Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision prise par le maire de la commune de Stains la mutant sur le poste de référent-conseiller technique du pôle " Bien Vivre à Stains ".
Par un jugement n° 1907617 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande comme irrecevable.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 février 2023, Mme A..., représentée par Me Godemer, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1907617 du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision implicite portant mutation interne sur le poste de référent-conseiller technique du pôle " Bien Vivre à Stains " ;
3°) d'enjoindre à la commune de Stains de la replacer, à compter du 27 novembre 2018, sur un poste équivalent à celui qu'elle occupait initialement, répondant à ses qualifications et adapté à son grade d'attaché territorial principal et de prendre, rétroactivement les mesures nécessaires pour la placer dans une position régulière, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'erreur de droit et d'appréciation, dès lors qu'elle a perdu en responsabilités sur son nouveau poste, la décision de mutation étant empreinte de discrimination et constitutive d'une sanction disciplinaire déguisée ; la décision implicite de mutation est entachée d'un vice de procédure tiré du défaut de saisine préalable de la commission administrative paritaire ;
- la décision implicite de mutation est entachée d'un vice de procédure tiré de ce qu'elle n'a pas été mise à même d'obtenir la communication de son dossier ; elle n'a pas été informée de son droit à communication de son dossier ;
- la décision implicite de mutation constitue une sanction disciplinaire déguisée ;
- la décision implicite de mutation est entachée d'une erreur de droit tirée de l'inadéquation du poste de référent/conseiller technique avec son grade.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2023, la commune de Stains conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le tribunal administratif de Montreuil n'a pas entaché son jugement d'erreur de droit en retenant que la décision de mutation de Mme A... était constitutive d'une mesure d'ordre intérieure insusceptible de recours, dès lors qu'elle n'entraînait pas une perte de responsabilité, n'était pas constitutive d'une discrimination ou d'une sanction déguisée et était prise dans l'intérêt du service.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
- et les observations de Me Godemer, pour Mme A..., et celles de Me Brendel - Farguette substituant Me Carrère, pour la commune de Stains.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., titulaire du grade d'attaché territorial principal, a été recrutée par la commune de Stains le 15 juin 2016 en qualité de responsable du service des Solidarités, au sein du pôle " Bien vivre à Stains ". Mme A... relève appel du jugement du 2 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté, pour irrecevabilité, sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir de la décision qui aurait été prise pour la décharger de ses fonctions et procéder à son affectation sur le poste de référent conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux " du pôle " Bien vivre à Stains ".
Sur le motif d'irrecevabilité retenu par le tribunal :
2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné.
3. Pour rejeter comme irrecevables les conclusions présentées par Mme A... à l'encontre de la décision implicite la mutant du poste de responsable du service des solidarités, rattaché au pôle " Bien vivre à Stains ", au poste de référent-conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux ", rattaché au même pôle, les premiers juges ont considéré que le changement d'affectation dont elle faisait l'objet ne pouvait être regardé comme ayant entraîné pour Mme A... une perte de responsabilités significative ou comme ayant porté atteinte aux droits et prérogatives qu'elle tient de son statut, à ses perspectives de carrière ou à sa rémunération. En conséquence, et après avoir relevé que cette décision ne pouvait pas davantage être considérée comme empreinte de discrimination, les premiers juges ont estimé qu'elle constituait une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours.
4. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme A... était notamment en charge sur le poste de responsable du service des solidarités de la mise en œuvre de la politique municipale de solidarité et des actions en découlant, de la réalisation d'un diagnostic des besoins et de la formalisation des propositions d'actions visant à y faire face, de l'organisation et de la mise en œuvre des procédures d'allocation de certaines aides sociales et de la coordination des dispositifs d'urgence sociale. Pour la réalisation de ces missions, Mme A... était à la tête d'un service de neuf agents dont elle assurait l'encadrement. Or, sa mutation sur le poste de référent-conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux " la prive de ses fonctions d'encadrement, à l'exception de celui des stagiaires, et réduit notablement les responsabilités de Mme A... dans la mesure où ne lui sont attribués que l'animation des " dispositifs partenariaux ", la contribution à l'élaboration et au suivi de la convention territoriale globale et au suivi d'actions spécifiques, la représentation de la ville dans le cadre des actions menées avec les partenaires institutionnels et associatifs, ainsi que le développement et l'animation des " actions dans le domaine de la prévention et des droits sociaux ". Dans ces conditions, compte tenu de la perte de responsabilités résultant de cette mutation, Mme A... est fondée à soutenir que ladite mesure lui fait grief et ne constitue pas une simple mesure d'ordre intérieur.
Sur la seconde fin de non-recevoir opposée par la commune de Stains en première instance :
5. Aux termes du dernier alinéa de l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les fonctionnaires territoriaux sont gérés par la collectivité ou l'établissement dont ils relèvent ; leur nomination est faite par l'autorité territoriale ". Aux termes de l'article 40 de la même loi : " La nomination aux grades et emplois de la fonction publique territoriale est de la compétence exclusive de l'autorité territoriale (...) ". Il résulte de ces dispositions que la nomination d'un fonctionnaire territorial dans un emploi vacant au sein d'une commune ne peut résulter, sauf circonstances exceptionnelles, que d'une décision expresse prise par le maire de cette commune.
6. Il ressort des pièces du dossier que la directrice du Pôle " Bien Vivre à Stains " a, par un courrier électronique du 1er octobre 2018, informé Mme B..., première adjointe au maire, chargée de l'action sociale et de la politique de la ville, de ce que Mme A... avait été " déchargée " de ses fonctions de responsable du service des solidarités, puis, par un courrier électronique du 29 novembre 2028, informé plusieurs agents, dont Mme A..., de ce qu'elle confirmait l'évolution des missions et des responsabilités de la requérante, qui devenait ainsi référent-conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux ".
7. La commune de Stains fait valoir que cette affectation n'a fait l'objet d'aucune décision expresse formalisée de l'autorité de nomination, et qu'en conséquence elle serait réputée n'être jamais intervenue de sorte que les conclusions de Mme A... seraient irrecevables pour être dirigées contre une décision inexistante. Toutefois, si le principe rappelé au point précédent fait obstacle à ce que Mme A... puisse se prévaloir d'un droit à occuper le nouveau poste sur lequel elle a été mutée, en l'absence de décision expresse en ce sens prise par l'autorité compétente, il ne fait pas obstacle à ce qu'elle conteste devant le juge de l'excès de pouvoir la décision de sa supérieure hiérarchique la mutant sur ce poste, révélée par les pièces du dossier et confirmée par son affectation effective sur ledit poste, quand bien même l'auteur de cette décision n'aurait pas reçu une délégation de signature de l'autorité compétente. La fin de non-recevoir opposée en défense doit, dès lors, être écartée.
8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Montreuil.
Sur la légalité de la décision ayant affecté Mme A... sur le poste de référent-conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux " :
9. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 : " Tous les militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ". Il résulte de ces dispositions qu'un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause.
10. Contrairement à ce que soutient la commune de Stains, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision mutant dans l'intérêt du service Mme A... du poste de responsable du service des Solidarités au poste de référent-conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux " aurait été prise uniquement dans le cadre de la réorganisation des services et de la fusion à venir des services Senior et Solidarités au sein du pôle " Bien vivre à Stains ". En effet, ainsi que cela ressort des propres écritures de première instance de la commune, cette décision a été prise au motif de difficultés relationnelles entre Mme A... et les agents du service prenant la forme, selon la commune, de " tension, [de] mal être ".
11. Cette décision a dès lors été prise en considération de la personne de Mme A..., en sorte que celle-ci devait, en application des dispositions précitées, être mise à même de demander la consultation de son dossier. Pour soutenir que tel aurait été le cas, la commune de Stains fait valoir que Mme A... aurait été associée très en amont au projet de réorganisation des services et qu'elle aurait été reçue les 11 septembre et 1er octobre 2018 par sa supérieure hiérarchique afin que cette dernière lui fasse part " de ses interrogations quant à la capacité (...) à assurer la totalité de ses missions notamment sur le plan managérial " et de la nécessité de faire évoluer ses missions. Toutefois, les pièces du dossier ne permettent pas de tenir pour acquise cette affirmation ni d'établir que Mme A... aurait effectivement été informée oralement de ce qu'elle serait déchargée de ses fonctions de responsable du service des Solidarités et mutée sur un autre poste avec de moindres responsabilités. A cet égard, ni le courrier électronique adressé par sa supérieure hiérarchique le 11 septembre 2018 à une élue, ni celui du 4 octobre suivant adressé à l'ensemble de l'équipe du service des Solidarités, faisant état de ce que " elle travaille actuellement [avec Mme A...] sur l'évolution de ses missions parce qu'elle reste pour moi [...] un appui précieux et une professionnelle de grande qualité avec qui j'ai plaisir à partager et à travailler et elle garde toute ma confiance et mon soutien... ainsi que sa place au sein du pôle et du service " ne sauraient être regardés comme apportant la preuve qu'une information aurait été donnée à Mme A... préalablement à la mesure de mutation. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir qu'elle n'a pas été mise à même de solliciter la communication de son dossier avant l'intervention de la décision attaquée, et que faute pour l'autorité compétente de l'avoir avertie en temps utile de son intention de prendre la mesure en cause, elle a été privée d'une garantie. Elle est, par suite, fondée à demander l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
13. L'annulation de la décision ayant illégalement muté un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé, dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation. Il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les hypothèses où la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public.
14. Il résulte de l'instruction que le poste de responsable du service des Solidarités, au sein du pôle " Bien vivre à Stains " occupé par Mme A... jusqu'en octobre 2018 a disparu de l'organigramme des services de la commune en raison de sa fusion avec le service Séniors. En conséquence du principe mentionné au point précédent, Mme A... n'est pas fondée à solliciter qu'il soit enjoint au maire de la commune de Stains de la rétablir dans ses anciennes fonctions. Le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au maire de Stains de prendre, en application des dispositions de l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984, une décision expresse affectant rétroactivement Mme A... sur un poste que son grade lui donne vocation à occuper.
Sur les frais liés à l'instance :
15. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A... la somme demandée par la commune de Stains au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
16. D'autre part, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Stains, partie perdante dans la présente instance, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907617 du tribunal administratif de Montreuil en date du 2 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : La décision par laquelle la commune de Stains a muté Mme A... dans l'intérêt du service du poste de responsable du service des Solidarités au sein du pôle " Bien vivre à Stains " au poste de référent-conseiller technique sur l'axe " accès aux droits sociaux " est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Stains de prendre une décision expresse affectant rétroactivement Mme A... sur un poste que son grade lui donne vocation à occuper.
Article 4 : La commune de Stains versera une somme de 2 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A... devant le tribunal administratif de Montreuil et devant la Cour est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de la commune de Stains présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la commune de Stains.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Marjanovic, président assesseur
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.
Le rapporteur,
J. DUBOIS
La présidente,
H. VINOT
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
N° 23PA00484 2