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07/06/2024 | FRANCE | N°22PA03471

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 07 juin 2024, 22PA03471


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Monsieur A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 décembre 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a fixé le solde de ses congés annuels à 21,5 jours et la décision du 8 avril 2019 portant rejet de son recours gracieux, et de condamner l'Etat à l'indemniser des jours de congés détenus sur son compte épargne-temps et au paiement des jours de congés annuels non utilisés avant son détachem

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Monsieur A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 décembre 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a fixé le solde de ses congés annuels à 21,5 jours et la décision du 8 avril 2019 portant rejet de son recours gracieux, et de condamner l'Etat à l'indemniser des jours de congés détenus sur son compte épargne-temps et au paiement des jours de congés annuels non utilisés avant son détachement au 16 décembre 2018, ou, à titre subsidiaire, à l'indemniser de la perte de chance occasionnée en raison d'un défaut d'information.

Par un jugement n° 1912396 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions des 21 décembre 2018 et 8 avril 2019 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Saisi le 28 décembre 2021 et le 28 mars 2022 d'un pourvoi sommaire et d'un mémoire complémentaire contre ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de sa demande, le Conseil d'Etat a, par une décision du 19 juillet 2022, attribué à la Cour la requête de M. B....

Procédure devant la Cour :

Par des mémoires enregistrés les 1er et 18 décembre 2023, M. B..., représenté par la SCP Sevaux et Mathonnet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 octobre 2021 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au paiement des jours de congés annuels non utilisés sur la période allant du 1er janvier 2017 au 30 juillet 2018 ou, subsidiairement, à l'indemnisation de la perte de chance résultant d'un défaut d'information ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ll soutient que:

- le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière ;

- il est insuffisamment motivé, faute de justifier en quoi M. B... n'apportait aucune précision sur le moyen tiré de ce que le défaut annuel d'information sur le solde de son compte épargne-temps et sur la possibilité de dépôt et d'indemnisation des jours contenus dans ce compte épargne-temps constituait une perte de chance d'indemnisation des jours de congés acquis ;

- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique des faits, pour avoir retenu que son détachement n'avait pas eu pour effet de mettre fin à sa relation de travail avec le ministre de la justice et qu'ainsi, il ne pouvait prétendre à une indemnité financière en cas de congés non pris, comme le prévoit l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en cas de fin de relation de travail ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu que l'intéressé aurait pu solliciter la prise d'effet de son détachement ultérieurement, alors qu'il devait se limiter à déduire de la fin de la relation de travail le droit au versement d'une indemnité compensatrice sans rechercher si M. B... était à l'origine de cette situation et pouvait la reporter dans le temps ; par ailleurs, cette interprétation ne tient pas compte de l'intérêt du service qui s'attachait à la prise des fonctions et que le Centre des monuments nationaux avait initialement sollicité un détachement dès le 15 décembre 2018, l'autorité administrative ayant reporté la date du détachement du fait des nécessités de service ;

- c'est également à tort que le tribunal a retenu que M. B... ne justifiait pas avoir sollicité auprès de son futur employeur le bénéfice de ses congés dès lors qu'il appartenait seulement au tribunal de constater l'existence d'une fin de relation de travail et qu'il ne pouvait bénéficier du report de ses congés annuels ;

- le tribunal n'a également pas tenu compte de ce que l'administration avait délivré un décompte erroné de ses droits à congés annuels sans informer de l'absence d'indemnisation des congés annuels non pris avant détachement ;

- enfin, sa demande tendant à bénéficier des jours de congés non pris dans son compte épargne temps n'avait pas prospéré à raison du dysfonctionnement du logiciel dédié du ministère de la justice et ce refus d'indemnisation a méconnu, d'une part, le principe suivant lequel l'agent a la possibilité d'alimenter son compte épargne temps dans les conditions de droit commun durant un congé de maladie ordinaire ou en autorisation spéciale d'absence et, d'autre part, le principe suivant lequel un tel refus doit être motivé conformément au droit commun et à l'article 10 du décret n° 2004-878 du 26 août 2004.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 21 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

- les arrêts C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, C-214/10 du 22 novembre 2011,

C-337/10 du 3 mai 2012, n° C-341/15 du 20 juillet 2016 et n° C-569/16 et C-570/16 du 6 novembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 ;

- le décret n° 2004-878 du 26 août 2004 ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la Cour a désigné Mme Briançon, présidente honoraire, pour exercer les fonctions de rapporteur au sein de la 5ème chambre.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Briançon,

- les conclusions de M.Perroy, rapporteur public,

- et les observations de Me Mathonnet, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., attaché principal à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice, adjoint au chef du bureau de la législation et des affaires juridiques depuis le 1er juin 2012, a été placé en congé de longue maladie du 30 septembre 2015 au 30 juillet 2018. Le 21 décembre 2018, date à laquelle M. B... a été placé en détachement auprès du Centre des monuments nationaux, le garde des sceaux, ministre de la justice, a établi le décompte de ses jours de congés annuels pour l'année 2018 à 21,5 jours, sur un total de 50,5 jours de congés. Par un recours gracieux et une demande préalable indemnitaire en date du 8 février 2019, M. B... a contesté ce décompte et sollicité l'indemnisation des congés annuels non pris. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé, à sa demande, les décisions des 21 décembre 2018 et 8 avril 2019, et a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des jours de congés annuels non utilisés ou, subsidiairement, à l'indemniser de la perte de chance occasionnée en raison d'un défaut d'information relatif à son compte épargne-temps. Saisi d'un pourvoi en cassation contre ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande, le Conseil d'Etat a, par une décision du 19 juillet 2022, attribué à la Cour la requête d'appel de M. B....

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, M. B... a annoncé, dans sa requête sommaire enregistrée le 28 décembre 2021, qu'il établirait dans un mémoire complémentaire que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière. Toutefois, ce moyen, qui n'a pas été repris, n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit dès lors être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". M. B... soutient que la motivation du point 14 du jugement, qui a écarté le moyen tiré d'une perte de chance d'indemnisation des jours de congés non pris, est insuffisante. Toutefois, eu égard à la teneur de l'argumentation qui était développée devant eux, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'une insuffisante motivation en écartant ce moyen au motif que M. B... " n'apportait aucune précision à l'appui de ses allégations ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Au fond :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du

4 novembre 2003 : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ".

5. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 6 novembre 2018 " Stadt Wuppertal " et " Volker Willmeroth "

(C-569/16 et C-570/16), lorsque la relation de travail prend fin, la prise effective du congé annuel payé n'est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière, qui n'est soumise à aucune autre condition que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin, et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin.

6. M. B... soutient que son détachement sur contrat auprès du Centre des monuments nationaux a eu pour effet de mettre fin à sa relation de travail avec le ministère de la justice lui ouvrant droit à une indemnité financière en compensation de congés non pris, comme le prévoit l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en cas de fin de relation de travail dès lors que selon le droit de l'Union européenne, il y a lieu de considérer que la relation de travail prend fin lorsqu'une personne accomplit en faveur d'une autre personne et sous la direction de cette nouvelle personne, de nouvelles prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération.

7. Toutefois, en vertu des dispositions des articles L. 513-1 et suivants du code général de la fonction publique, la position de détachement, qui est révocable, permet au fonctionnaire de continuer à bénéficier de ses droits à l'avancement et à la retraite dans son administration d'origine qui reste l'autorité compétente pour se prononcer notamment sur une demande de maintien en activité ou une révocation. Ainsi, et alors même que le fonctionnaire se trouve également dans une relation de travail impliquant un lien de subordination avec son administration d'accueil, la position de détachement n'a pas pour effet de mettre fin à la relation de travail avec l'administration d'origine pour l'application des dispositions de l'article 7 de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, la fin de relation de travail ne pouvant intervenir qu'après l'intégration du fonctionnaire dans l'administration d'accueil. Ainsi, dès lors que, contrairement à ce qu'il soutient, M. B... ne se trouvait pas dans une relation de fin de travail avec le ministère de la justice, il n'est pas fondé à demander à être indemnisé du solde des congés non pris avant son détachement le 18 décembre 2018, les conditions particulières de ce détachement étant sans incidence sur l'absence de droit à indemnisation à ce titre.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10 du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature: " I.-L'agent conserve les droits qu'il a acquis au titre du compte épargne-temps :1° En cas de mutation, d'intégration directe ou de détachement dans les conditions prévues à l' article 14 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions ;(..) II. -L'administration ou l'établissement d'origine adresse à l'agent et à l'administration, à la collectivité ou à l'établissement d'accueil, au plus tard à la date d'affectation de l'agent, une attestation des droits à congés existant à cette date. Au plus tard à la date de réintégration de l'agent dans son administration ou établissement d'origine, l'administration, la collectivité ou l'établissement public d'accueil lui adresse, ainsi qu'à l'administration ou l'établissement dont il relève, une attestation des droits à congés existant à l'issue de la période de mobilité. ".

9. M. B..., qui a automatiquement bénéficié du report de son compte épargne-temps en application de ces dispositions, ne démontre pas que le solde de ce compte ayant été reporté à l'occasion de son détachement aurait été insuffisant. Par suite, il n'est pas fondé à demander une indemnisation à ce titre.

10. Enfin, M. B... soutient qu'il n'a pas été informé de l'absence d'indemnisation des jours de congés non pris avant son détachement. Toutefois, si l'article 1er du décret du 29 avril 2002 prévoit une information annuelle de l'agent sur les droits épargnés et consommés, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose une obligation d'information concernant l'absence de possibilité d'indemnisation des congés annuels non pris. Par ailleurs, la motivation prévue par l'article 10 du décret n° 2004-878 du 26 août 2004 ne porte que sur le refus opposé à une demande de congés au titre du compte épargne-temps. Par suite, M. B... n'est pas fondé à demander une indemnisation au titre d'une perte de chance résultant du défaut d'information doit être écartée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Briançon, présidente honoraire,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024 .

La rapporteure,

C. BRIANÇON

La présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOLLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA03471


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03471
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Claudine BRIANÇON
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : SCP ANNE SEVAUX & PAUL MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;22pa03471 ?
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