La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2024 | FRANCE | N°22PA04948

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 23 mai 2024, 22PA04948


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... F... et Mme C... F..., agissant en leur qualité d'ayants droit de leur enfant B... et en leur nom propre, ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner le Groupement hospitalier intercommunal (GHI) Le Raincy-Montfermeil à leur verser la somme totale de 206 276,53 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis du fait d'un retard de prise en charge ayant causé le décès de leur enfant.



Par un juge

ment n° 2010024 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a condamné le GHI Le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... et Mme C... F..., agissant en leur qualité d'ayants droit de leur enfant B... et en leur nom propre, ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner le Groupement hospitalier intercommunal (GHI) Le Raincy-Montfermeil à leur verser la somme totale de 206 276,53 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices subis du fait d'un retard de prise en charge ayant causé le décès de leur enfant.

Par un jugement n° 2010024 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a condamné le GHI Le Raincy-Montfermeil à verser, d'une part, la somme de 4 872 euros aux consorts F... en leur qualité d'ayants droit de leur fille B..., la somme de 6 366 euros à Mme F... et la somme de 6 566,43 euros à M. F..., en leur qualité de victimes indirectes, assorties des intérêts au taux légal et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis la somme de 15 907,02 euros au titre des débours ainsi que la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 novembre 2022 et le 3 avril 2023, M. et Mme F..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 2010024 du 22 septembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a limité le montant de l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le GHI Le Raincy-Montfermeil ;

2°) de condamner le GHI Le Raincy-Monfermeil à leur verser, en réparation des préjudices subis du fait d'un retard de prise en charge obstétricale de Mme F... ayant causé le décès de leur enfant B..., les sommes suivantes assorties des intérêts à taux légal à compter de la date d'introduction de la requête d'appel et avant application du taux de perte de chance qui ne saurait ni être inférieur à 30% ni être appliqué au préjudice d'impréparation :

- 80 480 euros en leur qualité d'ayants droit de leur enfant ;

- 71 520 euros à Mme F... ;

- 54 486,36 euros à M. F... ;

3°) de mettre à la charge du GHI Le Raincy-Monfermeil la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité pour faute du GHI Le Raincy-Monfermeil est engagée du fait du retard dans la prise en charge obstétricale de Mme F... qui a fait perdre à l'enfant 30% de chances d'éviter l'aggravation de son état de santé ;

- le GHI Le Raincy-Monfermeil a manqué à son obligation d'information envers M. et Mme F... concernant l'état de santé de leur enfant qui venait de naître ; sa responsabilité doit être engagée sur le fondement de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ;

- au titre des préjudices subis par leur fille B..., ils sont fondés à solliciter l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total pendant seize jours à hauteur de 480 euros, soit 144 euros après application du taux de perte de chance de 30%, des souffrances endurées à hauteur de 70 000 euros, soit 21 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 %, et du préjudice esthétique temporaire à hauteur de 10 000 euros, soit 21 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- au titre des préjudices patrimoniaux subis par Mme F..., ils sont fondés à solliciter l'indemnisation de séances avec un psychologue à hauteur de 220 euros, soit 66 euros après application du taux de perte de chance de 30 % et de l'incidence professionnelle à hauteur de 20 000 euros, soit 6 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux subis par Mme F..., ils sont fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice d'affection à hauteur de 30 000 euros, soit 9 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 %, et du préjudice d'accompagnement à hauteur de 10 000 euros soit 3 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- au titre des préjudices patrimoniaux subis par le couple, ils sont fondés à solliciter l'indemnisation des frais de transport du corps de l'enfant en Tunisie en vue de son enterrement à hauteur de 1 185,76 euros, soit 355,73 euros après application du taux de perte de chance de 30 % et des frais d'obsèques à hauteur de 1 300 euros, soit 390 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- M. F... a subi une perte de gains professionnels de 3 300,60 euros, soit 990,18 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- au titre des préjudices extrapatrimoniaux subis par M. F..., son préjudice d'affection est évalué à 30 000 euros, soit 9 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ; son préjudice d'accompagnement est évalué à 10 000 euros soit 3 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- leur préjudice d'impréparation du fait du manquement du GHI Le Raincy-Monfermeil à son obligation d'information est évalué à 10 000 euros chacun.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 mars 2023, le GHI Le Raincy-Monfermeil, représenté par le cabinet d'avocats Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- sa responsabilité pour faute du fait d'un défaut d'information ne saurait être engagée ;

- le déficit fonctionnel temporaire total de seize jours de l'enfant est en lien avec sa pathologie initiale et ne peut donner lieu à indemnisation ; en outre, le montant sollicité de 30 euros par jour est excessif ; en tout état de cause, l'indemnité allouée à ce titre par le tribunal ne peut être regardée comme insuffisante ;

- l'indemnité allouée par le tribunal au titre des souffrances endurées par l'enfant est conforme à la jurisprudence ;

- le préjudice esthétique temporaire a été indemnisé par le tribunal à hauteur de 1 000 euros avant application du taux de perte de chance de 30 % ; cette indemnité ne peut être regardée comme insuffisante ;

- les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice d'affection de M. et Mme F... en leur allouant la somme de 20 000 euros chacun, avant application du taux de perte de chance de 30 % ;

- s'agissant du décès d'un enfant peu après sa naissance, le préjudice d'accompagnement n'est pas nécessairement distinct du préjudice d'affection ; en tout état de cause, la somme de 1 000 euros allouée par le tribunal, avant application du taux de 30% de perte de chance, ne saurait être regardée comme insuffisante ;

- la somme de 303 euros versée à une entreprise de boucherie, incluse dans les frais de transports, est sans lien avec la faute qu'il a commise ;

- les consorts F... ne justifient pas que les frais d'obsèques de 1 300 euros seraient restés à leur charge ;

- il n'est pas établi que la perte de revenus dont se prévaut M. F... serait la conséquence directe, certaine et exclusive de la faute reprochée au service public hospitalier ; en tout état de cause, il a perçu des indemnités journalières de la part de son organisme de sécurité sociale et au vu des pièces versées au dossier et notamment ses différents avis d'imposition, il ne justifie pas d'une perte de revenus en relation avec la faute imputée au GHI Le Raincy-Montfermeil ;

- le préjudice de Mme F... au titre de l'incidence professionnelle ne peut être regardé comme la conséquence directe et certaine de la faute imputée au GHI Le Raincy-Montfermeil ;

- sa responsabilité pour faute du fait d'un défaut d'information n'étant pas engagée, la demande d'indemnisation d'un préjudice d'impréparation sera, par suite, rejetée.

Par un mémoire enregistré le 25 mars 2024, la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, représentée par Me Nemer, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le GHI Le Raincy-Montfermeil à lui verser les sommes de 15 907,02 euros au titre de ses débours et de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

2°) de mettre à la charge du GHI Le Raincy-Montfermeil la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que sa créance se compose uniquement des dépenses de santé actuelles strictement imputables à l'accident en cause.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Tiphaine, représentant M. et Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 juillet 2014 à 12 heures, au terme de trente-neuf semaines et trois jours d'aménorrhées, Mme F... s'est rendue au service des urgences de la maternité du centre hospitalier de Montfermeil, relevant du Groupement Hospitalier Intercommunal (" GHI ") Le Raincy-Montfermeil, pour des contractions utérines, une diminution des mouvements actifs de son enfant depuis 24 heures et la rupture spontanée de la poche des eaux. A 17h30, une césarienne est réalisée en urgence mais l'enfant, B..., naît en état de mort apparente. Après avoir été réanimée et prise en charge par le service de néonatologie, B... est transférée à 19h20 à l'hôpital Trousseau de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris où elle est décédée au seizième jour de sa vie. Par une demande du 24 février 2017, M. et Mme F... ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France qui a ordonné une expertise médicale le 21 septembre 2017. Le docteur E..., gynécologue- obstétricien et le docteur D..., pédiatre, désignés en qualité d'experts, ont rendu leur rapport le 28 décembre 2017. La commission de conciliation et d'indemnisation a émis un avis le 26 avril 2018 aux termes duquel il incombait au GHI Le Raincy-Montfermeil d'indemniser à hauteur d'une perte de chance de 30 % les préjudices subis par l'enfant B... et par ses parents. La société hospitalière d'assurance mutuelle, assureur du GHI Le Raincy-Montfermeil, a proposé, le 5 juillet 2018, une offre d'indemnisation qui a été refusée par les consorts F.... Par un jugement du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a condamné le GHI Le Raincy-Montfermeil à verser, d'une part, la somme de 4 872 euros aux consorts F... en leur qualité d'ayants droit de leur enfant, la somme de 6 366 euros à Mme F... et la somme de 6 566,43 euros à M. F..., en leur qualité de victimes indirectes. M. et Mme F... demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas retenu la responsabilité pour faute du GHI Le Raincy-Montfermeil pour défaut d'information et qu'il n'a pas entièrement fait droit à leur demande indemnitaire. La caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le GHI Le Raincy-Montfermeil à lui verser les sommes de 15 907,02 euros au titre de ses débours et 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur la responsabilité du GHI Le Raincy-Montfermeil:

2. En premier lieu, le GHI Le Raincy-Montfermeil ne conteste pas le principe de sa responsabilité pour faute résultant d'une prise en charge de Mme F... non conforme aux règles de l'art du fait du retard dans la réalisation de la césarienne qui a aggravé l'hémorragie fœto-maternelle à l'origine du décès de l'enfant.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. /Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

4. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation, que dès son extraction en urgence par césarienne à 17h20, l'enfant de Mme et M. F..., née en état de mort apparente, a été immédiatement prise en charge par le pédiatre présent en salle d'accouchement qui a entrepris les gestes de réanimation. B... a été intubée et ventilée avant d'être transférée dans le service de néonatologie de la maternité du GHI Le Raincy-Montfermeil. Une fois son état stabilisé, à 19h20, l'enfant a été transférée par le SAMU 93 dans le service de réanimation néonatale de l'hôpital Trousseau de Paris. Mme et M. F... soutiennent que le personnel soignant ne leur a délivré aucune information quant à l'état de santé de leur enfant après l'accouchement et qu'ils n'ont pas été informés de son transfert à l'hôpital Trousseau. Toutefois, l'état de santé gravissime dans lequel se trouvait l'enfant au moment de sa naissance nécessitait en urgence des soins ainsi qu'un transfert dans le service de réanimation néonatale de l'hôpital Trousseau de Paris. Une telle situation d'urgence dispensait les médecins du GHI Le Raincy-Montfermeil de donner des informations sur l'état de santé de l'enfant, dont ils ne disposaient au demeurant pas nécessairement au moment des actes médicaux. En outre, les requérants soutiennent que Mme F... n'a pas été informée de l'état de sa fille pendant les cinq jours où elle est restée hospitalisée au GHI Le Raincy-Montfermeil. Toutefois, seuls les médecins du service de réanimation néonatale de l'hôpital Trousseau étaient tenus à l'obligation d'informer les parents de l'état de santé de leur enfant prise en charge dans leur service. Par suite, aucune faute n'a été commise au titre du défaut d'information lors de la prise en charge de la fille des requérants par le GHI Le Raincy-Montfermeil.

5. D'autre part, si Mme F... entend soutenir que le personnel soignant du service de maternité du centre hospitalier de Montfermeil a grandement manqué de compassion et de compréhension dans les circonstances extrêmement douloureuses de la naissance de sa fille et verse aux débats son témoignage très circonstancié rédigé le 9 juillet 2020, il ressort notamment de l'expertise que les experts ont retenu un manque de communication de la part du personnel soignant. Cette circonstance qui, ainsi qu'il vient d'être dit, ne saurait engagée la responsabilité pour faute du GHI Le Raincy-Montfermeil sur le fondement de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, constitue néanmoins pour l'intéressée un préjudice indemnisable au titre du préjudice moral.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le taux de perte de chance :

6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que l'hémorragie fœto-maternelle a débuté avant l'arrivée de Mme F... au service des urgences de la maternité du centre hospitalier de Montfermeil. Il n'est pas contesté devant la cour que le retard dans la réalisation de la césarienne par les médecins du centre hospitalier de Montfermeil a fait perdre à B... une chance de survie de 30%.

En ce qui concerne les préjudices subis par la victime directe, l'enfant B... :

7. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers.

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire total :

8. Il ressort du rapport d'expertise que les experts ont retenu un déficit fonctionnel temporaire total présenté par l'enfant sur la durée de seize jours de vie. Le GHI Le Raincy-Montfermeil soutient que l'hémorragie materno-foetale dont souffrait l'enfant aurait en tout état de cause impliqué une prise en charge hospitalière dès sa naissance et que, par suite, la demande d'indemnisation de ce chef de préjudice est contestable dans son principe. Toutefois, il n'a présenté aucune conclusion à fin de réformation du jugement attaqué, se bornant à conclure au rejet de la requête des consorts F.... Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a indemnisé le déficit fonctionnel temporaire total de B.... Par ailleurs, au vu du très jeune âge de B..., les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant le taux journalier de l'indemnité à 15 euros. Le montant de l'indemnité au titre de ce chef de préjudice s'élève ainsi à 240 euros, soit 72 euros après application du taux de perte de chance.

S'agissant des souffrances endurées :

9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que B... F... a enduré des souffrances évaluées par les experts à 7 sur une échelle de 7 durant les seize jours de sa vie. Dans ces conditions, eu égard notamment aux souffrances très importantes subies par l'enfant, et même si celles-ci n'ont été endurées que sur une période de seize jours jusqu'à son décès comme le relève le centre hospitalier, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l'enfant en l'évaluant à 36 000 euros, soit 10 800 euros après application du taux de perte de chance.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que B... F... a été intubée et ventilée en trachéal. Au vu de ces éléments, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice esthétique temporaire subi par l'enfant pendant une période de seize jours en l'évaluant à 1 000 euros, soit 300 euros après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes, Mme et M. F... :

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au préjudice d'affection :

11. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les requérants ont perdu leur enfant B... après le suivi pendant cinq ans d'une procédure de procréation médicalement assistée. Si ce décès a eu des répercutions psychologiques sur Mme et M. F..., il ressort de l'attestation du 16 avril 2018 de la psychologue qui suit Mme F..., du témoignage en date du 9 juillet 2020 de Mme F... et des attestations de ses proches, qu'il a eu un retentissement psychologique majeur sur Mme F... qui souffre de dépression. Au vu de ces éléments, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice d'affection de M. F... en l'évaluant à 20 000 euros, soit 6 000 euros compte tenu de l'application du taux de perte de chance. En revanche, dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection de Mme F... en portant la somme de 20 000 euros retenue par les premiers juges à la somme de 22 000 euros, soit après application du taux de perte de chance à 7 500 euros.

Quant au préjudice d'accompagnement :

12. Il résulte de l'instruction, notamment du témoignage en date du 9 juillet 2020 de Mme F..., que les requérants ont accompagné leur fille B... jusqu'à son décès, c'est-à-dire pendant seize jours. Dans ces conditions, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice d'accompagnement de Mme et M. F... en l'évaluant à 1 000 euros chacun, soit 300 euros chacun compte tenu de l'application du taux de perte de chance.

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

Quant aux frais divers :

13. Il n'est pas contesté en appel que M. F... justifie avoir exposé 888,10 euros de frais de transport pour les obsèques de son enfant en Tunisie, lesquelles présentent un lien direct avec la faute commise par l'hôpital de Montfermeil et que, par suite, eu égard au taux de perte de chance retenu, la somme de 266,43 euros doit être mise à la charge du GHI Le Raincy-Montfermeil. En revanche, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les frais de repas qui ont été engagés le jour des funérailles de B... pour un montant de 303 euros ne présentent pas de lien direct avec la faute commise par l'hôpital de Montfermeil. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à en solliciter le remboursement.

Quant aux frais d'obsèques :

14. Les consorts F... ne produisent aucune facture ni aucun autre document, malgré une mesure d'instruction en ce sens, qui aurait permis d'établir le montant des frais d'obsèques de leur enfant. Dans ces conditions, la demande de remboursement de ces frais ne peut qu'être rejetée.

Quant à la perte de revenus de M. F... et l'incidence sur la situation professionnelle de Mme F... :

15. La survenue, chez les proches d'une victime décédée, de pathologies consécutives à ce décès portant atteinte à leur intégrité psychique ne peut être regardée comme la conséquence directe de la faute commise par la personne publique et ne saurait, dès lors, ouvrir un droit à réparation des préjudices résultant de ces pathologies. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à se plaindre du rejet par le tribunal de leur demande d'indemnisation au titre de la perte de revenus de M. F... et de l'incidence sur la situation professionnelle de Mme F... qui sont imputables à leur état psychologique et qui, dès lors, ne peuvent être regardées comme la conséquence directe de la faute commise par le GHI Le Raincy-Montfermeil.

S'agissant du préjudice d'impréparation de Mme et M. F... et du préjudice moral de Mme F... :

16. Les requérants soutiennent que le manquement des médecins du GHI Le Raincy-Montfermeil à leur obligation de les informer de l'état de santé de l'enfant pendant l'accouchement de Mme F... et dans les suites de sa naissance jusqu'à son transfert à l'hôpital Trousseau les a particulièrement affectés et inquiétés et qu'ils n'ont pas pu dès lors se préparer à son décès. Toutefois, ainsi qu'il été dit au point 4, devant l'urgence à prendre en charge l'enfant née en mort apparente et de la transférer dans le service spécialisé de réanimation néonatale de l'hôpital Trousseau, les médecins du GHI Le Raincy-Montfermeil ne peuvent être regardés comme ayant commis un manquement à leur obligation d'information. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que ces médecins disposaient dès la naissance de B... et avant son transfert à l'hôpital Trousseau les éléments médicaux permettant de connaître l'évolution de son état de santé. Enfin, l'obligation d'informer les parents de B... de son état de santé reposaient, à la suite de son transfert dans cet établissement, sur les médecins de l'hôpital Trousseau. Dans ces conditions, la demande d'indemnisation au titre du préjudice d'impréparation dirigée contre le GHI Le Raincy-Montfermeil doit être rejetée.

17. En revanche, ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme F... a subi un préjudice moral du fait de l'attitude du personnel soignant du service de la maternité du centre hospitalier de Montfermeil. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'indemnisant à hauteur de 1 500 euros.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les sommes de 4 872 euros et de 6 366 euros auxquelles le GHI Le Raincy-Montfermeil a été condamné à verser respectivement à M. et Mme F... en leur qualité d'ayants droit de leur enfant et à Mme F... en sa qualité de victime indirecte sont portées à 11 172 euros et à 9 300 euros. M. et Mme F... sont ainsi fondés à demander la réformation du jugement attaqué dans cette mesure.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du GHI Le Raincy-Montfermeil, partie perdante dans la présente instance, le versement, d'une part, à M. et Mme F... de la somme de 2 000 euros et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis de la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 4 872 euros à laquelle le GHI Le Raincy-Montfermeil a été condamné à verser à M. et Mme F... en leur qualité d'ayants droit de leur enfant est portée à 11 172 euros.

Article 2 : La somme de 6 366 euros à laquelle le GHI Le Raincy-Montfermeil a été condamné à verser à Mme F... en sa qualité de victime indirecte est portée à 9 300 euros.

Article 3 : Le jugement n° 2010024 du 22 septembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le Groupement hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil versera la somme de 2 000 euros à M. et Mme F... et la somme de 800 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme F... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et Mme C... F..., au Groupement hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement, en application de l'article R. 222-6 du code de justice administrative,

- Mme Collet, première conseillère,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

C. Vrignon-Villalba

Le greffier

P. Tisserand

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04948


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04948
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-23;22pa04948 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award