La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/2024 | FRANCE | N°22PA04558

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 29 avril 2024, 22PA04558


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce et la Mutuelle du nickel d'une part, et la Mutuelle des patentés et libéraux d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie d'annuler l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 du congrès de la Nouvelle-Calédonie instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19.



Pae un jugement n° 2100400, 2100425

du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie a fait droit à leurs demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce et la Mutuelle du nickel d'une part, et la Mutuelle des patentés et libéraux d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie d'annuler l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 du congrès de la Nouvelle-Calédonie instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19.

Pae un jugement n° 2100400, 2100425 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie a fait droit à leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés 20 octobre 2022 et 2 mars 2023, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la Sarl Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100400, 2100425 du 21 juillet 2022 du tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie ;

2°) de rejeter toutes les demandes des mutuelles requérantes formulée en première instance ;

3°) de mettre à la charge de la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, de la Mutuelle du commerce, de la Mutuelle du nickel et la Mutuelle des patentés et libéraux, chacune, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas signé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la contribution des mutuelles au financement du fond de compensation en santé public, visée à l'article 6 de la délibération n° 10 du 8 septembre 2004 portant création d'un fonds autonome de compensation dans sa version modifiée par l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19, n'est pas un prélèvement de nature fiscale mais une redevance pour service rendu ; les règles fiscales ne sont pas applicables à la fixation des redevances pour service rendu, qui sont compétemment fixées par l'autorité réglementaire ; c'est donc à tort que, pour annuler l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 instituant la contribution litigieuse, le tribunal a retenu le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité réglementaire pour rendre obligatoire cette contribution qui était jusque-là facultative ;

- en tout état de cause, à supposer même que la contribution puisse être regardée comme un prélèvement de nature fiscale, une dérogation aux règles de compétence était justifiée en l'espèce par les circonstances exceptionnelles que constituaient le développement rapide de l'épidémie de covid-19 au cours de l'automne 2021, imposant des mesures préventives (test, vaccinations), de soins et d'accompagnement (hébergement en hospitel, notamment) ainsi que le financement de ces mesures ;

- quand bien même la participation au financement du fonds, qui a été imposée aux mutuelles par la délibération du 21 octobre 2021, n'était pas limitée dans le temps, la nature réglementaire de cette mesure permettait en toute hypothèse aux organismes mutualistes d'en contester la légalité et l'opposabilité, dès lors que la crise sanitaire n'aurait plus imposé de mesures d'urgence ;

- les autres moyens soulevés devant le tribunal par la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce, la Mutuelle du nickel et la Mutuelle des patentés et libéraux ne sont pas fondés, pour les motifs qu'elle a développés dans ses écritures produites devant le tribunal et auxquelles elle entend se référer expressément.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2023, la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce et la Mutuelle du nickel, représentées par la Selarl d'avocats Royanez, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens soulevés par la Nouvelle-Calédonie ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 juin 2023, la Mutuelle des patentés libéraux, représentée par la Selarl De Greslan-Lentignac, conclut au rejet de la requête et à ce soit mis à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement de la somme de 500 000 F CFA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la Nouvelle-Calédonie ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- le code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

- la délibération n° 280 du 19 décembre 2001 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie ;

- la loi du pays n° 2001-016 du 11 janvier 2002 relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie ;

- la loi du pays n° 2013-4 du 7 juin 2013 portant statut de la mutualité en Nouvelle-Calédonie ;

- la délibération n° 10 du 8 septembre 2004 portant création d'un fonds autonome de compensation en santé publique ;

- la délibération n° 26/CP du 11 avril 2020 instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19 ;

- la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lecuyer pour la Nouvelle-Calédonie, et de Me Chamoun pour la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce, et la Mutuelle du nickel.

Considérant ce qui suit :

1. Le fonds autonome de compensation en santé publique (FACSP), dénommé à l'origine fonds autonome de compensation des dépistages en santé publique, a été créé par une délibération n° 10 du 8 septembre 2004 du congrès de la Nouvelle-Calédonie afin d'assurer, initialement, la prise en charge, notamment, du dépistage de la tuberculose, du virus de l'immunodéficience humaine, des cancers du sein et du col de l'utérus mais également de la contraception d'urgence et des traitements d'aide au sevrage tabagique. Géré administrativement et financièrement par la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), ce fonds est financé par cet organisme au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité, par la Nouvelle-Calédonie, directement ou par l'intermédiaire de son agence sanitaire et sociale, et par les provinces au titre de l'aide médicale. Dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, le congrès de la Nouvelle-Calédonie, par une délibération n° 26/CP du 11 avril 2020, a modifié la délibération n° 10 du 8 septembre 2004 afin de faire prendre en charge par le FACSP divers frais de santé liés à cette crise, notamment les frais médicaux et paramédicaux, les frais pharmaceutiques, les frais d'hospitalisation y compris le forfait journalier à la charge du patient ainsi que les indemnités de compensation des pertes de salaire ou de revenu, dans l'objectif de ne pas demander aux patients de faire l'avance de ces dépenses de santé rendues nécessaires par la crise sanitaire. La délibération du 11 avril 2020 a également modifié l'article 6 de la délibération du 8 septembre 2004 relatif au financement du fonds en prévoyant que ce financement, s'agissant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19, serait assuré par une dotation répartie entre la CAFAT au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité, à hauteur de 75 %, la Nouvelle-Calédonie au titre de l'aide médicale, à hauteur de 25 %, et enfin, les mutuelles régies par la loi du pays n° 2013-4 du 7 juin 2013 portant statut de la mutualité en Nouvelle-Calédonie, sous réserve de leur accord au versement d'une contribution, en prévoyant que, le cas échéant, cette contribution viendrait en déduction de la participation de la CAFAT. L'introduction du virus sur le territoire et sa propagation rapide à compter du début du mois de septembre 2021 ont nécessité, dans l'urgence, la mise en place de " vaccinodromes " et de centres de vaccination mobile, de centres de dépistage sur l'ensemble du territoire ainsi que la mise en place d'hébergements dans des hôtels pour les personnes atteintes du virus mais ne présentant pas de signes graves, afin de limiter la saturation des structures hospitalières. En raison de la très forte augmentation du nombre de personnes atteintes par le virus et, corrélativement, des dépenses de santé prises en charge par le FACSP, le congrès de la Nouvelle-Calédonie, par une délibération n° 177 du 21 octobre 2021 instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de Covid-19, a de nouveau modifié les règles de financement du fonds en rendant obligatoire, en son article 3, la contribution des mutuelles à la dotation finançant les mesures exceptionnelles prises en cas de menaces sanitaires graves. Par un jugement du 21 juillet 2022, le tribunal administratif, saisi en ce sens par la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce, la Mutuelle du nickel et la Mutuelle des patentés et libéraux, a annulé l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021. La Nouvelle-Calédonie relève régulièrement appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance transmis à la cour que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par ces dispositions. Si l'expédition du jugement du tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie notifié à la Nouvelle-Calédonie ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher le jugement attaqué d'irrégularité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article 1er de la délibération n° 10 du 8 septembre 2004 portant création d'un fonds autonome de compensation en santé publique : " Il est créé un fonds autonome de compensation en santé publique. Ce fonds est géré par la CAFAT. / Il est financé par : - la CAFAT au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité ; - la Nouvelle-Calédonie, directement ou par l'intermédiaire de son agence sanitaire et sociale, et les provinces au titre de l'aide médicale ". L'article 6 de cette délibération, dans sa rédaction issue de l'article 3 de la délibération litigieuse n° 177 du 21 octobre 2021 instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19, dispose que : " Le financement du fonds est assuré par une dotation ainsi répartie : - la CAFAT au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité : 75 % ; - les provinces au titre de l'aide médicale : 20 % (province Sud 50 % ; province Nord 32 % ; province des îles Loyauté 18 %) ; - la Nouvelle-Calédonie au titre de l'aide médicale : 5 %. / Le financement du fond est assuré par une dotation, pour les mesures exceptionnelles prises en cas de menace sanitaire grave, ainsi répartie : - la CAFAT au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité : 75 % ; - la Nouvelle-Calédonie au titre de l'aide médicale : 25 % ; - une contribution des mutuelles régies par la loi du pays n° 2013-4 du 7 juin 2013 portant statut de la mutualité en Nouvelle-Calédonie, à l'exception du financement des mesures mentionnées à l'alinéa 2 de l'article 25-1. / La contribution des mutuelles vient en déduction de la participation de la CAFAT à hauteur d'un taux fixé par référence au taux de participation d'un assuré mentionnée à l'alinéa 3 de l'article 31 de la délibération n° 280 susvisée. La répartition de la contribution entre les mutuelles est fixée au prorata du nombre d'adhérents mutualistes constaté l'année précédente. / Le comité de gestion arrête annuellement, en fin d'exercice, le budget évaluatif " prestations " du fonds pour l'année suivante au vu des éléments statistiques et comptables se rapportant aux activités réelles de l'exercice qui s'achève. / Le comité de gestion arrête également le budget de fonctionnement du fonds qui fait l'objet d'une dotation complémentaire répartie entre les partenaires concernés par application de la clé de répartition ". Aux termes de l'article 8 de la même délibération : " La gestion administrative et financière du fonds autonome de compensation en santé publique est assurée par la CAFAT. / Le fonds est géré en compte distinct par la CAFAT. Les règles financières et comptables ainsi que les conditions du contrôle financier sont celles applicables à cet organisme. / En tant que gestionnaire du fonds, la CAFAT perçoit les sommes arrêtées par le comité de gestion tant pour les prestations que pour le fonctionnement à raison d'une moitié par semestre civil, mandatée dans le courant du premier mois du semestre ".

5. Aux termes l'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : 1° Impôts, droits et taxes perçus au bénéfice de la Nouvelle-Calédonie ; création ou affectation d'impôts et taxes au profit de fonds destinés à des collectivités territoriales, d'établissements publics ou d'organismes chargés d'une mission de service public ; création d'impôts, droits et taxes au bénéfice des provinces, des communes, des établissements publics de coopération intercommunale ; réglementation relative aux modalités de recouvrement, au contrôle et aux sanctions ; / (...) / 4° Protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières ; (...) ". Aux termes de l'article 62 de la loi : " Le congrès est l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie ; (...) ". Selon son article 83 : " L'exercice des compétences attribuées à la Nouvelle-Calédonie par le chapitre Ier du titre II relève du congrès, à l'exception de celles qui sont attribuées par la présente loi au gouvernement ou au président du gouvernement ". L'article 99 de loi dispose : " Les délibérations par lesquelles le congrès adopte des dispositions portant sur les matières définies à l'alinéa suivant sont dénommées : " lois du pays ". / Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi : / (...) / 2° Règles relatives à l'assiette et au recouvrement des impôts, droits et taxes de toute nature ; / (...) ". Aux termes de l'article 100 de la loi : " Les projets de loi du pays sont soumis, pour avis, au Conseil d'Etat avant leur adoption par le gouvernement délibérant en conseil. / Les propositions de loi du pays sont soumises, pour avis, au Conseil d'Etat par le président du congrès avant leur première lecture. Le vote du congrès intervient après que le Conseil d'Etat a rendu son avis. / L'avis est réputé donné dans le délai d'un mois. / Les avis mentionnés au présent article sont transmis au président du gouvernement, au président du congrès, au haut-commissaire et au Conseil constitutionnel. ". Aux termes de l'article 101 : " Les lois du pays sont adoptées par le congrès au scrutin public, à la majorité des membres qui le composent. / (...) ". Et aux termes de son article 107 : " Les lois du pays ont force de loi dans le domaine défini à l'article 99. Elles ne sont susceptibles d'aucun recours après leur promulgation ".

6. Il ressort des dispositions mentionnées ci-dessus que le congrès, en sa qualité d'assemblée délibérante, exerce les compétences dévolues à la Nouvelle-Calédonie par la loi organique. Il intervient à ce titre par le biais de délibérations, qui ont en principe une nature réglementaire, mais qui peuvent également, lorsqu'elles ont été prises sous la forme d'une " loi du pays " et interviennent dans le domaine défini par l'article 99, acquérir une valeur législative. Dès lors que délibérations et " lois du pays " émanent de la même entité, laquelle tire sa compétence pour agir non pas de l'article 99 de la loi organique mais de son article 83, l'empiètement d'une délibération dans le domaine réservé à la loi par l'article 99 ne saurait par lui-même affecter la compétence du congrès, pour autant que celui-ci intervient dans l'une des matières dévolues à la Nouvelle-Calédonie par la loi organique. Un tel empiètement, néanmoins, ne peut que conduire à constater que le congrès n'a pas adopté sa délibération sous la forme d'une " loi du pays " ni n'a suivi la procédure prévue pour ce type d'acte, laquelle requiert notamment l'intervention d'un avis du Conseil d'Etat.

7. La délibération n° 177 du 21 octobre 2021 instituant des mesures exceptionnelles relatives à l'épidémie de covid-19 a pour objet de modifier les règles de financement du FACSP, géré administrativement et financièrement par la CAFAT, en rendant obligatoire, en son article 3, la contribution des mutuelles à la dotation finançant les mesures exceptionnelles prises en cas de menaces sanitaires graves. Il ressort des pièces du dossier, notamment des notes de la direction des affaires juridiques et de la directrice des affaires sanitaires et sociales du 19 octobre 2021, que la délibération avait pour objectif, afin de de favoriser l'accès de l'ensemble de la population au dépistage et à la vaccination et d'étendre la couverture vaccinale le plus rapidement possible, de mettre en place un dispositif de tiers payant généralisé pour tous les habitants, qu'ils bénéficient d'une couverture sociale de base ou complémentaire ou non. Dès lors, la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir que le montant de la contribution litigieuse mise à la charge de chacune des mutuelles requérantes correspondait à celui qu'elles auraient normalement dû verser à leurs adhérents ni, à plus forte raison, qu'il constituait la rémunération du " service " rendu aux mutuelles en leur évitant les frais de gestion qui auraient été induits par ces remboursements.

8. Par suite, ainsi que le tribunal l'a jugé, la contribution des mutuelles au financement du FACSP, dont elles ne sont pas membres, et qui ne constitue pas la contrepartie d'un service rendu, instituée dans l'objectif de réduire la participation financière de la CAFAT au financement de ce fonds au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité, constitue un prélèvement obligatoire de caractère fiscal. Si, comme le soutient la Nouvelle-Calédonie, une telle délibération concerne la santé publique, elle est avant tout, de par son objet, relative à la création d'un impôt ou d'une taxe, matière mentionnée au 1° de l'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999. A ce titre, les dispositions litigieuses de l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 relèvent des règles relatives à l'assiette et au recouvrement des impôts, droits et taxes de toute nature mentionnées au 2° de l'article 99 de la loi organique et auraient dû être prises par la voie d'une loi du pays, soumise pour avis au Conseil d'Etat.

9. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date d'adoption de la délibération contestée, le congrès de la Nouvelle-Calédonie, dans les circonstances résultant de la propagation du variant Delta du virus SARS-CoV-2 sur le territoire calédonien à compter du mois de septembre 2021, se soit trouvé dans l'obligation, pour faire face à cette situation sanitaire et assurer la continuité des campagnes massives de dépistage et de vaccination rendues nécessaires, d'édicter en urgence par voie réglementaire, en s'affranchissant de la procédure d'adoption des lois du pays, les dispositions contestées de l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021 dont l'objet était, ainsi qu'il vient d'être dit, de rendre obligatoire la contribution des mutuelles au financement du FACSP, afin de réduire la participation au financement de ce fonds de la CAFAT au titre du régime unifié d'assurance maladie maternité, compte tenu des difficultés financières structurelles de ce régime. La circonstance que le congrès n'aurait pas eu l'intention de maintenir la contribution litigieuse au-delà de ce qui était rendu nécessaire par la crise sanitaire et qu'en tout état de cause, les mutuelles auraient alors pu demander l'abrogation de l'article 3 de la délibération, dont la Nouvelle-Calédonie se prévaut dans ses écritures d'appel, est sans influence à cet égard.

10. Il résulte de ce qui précède, que la Nouvelle-Calédonie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie a annulé l'article 3 de la délibération n° 177 du 21 octobre 2021.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce, la Mutuelle du nickel et la Mutuelle des patentés et libéraux, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent à la Nouvelle-Calédonie une somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

12. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement, à la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, à la Mutuelle du commerce et à la Mutuelle du nickel ainsi qu'à la Mutuelle des patentés et libéraux, une somme que celles-ci réclament au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la Nouvelle-Calédonie est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, la Mutuelle du commerce et la Mutuelle du nickel d'une part, et par la Mutuelle des patentés et libéraux d'autre part au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, à la Mutuelle des fonctionnaires et agents des services publics, à la Mutuelle du commerce, et à la Mutuelle du nickel, à la Mutuelle des patentés et libéraux.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 29 avril 2024.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04558


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04558
Date de la décision : 29/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL D'AVOCATS ROYANEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-29;22pa04558 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award