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02/05/2024 | FRANCE | N°23PA00350

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 02 mai 2024, 23PA00350


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



MM. E... et G... A... ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 31 mars 2021 par laquelle le ministre du logement et de l'aménagement a accordé un permis de construire à M. D... pour la régularisation de travaux de terrassement en remblais sur les parcelles H 115 et H 719 à Pirae, ainsi que la décision du 3 janvier 2022 accordant un permis de construire à Mme F... en vue de l'édification d'une maison d'habitation sur la parcell

e H 115.



Par un jugement n° 2200093 du 8 novembre 2022, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. E... et G... A... ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 31 mars 2021 par laquelle le ministre du logement et de l'aménagement a accordé un permis de construire à M. D... pour la régularisation de travaux de terrassement en remblais sur les parcelles H 115 et H 719 à Pirae, ainsi que la décision du 3 janvier 2022 accordant un permis de construire à Mme F... en vue de l'édification d'une maison d'habitation sur la parcelle H 115.

Par un jugement n° 2200093 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 25 janvier 2023, 11 juillet 2023 et 2 février 2024, MM. A..., représentés par Me Quinquis, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 8 novembre 2022 ;

2°) d'annuler les décisions des 31 mars 2021 et 3 janvier 2022 ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 300 000 francs Pacifique en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que leur demande n'était pas recevable faute de notification du recours à l'auteur de la décision contestée, dès lors que cette dernière n'a pas fait l'objet d'un affichage régulier, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme ;

- ils justifient de l'atteinte portée par les décisions contestées aux conditions d'utilisation et de jouissance de leur bien ;

- le terrassement de la parcelle jouxtant la leur a été réalisé sans autorisation préalable ;

- l'ouvrage a été régularisé au regard de plans et de déclarations qui ne correspondent pas à la réalité ; les travaux régularisés n'ont pas été contrôlés par l'administration ;

- les travaux autorisés imposaient une étude technique préalable qui n'a pas été réalisée ; aucune étude ne permet de s'assurer que les ouvrages mitoyens soutiendront le poids du rehaussement de terrain auquel il a été procédé ;

- le pétitionnaire n'a produit aucun élément faisant apparaître l'état initial du terrain, en méconnaissance des dispositions de l'article A. 114-10-1 du code de l'aménagement de la Polynésie française ; il n'a pas davantage produit d'élément permettant d'identifier le tracé et les caractéristiques des réseaux d'évacuation des eaux pluviales ;

- il n'est pas établi que le projet de terrassement respecte les dispositions des articles UC et UCa 4 du règlement du plan général d'aménagement de Pirae en ce qui concerne l'écoulement des eaux pluviales ;

- le remblai étant adossé à un mur mitoyen, leur accord écrit était requis, en application des dispositions du code civil et de l'article A. 114-10-1 du code de l'aménagement de la Polynésie française ;

- eu égard au volume de matériaux utilisé, une étude d'impact environnemental aurait dû être réalisée ;

- aucun certificat de conformité n'ayant été délivré, le propriétaire du terrain ne peut en disposer, en application des dispositions de l'article A. 114-38 du code de l'aménagement ;

- le permis de construire relatif à l'édification d'une maison d'habitation doit être annulé par voie de conséquence.

Par un mémoire enregistré le 5 avril 2023, Mme F..., représentée par Me Antz, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de condamner MM. A... à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

3°) de mettre à la charge de MM. A... la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 29 avril 2023 et 10 août 2023, la Polynésie française, représentée par Me Neuffer, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 700 euros soit mise à la charge des requérants en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 28 décembre 2023, M. D..., représenté par Me Bourion, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 500 euros soit mise à la charge des requérants en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 8 mars 2024.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004,

- le code de l'urbanisme,

- le code de l'aménagement de la Polynésie française,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 31 mars 2021, le ministre du logement et de l'aménagement de la Polynésie française a accordé un permis de construire à M. D..., pour la régularisation de travaux de terrassement en remblais sur les parcelles cadastrées 115 et 719, section H, à Pirae. Le 20 octobre 2021, Mme F... a acquis la parcelle H 115 afin d'y édifier une maison d'habitation. Par une décision du 3 janvier 2022, le ministre du logement et de l'aménagement de la Polynésie française lui a accordé un permis de construire à cette fin. MM. A... relèvent appel du jugement du 8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

2. D'une part, aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, applicable de plein droit en Polynésie française : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code. L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. / (...) ". Et aux termes de l'article R. 424-15 du même code : " Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier. (...) / Cet affichage mentionne également l'obligation, prévue à peine d'irrecevabilité par l'article R. 600-1, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable. / (...) ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la règle selon laquelle l'irrecevabilité tirée de l'absence d'accomplissement des formalités de notification prescrites par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ne peut être opposée qu'à la condition, prévue à l'article R. 424-15 du même code, que l'affichage du permis de construire ait fait mention de cette obligation, cette règle étant applicable non seulement en première instance, mais également en appel et en cassation.

4. Les requérants font valoir en appel qu'il n'a pas été procédé, par les pétitionnaires, à un affichage régulier des décisions des 31 mars 2021 et 3 janvier 2022 sur la parcelle cadastrée H 115. Si est produite au dossier une photographie d'un panneau implanté sur le terrain concerné, celui-ci n'indique que le numéro, la date et le bénéficiaire de la seconde autorisation litigieuse, sans mentionner l'obligation, prévue à peine d'irrecevabilité par l'article R. 600-1, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis, le cliché ayant au demeurant été pris par un huissier le 22 avril 2022. La circonstance, invoquée par la Polynésie française, que MM. A... ont signalé à l'administration la non-conformité des travaux, signalements auxquels ils auraient joint les permis de construire litigieux, ne saurait compenser le défaut de mention, sur le terrain et de manière visible, de l'obligation de notification. Par suite, les dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ne sont pas opposables aux requérants s'agissant de la recevabilité de la requête d'appel, et c'est à tort que les premiers juges ont estimé que leur demande de première instance était irrecevable faute de notification du recours à l'auteur des autorisations contestées.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, applicable de plein droit en Polynésie française : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. E... A..., propriétaire de la parcelle H 82, jouxtant la parcelle H 115, et M. G... A..., son fils, qui a reçu la parcelle H 82 en donation-partage le 22 mars 2019, sont voisins immédiats du terrain concerné par les travaux autorisés par les deux décisions contestées. Alors que le second permis de construire délivré le 3 janvier 2022, relatif à l'édification d'une maison d'habitation, a été accordé sous réserve de la conformité des travaux autorisés par le premier permis, délivré le 31 mars 2021, ils font état de l'ampleur des travaux de terrassement autorisés et des conséquences que ces derniers pourraient avoir sur leur parcelle, située en contrebas, notamment en ce qui concerne l'évacuation des eaux pluviales. Ils justifient ainsi d'un intérêt leur donnant qualité pour agir à l'encontre des décisions des 31 mars 2021 et 3 janvier 2022 du ministre du logement et de l'aménagement.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants sont fondés à soutenir que le tribunal administratif de la Polynésie française a entaché le jugement attaqué d'irrégularité en rejetant leur demande comme irrecevable. Il résulte également de ce qui précède que les conclusions de Mme F... tendant à la condamnation des appelants à lui verser une somme pour " procédure abusive " ne peuvent qu'être rejetées.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de la Polynésie française et de rejeter les demandes des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2200093 du 8 novembre 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Polynésie française.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à MM. E... et G... A..., à la Polynésie française, à Mme H... F... et à M. B... D....

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

La rapporteure,

G. C...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA00350


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00350
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SELARL MANAVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;23pa00350 ?
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