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24/05/2024 | FRANCE | N°23PA00122

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 24 mai 2024, 23PA00122


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2022 par lequel le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2200277, 2200

279 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté ses demandes.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2022 par lequel le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2200277, 2200279 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 janvier 2023, 24 janvier 2023 et 19 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Crusoé, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " entrepreneur / profession libérale ", dans le délai de deux semaines à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie la somme de 400 000 francs pacifiques (CFP) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas la signature des magistrats ni du greffier ;

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur la circonstance qu'elle ne remplissait plus les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour en qualité de salariée, sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce que d'une part, elle exerce effectivement des fonctions de gérante de la société Thaï Service et d'autre part, il ne saurait lui être reproché son niveau de français, qui ne compte pas parmi les conditions à remplir pour se voir délivrer le titre de séjour sollicité.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle a été prise par une autorité incompétente ;

- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2023, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bruston a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante thaïlandaise née le 24 juillet 1983, est entrée régulièrement en France le 2 septembre 2019. Elle a bénéficié de titres de séjour en qualité de salariée, régulièrement renouvelés, dont le dernier était valable jusqu'au 4 juin 2022. Le 19 avril 2022, elle a demandé un changement de statut, et a sollicité un titre de séjour portant la mention " entrepreneur / profession libérale ", sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 juillet 2022, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie lui a refusé la délivrance du titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Mme A... relève appel du jugement du 8 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance transmis à la Cour que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par ces dispositions. Si l'expédition du jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie notifié à Mme A... ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher le jugement attaqué d'irrégularité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. Les premiers juges, qui ne sont pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par la requérante, ont répondu, avec une motivation suffisante et qui n'est pas stéréotypée, à l'ensemble des moyens soulevés devant eux. En outre, contrairement à ce que soutient Mme A..., il n'appartenait pas aux premiers juges de statuer sur le droit au séjour de l'intéressée au regard des dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa demande n'était présentée que sur le seul fondement de l'article L. 425-1 du même code. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

6. En premier lieu, ainsi que le fait valoir en défense le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Mme A... n'a invoqué devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie que des moyens tirés de la légalité interne de la décision portant refus de titre de séjour. Si elle soutient en appel que cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation, ce moyen, fondé sur une cause juridique distincte et qui n'est pas d'ordre public, est irrecevable en appel.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité non salariée, économiquement viable et dont il tire des moyens d'existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/ profession libérale " d'une durée maximale d'un an ".

8. Pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie s'est fondé sur la circonstance que Mme A... ne remplissait pas les conditions prévues par les dispositions précitées, au motif notamment que ses fonctions au sein de la société Thaï Service relevaient d'une activité salariée et non d'une activité de cogérance.

9. Il ressort des pièces du dossier, notamment du bulletin d'annonces légales n° 394 du 7 octobre 2021 que Mme A... a été nommée cogérante de la société Thaï Service, reprenant ainsi les termes du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 3 septembre 2021, par laquelle l'intéressée a été nommée cogérante en remplacement de l'ancienne cogérante, démissionnaire, et qu'elle apparaît en qualité de gérante sur l'extrait d'immatriculation principale au registre du commerce et des sociétés à jour au 16 juillet 2022. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'elle a signé, au nom et pour le compte de la société, le contrat de travail d'une employée en date du 24 février 2022. La requérante a également présidé une assemblée générale de la société Thaï Service, le 30 juin 2022, qui a donné quitus de la gérance, a affecté le résultat de la société, a déterminé sa rémunération en tant que gérante, et lui a donné son agrément en qualité de nouvelle associée de la société, dont il n'est pas contesté qu'elle possède 60 % des parts. Toutefois, quand bien même l'absence de maîtrise de la langue française ne saurait être regardée comme un obstacle rédhibitoire à l'accomplissement des fonctions de cogérance, lesquelles d'ailleurs s'exercent conjointement avec les autres gérants, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'enquête administrative du 10 juin 2022, lequel est fondé sur les déclarations de l'intéressée, que les autres cogérants effectuaient les missions relatives à la détermination des emplois du temps des employées, à la comptabilité, à la fiscalité, à la facturation et étaient en charge de la clientèle, et des fonctions administratives. A cet égard, la requérante a déclaré qu'au sein du salon de massage, elle était masseuse, et que son rôle en tant que gérante n'avait en rien modifié ses fonctions qu'elle exerçait précédemment sous patente ou en qualité de salariée. Elle a en outre déclaré n'avoir aucune fonction administrative, comptable, fiscale, ou financière, n'exercer aucun contrôle quant à l'exécution du travail et n'avoir aucun lien hiérarchique avec les autres employées de la société. Enfin, ni la capture d'écran du site internet de la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de la prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), ni celle d'un texte émanant de l'administration fiscale, non nominative, rappelant que le procès-verbal d'assemblée générale de la société Thaï Service pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2021 devait parvenir à l'administration avant le 31 juillet 2022, ni enfin, la circonstance qu'elle perçoive une rémunération annuelle de 683 500 CPF en qualité de gérante, ne sauraient établir la réalité des fonctions dont se prévaut Mme A.... Dans ces conditions, et alors au surplus que l'activité de la société Thaï Service a enregistré un déficit pour l'année 2021 de 516 989 CPF, il ne ressort pas des pièces du dossier que les fonctions occupées par Mme A... relevaient de la cogérance de la société, la circonstance qu'elle soit titulaire de 60 % des parts sociales de cette société étant à cet égard sans incidence. Par suite, en refusant un titre de séjour à Mme A..., le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie n'a ni méconnu les dispositions de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, ainsi que le fait valoir le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en défense, Mme A... n'a invoqué devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie que des moyens tirés de la légalité interne de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Si elle soutient en appel que cette décision est entachée d'incompétence, ce moyen, fondé sur une cause juridique distincte et qui n'est pas d'ordre public, est irrecevable en appel.

11. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".

12. Mme A... se prévaut de son insertion professionnelle en France et soutient qu'elle y dispose du centre de ses intérêts personnels. Toutefois, la requérante est entrée en Nouvelle-Calédonie à une date récente, le 2 septembre 2019. Si elle a toujours exercé un emploi depuis son entrée sur le territoire, elle ne saurait toutefois se prévaloir d'une insertion particulièrement forte dans la société française, alors notamment qu'elle n'est pas en mesure de s'exprimer en Français. De plus, elle est célibataire et sans charge de famille en Nouvelle-Calédonie, et n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 29 ans. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de séjour de l'intéressée, la décision portant obligation de quitter le territoire n'a pas porté à son droit à mener une vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Ainsi, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Bruston, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2024.

La rapporteure,

S. BRUSTONLa présidente,

M. HEERS

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA00122 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00122
Date de la décision : 24/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Servane BRUSTON
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : AARPI ANDOTTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-24;23pa00122 ?
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