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23/05/2024 | FRANCE | N°23PA05323

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 23 mai 2024, 23PA05323


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Terialma a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 juin 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaires prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant total de 20 026 euros.



Par jugement n° 2216132/3-2 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Terialma a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 juin 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaires prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant total de 20 026 euros.

Par jugement n° 2216132/3-2 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 décembre 2023, la société Terialma, représentée par Me Laplante, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2216132/3-2 du 20 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 15 juin 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaitaires prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant total de 20 026 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de la décharger du montant des contributions mises à sa charge ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 15 juin 2022 attaquée ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ne se prononcent pas sur la demande de décharge mais la rejette simplement par voie de conséquence du rejet des conclusions aux fins d'annulation de la décision du 15 juin 2022 ;

- la décision du 15 juin 2022 est entachée d'une erreur de droit dès lors que, concernant la situation de M. C..., elle n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité alors que ce dernier s'est prévalu de la qualité de ressortissant portugais et n'a pas présenté de carte d'aide médicale d'État ;

- la sanction qui lui est infligée est disproportionnée ;

- elle n'a jamais eu d'intention frauduleuse ;

- M. A... a présenté un récépissé de demande de renouvellement de son titre de séjour qui était valable du 15 février 2016 au 14 février 2021 et il n'est pas établi que l'intéressé faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Terialma en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Terialma ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 7 février 2022, les services de police ont contrôlé le restaurant la Reine Mer exploité par la société Terialma, situé 64 boulevard Haussmann dans le 9ème arrondissement à Paris, et ont constaté la présence de deux ressortissants de nationalité sénégalaise, M. C... et M. A..., dépourvus de titres les autorisant à séjourner et à exercer une activité salariée en France. Un procès-verbal d'infraction a été dressé et transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 8271-17 du code du travail. Par une décision du 15 juin 2022, le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société Terialma, pour l'emploi de ces deux ressortissants étrangers, la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 14 920 euros et la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 5 106 euros. Par jugement n°2216132/3-2 du 20 octobre 2023, dont la société Terialma relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris ne s'est pas prononcé sur le moyen invoqué par la société Terialma, tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 15 juin 2022, moyen qui n'était pas inopérant. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens relatifs à la régularité du jugement, la société requérante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer et qu'il doit, par suite, être annulé.

3. Il y a lieu, par la voie de l'évocation, de statuer sur la demande présentée par la société Terialma devant le tribunal administratif.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 15 juin 2022 :

4. D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce même code dans sa version en vigueur jusqu'au 28 janvier 2024 : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du code du travail : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Aux termes de l'article R. 8253-4 de ce même code : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur version en vigueur jusqu'au 28 janvier 2024 : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui peuvent être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui a occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquitte une contribution forfaitaire représentative des frais d'éloignement du territoire français de cet étranger ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France (...) ". Selon l'article L. 5221-9 du même code : " L'embauche d'un salarié étranger titulaire de la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 422-1, L. 422-2, L. 422-4 ou L. 422-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut intervenir qu'après déclaration nominative effectuée par l'employeur auprès de l'autorité administrative. "

6. En premier lieu, par une décision du 19 décembre 2019, régulièrement publiée sur le site internet de l'OFII et au bulletin officiel du ministère de l'intérieur, le directeur général de l'OFII a donné délégation à Mme F... D..., adjointe à la cheffe du service juridique et contentieux, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme E... B..., notamment l'ensemble des décisions relatives aux contributions spéciale et forfaitaire. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision, qui manque en fait, doit être écarté.

7. En second lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces articles, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et que, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal du 8 février 2022, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, des déclarations de M. C... et des photographies envoyées par le président de la société Terialma au département du contrôle de flux migratoires par courriel du 9 févier 2022, que M. C... a présenté lors de son recrutement une carte d'identité portugaise, dont il s'est révélé, lors du contrôle, qu'elle était fausse, ainsi qu'une carte d'aide médicale d'Etat. Dès lors que la carte d'aide médicale d'Etat n'est délivrée qu'aux étrangers dépourvus de titre de séjour en France, il appartenait à la société de prendre les précautions nécessaires et de vérifier auprès des services compétents si la carte d'identité portugaise produite par M. C... pouvait être falsifiée ou usurpée, ce qu'elle n'a pas fait, ainsi que le président de la société l'a reconnu. Il en va de même s'agissant de M. A..., lequel a indiqué lors de son audition par l'agent de police judiciaire le 8 février 2022, avoir été recruté le 2 octobre 2021 alors que le récépissé de demande de renouvellement de son titre de séjour était expiré depuis le 20 août 2021. La société Terialma ne peut dès lors utilement se prévaloir de sa bonne foi. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation que le directeur général de l'OFII a, par la décision du 15 juin 2022, mis à la charge de la société Terialma, les contributions spéciale et forfaitaires représentative de frais de réacheminement. Par suite, les conclusions par lesquelles la société Terialma demande l'annulation de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

9. S'il ne saurait interdire de fixer des règles assurant une répression effective des infractions, le principe de nécessité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant alors fixé de manière forfaitaire par l'article L. 8251- 1, le premier alinéa de l'article L. 8253-1 et l'article R. 8253-2 du code du travail, ou en décharger l'employeur.

10. La société Terialma se prévaut des difficultés financières qu'elle rencontre suite à la crise sanitaire et des conséquences de la fermeture administrative dont elle a fait l'objet suite à l'emploi illégal des deux salariés précités en situation irrégulière et démunis de titres les autorisant à exercer une activité professionnelle en France. Ces circonstances, au demeurant non établies s'agissant de sa situation financière difficile, ne sont pas de nature, compte tenu de la gravité des infractions commises, à lui ouvrir droit à une minoration du montant des contributions mises à sa charge. Par suite, les conclusions par lesquelles la société Terialma demande la décharge des sommes mises à sa charge ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'OFII, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à la société Terialma la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de condamner la société Terialma, par application de ces mêmes dispositions, à verser à l'OFII la somme de 2 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2216132/3-2 du 20 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.

.

Article 2 : La demande présentée par la société Terialma devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : La société Terialma est condamnée à verser à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Terialma, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au directeur départemental des finances publiques.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Collet, première conseillère,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.

La rapporteure,

A. Collet La présidente,

C. Vrignon-Villalba

Le greffier,

P. TisserandLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA05323


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05323
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : LAPLANTE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-23;23pa05323 ?
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