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07/06/2024 | FRANCE | N°19PA01686

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 07 juin 2024, 19PA01686


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Fra SCI a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2009 et 2010 et des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 1401026 du 9 février 2016, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Fra SCI a été assuj

ettie en conséquence de la réintégration dans son bénéfice imposable au titre de l'exercice clos le 31 décemb...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Fra SCI a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2009 et 2010 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1401026 du 9 février 2016, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Fra SCI a été assujettie en conséquence de la réintégration dans son bénéfice imposable au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2009 de la somme de 24 036 399 euros.

Par une décision n° 412503 du 24 avril 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt n° 16PA01892 du 17 mai 2017 de la Cour administrative d'appel de Paris ayant fixé la base imposable à l'impôt sur les sociétés de la société Fra SCI au titre des exercices clos en 2009 et 2010, respectivement, à 6 027 122 euros et 1 121 997 euros et remis à la charge de la société Fra SCI les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités correspondantes et a renvoyé l'affaire à la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par des mémoires enregistrés sous le n° 19PA01686, les 25 juin 2020, 6 janvier 2021 et 11 juin 2021, le ministre des finances et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 9 février 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de remettre à la charge de la société Fra SCI les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités dont le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge, y compris la majoration de 80% prévue à l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit, ou subsidiairement y compris la majoration de 40% prévue au b) du même article en cas d'abus de droit ;

3°) de rejeter les conclusions présentées par la SCI Fra sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration ne s'est désistée ni de l'instance ni de son action ; ses conclusions ne sont pas nouvelles en appel, l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales permettant aussi bien de reprendre des moyens soulevés devant le Tribunal que de soulever de nouveaux moyens ; compte tenu du revirement rapide de jurisprudence, la société Fra SCI n'est pas fondée à dénoncer un défaut de loyauté de sa part, une quelconque méconnaissance du contradictoire ou une atteinte aux droits de la défense ;

- à supposer qu'un désistement soit opposable à sa demande de rétablissement des pénalités de 80% pour abus de droit, elle ne pourrait pas être privée de son droit à revendiquer de nouveau le fondement de l'abus de droit, d'autant que l'article 1729-b du code général des impôts prévoit aussi l'application d'une majoration de 40 % en cas d'abus de droit ;

- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement en omettant de se prononcer sur le grief soulevé par l'administration tiré du défaut de substance économique du montage pris dans son ensemble ;

- le retour au fondement du redressement tiré de l'abus de droit n'a pas privé la société Fra SCI de la garantie attachée à la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal ; le vérificateur a décrit les éléments permettant de conclure à l'existence d'un abus de droit obtenu par un montage artificiel dépourvu de substance économique ; le comité de l'abus de droit est seulement saisi pour avis quant à l'existence d'un abus de droit, et doit émettre un avis sur la portée véritable des actes constatés et sur le caractère abusif du montage dénoncé sans s'arrêter à la branche de l'abus de droit évoquée ou à la qualification juridique donnée aux faits ; en l'espèce, les faits invoqués visent à la dénonciation du caractère abusif d'un seul et même montage ;

- aucun autre but du montage que son but fiscal ne peut être identifié ; le défaut de substance économique du montage est caractérisé par l'enchaînement d'opérations complexes ayant consisté en l'apports de parts, la réévaluation des immeubles et la transmission universelle de patrimoine de la SCI Foncière Costa à l'intérieur du même groupe de sociétés toutes détenues à 100 %, directement ou indirectement, par le groupe WestBrook Partners, qui n'ont abouti à aucun changement des véritables propriétaires des immeubles, ni à l'apport d'une compétence supplémentaire dans la gestion des immeubles, ni à un quelconque développement des activités du groupe ou à l'apport d'un quelconque financement nouveau ; l'enchaînement de ces opérations a permis de procéder à une réévaluation des immeubles en franchise totale d'impôt du fait de la neutralisation des plus-values constatées, sans neutralisation de la moins-value d'annulation des titres, poursuivant ainsi un but exclusivement fiscal ;

- l'abus de droit dénoncé, obtenu au moyen d'un enchaînement d'opérations constitutives d'un montage artificiel relève, d'une part, de la fraude à la loi par le moyen de l'application du mécanisme de correction Quéméner qui n'était pas justifiée au regard de l'objectif de neutralité d'application de la loi fiscale qu'il poursuit ; la société, qui se borne à affirmer qu'elle ne s'est pas enrichie lors de l'acquisition des titres de la SCI Foncière Costa compte tenu du prix de revient des parts de cette société, ne conteste pas sérieusement que le principe de neutralité de la loi fiscale a été rompu ;

- l'abus de droit relève, d'autre part, de l'abus aux stipulations de la convention fiscale franco-luxembourgeoise ; l'administration ajoute le motif tiré de l'abus de droit opéré au moyen de la localisation au Luxembourg de la plus-value de réévaluation constatée sur les titres de la SCI Foncière Costa par la SARL luxembourgeoise FRA, constituée trois mois et demi avant l'acquisition par le groupe Westbrook Partners de la SCI Foncière Costa et dépourvue d'activité dès lors que son seul objet était la détention des parts de la SCI Foncière Costa, pourvue d'une simple adresse de domiciliation ; la SARL luxembourgeoise FRA a bénéficié d'une franchise totale d'imposition au Luxembourg de la réévaluation des immeubles de la SCI Foncière Costa, ainsi ce groupe a recherché le bénéfice de l'application littérale de la convention fiscale franco-luxembourgeoise dans sa version applicable, à l'encontre de l'objectif visé par les auteurs de la convention visant à éviter les doubles impositions ; dans ces conditions la société FRA SCI, qui n'a présenté aucun élément justifiant d'un intérêt autre que fiscal à l'interposition de la SARL luxembourgeoise FRA, doit être regardée comme venant aux droits et obligations de cette société et aurait dû déclarer en France une plus-value imposable égale à la plus-value latente constatée en 2008 au Luxembourg par la SARL FRA ;

- si la date de la clôture de l'exercice 2009 de la SCI Foncière Costa n'avait pas été ramenée du 31 décembre 2009 au 30 novembre 2009, la société Fra SCI aurait été imposée sur les plus-values constatées en qualité d'associée sans pouvoir déduire de son résultat imposable une moins-value d'annulation des titres détenus, puisque la transmission universelle du patrimoine est intervenue antérieurement au 31 décembre 2009 ;

- l'interposition de la SARL luxembourgeoise FRA a accru la complexité de la structure de détention des immeubles et n'a présenté aucun intérêt économique, organisationnel ou financier dès lors que le montage a été réalisé par apport de titres, sans apporter de financement nouveau ; l'imposition éludée dont l'administration demande le rétablissement est celle qui aurait été due en France par la société Fra SCI au titre des plus-values résultant de la réévaluation des immeubles après avoir acquis les titres de la SCI Foncière Costa directement et sans interposition de la SARL luxembourgeoise FRA ;

- la procédure de l'abus de droit est applicable à la société Fra SCI quand bien même elle ne serait pas le principal bénéficiaire ou le principal organisateur de l'abus de droit, étant alors bénéficiaire secondaire de l'abus de droit obtenu par le montage ; ainsi, à titre subsidiaire, la majoration de 40%, également prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts, doit être substituée à celle de 80% ;

- l'interprétation littérale du rescrit n° 2007/54 du 11 décembre 2007 doit conduire à ne pas permettre l'application de la correction Quémener; de plus, la jurisprudence admet qu'en cas de montage artificiel l'administration peut faire échec à l'application de la doctrine sur le terrain de l'abus de droit.

Par des mémoires en défense enregistrés, sous le n° 19PA01686, les 25 juin 2019, 28 octobre 2020 et 30 avril 2021, la société civile FRA, représentée par Me Agulhon, demande à la Cour :

1°) de rejeter le recours du ministre des finances et des comptes publics ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a fait une exacte application de la correction Quéméner pour déterminer le prix de revient fiscal des parts de la société Foncière Costa, en majorant la valeur comptable des parts de l'écart de réévaluation constaté sur les immeubles sociaux détenus par la société Foncière Costa préalablement à sa dissolution ; elle a acquis ces parts pour une valeur représentative de la valeur vénale des actifs sous-jacents, ce qui a servi l'objectif de neutralité de la loi fiscale visé par le correctif Quéméner ;

- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du rescrit n° 2007-54-FE ;

- la demande de substitution de base légale présentée dans le recours du ministre était en réalité une demande de compensation, qui ne satisfaisait pas aux conditions fixées à l'article L. 203 du livre des procédures fiscales ;

- seules les conclusions présentées par le ministre dans son recours de juin 2016 ne sont pas insusceptibles d'être recevables, or le ministre s'était désisté de ses prétentions sur les pénalités à hauteur de 40% des droits ;

- la substitution de base légale demandée par le ministre, qui entend revenir au fondement de l'abus de droit, est irrecevable puisque cette base légale qui a précédemment été abandonné n'est par suite pas nouvelle ; la Cour ne pourrait l'accueillir sans statuer ultra petita ou, à tout le moins, sans omettre de tirer les conséquences qui s'imposent du défaut de loyauté de l'administration fiscale, méconnaître le principe de l'égalité des armes des parties ainsi que le caractère équitable du procès puisque le ministre est susceptible d'exploiter des arguments invoqués par le contribuable dans ses écritures présentées après que le fondement de l'abus de droit ait été abandonné ;

- la modification du fondement retenu par le ministre dans son recours s'est traduite par une modification du montant des impositions qu'il réclame, ce qui atteste de l'irrecevabilité de ses conclusions présentées après le renvoi de l'affaire à la Cour ;

- la nouvelle demande de substitution de base légale consiste à fonder le redressement sur un abus de droit par simulation et fictivité des entités et des opérations et également, pour la première fois, sur un prétendu abus de la convention fiscale franco-luxembourgeoise au titre duquel il invoque des éléments nouveaux ayant trait, notamment, à la constitution de la société luxembourgeoise SARL Fra en faisant référence à des actes juridiques antérieurs à ceux recensés dans la proposition de rectification ; ce faisant, le ministre prive la contribuable de la garantie constituée par le droit de demander la saisine du comité de l'abus de droit sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- l'impossibilité dans laquelle se trouve la Cour de rétablir la pénalité de 80% pour abus de droit fait obstacle à ce qu'elle admette l'existence d'un abus de droit, dès lors que la procédure de l'abus de droit n'est pas détachable de cette pénalité ;

- aucun abus de droit n'est caractérisé ; la société Fra SCI a géré le processus de préemption de l'immeuble situé n° 37 avenue George V et les contentieux civils et administratifs le concernant ; la société a appliqué correctement la correction Quéméner au regard du principe de neutralité d'application de la loi fiscale et des faits de l'espèce ; elle a déterminé le résultat d'annulation des titres de la SCI Foncière Costa en prenant en compte, en particulier, la valeur vénale de l'immeuble du n° 35 avenue Georges V déterminée par une expertise contemporaine de la TUP, laquelle tient compte des effets de la crise financière, intervenue aux USA en 2007 et qui a provoqué sur le marché de l'immobilier professionnel français des effets aggravés en 2008 et plus encore en 2009 ;

- le ministre prend en compte des impositions qui n'incombent pas à la société pour qualifier les opérations querellées de montage en vue d'un abus de droit ; de plus, contrairement à ce qu'il soutient, les opérations n'ont pas été à l'origine d'un avantage fiscal au bénéfice de l'investisseur WB FRA LLC, et la création de la société luxembourgeoise n'a pas pu être constitutive d'un abus de droit ; en tout état de cause, la SARL de droit luxembourgeois FRA et la société française FRA SCI sont pourvues d'une substance économique ;

- les pénalités ne sont pas fondées, en l'absence de caractère délibéré d'un éventuel manquement.

Un courrier du 15 décembre 2021, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 16 février 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Des pièces, enregistrées le 4 avril 2024, ont été produites pour la société Fra SCI en réponse à la demande de la cour du 28 mars 2024 formulée en application des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, et communiquées au ministre des finances et des comptes publics, qui a produit en réponse un mémoire enregistré le 8 avril 2024.

Des pièces, enregistrées le 11 avril 2024, ont été produites pour la société Fra SCI en réponse à la demande de la cour du 4 avril 2024 formulée en application des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, et communiquées au ministre des finances et des comptes publics.

Des pièces, enregistrées le 17 avril 2024, ont été produites pour la société Fra SCI en réponse à la demande de la cour du 10 avril 2024 formulée en application des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, et communiquées au ministre des finances et des comptes publics.

Par lettres du 4 avril 2024, les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la tardiveté des conclusions du ministre des finances et des comptes publics présentées dans son mémoire enregistré le 25 juin 2020, après l'expiration du délai d'appel, en tant qu'elles tendent à fixer la base imposable à l'impôt sur les sociétés de la société Fra SCI à des montants excédant, respectivement, 6 027 122 euros au titre de l'exercice clos en 2009 et à 1 121 997 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et à remettre à la charge de la société les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondantes ainsi que des pénalités pour abus de droit excédant 40% de ces cotisations.

Par un mémoire enregistré le 9 avril 2024 la société Fra SCI a répondu à ce moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre la France et le Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 1er avril 1958 et modifiée par l'avenant du 8 septembre 1970 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vinot ;

- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public ;

- et les observations de Me Agulhon, avocat de la société Fra SCI.

Une note en délibéré, enregistrée le 29 avril 2024, a été produite pour la société

Fra SCI.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 avril 2006, les titres de la société de droit monégasque Foncière Costa, dont l'objet était de détenir et donner à bail un ensemble immobilier sis 35 et 37, avenue George V à Paris (8ème), ont été acquis par la société à responsabilité limitée (SARL) de droit luxembourgeois French Residential Acquisitions (FRA) à hauteur de 99,90% et par la société de droit américain WB Fra LCC à hauteur de 0,10%. Le 6 juin 2008, la société Foncière Costa a été transformée en société civile immobilière (SCI) de droit français soumise au régime des sociétés de personnes de l'article 8 du code général des impôts et immatriculée au registre du commerce et des sociétés et, le 21 juin 2008, la société par actions simplifiée (SAS) French Residential Acquisitions (FRA), de droit français, a acquis auprès de la société WB Fra LCC la participation à hauteur de 0,01% du capital de la SCI Foncière Costa détenue par la société américaine. Le 18 avril 2008, la société Fra SCI a été créée, sous la dénomination sociale Fra SCI 2, par la SARL FRA de droit luxembourgeois détenant 99,9% de ses parts, et par la SAS French Residential Acquisitions (FRA), détenant 0,01% de ses parts, et dotée alors d'un capital de 1 000 euros. Le 10 juin 2008, la ville de Paris a fait connaître à la SCI Foncière Costa sa décision de préempter au prix de 17 000 000 euros l'immeuble sis 37, avenue George V à Paris (8ème), qui faisait l'objet d'une promesse de vente et est ainsi devenu la propriété de la ville. En conséquence de cette vente, la SCI Foncière Costa est devenue détentrice d'une créance sur la ville du même montant incluant une plus-value sur cet immeuble, et a constaté un profit de 2 968 204 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2008. Egalement le 10 juin 2008, la SARL de droit luxembourgeois Fra a apporté à la société Fra SCI 999 des 1 000 parts de la SCI Foncière Costa. Le traité d'apport dressé sous seing privé stipulant que la valeur d'apport était fixée à 23 000 000 euros, la société Fra SCI a inscrit ce montant à l'actif de son bilan, au poste immobilisations et, au passif de son bilan, 2 300 000 euros au titre du capital émis et libéré et 20 700 000 euros au titre d'une prime d'apport. Le 27 novembre 2009, la société Foncière Costa a décidé tout à la fois, d'une part, de clôturer par anticipation au 30 novembre son exercice courant ouvert le 18 avril 2008 et, d'autre part, de procéder à une réévaluation libre de son actif en fixant à 15 810 000 euros la valeur de l'immeuble sis 35, avenue George V à Paris qui était inscrit à son bilan pour le montant de 1 817 437 euros, constatant ainsi dans ses comptes un profit de réévaluation égal à 13 992 563 euros. Le 21 décembre 2009, après avoir acquis pour 15 484 euros auprès de la société française SAS Fra, filiale à 100% de la SARL luxembourgeoise Fra, l'unique part de la SCI Foncière Costa qui n'était pas en sa possession, la société Fra SCI en a décidé la dissolution avec transmission universelle de son patrimoine (TUP) avec effet fiscal anticipé au 1er décembre 2009. Par application des dispositions du

2ème alinéa de l'article 209-I du code général des impôts, le premier exercice de la requérante, ouvert le 18 avril 2008, a été clôturé au 31 décembre 2009.

2. La société Fra SCI expose que pour déterminer son résultat imposable de l'exercice clos au 31 décembre 2009 elle a en premier lieu, et compte tenu de ce que la liquidation sans dissolution de la SCI Foncière Costa a été soldée seulement en janvier 2010, déduit une provision de 7 531 481 euros de son résultat comptable, correspondant à la différence entre le prix de revient de l'acquisition des parts de la SCI Foncière Costa, soit 23 015 484 euros, et la valeur de 15 484 002 euros de l'actif de cette société évalué à la date de la TUP, et procédé à une réintégration extracomptable du même montant dès lors qu'une provision pour dépréciation des titres d'une filiale soumise au régime des sociétés de personnes n'est pas admise. La société ajoute qu'elle a, en deuxième lieu, d'une part, inclus dans son résultat imposable, sur le fondement de l'article 8 du code général des impôts, la remontée des résultats de l'exercice de la SCI Foncière Costa clos le 30 novembre 2009 s'élevant à 13 552 566 euros, soit 13 978 570, 44 euros au titre de la quote-part lui revenant (999/1 000) de l'écart de réévaluation taxable constaté par la SCI Foncière Costa (13 992 563 euros), moins 426 004 euros au titre de la quote-part lui revenant (999/1 000) du résultat d'exploitation déficitaire de la SCI Foncière Costa au titre de son exercice ouvert le 1er janvier 2009 et clos le 30 novembre 2009, et, d'autre part, un bénéfice de 6 442 euros constaté au titre de l'exploitation directe des actifs de la SCI Foncière Costa au cours de l'exercice 2009. La société Fra SCI a, enfin, déduit de son résultat imposable, par écritures extracomptables, 21 084 048 euros au titre d'une moins-value fiscale constatée sur l'annulation des titres de la SCI Foncière Costa, résultant de la différence entre, d'une part, le prix de revient fiscal des parts de la SCI Foncière Costa qu'elle a fixé à 36 568 050 euros, correspondant au résultat de la somme de la valeur d'apport de 999 parts (23 000 000 euros), du prix d'acquisition de la dernière part de la SCI Foncière Costa (15 484 euros) et de la quote-part de la remontée du résultat fiscal de cette société (13 552 566 euros) et, d'autre part, de la valeur de l'actif net réévalué de la SCI Foncière Costa à la date d'effet fiscal de la TUP qu'elle a fixée à 15 484 002 euros en tenant compte, notamment, de la valeur vénale de l'immeuble sis 35, avenue George V à Paris fixée à 15 810 000 euros au 25 novembre 2009 par un rapport d'expertise de King Sturge SA. En conséquence de ces calculs, la société Fra SCI a déclaré un déficit de 7 525 445 euros au titre de son premier exercice couvrant la période du 18 avril 2008 au 31 décembre 2009. Ce déficit a été imputé à hauteur de 1 121 997 euros sur le résultat fiscal de la société au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010, ramenant à zéro le résultat de cet exercice.

3. Le vérificateur a estimé que les écritures extracomptables retraçaient les conséquences d'opérations constitutives d'un montage artificiel à but exclusivement fiscal relevant d'un abus de droit à l'objectif de neutralité de l'application de la loi fiscale poursuivi par la correction Quéméner, et les a écartées pour ce motif. Ainsi, par une proposition de rectification du 13 juillet 2012, le vérificateur a considéré que l'acquisition par la société Fra SCI de la SCI Foncière Costa, puis l'attribution lui revenant de la quote-part de 99,9 % des profits constatés sur la réévaluation des immeubles détenus par cette dernière, à hauteur de 2 905 296 euros au titre de la plus-value constatée sur l'immeuble sis n° 37, avenue George V et de 13 566 133 euros au titre de la réévaluation libre de celui sis n° 35 avenue George V, suivie de la dissolution de la SCI Foncière Costa avec transmission universelle de son patrimoine dont l'effet fiscal au 1er décembre 2009 est intervenu au cours du même exercice de la société Fra SCI clos le 31 décembre 2009, alors que la clôture de l'exercice social de la SCI Foncière Costa était anticipée au 30 novembre 2009, avaient permis de répondre formellement aux conditions d'une transmission universelle du patrimoine d'une société de personnes régie par l'article 8 du code général des impôts et de neutraliser ainsi les profits immobiliers réalisés sur les deux immeubles, en contradiction avec le principe de neutralité de l'application de la loi fiscale poursuivi par la décision du Conseil d'Etat du 15 décembre 2010 n° 297513, SA " Etablissements Quéméner " dès lors que la correction Quéméner avait été utilisée exclusivement pour annuler, en la neutralisant, l'incidence fiscale des plus-values immobilières constatées, tout en évitant la neutralisation de l'incidence fiscale des moins-values constatées sur les mêmes immeubles au cours du même exercice. Le vérificateur a, en premier lieu, remis en cause la dotation aux provisions de 7 531 481 euros déduite du résultat comptable au titre de la dépréciation des titres détenus par la société Fra SCI, et réciproquement a annulé la réintégration extracomptable du même montant à laquelle la société avait procédé. Il a, en deuxième lieu, maintenu l'intégration dans le résultat imposable de 2009 de la société Fra SCI, sur le fondement de l'article 8 du code général des impôts, de la remontée de sa quote-part de 99,9% des résultats de l'exercice de la SCI Foncière Costa clos le 30 novembre 2009, s'élevant à 13 552 566 euros, auquel il a ajouté la remontée des résultats de l'exercice 2008 de la SCI Foncière Costa constitués par la quote-part de 99,9 % lui revenant de la plus-value constatée sur l'immeuble sis n° 37 avenue George V soit 2 965 296 euros, et a retranché le montant de 6 442 euros pour annuler l'intégration faite par la société de ce montant dans son résultat de 2009 au titre de l'exploitation directe des actifs de la SCI Foncière Costa au cours de l'exercice 2009. Enfin, le vérificateur a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la prise en compte du déficit extracomptable de 21 084 048 euros déclaré par la société Fra SCI à l'occasion de la dissolution sans liquidation de la SCI Foncière Costa.

4. Ces rectifications ont donné lieu à la réintégration de la somme de 24 036 399 euros dans le résultat imposable de la société Fra SCI au titre de l'exercice clos en 2009, le portant à 16 510 954 euros, et en outre, compte tenu de l'impossibilité en résultant d'imputer un déficit de l'exercice 2009 sur le bénéfice de 1 121 997 euros déclaré par la société au titre de l'exercice clos en 2010, au rétablissement à hauteur de ce montant du résultat imposable de la société au titre de l'exercice 2010. Les impositions correspondantes, assorties de la pénalité de 80% prévue à l'article 1729 du code général des impôts et de l'intérêt de retard, ont été mises en recouvrement le 8 avril 2013, pour des montants en droits, intérêts de retard et majoration de 80% de, respectivement, 5 503 651 euros, 594 394 euros et 4 402 921 euros au titre de l'exercice 2009 et 373 999 euros, 22 440 euros et 299 199 euros au titre de l'exercice 2010.

5. Par un jugement du 9 février 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge totale des impositions et pénalités en litige. Par une décision du 24 avril 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 17 mai 2017 par lequel la cour avait rétabli la base imposable à l'impôt sur les sociétés de la société Fra SCI, respectivement, à 6 027 122 euros au titre de l'exercices clos en 2009 et à 1 121 997 euros au titre de l'exercice clos en 2010, remis à la charge de la société les montants d'impôt sur les sociétés correspondant dans la limite des droits et intérêts de retard et réformé dans cette mesure le jugement du tribunal administratif de Paris, et a renvoyé à la Cour le jugement de l'affaire.

Sur la recevabilité du recours du ministre :

6. Dans son recours enregistré le 10 juin 2016, le ministre a demandé à la Cour de rétablir le résultat imposable de la société Fra SCI à hauteur de 6 027 122 euros seulement au titre de l'exercice clos en 2009 et de 1 121 997 euros au titre de l'exercice clos en 2010, de substituer aux majorations de 80% pour abus de droit, initialement infligées à la société, des majorations de 40% pour manquement délibéré, de remettre en conséquence à la charge de la société Fra SCI les cotisations supplémentaires d'impôt dont le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge à hauteur, en droits, de 2 008 840 euros seulement au titre de l'exercice 2009 et de 373 999 euros au titre de l'exercice 2010, ainsi que les pénalités correspondantes et de réformer le jugement attaqué dans cette mesure. Dans son mémoire enregistré le

25 juin 2020, le ministre demande à la Cour de remettre à la charge de la société Fra SCI l'intégralité des cotisations supplémentaires d'impôt et des pénalités correspondantes dont le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge, ou subsidiairement, à défaut de la majoration de 80% prévue à l'article 1729 du code général des impôts, celle de 40 % prévue au même article.

7. La circonstance que le ministre avait présenté au tribunal administratif de Paris des conclusions tendant au rejet intégral des conclusions de la contribuable tendant à la décharge des droits et majorations, dont notamment la pénalité de 80% infligée au titre de l'abus de droit, ne permet pas en elle-même d'admettre, contrairement à ce qu'il soutient, la recevabilité de l'intégralité de ses conclusions, présentées dans son mémoire enregistré le 25 juin 2020, après l'expiration du délai d'appel, par lesquelles il demande à la cour d'annuler le jugement et de remettre à la charge de la société Fra SCI la totalité des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités dont le tribunal a prononcé la décharge.

8. Ainsi, les conclusions présentées par le ministre sont irrecevables, en raison de leur tardiveté, en tant qu'elles tendent à fixer la base imposable à l'impôt sur les sociétés de la société Fra SCI à des montants excédant, respectivement, 6 027 122 euros au titre de l'exercice clos en 2009 et 1 121 997 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et à remettre à la charge de la société Fra SCI les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondantes, à remettre à la charge de la société des pénalités pour abus de droit excédant 40% de ces cotisations et à la réformation du jugement attaqué dans cette mesure.

Sur la recevabilité des motifs invoqués par le ministre :

9. Aux termes de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales : " L'administration, ainsi que le contribuable dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires et les débats préalables à l'adoption des lois n° 86-1317 du 30 décembre 1986 et n° 87- 1060 du 30 décembre 1987, que le législateur, se fondant en particulier sur la jurisprudence issue de la décision du Conseil d'Etat en plénière fiscale du 4 novembre 1974 n° 91396, a entendu, d'une part, inscrire dans la loi le principe selon lequel l'administration, qui ne peut renoncer au bénéfice de la loi fiscale, est recevable à invoquer, jusqu'à la clôture de l'instruction, tous moyens de nature à faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions dans la limite des impositions et pénalités contestées, sous réserve d'un usage abusif ou déloyal qui serait fait de cette faculté, et, d'autre part, conférer au contribuable des droits équivalents à ceux ainsi reconnus à l'administration.

11. En premier lieu, la société Fra SCI soutient qu'en soulevant un nouveau motif dans son recours enregistré le 10 juin 2016, tiré de ce que la condition de double imposition de la plus-value susceptible de conditionner l'application de la correction Quéméner ne serait pas satisfaite, le ministre a entendu imposer la plus-value d'annulation des parts de la SCI Foncière Costa ayant résulté de la transmission universelle de son patrimoine intervenue le 1er décembre 2009, constatée non plus dans les résultats de la SCI Foncière Costa mais dans ceux de la société Fra SCI et corrigée à hauteur de la correction Quéméner uniquement. Elle en déduit que l'assiette concernant le redressement aurait été modifiée de sorte que le ministre ne serait plus recevable à se prévaloir d'un abus de droit tenant aux conditions dans lesquelles la transmission universelle du patrimoine de la SCI Foncière Costa est intervenue.

12. Cependant, il résulte de l'instruction que les deux motifs successivement invoqués par le ministre pour justifier du bien-fondé des impositions et des pénalités en litige, soit le fondement retenu par le vérificateur et par l'administration fiscale en première instance et repris dans le mémoire du ministre enregistré le 25 juin 2020, tiré de ce que la société Fra SCI ne pourrait pas revendiquer le bénéfice de l'abus de droit auquel elle s'est livrée en procédant notamment à l'application de la correction Quéméner grâce à un montage artificiel, et celui sur lequel le ministre s'était fondé dans son recours du 10 juin 2016, tiré de ce que la société Fra SCI ne serait pas fondée à revendiquer le bénéfice de la correction Quéméner sur l'imposition de la plus-value des immeubles antérieurement détenus par la SCI Foncière Costa car il ne lui permet pas d'échapper à une double imposition visent, l'un comme l'autre, à remettre en cause le bénéfice fiscal que la société Fra SCI a retiré, selon l'administration fiscale, des conditions ayant conduit à ce qu'elle échappe à toute imposition des plus-values de réévaluation des immeubles, antérieurement détenus par la SCI Foncière Costa, qui a été permise par l'apport qui lui a été fait de 999 des 1 000 parts de cette société par la SARL luxembourgeoise FRA, complété par l'acquisition de la dernière part de la SCI Foncière Costa auprès de la société française SAS FRA, puis suivi de la dissolution sans liquidation de cette société et de la transmission universelle de son patrimoine à la société Fra SCI.

13. Il suit de là que ce moyen, à supposer que la société Fra SCI ait entendu le maintenir, doit être écarté.

14. En deuxième lieu, d'une part, contrairement à ce que soutient la société Fra SCI, le ministre ne saurait être regardé comme ayant fait un usage déloyal de la faculté conférée par les dispositions de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales compte tenu, notamment, des interrogations existant à la date de son recours quant aux conditions de l'application de la correction Quéméner. D'autre part, la société n'est pas fondée à soutenir que la Cour serait amenée à statuer ultra petita en examinant le fondement de l'abus de droit alors que celui-ci est invoqué par le ministre. Enfin, si la société demande à la Cour d'écarter ce motif comme étant irrecevable au motif que le ministre, en revenant au fondement de l'abus de droit, se serait mis en mesure d'exploiter des arguments invoqués par la contribuable dans les écritures qu'elle avait présentées après que le ministre ait abandonné ce fondement dans son recours enregistré le 10 juin 2016, elle n'identifie aucun élément qu'elle aurait avancé au cours de l'instance, alors que le fondement de l'abus de droit était provisoirement abandonné, qui soit susceptible de venir à l'appui des prétentions du ministre. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le ministre l'aurait contrainte à s'incriminer elle-même en méconnaissance des stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'agissant de sa contestation des pénalités pour abus de droit en litige, ni, en tout état de cause, s'agissant de sa contestation des droits en litige. Il suit de là, eu égard aux motifs énoncés au point 10, que le ministre est recevable à fonder de nouveau l'imposition et les majorations en litige sur le motif tiré de l'abus de droit à l'objectif de neutralité de l'application de la loi fiscale poursuivi par la correction Quéméner.

15. En troisième lieu, la société Fra SCI soutient que la procédure de l'abus de droit poursuivie par le vérificateur serait indissociable de l'application de la majoration de 80% prévue au b) de l'article 1729 du code général des impôts. Elle en déduit que l'abandon, dans le recours du 10 juin 2016, des prétentions du ministre à obtenir le rétablissement de cette majoration ferait obstacle à ce que l'abus de droit puisse être de nouveau invoqué pour fonder les rehaussements en litige.

16. Cependant, la circonstance que les conclusions du ministre sont tardives en tant qu'elles excèdent ses prétentions présentées dans son recours du 10 juin 2016, comme il a été dit au point 8, est sans incidence sur le principe, énoncé au point 10, selon lequel l'administration est recevable à invoquer, jusqu'à la clôture de l'instruction, tous moyens de nature à faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions sous réserve d'un usage abusif ou déloyal qui serait fait de cette faculté. Dès lors, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur la régularité du jugement :

17. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Afin de satisfaire à ce principe de motivation des décisions de justice, le juge administratif doit répondre, à proportion de l'argumentation qui les étaye, aux moyens qui ont été soulevés par les parties auxquelles sa décision fait grief et qui ne sont pas inopérants.

18. Le ministre soutient qu'en s'abstenant de prendre en compte dans leur ensemble les éléments qu'il a fait valoir pour démontrer l'existence d'un montage artificiel dépourvu de substance économique du montage, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement. Toutefois, la circonstance que le premier juge a apprécié les éléments avancés par le ministre pour démontrer l'existence d'un montage artificiel dépourvu de substance séparément, et non dans leur ensemble, relève du bien-fondé du jugement et non de sa motivation. Il suit de là que le moyen doit être écarté.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ".

20. D'une part, il résulte de l'instruction que le fondement du redressement invoqué par l'administration fiscale dans la proposition de rectification du 13 juillet 2012 et dans la réponse aux observations du contribuable du 18 octobre 2012 tient dans le grief d'un abus de droit à la loi fiscale, en particulier au moyen de l'application de la correction Quéméner dont l'objet est d'assurer la neutralité de l'application de cette loi. Contrairement à ce que soutient la société, la demande de substitution de base légale présentée par le ministre, dans son mémoire enregistré le 25 juin 2020, consiste à titre principal à invoquer de nouveau le même fondement qui est encore invoqué dans le mémoire du ministre enregistré le 6 janvier 2021, et non à fonder le redressement sur un abus de droit, différent, par simulation ou fictivité des entités et des opérations conduites. Dès lors, dans cette mesure, la société n'est pas fondée à soutenir qu'en présentant cette demande le ministre l'aurait privée de la garantie donnée par la loi fiscale tenant à la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal.

21. D'autre part, le ministre soutient également, il est vrai, dans son mémoire enregistré le 25 juin 2020, que la société Fra SCI a commis un abus de droit à la convention franco-luxembourgeoise, en conséquence duquel elle devrait être regardée comme venant aux droits et obligations de la SARL luxembourgeoise FRA de sorte que la contribuable aurait dû déclarer, lors de la transmission universelle du patrimoine de la SCI Foncière Costa, une plus-value imposable en France égale à la plus-value latente constatée en 2008 au Luxembourg par la SARL FRA au titre de l'annulation des titres de la SCI Foncière Costa dont la valeur n'a pas fait l'objet d'une réévaluation imposable entre les mains de la SARL FRA.

22. Si l'abus de droit à la convention franco-luxembourgeoise est distinct de celui qui a fondé la proposition de rectification du 13 juillet 2012 et la réponse aux observations du contribuable du 18 octobre 2012, s'agissant tant de la norme dont la requérante aurait cherché à obtenir une application littérale à l'encontre de l'objectif poursuivi par ses auteurs, que du périmètre des actes constitutifs de l'abus de droit, il est invoqué seulement " par ajout de motif", selon les termes du mémoire du ministre qui persiste à fonder le redressement sur l'abus de droit à la loi française et à l'objectif de neutralité de l'application de cette loi poursuivi par la correction Quéméner. Dans ces conditions, la société requérante est seulement fondée à soutenir qu'elle serait privée, s'il était fait droit aux prétentions présentées " par ajout " par le ministre sur le fondement de l'abus de droit à la convention fiscale franco-luxembourgeoise, de la garantie donnée par la loi fiscale tenant à la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal.

23. En second lieu, aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. ".

24. Dans son mémoire enregistré le 25 juin 2020, le ministre a fondé de nouveau le redressement sur l'abus de droit obtenu par montage artificiel, invoqué dans la proposition de rectification et maintenu dans les écritures présentées par l'administration devant le tribunal, abandonnant ainsi le fondement qu'il avait invoqué dans le cadre de sa demande de substitution de base légale présentée dans son recours du 10 juin 2016. Par suite, à supposer que la société Fra SCI doive être regardée comme ayant maintenu le moyen, soulevé dans son mémoire enregistré le 25 juin 2019, tiré de ce que cette demande de substitution de base légale alors présentée par le ministre serait en réalité une demande de compensation ne satisfaisant pas aux dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du redressement :

S'agissant du cadre juridique du litige, sur le terrain de la loi fiscale :

25. Dans le cas où une société vient à retirer de l'actif de son bilan, à la suite d'une cession ou de la dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine prévue à l'article 1844-5 du code civil, les parts qu'elle détenait jusqu'alors dans une société relevant du régime prévu à l'article 8 du code général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d'acquisition, majorée en premier lieu, d'une part, de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime visé ci-dessus, d'autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé.

26. La règle jurisprudentielle énoncée au point précédent a pour objet d'assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale, compte tenu de la nature spécifique du régime prévu à l'article 8 du code général des impôts, et trouve notamment à s'appliquer à la quote-part de bénéfices revenant à l'associé d'une société soumise à ce régime lorsque ces bénéfices résultent d'une réévaluation des actifs sociaux, qu'elle soit opérée par l'administration fiscale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle et ait pour effet d'accroître rétroactivement la base d'imposition de la société au titre de la période d'imposition close par la dissolution de la société et l'annulation consécutive des parts détenues par l'associé ou que cette réévaluation intervienne au moment de la dissolution de la société soumise au régime spécifique.

S'agissant de l'existence d'un montage artificiel dépourvu de substance :

27. Pour justifier de l'existence d'un montage artificiel dans la proposition de rectification du 13 juillet 2012, le vérificateur a retracé l'ensemble des opérations mentionnées au point 1 du présent arrêt en soulignant leur complexité au regard de l'objectif consistant, pour une société française, à acquérir des immeubles situés en France, et a relevé notamment la constitution récente de la société Fra SCI dotée d'un capital de 1 000 euros intervenue concomitamment à la transformation de la société Foncière Costa en société civile immobilière de droit français, ce qui a permis à la société Fra SCI d'être soumise à l'impôt sur les sociétés en France à hauteur de sa participation dans les résultats de la société Foncière Costa et de revendiquer en conséquence l'application de la correction Quéméner, l'absence d'activité de la société Fra SCI depuis sa constitution le 18 avril 2008 jusqu'à la transmission universelle du patrimoine de la SCI Foncière Costa consécutive à la dissolution sans liquidation de cette société décidée avec effet anticipé au 1er décembre 2009, et la circonstance que la réalisation de son premier exercice social sur une durée de vingt et un mois a permis à la société Fra SCI d'appréhender les remontées des résultats bénéficiaires de sa filiale la SCI Foncière Costa et réaliser l'opération de transmission universelle de son patrimoine dans le même laps de temps de ce premier exercice. Le vérificateur a déduit de ces constatations l'existence d'un montage artificiel dépourvu de substance économique destiné à permettre, par l'acquisition par la société Fra SCI de la SCI Foncière Costa, puis l'attribution lui revenant de la quote-part de 99,9 % des profits constatés sur la réévaluation des immeubles détenus par la SCI Foncière Costa, à hauteur de 2 905 296 euros au titre de la plus-value constatée sur l'immeuble sis n° 37, avenue George V et de 13 566 133 euros au titre de la réévaluation libre de celui sis n° 35, avenue George V, suivie au cours du même exercice clos le 31 décembre 2009 de la dissolution de la SCI Foncière Costa avec transmission universelle de son patrimoine à la société Fra SCI répondant formellement aux conditions de réalisation d'une transmission universelle du patrimoine d'une société de personnes régie par l'article 8 du code général des impôts, de neutraliser les profits immobiliers réalisés sur les deux immeubles, en contradiction avec la règle jurisprudentielle issue de la décision du Conseil d'Etat du 15 décembre 2010 n° 297513, SA " Etablissements Quéméner ", dès lors que la correction Quéméner avait été utilisée exclusivement pour neutraliser les seuls profits immobiliers constatés en évitant la neutralisation corrélative des pertes afférentes aux immeubles également constatées, contrairement à l'objectif de neutralité de l'application de la loi fiscale.

28. Le ministre reprend ces éléments à l'appui de sa demande, et ajoute que la réalisation et l'enchaînement de ces opérations complexes d'apports de parts, de réévaluation des immeubles et de transmission universelle de patrimoine de la SCI Foncière Costa à l'intérieur du même groupe de sociétés toutes détenues à 100 %, directement ou indirectement, par le groupe WestBrook Partners, n'ont abouti ni à un changement des véritables propriétaires des immeubles, ni à l'apport d'une compétence supplémentaire dans la gestion des immeubles puisque la gérance de la SCI Foncière Costa, d'abord assurée par la société américaine WB FRA LLC, a été assurée par la SAS française FRA à partir du transfert le 29 mai 2008 du siège de la SCI Foncière Costa en France, ni au développement des activités du groupe, ni à un quelconque financement nouveau, le montage ayant été réalisé par simple apport de titres et sans apporter aucun financement de nature à renforcer la solidité financière de la société Fra SCI. La société Fra SCI, qui se borne à faire valoir qu'elle a géré le processus de préemption de l'immeuble situé n° 37 avenue George V alors qu'il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas allégué qu'elle aurait disposé des compétences nécessaires à cet effet, ne conteste pas sérieusement ces constatations.

29. Dans ces conditions, l'administration fiscale établit l'existence d'un montage artificiel dénué de toute substance ayant, en particulier, permis à la société Fra SCI d'appliquer la correction Quéméner pour déterminer son résultat imposable au titre de l'exercice clos en 2009.

S'agissant de l'avantage procuré par les écritures extracomptables passées par la société Fra SCI au titre de la correction Quéméner :

30. En premier lieu, et ainsi qu'il a été dit au point 2, il résulte de l'instruction que l'application faite par la société Fra SCI de la correction Quéméner l'a conduite à déduire de son résultat imposable au titre de son exercice clos le 31 décembre 2009, qui s'élevait à 13 133 004 euros (13 552 566 - 426 004 + 6 442), la somme de 21 084 048 euros par écritures extracomptables, générant ainsi un déficit fiscal de 7 525 445 euros.

31. La société soutient que ce déficit extracomptable qu'elle a déduit de son résultat imposable à l'occasion de la dissolution sans liquidation de la SCI Foncière Costa résulte, d'une part, du fait que le prix de l'apport des titres de cette société, soit 23 millions d'euros, a pris en compte les plus-values latentes incorporées dans les valeurs vénales des immeubles détenus par la SCI Foncière Costa, en sorte qu'elle n'a bénéficié d'aucun enrichissement à raison de la détention des titres de cette société du fait de la réévaluation libre des immeubles ce qui justifie la neutralisation au plan fiscal de cette réévaluation, et, d'autre part, de celui que la valeur vénale de l'immeuble sis n° 35, avenue George V- Paris, a fortement chuté entre le 10 juin 2008, date de l'apport, et la date de la clôture de son exercice 2009, en sorte qu'elle s'est appauvrie à raison de la détention des mêmes titres ce qui justifie que la moins-value constatée sur cet immeuble au cours de cette période ne soit pas neutralisée au plan fiscal.

32. Pour sa part le vérificateur a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la prise en compte du déficit extracomptable de 21 084 048 euros déclaré par la société Fra SCI à l'occasion de la dissolution sans liquidation de la SCI Foncière Costa au motif que l'application ainsi faite de la correction Quéméner a permis à la contribuable, en contradiction avec l'objectif de neutralité de l'application de la loi fiscale, de calculer le résultat imposable de son exercice ouvert le 18 avril 2008 et clos le 31 décembre 2009 en neutralisant l'augmentation de ce résultat due à la remontée des plus-values latentes des immeubles détenus par la SCI Foncière Costa, tout en déduisant du même résultat des pertes provoquées par l'évolution de la valeur des mêmes immeubles qui, pour leur part, n'ont pas été neutralisées au plan fiscal. Le ministre ajoute que l'avantage dont la société Fra SCI a bénéficié par abus de droit a été permis par l'interposition de la SARL luxembourgeoise Fra pour l'acquisition des titres de la SCI Foncière Costa et par la chronologie des opérations du montage, et demande le rétablissement de l'imposition qui aurait été due en France par la société Fra SCI en l'absence de cette interposition. Le ministre qui, contrairement à ce que soutient la société Fra SCI, est en droit de demander à la cour d'écarter un ou plusieurs actes qui auraient été pris pour rechercher, dans un but exclusivement fiscal, le bénéfice d'une application littérale des textes contraire à l'intention de leurs auteurs, doit être regardé comme demandant ainsi, notamment, qu'il soit procédé au calcul des effets de l'application qui a été faite de la correction Quéméner en conséquence de l'apport des titres de la SCI Foncière Costa et de la TUP de cette société, intervenus au cours de l'exercice de la société Fra SCI clos en 2009, en écartant les stipulations du traité d'apport conclu entre la société Fra SCI et la SARL luxembourgeoise Fra en tant qu'elles ont procuré à la société Fra SCI un avantage fiscal contraire à l'objectif de neutralité de l'application de la loi fiscale.

33. D'une part, ainsi que le ministre le relève, le transfert de la propriété des immeubles à la société Fra SCI a été réalisé en l'absence de tout versement de liquidités à la société Fra SCI, qui a payé le prix de l'acquisition des parts de la SCI Foncière Costa par une augmentation de son capital social, intégralement détenu par sa société mère la SARL luxembourgeoise Fra, également cessionnaire des parts de la SCI Foncière Costat, complétée par la dotation du compte " prime d'apport ". A cet égard, il résulte de l'instruction que les écritures, décrites au point 1, par lesquelles l'apport de titres s'est traduit dans les comptes de la société Fra SCI, à l'actif, par l'inscription des titres de la SCI Foncière Costa pour 23 000 000 euros au poste " immobilisations corporelles " et, au passif, par l'inscription de la somme de 2 300 000 euros au poste " capital émis et libéré " et de la somme de 20 700 000 euros au poste " primes d'apport ", ont été passées en exécution du traité d'apport qui stipule, en son article 1-1, que " De convention expresse entre les parties, les parts apportées représentent une valeur de 23 000 000 euros ", en son article 3-1 qu'en rémunération de l'apport " le bénéficiaire augmentera son capital social de 2 300 000 euros (...), l'émission des actions étant assortie d'une prime d'apport " et en son article 3-2 que la différence entre la valeur de l'apport et l'augmentation de capital du bénéficiaire " sera inscrite à un compte de prime d'apport (...) sur lequel s'imputeront à due concurrence les frais liés à la réalisation de l'apport ". L'annexe à ce traité, qui détaille la " Méthode d'évaluation de l'apport ", précise que le calcul de la valeur convenue de l'apport tient compte, notamment, d'une " provision pour frais divers " de 1 million d'euros. Selon les indications apportées par la société Fra SCI cette provision correspond à diverses charges identifiées, correspondant en particulier à des honoraires et frais juridiques, dont il apparaissait à la date de l'apport que la SCI Foncière Costa serait amenée à les supporter au titre multiples litiges pendants concernant les immeubles. Ainsi, la stipulation de l'article article 3-1 doit être regardée comme traduisant l'intention des signataires du traité d'apport de réduire, à concurrence du montant maximal de 1 million d'euros, la rémunération de l'apport des titres de la SCI Foncière Costa dans le cas où la réalité et le montant des frais visés par l'annexe au traité serait confirmées après la signature du traité. Or il résulte de l'instruction que la SCI Foncière Costa a effectivement déduit de son résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2008 une provision pour charges de 1 million d'euros, laquelle doit être réputée avoir été inscrite à son compte de résultat après l'apport du 10 juin 2008 dès lors que le bilan intermédiaire de cette société, établi au 5 juin 2008, ne mentionne aucune provision pour charges. Par suite, et en l'absence de tout autre élément susceptible de justifier de l'inscription de cette provision, celle-ci atteste de ce que la SCI Foncière Costa a estimé, lors de la seconde partie de son exercice 2008, que les charges en cause étaient nettement précisées et que des événements en cours après la réalisation de l'apport les rendaient probables.

34. Dans ces conditions, il convient de considérer que le mécanisme de fixation de la rémunération de l'apport élaboré par les signataires du traité, décrit ci-dessus, comportait la garantie selon laquelle le montant de 1 million d'euros en cause serait imputé sur la part de la rémunération de l'apport constituée par l'inscription de la prime d'émission au passif du bilan de la société Fra SCI dans le cas où la réalité et le montant des frais visés par l'annexe au traité serait confirmées après la signature du traité. Dès lors, et en l'absence de tout élément probant contraire, l'imputation sur la prime d'émission, à hauteur de 1 million d'euros, du déficit fiscal de 7 525 445 euros déclaré par la société Fra SCI au titre de son exercice 2009, lequel a ramené à 13 168 111 euros le montant de la prime d'émission au passif du bilan de l'exercice 2010, doit être réputée refléter la réduction, à due concurrence, du paiement du prix d'acquisition de l'apport des titres de la SCI Foncière Costa convenue par les signataires du traité d'apport. Il suit de là, et alors que le ministre demande que les actes passés entre la SARL luxembourgeoise Fra et la société Fra SCI soient écartés en tant qu'ils ont permis à cette dernière de retirer de l'application qu'elle a faite de la correction Quéméner un avantage contraire à la neutralité de l'application de la loi fiscale, que le paiement du prix d'acquisition de l'apport à la société Fra SCI des 999 titres de la SCI Foncière Costa doit être fixée à 22 millions d'euros seulement.

35. D'autre part, pour justifier du montant de 22 593 401 euros retenu par l'annexe au traité d'apport détaillant la méthode d'évaluation de l'apport au titre de la valeur vénale de l'immeuble sis n° 35, avenue George V - Paris à la date du 10 juin 2008, la société Fra SCI produit une expertise réalisée en mai 2007 fixant à 20 130 000 euros la valeur de cet immeuble à cette date, et soutient qu'une situation d'euphorie constatée sur le marché immobilier jusqu'à l'été 2008 compte tenu, notamment de la raréfaction des liquidités induite par la crise dite des " subprimes " survenue aux USA à la fin de l'année 2007, a justifié de rehausser de 12,23 % la valorisation retenue par l'expertise de mai 2007. Cependant, alors que le ministre allègue pour sa part que le marché de l'immobilier dans les quartiers d'affaires parisiens a été peu impacté par les effets de cette crise, la société n'apporte aucun élément qui tendrait à attester de la réalité d'une situation d'euphorie de ce marché de nature à justifier d'une augmentation de 12,23 % de la valeur vénale de cet immeuble entre le mois de mai 2007 et le mois de juin 2008, qui paraît d'ailleurs peu compatibles avec les allégations qu'elle développe pour justifier d'une importante perte de la valeur vénale de cet immeuble entre la date de l'apport des titre de la SCI Foncière Costa et la date de la TUP de cette société, selon lesquelles les effets de la crise des " subprimes " se sont répercutés sur le marché français de l'immobilier professionnel au point de le faire chuter de 72% entre 2007 et 2008. Dans ces conditions, compte tenu de la chronologie des opérations, et alors que la société n'a pas jugé utile de produire une estimation de l'immeuble qui aurait pu être réalisée à l'occasion de l'apport du 10 juin 2008 alors qu'elle serait seule en mesure de produire des éléments de preuve pour démontrer l'augmentation alléguée de la valeur vénale de cet immeuble, il y a lieu de retenir le montant de 20 130 000 euros au titre de la valeur vénale de l'immeuble sis n° 35, avenue George V - Paris à la date du traité d'apport.

36. Dans ces conditions, et dès lors que la correction Quéméner, dont l'objet est de permettre que le contribuable soit imposé seulement en conséquence de l'enrichissement dont il a bénéficié, le cas échéant, à raison de la détention des parts d'une société relevant du régime prévu à l'article 8 du code général des impôts, ou qu'il échappe à l'impôt seulement en conséquence de l'appauvrissement qu'il a subi, le cas échéant, à raison de la détention des parts d'une société relevant de ce régime, ne saurait avoir pour effet de donner lieu à la déduction d'un déficit extracomptable à hauteur d'une surestimation de la valeur d'acquisition des parts de ladite société, la valeur d'acquisition des parts de la SCI Foncière Costa devant être retenue pour l'application de la correction Quéméner, selon les modalités rappelées au point 25, doit être ramenée de 23 000 000 euros à 19 536 599 euros, correspondant au montant de la rémunération du prix d'acquisition de l'apport, soit 22 millions d'euros ainsi qu'il a été dit au point 34, diminué du montant de la surestimation de la valeur vénale de l'immeuble sis n° 35, avenue George V dans le traité d'apport, soit 2 463 401 euros ainsi qu'il a été dit au point 35.

37. En deuxième lieu, si le ministre demande à la Cour d'écarter la décision du 27 novembre 2009 par laquelle la SCI Foncière Costa a anticipé au 30 novembre 2009 la date de la clôture de son exercice 2009, il n'explicite pas clairement les conséquences susceptibles d'en être attendues, concernant l'avantage procuré par les écritures extracomptables passées par la société Fra SCI en application de la correction Quéméner.

38. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la valeur vénale de la SCI Foncière Costa à la date de la TUP était impactée par des dettes figurant au passif de son bilan, soit une dette de 14 millions d'euros correspondant à un emprunt souscrit le 24 juillet 2007 par cette société auprès de la banque BNP Paribas, une dette de 1 510 490 euros à l'égard d'établissements de crédit et une dette de 1 453 821 euros à l'égard de fournisseurs au sujet desquelles le ministre n'élève aucune contestation, le montant total de ces dettes étant ainsi quasiment égal à la créance de 17 millions d'euros détenue par la SCI Foncière Costa à l'égard de la ville de Paris à raison de l'exercice par cette dernière de son droit de préemption sur l'immeuble sis n° 37, avenue George V. Dans ces conditions, compte tenu de la vénale de l'immeuble sis n° 35, avenue George V fixée à 15 810 000 euros par le rapport d'expertise du 25 novembre 2009, ainsi qu'il a été dit, et en l'absence de toute autre critique précise et pertinente opposée par le ministre, la valeur vénale des titres de la SCI Foncière Costa à la date d'effet de la TUP doit être fixée au montant de 15 484 002 euros retenu par la société Fra SCI.

39. En quatrième lieu, si les opérations constitutives du montage ont permis à la SARL luxembourgeoise Fra de bénéficier d'une augmentation de son actif net en franchise d'impôt en conséquence de la réalisation de plus-values latentes des immeubles, constatée à l'occasion de l'apport des titres de la SCI Foncière Costa puis de leur annulation provoquée par la TUP de cette société, le ministre n'est pas fondé à réclamer l'imposition correspondant à ces plus-values entre les mains de la société Fra SCI, qui est un contribuable distinct de la SARL luxembourgeoise Fra. Et, contrairement à ce que soutient le ministre, dans la mesure où la valorisation effective de l'apport des titres de la SCI Foncière Costa correspond à la valeur vénale des immeubles détenus par cette société à la date de l'apport, la circonstance que la société Fra SCI pourra déduire de ses résultats imposables de ses exercices ultérieurs des amortissements dont le montant tiendra compte de la revalorisation libre des immeubles effectuée le 27 novembre 2009 par la SCI Foncière Costa ne saurait démontrer que la contribuable aurait retiré un avantage de l'abus de droit en cause.

40. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point 22, le ministre soutient, " par ajout de motifs ", que la recherche, dans un but exclusivement fiscal, du bénéfice de l'application de la convention franco-luxembourgeoise a permis de faire remonter au Luxembourg les plus-values latentes des immeubles.

41. Toutefois, cet abus de droit étant distinct de celui, décrit aux points 27 et 28, qui a fondé la proposition de rectification du 13 juillet 2012 et la réponse aux observations du contribuable du 18 octobre 2012 s'agissant tant de la norme dont la requérante aurait cherché à obtenir une application littérale à l'encontre de l'objectif poursuivi par ses auteurs, que du périmètre des actes constitutifs de l'abus de droit, la requérante est fondée à soutenir qu'elle serait privée, s'il était fait droit au complément de motif demandé par le ministre, de la garantie tenant à la possibilité de demander la saisine le comité de l'abus de droit fiscal.

Sur le terrain de la doctrine :

42. Le rescrit RES n° 2007/54 (FE) du 11 décembre 2007 se borne, comme cela ressort expressément de son intitulé, à décrire les modalités d'application des principes dégagés par le Conseil d'Etat dans la décision n° 133296 " SA Etablissements Quéméner " du 16 février 2000, de sorte qu'un contribuable ne peut s'en prévaloir que s'il entre dans les prévisions de ce rescrit. La société Fra SCI, qui a participé à des opérations constitutives d'un montage dépourvu de substance lui ayant permis de retirer de l'application qu'elle a faite de la correction Quéméner un avantage contraire à l'objectif de neutralité de l'application de la loi fiscale, ainsi qu'il a été dit, n'est dès lors pas fondée à se prévaloir des prévisions de ce rescrit sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

43. Il résulte de ce qui précède, et en l'absence de toute autre argumentation utile, que le ministre est seulement fondé à demander que soient écartées les écritures extracomptables passées par la société Fra SCI en application de la correction Quéméner en tant qu'elles ont, d'une part, pris en compte le prix de 23 millions d'euros et non celui de 22 millions d'euros au titre de la rémunération de l'acquisition par la société Fra SCI de 999 parts de la SCI Foncière Costa, et, d'autre part, en ce qu'elles ont admis une perte de valeur vénale de l'immeuble sis n° 35, avenue George V à hauteur de 6 783 401 (22 593 401 - 15 810 000) euros et non de 4 320 000 (20 130 000 - 15 810 000) euros.

44. Il suit de là qu'il est seulement fondé à soutenir qu'en permettant à la société

Fra SCI de déduire un déficit extracomptable de 21 084 048 euros, supérieur au montant de 13 552 566 euros ayant neutralisé l'imposition dont elle était redevable au titre de la remontée du résultat fiscal de la SCI Foncière Costa résultant, en particulier, de la réévaluation de l'actif de cette société, la " correction Quéméner " a aboutit à ce que son résultat imposable soit réduit à concurrence d'un montant excédant de 3 463 401 euros l'appauvrissement qu'elle a subi à raison de la détention des parts de la SCI Foncière Costa de sorte que, dans cette mesure, l'application de cette correction a été, par elle-même, contraire à l'objectif de neutralité d'application de la loi fiscale au niveau de la société Fra SCI.

45. Par suite le ministre, qui ne dirige aucune critique contre l'imputation du déficit de l'exercice clos en 2009 de la société Fra SCI sur son résultat de 1 121 997 euros constaté au titre de l'exercice 2010, laquelle résulte d'ailleurs de l'application des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts dans sa rédaction applicable antérieurement au 20 septembre 2011, est seulement fondé à demander que le déficit de l'exercice 2009 de la société Fra SCI soit ramené de (- 7 525 445) euros à (- 4 062 044) euros.

Sur les pénalités :

46. En l'absence de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des deux exercices en cause, le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à demander le rétablissement de pénalités pour abus de droit de 40 % sur le fondement des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.

47. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances est seulement fondé à demander que le déficit fiscal de l'exercice 2009 de la société Fra SCI soit ramené de (- 7 525 445) euros à (- 4 062 044) euros.

Sur les frais liés à l'instance :

48. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le versement d'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le déficit fiscal de la société Fra SCI au titre de l'exercice clos en 2009 est ramené à (- 4 062 044) euros.

Article 2 : Le jugement n° 1401026 du 9 février 2016 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la société Fra SCI présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances et à la société Fra SCI.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- M. Marjanovic, président assesseur,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juin 2024.

Le président assesseur,

V. MARJANOVIC

La présidente rapporteure,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

N° 19PA01686 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01686
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Hélène VINOT
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;19pa01686 ?
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