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13/06/2024 | FRANCE | N°23PA01013

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 13 juin 2024, 23PA01013


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C..., épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 8 mars 2022 par lequel le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son conjoint.

Par un jugement no 2204715 du 14 février 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées les 10, 23 ma

rs et 22 mai 2023, Mme B... C... représentée par Me Atger, demande à la Cour :



1°) d'annuler le jugement no ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C..., épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 8 mars 2022 par lequel le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son conjoint.

Par un jugement no 2204715 du 14 février 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées les 10, 23 mars et 22 mai 2023, Mme B... C... représentée par Me Atger, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement no 2204715 du 14 février 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 8 mars 2022 du préfet du Val-de-Marne ;

3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'autoriser le regroupement familial au bénéfice de son époux ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le tribunal a procédé à une substitution de base légale sans en avoir préalablement informé les parties ;

- il ne pouvait légalement substituer le droit commun aux stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien dès lors que les deux fondements juridiques ne possèdent pas une portée équivalente et sont incompatibles ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- le refus de regroupement familial est entaché d'erreurs de fait, d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 15 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 décembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord du 27 décembre 1968 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert ;

- et les observations de Me Atger pour Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante algérienne née en juin 1975, est entrée en France en septembre 2016 selon ses déclarations. Le 24 février 2021, elle a sollicité le regroupement familial au bénéfice de son conjoint. Par une décision du 8 mars 2022, le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande. Mme C... relève appel devant la Cour du jugement du 14 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente./ le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1. - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2. - le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France (...) ". Aux termes de l'article L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint au titre du regroupement familial s'il remplit les conditions suivantes : / 1° Il justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille ; / 2° Il dispose ou disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; (...).". Aux termes de l'article R. 434-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 434-7, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : (...) / 2° Cette moyenne majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes ".

3. Il ressort des mentions de la décision contestée que le préfet du Val-de-Marne a examiné la demande de regroupement familial formée par Mme C... au regard des dispositions des articles L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi que le soutient à bon droit la requérante, ces dispositions sont inapplicables aux ressortissants algériens, sa situation devant être appréciée au regard des stipulations précitées de l'article 4 de l'accord précité du 27 décembre 1968, qui régissent d'une manière complète les conditions dans lesquelles les membres de la famille des ressortissants algériens, peuvent s'installer en France.

4. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

5. Ainsi que l'a relevé le tribunal, la portée des stipulations précitées de l'accord franco-algérien est équivalente à celles des dispositions de l'article L.434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relativement aux conditions générales à remplir pour un regroupement familial. Les premiers juges pouvaient, ainsi qu'ils ont procédé, substituer à ce fondement les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien, seules applicables à la situation de Mme C..., dès lors que cette substitution de base légale n'a pas eu pour effet de priver l'intéressée d'une garantie et que l'administration disposait du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

6. S'agissant en revanche de l'appréciation du caractère suffisant des ressources d'un ressortissant algérien, demandeur d'une autorisation de regroupement familial, les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui prévoient que l'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance sont, comme le soutient à juste titre Mme C..., incompatibles avec les dispositions des articles R. 434-4 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont le préfet du Val-de-Marne a fait application en l'espèce, dès lors qu'elles prévoient la majoration du niveau de ressources dont l'étranger doit justifier, en fonction du nombre de membres composant sa famille. Ainsi, quelle que soit la composition du foyer du ressortissant algérien qui demande le regroupement familial, le niveau de ses ressources doit s'apprécier par référence à la seule moyenne du salaire minimum interprofessionnel de croissance sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande. Il s'ensuit que l'autorité préfectorale n'exerce pas le même pouvoir d'appréciation selon qu'elle fait application des dispositions de l'article R.434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou qu'elle applique les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien. Par suite, le préfet du Val-de-Marne a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions susmentionnées, et la substitution de base légale opérée par le tribunal a eu pour effet de priver Mme C... d'une garantie de procédure.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de sa demande de regroupement familial au bénéfice de son conjoint.

8. Eu égard au motif d'annulation de la décision litigieuse ci-dessus retenu, et compte-tenu des autres conditions posées par les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 pour obtenir un regroupement familial, l'exécution du présent arrêt implique seulement que le préfet du Val-de-Marne réexamine la demande de Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre à la préfète d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

9. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser à Mme C....

DECIDE :

Article 1er : Le jugement no 2204715 du 14 février 2023 du tribunal administratif de Paris et la décision du préfet du Val-de-Marne du 8 mars 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne de procéder au réexamen de la situation de Mme C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) versera à Mme C..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01013
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : ATGER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-13;23pa01013 ?
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