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24/05/2024 | FRANCE | N°19PA02124

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 24 mai 2024, 19PA02124


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... C... a demandé au Tribunal administratif de Melun :



1°) à titre principal, de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme globale de 250 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux qu'il estime avoir subis et à lui rembourser la somme de 8 319,52 euros, augmentée des intérêts de retard correspondant au montant des congés, des heures supplémentaires, des heures de récupération, des heures libérées et des frai

s médicaux qui lui sont dus ;



2°) à titre subsidiaire, de condamner le département du Val-de-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au Tribunal administratif de Melun :

1°) à titre principal, de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme globale de 250 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux qu'il estime avoir subis et à lui rembourser la somme de 8 319,52 euros, augmentée des intérêts de retard correspondant au montant des congés, des heures supplémentaires, des heures de récupération, des heures libérées et des frais médicaux qui lui sont dus ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 200 000 euros au titre de sa retraite " valorisée " et la somme de 250 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au département du Val-de-Marne de revaloriser sa pension de retraite ainsi que sa retraite additionnelle en prenant en compte l'avancement auquel il avait droit et les cotisations qu'il aurait versées au titre de la retraite additionnelle.

Par un jugement n° 1600515 du 7 mai 2019, le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à payer à M. C... la somme de 243 720 euros au titre des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt avant dire droit du 9 avril 2021, la Cour a, sur la requête présentée par le département du Val-de-Marne tendant à la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à M. C... la somme de 243 000 euros et au rejet des conclusions de M. C... présentées à titre incident, ordonné une expertise.

Par une ordonnance du 1er juillet 2021, le président de la Cour administrative d'appel a désigné M. le docteur A... F... en qualité d'expert.

M. le docteur A... F... a déposé son apport le 22 septembre 2023.

Par un mémoire, enregistré le 4 décembre 2023, M. C... persiste dans ses précédentes conclusions par lesquelles il demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du département du Val-de-Marne ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident,

- de réformer le jugement n° 1600515 du 7 mai 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à lui verser une somme de 243 720 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis ;

- de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser une indemnité de 311 950 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 8 319,52 euros au titre des frais médicaux, des congés et heures dus et de 50 000 euros au titre du traitement discriminatoire ;

- à titre subsidiaire, d'enjoindre au département du Val-de-Marne de revaloriser sa pension de retraite ainsi que sa retraite additionnelle afin de prendre en compte son avancement ;

3°) de mettre à la charge du département du Val-de-Marne le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son conseil n'a pas été convoqué avec lui par l'expert ;

- l'expert n'a pas pris en compte l'ensemble des pièces produites devant lui ;

- le rapport d'expertise contient de nombreuses imprécisions et erreurs sur sa situation personnelle et rapporte des propos qu'il n'a pas tenus devant l'expert ;

- le rapport d'expertise écarte à tort l'existence d'un syndrome de stress post-traumatique alors que l'expert relève par ailleurs des symptômes correspondant à ce syndrome.

Par un mémoire enregistré le 2 février 2024, le département du Val-de-Marne, représenté par la SELAS Seban et associés, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1600515 du 7 mai 2019 en tant que le Tribunal administratif de Melun l'a condamné à verser à M. C... une somme de 243 000 euros en réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis en ramenant le montant de l'indemnité due à de plus justes proportions ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. C... au titre de l'appel incident ;

3°) de mettre à la charge de M. C... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais d'expertise.

Il soutient que :

- l'expertise a été menée dans des conditions régulières ;

- l'appréciation de l'expert doit être retenue s'agissant du taux de déficit fonctionnel permanent ;

- M. C... n'établit pas avoir subi un préjudice d'agrément ni un préjudice esthétique ;

- la réparation retenue par le tribunal au titre de la souffrance morale et des troubles dans les conditions d'existence est excessive.

La clôture de l'instruction a été fixée au 4 mars 2024 à 12 h 00 par une ordonnance du 4 janvier 2024.

Un mémoire pour M. C... a été enregistré le 4 mars 2024 à 18h33, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du 23 mai 2024, par laquelle le premier vice-président de la cour a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. le docteur A... F....

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bruston,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lefébure, représentant le département du Val-de-Marne et de Me d'Allivy Kelly, représentant M. C....

Une note en délibéré a été enregistrée le 22 mars 2024 pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., technicien principal de première classe, affecté au sein de l'ancien service informatique du département du Val-de-Marne, a été victime, le 22 août 2008, d'une chute dans l'atelier du service, reconnue comme accident imputable au service le 4 février 2009. L'intéressé a été placé en congé de maladie du 22 août 2008 au 1er décembre 2014. La commission de réforme ayant reconnu son inaptitude définitive à toutes fonctions, M. C... a été admis à la retraite pour invalidité à compter du 1er décembre 2014 et bénéficie d'une pension d'invalidité comprenant une rente d'invalidité au taux de 59%. Par courrier du 27 juillet 2015, M. C... a présenté une demande tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'accident du 22 août 2008, qui a été rejetée par un courrier du président du conseil départemental du Val-de-Marne du 18 novembre 2015. Par un jugement du 7 mai 2019, le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à payer à M. C... la somme de 243 720 euros au titre des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis. Le département du Val-de-Marne relève appel de ce jugement en tant qu'il a été condamné au versement d'une somme de 243 000 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux. M. C..., par la voie de l'appel incident, sollicite la réformation de ce jugement en tant que le tribunal n'a fait que partiellement droit à ses conclusions.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le département du Val-de-Marne aux conclusions d'appel incident de M. C... :

2. Si M. C... a sollicité, devant le juge de première instance, l'indemnisation de ses préjudices résultant de l'accident de service dont il a été victime, en invoquant tant la responsabilité pour faute que la responsabilité sans faute du département, il résulte du jugement attaqué que les premiers juges ont prononcé la condamnation du département sur le fondement de la responsabilité sans faute après avoir écarté l'existence d'une faute de l'employeur public à l'origine des préjudices invoqués. Si M. C... expose par la voie de l'appel incident que l'accident de service est imputable à une faute de son employeur en raison d'une défaillance dans l'organisation du service, il soulève ainsi, à l'appui de sa demande de condamnation portant sur des préjudices distincts de ceux pour lesquels il a obtenu réparation, un moyen fondé sur une cause juridique distincte de celle qui fonde l'appel principal du département. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le département du Val-de Marne aux conclusions d'appel incident doit être accueillie.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et des articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, les fonctionnaires des collectivités territoriales qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services.

4. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.

5. Comme l'a jugé le tribunal administratif de Melun au point 5 de son jugement attaqué, sans que celui-ci soit discuté en cause d'appel, son accident du 22 août 2008 ayant été reconnu par le département du Val-de-Marne comme étant imputable au service, M. C... est fondé à prétendre, au titre de la responsabilité sans faute, à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux liés aux pertes de revenus et l'incidence professionnelle ou des préjudices personnels liés aux affections dont il est atteint du fait de cet accident.

En ce qui concerne les dépenses de santé :

6. M. C... justifie avoir exposé, au titre des frais médicaux non pris en charge par l'assurance maladie, une somme de 1 405,52 euros correspondant à des séances de kinésithérapie et de rééducation de la main et du poignet gauche. Ces frais étant justifiés, M. C... est fondé à demander leur prise en charge par le département quand bien même celui-ci soutient qu'il n'a pas commis de faute.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux permanents :

7. En premier lieu, M. C... sollicite l'indemnisation de sa souffrance morale en faisant référence au déficit fonctionnel permanent dont il est atteint. Il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions de l'expertise contradictoire réalisée par M. le docteur F..., qui ne sont pas utilement remises en cause par M. C..., lequel se borne à pointer les imprécisions du rapport d'expertise sur sa situation personnelle et à contester les propos qu'il aurait tenus devant l'expert, que l'intéressé souffre d'algodystrophie au poignet ainsi que d'une dépression réactionnelle sans état psychiatrique antérieur mais que ni l'étude des pièces ni l'examen clinique ne retrouve de syndrome post-traumatique, en l'absence de reviviscence diurne et nocturne. Ni l'expertise médicale du docteur B..., médecin agréé, en date du 3 juin 2014 réalisée dans le cadre de l'attribution de la pension d'invalidité au requérant par la CNRACL, ni les certificats médicaux du Dr D..., psychiatre de M. C..., ne permettent de contredire ces conclusions. Il résulte, en outre, de l'instruction, que le taux d'incapacité permanente partielle liée aux séquelles au poignet, doit être évalué au taux non contesté de 35 %. S'agissant du syndrome de dépression réactionnelle, dès lors qu'il n'y a pas lieu de limiter, comme l'a fait l'expert, le taux d'incapacité au maximum du barème du concours médical, ce taux peut être fixé à 30 % conformément aux conclusions du docteur B.... En outre, il ressort des rapports d'expertise que le syndrome de dépression réactionnelle dont souffre M. C... est consécutif aux lésions dont il souffre au poignet, de sorte que ces différentes infirmités ont entre elles un rapport d'aggravation justifiant que soit appliquée la règle de la validité restante. Dès lors, le déficit fonctionnel permanent dont souffre, après consolidation, M. C..., né le 20 mai 1962, doit être fixé à 55 % comprenant 35 % d'invalidité pour une algodystrophie de la main gauche, et 30 % pour un syndrome dépressif, après application de la règle de la validité restante. Ainsi, le déficit fonctionnel permanent peut être évalué à la somme de 125 500 euros.

8. En deuxième lieu, s'il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait régulièrement pratiqué le " muay thaï ", il établit cependant qu'il exerçait bien, en 2007, une activité d'animateur sportif bénévole pour la Fédération de Muay Thai (boxe thaïlandaise) au sein du club omnisport de Villeneuve-Saint-Georges. Il y a lieu, dès lors, d'évaluer son préjudice d'agrément et les troubles dans les conditions d'existence subis à la somme de 12 500 euros.

9. En troisième et dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction et notamment pas des expertises médicales, que le requérant aurait subi un préjudice esthétique permanent, la circonstance qu'il serait obligé de porter constamment un bandage n'étant pas établie. Dès lors, les conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent être rejetées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Val-de-Marne est fondé à demander la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à M. C... la somme de 243 720 euros au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux subis résultant de l'accident de service survenu le 22 août 2008 et à demander que le montant de l'indemnisation soit ramené à la somme de 139 405,52 euros.

Sur les frais de l'expertise ordonnée en appel :

11. Les frais de l'expertise du docteur A... F... ordonnée par la Cour ont été taxés et liquidés à la somme de 2 400 euros par une ordonnance du 23 mai 2024 du premier vice-président de la cour administrative d'appel de Paris. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive du département du Val-de-Marne le paiement de ces frais.

Sur les frais non compris dans les dépens :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 243 720 euros que le département du Val-de-Marne a été condamné à verser à M. C... est ramenée à la somme de 139 405,52 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 400 euros, sont mis à la charge définitive du département du Val-de-Marne.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au département du Val-de-Marne, à M. C... et au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bruston, présidents,

M. Mantz, premier conseiller,

Mme Saint-Macary, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2024.

La présidente rapporteure,

S. BRUSTON

L'assesseur le plus ancien,

P. MANTZLa greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne à la préfète du Val-de-Marne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA02124


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02124
Date de la décision : 24/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie MACH
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : D'ALLIVY KELLY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-24;19pa02124 ?
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