Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le fonds de dotation " Passerelles " a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler, d'une part, la décision implicite née le 3 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique formé le 3 septembre 2020, ensemble la décision du 29 juin 2020, par laquelle, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris a suspendu l'activité du fonds de dotation " Passerelles " pour une durée de 6 mois et, d'autre part, la décision du 3 mars 2021 par laquelle le même préfet a refusé de lui délivrer le récépissé permettant la publication des modifications statutaires.
Par un jugement n°s 2022556 et 2114512 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 6 août 2022 et des mémoires enregistrés le 6 juin 2023 et le 6 mars 2024, le fonds de dotation " Passerelles ", représenté par Me Devers, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 2022556 et 2114512 du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision implicite née le 3 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique formé le 3 septembre 2020, ensemble la décision du 29 juin 2020 du préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris et la décision du 3 mars 2021 du même préfet ;
2°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant du jugement attaqué :
- il est irrégulier dès lors qu'il a procédé à deux substitutions de motif sans respecter le principe du contradictoire ;
- il est insuffisamment motivé ;
S'agissant de la décision du 29 juin 2020 :
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure, et méconnait ainsi le principe du contradictoire et les droits de la défense ;
- l'article 140 de la loi du 4 août 2008 et le décret du 11 février 2009, qui fondent la décision litigieuse, sont incompatibles avec l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le décret du 11 février 2009 est en outre illégal comme méconnaissant le principe de légalité des peines et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité des normes, ainsi que le domaine réservé à la loi ;
- la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation dès lors qu'aucun dysfonctionnement grave ne peut être constaté, le fonctionnement du fonds de dotation n'étant pas contraire aux règles de gestion financière, les deux sociétés civiles immobilières Confluences et Avicenne n'exerçant pas toutes la même activité et n'ont pas pour objet exclusif la construction d'édifices religieux, laquelle répond d'ailleurs à une mission intérêt général, l'absence de publicité des comptes n'affectant pas la réalisation de l'objet du fond et ne constitue pas un dysfonctionnement grave, une consommation illicite de la dotation en capital ne pouvant lui être opposée dès lors que les statuts ont été modifiés à cette fin, l'absence de perception de produits ne présentant pas de difficultés dès lors qu'il m'existe aucune condition quant à la durée de placement et son objet étant d'intérêt général ;
- elle méconnait l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision du 3 mars 2021 :
- elle est entachée d'erreur de droit, dès lors que la déclaration de modification statutaire n'avait pas à comporter les renseignements sollicités sur les membres du conseil d'administration, demeurés les mêmes ;
- l'autorité préfectorale se trouvait en situation de compétence liée pour délivrer le récépissé et ordonner la publication des statuts modifiés.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2024, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens dirigés contre la régularité du jugement, soulevés pour la première fois dans le mémoire complémentaire enregistré le 6 juin 2023, sont irrecevables comme relevant d'une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachent les moyens soulevés avant l'expiration du délai d'appel ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire distinct, enregistré le 4 décembre 2023, le fonds de dotation " Passerelles ", demande à la Cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'État aux fins de transmission au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa du VII de l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, en tant qu'il comporte les mots : " dysfonctionnements graves ", en ce que ces dispositions portent atteinte à la Constitution.
Il soutient que :
- cette disposition législative est applicable au présent litige ;
- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution ;
- la question présente un caractère sérieux dès lors que sont méconnus le principe de légalité des délits et des peines tel que garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité des normes, la liberté d'association, le droit de propriété, ainsi que les dispositions de l'article 34 de la Constitution, dès lors que cette disposition législative est entachée d'incompétence négative du législateur.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 relative à la modernisation de l'économie ;
- le décret n° 2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- et les observations de Me Robert substituant Me Devers, avocat du fonds de dotation " Passerelles ".
Considérant ce qui suit :
1. Le fonds de dotation " Passerelles " a été créé le 14 mars 2016 sur le fondement de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 relative à la modernisation de l'économie et ses statuts ont été publiés au Journal officiel des associations et des fondations d'entreprise, le 16 avril 2016. Ce fonds visait, selon les termes desdits statuts, à " - recevoir et gérer, le cas échéant, en les capitalisant, des biens et des droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocables, / - réaliser des œuvres ou des missions dédiées à la promotion sociale des individus et des peuples, à leur développement culturel, éducatif et économique ainsi qu'à l'inclusion sociale sous toutes ses formes, / - il pourra également soutenir toute personne morale poursuivant des actions d'intérêt général en lien avec le présent objet, / - de façon générale toute opération autorisée par la loi pour ce type de structure et notamment les appels à la générosité publique après autorisation préfectorale ". Après avoir constaté plusieurs irrégularités lors de la remise du rapport d'activité et des comptes financiers afférents à l'exercice 2016, le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, a adressé au fonds de dotation, à la suite de différents échanges, une mise en demeure en date du 9 décembre 2019 l'invitant à régulariser sa situation. Estimant les réponses apportées insuffisantes, le préfet de région, a prononcé la suspension des activités du fonds de dotation pour une période de 6 mois par une décision du 29 juin 2020, publiée au Journal officiel des associations et des fondations d'entreprise le 11 juillet 2020. Le 3 septembre 2020, le fonds de dotation a formé à l'encontre de la mesure de suspension prise un recours qui a été implicitement rejeté par le ministre de l'intérieur. Le 12 janvier 2021, il a adressé aux services préfectoraux une déclaration visant à modifier les dispositions statutaires applicables en cas de dissolution. Le 14 janvier 2021, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé la dissolution judiciaire du fonds. Le 3 mars 2021, le préfet a informé le fonds de dotation Passerelles qu'il ne pouvait pas lui être délivré de récépissé lui permettant de procéder à la publication de la modification statutaire sollicitée et a rejeté, par un courriel en date du 7 mai 2021, le recours gracieux formé par le fonds de dotation à l'encontre de cette décision.
2. Le fonds de dotation " Passerelles ", ayant demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler ensemble la décision implicite formée le 3 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique, la décision du 29 juin 2020 par laquelle, le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris a suspendu son activité pour une durée de 6 mois ainsi que la décision du 3 mars 2021 par laquelle le même préfet a refusé de lui délivrer le récépissé lui permettant la publication des modifications statutaires, cette juridiction a rejeté ces demandes par un jugement dont le fonds de dotation relève appel devant la Cour.
3. Alors même que le fonds requérant limite expressément ses conclusions à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision implicite formée le 3 novembre 2020 rejetant son recours hiérarchique formé le 3 septembre 2020, de la décision du 29 juin 2020 du préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris et la décision du 3 mars 2021 du même préfet, il y a lieu de regarder ces conclusions comme tendant également à l'annulation de ces décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Les moyens dirigés contre la régularité du jugement, tirés de ce qu'il a procédé à deux substitutions de motif sans respecter le principe du contradictoire et qu'il est insuffisamment motivé, ont été soulevés pour la première fois dans le mémoire complémentaire enregistré le 6 juin 2023 relèvent d'une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachent les moyens soulevés avant l'expiration du délai d'appel. Ces moyens ne sont pas d'ordre public. Ils sont, par suite, irrecevables et doivent être écartés.
Sur le cadre juridique du litige :
5. D'une part, aux termes de l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie : " I. - Le fonds de dotation est une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocable et utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d'une œuvre ou d'une mission d'intérêt général ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses œuvres et de ses missions d'intérêt général. / Le fonds de dotation est créé par une ou plusieurs personnes physiques ou morales pour une durée déterminée ou indéterminée. / II. - Le fonds de dotation est déclaré à la préfecture du département dans le ressort duquel il a son siège social. Cette déclaration est assortie du dépôt de ses statuts. / Le fonds de dotation jouit de la personnalité morale à compter de la date de publication au Journal officiel de la déclaration faite à la préfecture. / Les modifications des statuts du fonds sont déclarées et rendues publiques selon les mêmes modalités ; elles ne sont opposables aux tiers qu'à compter de leur publication. / Toute personne a droit de prendre connaissance, sans déplacement, des statuts du fonds de dotation et peut s'en faire délivrer, à ses frais, une copie ou un extrait. / III. - Le fonds de dotation est constitué par les dotations en capital qui lui sont apportées auxquelles s'ajoutent les dons et legs qui lui sont consentis. L'article 910 du code civil n'est pas applicable à ces libéralités./ (...) / Les ressources du fonds sont constituées des revenus de ses dotations, des produits des activités autorisées par les statuts et des produits des rétributions pour service rendu. / (...) Le fonds de dotation dispose librement de ses ressources dans la limite de son objet social. / Il ne peut disposer des dotations en capital dont il bénéficie ni les consommer et ne peut utiliser que les revenus issus de celles-ci. / Toutefois, par dérogation aux dispositions du premier alinéa du I et de l'alinéa précédent, les statuts peuvent fixer les conditions dans lesquelles la dotation en capital peut être consommée. / Les modalités de gestion financière du fonds de dotation sont fixées par décret en Conseil d'État. / (...) / V. - Le fonds de dotation est administré par un conseil d'administration qui comprend au minimum trois membres nommés, la première fois, par le ou les fondateurs. / Les statuts déterminent la composition ainsi que les conditions de nomination et de renouvellement du conseil d'administration. / VI. - Le fonds de dotation établit chaque année des comptes qui comprennent au moins un bilan et un compte de résultat. Ces comptes sont publiés au plus tard dans un délai de six mois suivant l'expiration de l'exercice. Le fonds nomme au moins un commissaire aux comptes et, lorsque les conditions définies au deuxième alinéa du I de l'article L. 823-1 du code de commerce sont remplies, un suppléant, choisis sur la liste mentionnée au I de l'article L. 822-1 du code de commerce, dès lors que le montant total de ses ressources dépasse 10 000 euros en fin d'exercice. / (...) / Lorsque le commissaire aux comptes relève, à l'occasion de l'exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l'activité, il demande des explications au président du conseil d'administration, dans des conditions fixées par décret. Le président du conseil d'administration est tenu de lui répondre sous quinze jours. Le commissaire aux comptes en informe l'autorité administrative. En cas d'inobservation de ces dispositions ou s'il constate qu'en dépit des décisions prises la continuité de l'activité demeure compromise, le commissaire aux comptes établit un rapport spécial et invite, par un écrit dont la copie est envoyée à l'autorité administrative, le président à faire délibérer sur les faits relevés le conseil d'administration convoqué dans des conditions et délais fixés par décret. Si, à l'issue de la réunion du conseil d'administration, le commissaire aux comptes constate que les décisions prises ne permettent pas d'assurer la continuité de l'activité, il informe de ses démarches l'autorité administrative et lui en communique les résultats. / VII. - L'autorité administrative s'assure de la régularité du fonctionnement du fonds de dotation. À cette fin, elle peut se faire communiquer tous documents et procéder à toutes investigations utiles. / Le fonds de dotation adresse chaque année à l'autorité administrative un rapport d'activité auquel sont joints le rapport du commissaire aux comptes et les comptes annuels. / Si l'autorité administrative constate des dysfonctionnements graves affectant la réalisation de l'objet du fonds de dotation, elle peut, après mise en demeure non suivie d'effet, décider, par un acte motivé qui fait l'objet d'une publication au Journal officiel, de suspendre l'activité du fonds pendant une durée de six mois au plus ou, lorsque la mission d'intérêt général n'est plus assurée, de saisir l'autorité judiciaire aux fins de sa dissolution. / Les modalités d'application du présent VII sont fixées par décret en Conseil d'État. / VIII. - La dissolution du fonds de dotation peut être statutaire ou volontaire. Elle peut également être judiciaire, notamment dans le cas prévu au troisième alinéa du VII. Elle fait l'objet de la publication prévue au même alinéa. (...). ".
6. D'autre part, le décret n° 2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation dispose, dans le premier alinéa de son article 1er, que : " Le conseil d'administration du fonds de dotation définit la politique d'investissement du fonds, dans des conditions précisées par les statuts. Ces conditions incluent des règles de dispersion par catégories de placement, et de limitation par émetteur. ". Son article 7 dispose que : " La déclaration de création du fonds de dotation ainsi que la déclaration de modification des statuts prévues au II de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 susvisée comportent : / a) La dénomination du fonds de dotation, l'adresse de son siège social, son adresse électronique, ses coordonnées téléphoniques ; / b) L'objet du fonds de dotation précisément exposé au regard des dispositions du I de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 susvisée ; / c) La durée pour laquelle le fonds de dotation est créé ; / d) Les noms, prénoms, dates de naissance, lieux de naissance, professions, domiciles et nationalités des fondateurs et de ceux qui sont chargés, à un titre quelconque, de son administration ; / e) Les établissements bancaires auprès desquels le fonds de dotation disposera de comptes ou de moyens de paiement et leurs coordonnées ; / f) La date de la déclaration. / Les statuts joints à la déclaration sont datés et signés par les fondateurs, dont le nom et la qualité de fondateur sont expressément mentionnés. / L'autorité administrative délivre récépissé de la déclaration dans un délai d'un mois. Le récépissé contient l'énumération des pièces annexées à la déclaration. / La publication au Journal officiel de la République française des déclarations mentionnées au premier alinéa incombe aux fondateurs du fonds de dotation. Ces déclarations mentionnent les éléments indiqués aux a, b et c du premier alinéa ainsi que la date du récépissé de déclaration. / Le fonds de dotation est tenu de faire connaître, dans les trois mois, à l'autorité administrative tous les changements survenus dans ses statuts et dans les éléments mentionnés aux a à e. ". Son article 9 dispose que : " Constituent des dysfonctionnements graves, dès lors qu'ils affectent la réalisation de l'objet du fonds de dotation : / a) La violation des règles de gestion financière prévues au titre Ier ; / b) La violation des dispositions du VI de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 susvisée et du titre II du présent décret relatives à l'établissement et à la publicité des comptes annuels, et à la mission du commissaire aux comptes ; / c) Le fait, pour le fonds de dotation, de disposer ou de consommer tout ou partie de la dotation en capital dont il bénéficie dans le cas où les statuts n'autorisent pas à consommer cette dotation, et, dans le cas où les statuts prévoient cette possibilité, le fait de disposer ou de consommer tout ou partie de la dotation en violation des conditions fixées par les clauses statutaires ou pour une cause étrangère à la réalisation des œuvres ou des missions d'intérêt général prévues au premier alinéa du I de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 susvisée ; / d) La consommation par un fonds de dotation à durée déterminée de sa dotation au-delà du terme statutaire d'activité du fonds, en violation des dispositions de l'article 15 du présent décret ; / e) Le fait, pour le fonds de dotation, de ne pas avoir adressé les rapports d'activité à l'autorité administrative ou d'avoir adressé des rapports d'activité incomplets, durant deux exercices consécutifs, malgré la mise en demeure qui lui a été faite en application de l'article 8 du présent décret ; / f) Le fait, pour le fonds de dotation, de n'avoir pas respecté l'obligation de disposer de la dotation initiale prévue au III de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 susvisée. ". Aux termes de son article 10 : " L'autorité administrative notifie la suspension de l'activité du fonds de dotation et la levée de suspension au président du fonds de dotation, au commissaire aux comptes et aux établissements bancaires du fonds par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen permettant d'attester de la date de réception. Elle procède également à la publication de sa décision au Journal officiel de la République française dans un délai d'un mois. La décision est motivée. La décision de suspension mentionne la durée et les modalités d'exécution de la suspension. ".
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
7. Le fonds de dotation " Passerelles " soutient, à l'appui de sa demande de transmettre au Conseil d'État, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa du VII de l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, en tant qu'il comporte les mots : " dysfonctionnements graves ", en ce que ces dispositions portent atteinte à la Constitution, que cette disposition législative est applicable au présent litige, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et qu'elle présente un caractère sérieux dès lors que sont méconnus le principe de légalité des délits et des peines tel que garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la liberté d'association, le droit de propriété, ainsi que les dispositions de l'article 34 de la Constitution, dès lors que cette disposition législative est entachée d'incompétence négative du législateur.
8. La notion de " dysfonctionnements graves " prévus au VII de l'article 140 de la loi du 8 août 2008, rapportée à " la réalisation de l'objet du fonds de dotation ", lequel est défini au I du même article, ne revêt aucun caractère obscur ou ambigu de nature à conduire à la méconnaissance, ni du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines ni de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité des normes et, partant, de la liberté d'association et du droit de propriété, non plus, en tout état de cause que des dispositions de l'article 34 de la Constitution, dès lors que cette disposition législative n'est entachée d'aucune incompétence négative.
9. La question étant dépourvue de caractère sérieux au sens du quatrième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.
Sur la légalité de la décision de suspension pour six mois de l'activité du fonds de dotation :
- En ce qui concerne le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure :
10. Le fonds de dotation " Passerelle " soutient que la décision du 29 juin 2020 par laquelle le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris a suspendu son activité pour une durée de six mois est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure, et méconnait ainsi le principe du contradictoire et les droits de la défense, dès lors que le courrier du 9 décembre 2019 qui a précédé cette décision ne faisait pas état de l'un des griefs retenus à son encontre, relatif à la violation de l'obligation financière d'une dispersion des fonds par catégorie de placement et de limitation par émetteur et ne mentionnait pas la mesure de suspension envisagée.
11. Il résulte des pièces du dossier que le courrier du 9 décembre 2019 a été lui-même précédé de nombreux échanges entre le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris et le fonds de dotation et qu'en particulier, ce dernier a été mis en demeure, dès le 31 août 2017, de régulariser sa situation comptable sous peine de voir son activité suspendue. En outre, la mesure de suspension envisagée a été rappelée au requérant à plusieurs reprises par l'autorité préfectorale dans des courriers des 17 mai, 5 juillet et 30 octobre 2018, et des 24 janvier et 25 mars 2019. Ces courriers mentionnaient l'ensemble des éléments d'appréciation retenus par l'administration, qui ont ainsi pu être utilement discutés par le requérant au cours de la procédure, et dont le préfet a déduit une méconnaissance des règles comptables se rapportant à la dispersion des fonds par catégorie de placement et à leur limitation par émetteur.
12. Dans ces conditions, le moyen tiré du vice de procédure ne peut qu'être écarté de même que, par voie de conséquence, celui tiré de la méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire.
- En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompatibilité de l'art. 140 de la loi du 4 août 2008 et du décret du 11 février 2009 avec l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales :
13. Le fonds de dotation " Passerelle " soutient que l'article 140 de la loi du 4 août 2008 et le décret du 11 février 2009, qui fondent la décision litigieuse, sont incompatibles avec l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
14. Aux termes de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à (...) à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. / 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale à la sûreté publique à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. ".
15. Les fonds de dotation créés sur le fondement de l'article 140 de la loi du 8 août 2008 de modernisation de l'économie ne peuvent être regardés comme des associations au sens et pour l'application des stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Le moyen doit donc être écarté.
- En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité du décret du 11 février 2009 :
16. Le fonds de dotation " Passerelle " soutient que l'article 9 du décret du 11 février 2009 relatifs aux fonds de dotation, qui fonde la décision litigieuse, est illégal, en tant qu'il prévoit la suspension de l'activité d'un fonds de dotation au motif de " dysfonctionnements graves ", comme entaché d'incompétence du pouvoir réglementaire et comme méconnaissant le principe de légalité des délits et des peines.
17. D'une part, l'article 9 du décret du 11 février 2009, cité au point 6, trouve son fondement dans le VII de l'article 140 de la loi du 8 août 2008, dont le dernier alinéa renvoie à un décret en Conseil d'État la fixation de ses modalités d'application.
18. D'autre part, les termes de " dysfonctionnements graves ", eu égard à la définition exempte de toute imprécision qui en est donnée par les douze alinéas a) à l) de l'article 9 du décret, ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, applicable au régime des sanctions administratives.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur de droit, de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation en l'absence de dysfonctionnement grave constaté :
19. Le fonds de dotation " Passerelles " soutient que la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation dès lors qu'aucun dysfonctionnement grave ne peut être constaté, le fonctionnement du fonds de dotation n'étant pas contraire aux règles de gestion financière, les deux sociétés civiles immobilières Confluences et Avicenne n'exerçant pas toutes la même activité et n'ont pas pour objet exclusif la construction d'édifices religieux, laquelle répond d'ailleurs à une mission intérêt général, l'absence de publicité des comptes n'affectant pas la réalisation de l'objet du fond et ne constitue pas un dysfonctionnement grave, une consommation illicite de la dotation en capital ne pouvant lui être opposée dès lors que les statuts ont été modifiés à cette fin, l'absence de perception de produits ne présentant pas de difficultés dès lors qu'il n'existe aucune condition quant à la durée de placement et son objet étant d'intérêt général.
20. Pour prononcer à l'encontre du fonds de dotation Passerelles une mesure de suspension de six mois, le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, s'est fondé sur l'existence de dysfonctionnements graves au sens des dispositions précitées, caractérisés par une violation de l'obligation financière d'une dispersion des fonds par catégorie de placement et de limitation par émetteur, l'absence de publication des comptes et une consommation illicite de la dotation en capital.
21. En vertu de l'article 1er du décret du 11 février 2009, cité au point 6, le conseil d'administration d'un fonds de dotation définit la politique d'investissement du fonds, dans des conditions précisées par les statuts et ces conditions incluent des règles de dispersion par catégories de placement et de limitation par émetteur. Or, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les statuts du fonds de dotation auraient comporté de telles règles. En outre, eu égard à son objet défini à l'article 140 de la loi du 4 août 2008, un fonds de dotation peut soit investir les sommes qui lui sont allouées afin d'utiliser les revenus de cette capitalisation pour la réalisation d'une œuvre ou d'une mission d'intérêt général, soit redistribuer ces fonds pour assister une personne morale à but non lucratif dans l'accomplissement de ses œuvres et de ses missions d'intérêt général. En l'espèce, il est reproché au fonds de dotation d'avoir, en méconnaissance des principes précités, concentré ses immobilisations financières au profit de deux sociétés civiles immobilières dont il est associé majoritaire, pour un montant total de 16 928 877 euros correspondant à la valeur des titres détenus au sein de ces deux sociétés et des prêts et avances consenties en leur sein sous couvert de comptes courants d'associé. Ces sociétés civiles immobilières, qui ont bénéficié de l'essentiel des fonds, ont pour objet une activité de construction d'édifices religieux et, contrairement à ce que soutient le fonds de dotation, les subventions accordées par une association de droit britannique Qatar Charity UK et rétrocédées aux deux sociétés, via le fonds de dotation, ne constituent pas un investissement en capital de ce dernier, dont il pourrait ensuite tirer des revenus, mais visaient à l'utilisation de ces apports pour le financement de lieux de culte, sous couvert du dispositif institué par la loi du 4 août 2008. Enfin, il n'est nullement démontré que les deux sociétés se trouveraient en mesure de verser des dividendes à leur associé principal alors même qu'il ressort des pièces du dossier que les sommes ont pour l'essentiel été placées sur les comptes courants d'associé des deux sociétés, rendant ainsi très aléatoire la production de revenus. Par ailleurs, il n'est pas sérieusement contesté que les comptes des exercices 2016 et 2017 n'ont pas été publiés avant le mois d'août 2020, soit postérieurement à la décision attaquée. Enfin, le fonds de dotation a procédé à une consommation de sa dotation, et ce depuis l'origine, alors que ses statuts ne le permettaient pas. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, après avoir constaté l'existence de dysfonctionnements graves au sens des dispositions précitées, a décidé de suspendre pour une durée de six mois l'activité du fonds de dotation. Le moyen tiré de ce que l'autorité préfectorale aurait entaché sa décision d'une erreur de droit, d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation doit donc être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de responsabilité personnelle :
22. Le fonds de dotation " Passerelles " soutient que la décision litigieuse méconnait le principe de la responsabilité personnelle garanti par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, en vertu duquel nul ne peut être sanctionné que de son propre fait en lui imputant les agissements des sociétés civiles immobilières Confluences et Avicenne.
23. Ainsi qu'il a été rappelé au point 21, le fonds de dotation requérant était associé majoritaire dans ces deux sociétés civiles immobilières et avait pour seul objectif de contribuer à leurs activités de construction d'édifices cultuels et de leurs dépendances, ainsi qu'il ressort de la convention conclue avec l'organisation non gouvernementale Qatar Charity UK. La prise en compte, par l'autorité préfectorale, d'une telle circonstance ne revient pas à imputer au requérant le fait d'autrui mais bien son propre fait consistant à financer exclusivement ou très majoritairement cette activité au détriment de toute autre. Le moyen doit donc être écarté.
- En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales :
24. Le fonds de dotation " Passerelles " soutient que la décision litigieuse méconnait les stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en tant qu'elle constitue une ingérence non prévue par la loi dans la liberté d'association qui lui est garantie par ces stipulations.
25. Ainsi qu'il a été dit au point 15, les fonds de dotation créés sur le fondement de l'article 140 de la loi du 8 août 2008 de modernisation de l'économie ne peuvent être regardés comme des associations au sens et pour l'application des stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Le moyen est donc inopérant et doit être écarté.
Sur la légalité du refus de délivrance du récépissé permettant la publication des modifications statutaires du fonds :
26. Le fonds de dotation " Passerelles " soutient que la décision du préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, lui refusant la délivrance du récépissé permettant la publication de ses modifications statutaires est entachée d'erreur de droit, dès lors que la déclaration de modification statutaire n'avait pas à comporter les renseignements sollicités sur les membres du conseil d'administration, demeurés les mêmes, et que l'autorité préfectorale se trouvait en situation de compétence liée pour délivrer ce récépissé et ordonner la publication des statuts modifiés, eu égard à la liberté constitutionnelle d'association applicable aux fonds de dotation.
27. D'une part, il résulte des dispositions combinées du II de l'article 140 de la loi du 8 août 2008 et du décret du 11 février 2009, citées aux points 5 et 6, que la déclaration de modification des statuts d'un fonds de dotation doit mentionner les noms, prénoms, dates de naissance, lieux de naissance, professions, domiciles et nationalités de ceux qui sont chargés, à un titre quelconque, de son administration, y compris lorsque la modification statutaire porte sur un autre point que le renouvellement de ses membres. Par suite, le fonds de dotation " Passerelles " n'est pas fondé à soutenir qu'il n'était pas tenu, en l'absence de changement dans la composition de ses administrateurs, de communiquer les informations précitées.
28. D'autre part, l'autorité préfectorale ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour délivrer le récépissé sollicité dès lors que les fonds de dotation n'entrent pas dans le champ d'application du principe fondamental reconnu par les lois de la République garantissant la liberté d'association.
29. Dans ces conditions, le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris a pu à bon droit opposer au requérant le caractère incomplet de son dossier et lui refuser, pour le seul motif mentionné au point 23, la délivrance du récépissé sollicité.
30. Il résulte de tout ce qui précède que le fonds de dotation " Passerelles " n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, suspendant son activité pour six mois et lui refusant la délivrance du récépissé lui permettant de procéder à la publication des modifications statutaires. Ses conclusions d'appel qui tendent à l'annulation dudit jugement et de ces décisions doivent donc être rejetées.
Sur les frais du litige :
31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le fonds de dotation " Passerelles ", qui succombe dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État.
Article 2 : La requête du fonds de dotation " Passerelles " est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au fonds de dotation " Passerelles " et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03717