Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat (ministre des armées) à lui verser les sommes de 79 970,92 euros et de 10 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2019, en réparation des préjudices matériel et moral que lui a causés la décision du 1er août 2017 par laquelle la ministre des armées l'a affecté temporairement au pôle ressources humaines de la sous-direction appui de la direction du renseignement militaire dans l'emploi de chargé de mission auprès du chef de pôle.
Par un jugement n° 1910683, 2001700, 2011361 du 18 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 3 500 euros, tous intérêts échus à la date du jugement, mis à la charge de l'Etat (ministre des armées) une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 juillet 2022 et le 8 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Ardakani, demande à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du 18 mai 2022 en ce qu'il a limité la condamnation de l'Etat au titre de son préjudice moral à la somme de 3 500 euros ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation intégrale de son préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a droit à la réparation intégrale de son préjudice sans que puissent avoir d'incidence l'absence supposée de postes adéquats disponibles dans le périmètre de la direction, ou à défaut, de perspectives de mutation en dehors du service, ni sa prétendue insistance à être considéré comme un agent " restructuré " et, en conséquence, à bénéficier de la procédure et des indemnités prévues dans le cadre du plan d'accompagnement des restructurations, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un tort dont il pourrait lui être fait grief ;
- pour évaluer son préjudice moral, doivent être pris en compte son ancienneté professionnelle dans l'administration, ses aptitudes professionnelles et sa trajectoire professionnelle ascendante jusqu'à son avancement au grade d'attaché principal, la gravité et la persistance des violences psychologiques découlant de son affectation illégale sur un poste, en réalité inexistant, durant près de trois années ainsi que la réalité de la dégradation de sa santé psychique ;
- il a, de façon continue, été la cible de pratiques vexatoires de la part de sa hiérarchie, situation qui a largement contribué à la dégradation de sa santé psychique ; il s'est notamment vu confier une unique mission sans réel intérêt pour l'institution, deux procédures disciplinaires ont été initiées à son encontre le 7 janvier 2019 puis finalement abandonnées et il a fait l'objet d'une décision brutale et humiliante de le changer de bureau, pour le déplacer d'un bureau partagé vers un bureau sans fenêtre où il se trouvait isolé de ses collègues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'absence de liaison du contentieux de la demande de réparation du préjudice moral de M. B... en tant qu'elle est fondée sur des faits générateurs non invoqués dans la demande préalable d'indemnisation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ardakani, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., alors attaché d'administration de l'Etat, a été affecté, à compter du 1er février 2016, au bureau de la gestion des ressources humaines du pôle des ressources humaines de la sous-direction appui de la direction du renseignement militaire (DRM) du ministère des armées, située à Paris, dans l'emploi de chef de la section de la gestion du personnel civil. Par un arrêté du 23 mai 2017, il a été inscrit au tableau d'avancement pour le grade d'attaché principal d'administration. Par une décision du 1er août 2017, il a été affecté temporairement dans l'emploi de chargé de mission auprès du chef de pôle des ressources humaines. Par un arrêté du 27 novembre 2017, la ministre des armées a mis fin au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) à compter du 1er septembre 2017. Par une décision du 21 décembre 2017, il a été nommé au grade d'attaché principal d'administration à compter du 1er janvier 2017. Par un jugement n° 1718788 du 26 septembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 1er août 2017 l'ayant affecté temporairement dans l'emploi de chargé de mission auprès du chef de pôle des ressources humaines au motif qu'elle était inexistante. Par une décision du 11 mai 2020, la ministre des armées a affecté le requérant au pôle des ressources humaines de la sous-direction appui de la direction du renseignement militaire dans l'emploi d'adjoint au chef de bureau politique RH et pilote métiers/formations à compter du 1er août 2017. Par un courrier reçu le 23 janvier 2019, M. B... a demandé à la ministre des armées de lui verser une somme de 99 114,43 euros en réparation des préjudices résultant pour lui de l'illégalité fautive de la décision du 1er août 2017. Par un jugement du 18 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 3 500 euros, tous intérêts échus à la date du jugement. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a évalué son préjudice moral à la somme de 3 500 euros et demande la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros à ce titre.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la décision du 1er août 2017 a été annulée par un jugement devenu définitif du tribunal administratif de Paris du 26 septembre 2018 au motif que le poste de chargé de mission confié à M. B... revêtait un caractère fictif en l'absence de fiche de poste ou de lettre de mission, ce qui révélait une situation dégradée sur le plan professionnel, et que ce changement de poste au sein de la DRM devait être regardé comme ayant porté atteinte aux responsabilités professionnelles de l'intéressé alors qu'il avait de surcroît été inscrit, le 23 mai 2017, au tableau d'avancement pour le grade d'attaché principal d'administration de l'Etat au titre de l'année 2017. Il n'est pas contesté que cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
3. En deuxième lieu, si le ministre des armées fait valoir, qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'administration s'est trouvée confrontée à une difficulté sérieuse du fait, d'une part, de l'absence d'emploi correspondant au grade d'attaché principal d'administration et aux qualifications et compétences de M. B... dans le périmètre de la direction du renseignement militaire et du rejet de ses candidatures à des emplois dans d'autres directions, d'autre part de l'insistance de ce dernier pour bénéficier de la procédure et des indemnités prévues dans le cadre du plan d'accompagnement des restructurations, aucune de ces circonstances n'est susceptible de venir atténuer la responsabilité de l'Etat en l'absence de cause exonératoire de responsabilité, aucun fait d'un tiers ou faute de l'agent ne pouvant être considérés comme étant à l'origine du dommage. Il en résulte qu'ainsi qu'il le soutient, M. B... est fondé à demander réparation de l'intégralité de son préjudice moral.
4. En troisième lieu, il est constant qu'ainsi que l'a jugé le tribunal, l'affectation illégale de M. B... dans l'emploi de chargé de mission auprès du chef du pole ressources humaines s'est traduit par une réduction très importante de ses attributions et responsabilités par rapport à celles qu'il exerçait auparavant. Cette affectation s'est également traduite par un isolement de l'intéressé qui s'est vu proposer, en avril 2018, un bureau isolé sans fenêtre, changement ayant entraîné un accident reconnu imputable au service. M. B... a fait l'objet dans le même temps d'une procédure disciplinaire finalement abandonnée à la suite de l'exercice de son droit de retrait, en décembre 2018, circonstances non contestées qui s'inscrivent dans le prolongement de son affectation illégale. Cette situation s'est prolongée jusqu'à son affectation dans l'emploi d'adjoint au chef du bureau politique RH et pilote métiers/formation par la décision du 11 mai 2020, soit pendant deux ans et neufs mois, et a contribué à l'altération de son état de santé physique et mentale, corroborée par des documents médicaux qui mettent en exergue une perte de l'estime de soi, la déstructuration de sa personnalité, associés à des épisodes de dépression sévère, d'hyper-anxiété et d'épuisement moral. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. B... du fait de son affectation et du maintien prolongé dans cet emploi en portant l'indemnisation qui lui est due à ce titre à la somme de 10 000 euros qu'il demande, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de sa demande en tant qu'elle est fondée sur l'engagement d'une procédure disciplinaire à la suite d'une demande de documents à la Commission d'accès aux documents administratifs, circonstance sans lien direct avec son affectation et qui constitue un fait générateur non invoqué dans sa demande préalable d'indemnisation.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris n'a condamné l'Etat à lui verser qu'une somme de 3 500 euros. Il convient de porter cette somme à 10 000 euros.
Sur les frais de l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 3 500 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 18 mai 2022 est portée à 10 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 18 mai 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Heers, présidente,
Mme Bruston, présidente assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. HEERS La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA0329102