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17/05/2024 | FRANCE | N°23PA03617

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 17 mai 2024, 23PA03617


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2212973 du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa

demande.





Procédure devant la Cour :



Par une requête, un mémoire et des pièces, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2212973 du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés les 7 août 2023, 11 août 2023, 24 novembre 2023 et 8 décembre 2023, ces dernières pièces n'ayant pas été communiquées, Mme B..., représentée par Me Boamah, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 3 juillet 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé.

En ce qui concerne les décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination :

- ces décisions sont entachées d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation de la menace à l'ordre public que constituerait sa présence en France et méconnaissent les dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent les stipulations des articles 7 quater de l'accord franco-tunisien, 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :

- cette décision est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation du risque de fuite qui lui est opposé.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- cette décision est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnaît les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observation.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lorin,

- et les observations de Me Miralles, substituant Me Boamah, représentant Mme B....

Des pièces complémentaires, produites par note en délibéré, ont été présentées pour Mme B... le 26 avril 2024 à 15h40 et n'ont pas été communiquées.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de l'annulation contentieuse d'une mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme B..., ressortissante tunisienne née le 19 juin 1982, le préfet de la Seine-Saint-Denis a procédé au réexamen de sa situation administrative au regard de son droit au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un arrêté du 12 juillet 2022, il a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par la présente requête, Mme B... relève régulièrement appel du jugement du 3 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Lorsque l'administration oppose à un ressortissant étranger un motif lié à la menace à l'ordre public pour refuser de faire droit à sa demande de titre de séjour, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision. La menace pour l'ordre public s'apprécie au regard de l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant le comportement personnel de l'étranger en cause. Il n'est donc ni nécessaire, ni suffisant que le demandeur ait fait l'objet de condamnations pénales. L'existence de celles-ci constitue cependant un élément d'appréciation au même titre que d'autres éléments tels que la nature, l'ancienneté ou la gravité des faits reprochés à la personne ou encore son comportement habituel.

3. Pour refuser de faire droit à la demande de délivrance d'un titre de séjour présentée par Mme B..., le préfet de la Seine-Saint-Denis a retenu que " l'intéressée était connue des services de police pour violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours sur mineur de 15 ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime du 1er janvier 2018 au 22 mai 2022 " et que ces faits permettaient " de regarder l'intéressée comme susceptible de constituer une menace à l'ordre public ". Il ressort des pièces du dossier que la fille aînée de Mme B..., née le 12 juillet 2005, a fait l'objet le 14 septembre 2021 d'une mesure de placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance à la suite d'une information préoccupante signalée par l'assistante sociale de son collège et établie sur le fondement de violences

intra-familiales qu'elle avait dénoncées comme émanant de sa mère et de son beau-père, tous deux étant poursuivis devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour ces faits. Il ressort des décisions de placement prorogées les 7 avril 2022 et 18 avril 2023 que les relations de Mme B... avec sa fille sont extrêmement dégradées et complexes et que l'état de santé de l'adolescente est caractérisé par une souffrance manifeste ainsi que par des comportements inquiétants qui nécessitent une démarche de soins psychologiques, voire psychiatriques. Toutefois, ni les mesures de protection qui ont été prises, ni les poursuites judiciaires engagées, ni aucune autre pièce du dossier ne permettent d'établir qu'à la date de l'arrêté attaqué, les violences physiques et psychologiques dénoncées par la fille de l'intéressée, dont elle tenait sa mère pour responsable, auraient été caractérisées et permettaient de retenir que le comportement de Mme B..., qui conteste les faits qui lui sont reprochés, constituait une menace à l'ordre public. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui ne pouvait au demeurant se fonder sur la seule éventualité d'une menace à l'ordre public que constituerait la présence en France de Mme B... à la date de l'arrêté attaqué, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France le 24 mars 2018 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour pour y rejoindre son mari, en compagnie de sa fille aînée, née d'une précédente union. Elle justifie de sa résidence sur le territoire depuis plus de quatre ans à la date de l'arrêté attaqué, son mari étant lui-même titulaire d'un titre de séjour en qualité de salarié. Par ailleurs, elle démontre sa vie commune avec son époux par la production de pièces diverses établies à une adresse commune où ils résident depuis 2019, contrairement à ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis a relevé à l'appui de la décision en litige. A la date de l'arrêté attaqué, deux enfants étaient nés de leur union en 2019 et 2022, leur troisième enfant étant né en 2023. Mme B... justifie ainsi de l'intensité et de la stabilité de ses liens privés et familiaux en France, en dépit du conflit l'opposant à sa fille aînée. Dans ces conditions, alors que la réalité de la menace à l'ordre public que constituerait la présence en France de l'intéressée n'est pas établie ainsi qu'il a été exposé au point 3 et que Mme B... entre dans la catégorie des étrangers susceptibles de prétendre au bénéfice du regroupement familial, le préfet de la Seine-Saint-Denis, en refusant de faire droit à sa demande de titre de séjour, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 12 juillet 2022.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard aux motifs d'annulation retenus et compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, notamment de l'issue de la procédure judiciaire en cours devant le tribunal correctionnel de Bobigny, le présent arrêt implique seulement que le préfet de la

Seine-Saint-Denis ou le préfet territorialement compétent procède au réexamen de la situation de Mme B... ainsi qu'elle le demande, au regard des circonstances de droit et de fait existantes à la date de ce réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... de la somme de 1 200 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2212973 du 3 juillet 2023 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 12 juillet 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt dans les conditions fixées au point 7 du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5: Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- Mme Boizot, première conseillère,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 17 mai 2024.

La rapporteure,

C. LORIN

Le président,

S. CARRERE

La greffière,

E. LUCE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03617


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03617
Date de la décision : 17/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Cécile LORIN
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : BOAMAH

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-17;23pa03617 ?
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