Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle, d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de police de Paris a décidé son transfert aux autorités italiennes, d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un récépissé de demande d'asile en procédure normale ainsi qu'un formulaire OFPRA afin qu'il puisse déposer une demande d'asile dans un délai de quinze jours sous astreinte de 200 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2324518/8 du 30 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a, à l'article 1er de son jugement, admis M. A..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à l'article 2, annulé l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de police de Paris a décidé du transfert de M. A... aux autorités italiennes, à l'article 3, enjoint au préfet de police de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la date de notification du jugement, et à l'article 4, mis à la charge de l'Etat le versement à Me Sarhane, sous réserve de l'admission définitive de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 décembre 2023 et le 22 mars 2024, le préfet de police de Paris doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2324518 du 30 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a fait droit au moyen tiré d'une méconnaissance des articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
La requête du préfet de police de Paris a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;
- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 22 août 1994 à Sylhet (Bangladesh), entré en France le 5 juillet 2023 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile et a été reçu en entretien le 21 juillet 2023. Après avoir été informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait franchi les frontières italiennes le 9 mai 2023, le préfet de police de Paris a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de M. A... sur le fondement du paragraphe 1er de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le 8 août 2023. Les autorités italiennes ayant tacitement accepté de reprendre en charge l'intéressé, le 10 octobre 2023, le préfet de police de Paris a décidé son transfert par un arrêté du même jour, qui a été annulé par un jugement du 30 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris. Le préfet de police relève régulièrement appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :
2. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". L'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour de étrangers et du droit d'asile dispose notamment : " (...) / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.
5. Pour annuler l'arrêté en litige comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a estimé qu'alors que le ministre de l'intérieur italien a informé ses homologues membres de l'espace Schengen de la suspension temporaire, pour des raisons techniques, des transferts de demandeurs d'asile vers l'Italie, en l'absence de demande d'asile effectivement déposée par M. A... en Italie et compte tenu du risque avéré que les autorités de ce pays ne l'autorisent pas à solliciter l'asile, celui-ci était fondé à soutenir qu'un transfert vers les autorités italiennes l'exposerait à un risque sérieux de ne pas voir sa demande d'asile traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
6. Toutefois, l'Italie est un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, et si M. A... se prévaut d'une manière générale des difficultés que rencontre l'Italie pour accueillir les migrants, aucune mesure actuelle de suspension temporaire des réadmissions vers l'Italie n'a été prononcée ou recommandée par les institutions européennes. S'il se réfère à une circulaire du ministère de l'intérieur italien du 5 décembre 2022 adressée aux États membres leur demandant de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie à l'exception des regroupements familiaux et des mineurs isolés, en raison de l'indisponibilité d'installations d'accueil, cette circulaire précise que des informations ultérieures relatives à la durée de la suspension seront communiquées. Or, aucune pièce du dossier ne permet d'établir qu'à la date de la décision contestée, la demande de suspension des transferts était encore en vigueur. Par ailleurs, M. A... n'établit pas, en produisant le récit de ses conditions d'accueil en Italie, l'existence de défaillances systémiques en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il encourt un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en Italie contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
7. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 10 octobre 2023 au motif qu'il a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
8. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal :
9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
10. L'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionnent les éléments de fait de la situation de M. A..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'il avait franchi la frontière italienne le 9 mai 2023, et en indiquant que les autorités italiennes ont tacitement accepté, le 10 octobre 2023, de le prendre en charge en application du paragraphe 7 de l'article 22 de ce règlement. Cette mention est suffisante pour permettre à l'intéressé, le cas échéant, de contester utilement la compétence de l'Italie au regard des critères fixés par le règlement. L'arrêté précise également que M. A... ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3-2 et 17 du règlement, qu'il ne peut pas se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de leur vie familiale, et enfin qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes. Cet arrêté, qui n'avait pas à faire état de l'ensemble des éléments caractérisant la situation de M. A..., est suffisamment motivé.
11. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation de M. A...
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Droit à l'information : 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre en temps utile, le 21 juillet 2023, la brochure " A ", intitulée " J'ai demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne ", et la brochure " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement, en langue bengali qu'il a déclaré comprendre, et que ces documents étaient complets. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté. Par ailleurs, si M. A... doit être regardé comme se prévalant des dispositions de l'article R. 521-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vertu desquelles il est remis au demandeur d'asile " un document d'information sur la procédure de demande d'asile, sur ses droits et sur les obligations qu'il doit respecter au cours de la procédure, sur les conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et sur les moyens dont il dispose pour l'aider à introduire sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. / Ce document l'informe également sur ses droits et sur les obligations au regard des conditions d'accueil, ainsi que sur les organisations qui assurent une assistance aux demandeurs d'asile (...) ", ces dispositions ne sont applicables, ainsi qu'il ressort des termes de cet article, qu'au demandeur dont l'examen de la demande d'asile relève de la compétence de la France. Par suite, M. A..., qui a fait l'objet d'une procédure en application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne peut utilement les invoquer à l'encontre de la décision en litige.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté ".
15. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la convocation adressée à l'intéressé par le bureau de l'accueil de la demande d'asile du service de l'administration des étrangers de la délégation à l'immigration de la préfecture de police de Paris et du résumé de l'entretien établi le jour même et sur lequel est apposé un cachet portant la mention " Préfecture de Police, Délégation à l'Immigration, Bureau de l'accueil de la demande d'asile, 92, boulevard Ney - 75018 Paris ", dont le préfet de police indique en défense qu'il s'agit de cachets sécurisés qui sont uniquement dédiés aux " entretiens Dublin ", remis aux chefs des sections compétents et mis à la disposition des agents de chaque section également dédiés aux entretiens, ainsi que de l'attestation du 21 mars 2024 de l'adjointe au chef du bureau d'accueil de la demande d'asile, que M. A... a bénéficié d'un entretien individuel mené, le 21 juillet 2023, dans les locaux de la préfecture de police par un agent de ce bureau, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national et dans les locaux de la préfecture. Il ressort également du résumé que M. A... a bénéficié lors de son entretien individuel des services d'un interprète en langue bengali, qu'il a déclaré comprendre, provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles l'entretien s'est déroulé auraient privé M. A... de la possibilité de faire valoir toute observation utile ou n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité.
16. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article 20 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. (...) / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. " Aux termes de l'article 22 de ce même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. "
17. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Aux termes de l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement [...]. / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".
18. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la prise en charge du demandeur étaient effectivement remplies.
19. En l'espèce, le préfet de police de Paris a versé au dossier la copie de la réponse automatique d'accusé de réception du point d'accès italien Dublinet depuis l'adresse " itdub@nap01.it.dub.testa.eu", émises le 9 août 2023 et portant la référence 9930744714-750, correspondant au dossier de M. A.... Cet accusé de réception, bien qu'émis automatiquement par l'adresse électronique du point d'accès italien, permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès le 9 août 2023, soit dans le délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande d'asile de M. A..., les autorités italiennes d'une requête aux fins de prise en charge de l'intéressé. Les autorités italiennes ont tacitement donné leur accord à ces reprises en charge le 10 octobre 2023. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance, par l'arrêté du 10 octobre 2023, des dispositions de l'article 22 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, doit être écarté.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police de Paris est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 10 octobre 2023, lui a enjoint de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la date de notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Sarhane d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2324518 du 30 novembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris et à Me Sarhane.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Aude Collet, première conseillère,
- Mme Virginie Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 mai 2024.
L'assesseure la plus ancienne
A. ColletLa présidente rapporteure
C. B...
Le greffier
P. Tisserand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA05234 2