision implicite de rejet, cette décision présente un objet différent de l'arrêté du 2 juin 2023 et ne revêt pas, ainsi, le caractère d'une décision confirmative. M. B... était donc recevable à demander l'annulation de ce refus d'abroger en tant qu'il se prononce sur l'obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil ne pouvait rejeter par ordonnance la demande de M. B... sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Dès lors, cette ordonnance est irrégulière et doit être annulée.

4. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur le bien-fondé de la décision refusant l'abrogation de l'arrêté du 2 juin 2023 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. Cette condition ne s'applique pas : 1° Pendant le temps où l'étranger purge en France une peine d'emprisonnement ferme ; 2° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence prise en application des articles L. 731-1 ou

L. 731-3 ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'un étranger n'est pas recevable à demander l'annulation de la décision refusant d'abroger une interdiction de retour sur le territoire français s'il ne justifie pas résider hors de France à la date où il saisit le juge administratif. Dès lors que M. B... n'allègue pas résider hors du territoire français, celui-ci n'est pas recevable à demander l'annulation de la décision refusant d'abroger l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois prononcée à son encontre le 2 juin 2023.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) " et aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ".

8. Il résulte de ces dispositions qu'il est loisible à l'étranger auquel est opposé implicitement, après deux mois, un rejet de sa demande d'abrogation d'une obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre, de demander, dans le délai du recours contentieux, les motifs de cette décision implicite de rejet. En l'absence de communication de ces motifs dans le délai d'un mois, la décision implicite se trouve entachée d'illégalité.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a sollicité, par lettre du 1er juillet 2023, reçue le 6 juillet 2023 par le préfet du Val-d'Oise, l'abrogation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai prononcée à son encontre le 2 juin 2023. Il est constant que le préfet du Val-d'Oise n'a pas répondu à cette demande et qu'il doit être regardé comme ayant ainsi opposé un refus implicite au requérant. Par un courrier du 1er octobre 2023 avec avis de réception du 5 octobre 2023, M. B... a sollicité la communication des motifs de cette décision. Il soutient, sans être contredit par le préfet du Val-d'Oise, qu'il n'a pas été répondu à ce courrier. Dans ces conditions, et alors qu'aucune décision explicite n'est intervenue sur la situation administrative de M. B... depuis cette date, ce dernier est fondé à soutenir que la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai est entachée d'un défaut de motivation. Il y a lieu, par suite, d'annuler cette décision.

10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est, d'une part, fondé à soutenir que c'est à tort que le président de la 11ème chambre a rejeté, par ordonnance, sa demande, d'autre part, fondé à demander l'annulation de la décision implicite de rejet du préfet du Val-d'Oise en tant qu'elle a refusé d'abroger l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 2 juin 2023.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".

12. Compte tenu du moyen d'annulation retenu dans le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2314175 du 22 décembre 2023 du président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil est annulée.

Article 2 : La décision implicite de rejet du préfet du Val-d'Oise est annulée en tant qu'elle refuse l'abrogation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Val-d'Oise de procéder au réexamen de la demande d'abrogation de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. B... le 2 juin 2023.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au préfet du Val-d'Oise et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

I. A...L'assesseure la plus ancienne,

M. D...

La greffiere,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA00734


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00734
Date de la décision : 03/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : BERTRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-03;24pa00734 ?
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