Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... et Mme B... D... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'État à leur verser la somme de totale de 130 906 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018, en réparation des préjudices subis par eux-mêmes et leur fille mineure du fait des fautes commises à l'égard de M. D....
Par un jugement n° 1908651/6-3 du 19 juillet 2022, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. D... la somme de 6 000 euros, à Mme D... la somme de 1 000 euros et à M. et Mme D... la somme de 1 000 euros en qualité de représentants légaux de leur fille mineure, chacune de ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2016, a condamné l'Etat à indemniser M. D... du préjudice financier subi en le renvoyant devant son administration pour la liquidation de cette indemnité, et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 septembre 2022, M. et Mme D..., représentés par Me Lerat, demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1908651/6-3 du 19 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté le surplus des conclusions de leur demande ;
2°) de condamner l'Etat à verser, en sus des condamnations prononcées, la somme de 63 000 euros au profit de M. D..., la somme de 7 000 euros au profit de Mme D... et la somme de 4 000 au profit de leur fille mineure, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en ne lui ayant pas proposé une nouvelle affectation malgré les préconisations médicales en ce sens et en n'ayant pas assuré un suivi médical satisfaisant ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la réparation du préjudice financier qu'il a subi lors de sa période de congé de maladie ne doit pas inclure certaines primes, lesquelles doivent être prises en compte en application de l'article 1er du décret du 26/8/2010 ;
- le préjudice moral subi par M. D..., son épouse et leur fille justifie que leur soit alloué à chacun un complément d'indemnisation à hauteur, respectivement, de 27 000, 7 000 et 4 000 euros ;
- les troubles dans les conditions d'existence subis par M. D... justifient un complément d'indemnisation à hauteur de 21 000 euros ;
- le préjudice professionnel subi par M. D... justifie une indemnisation à hauteur de 15 000 euros.
Par ordonnance du 24 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 décembre 2023.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a produit un mémoire en défense et appel incident enregistré le 18 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret 2010-997 du 26 août 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Sanches pour M. et Mme D....
Une note en délibéré présentée pour M. et Mme D... a été enregistrée le 27 mars 2024 ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., gardien de la paix depuis 1994, a été affecté à la direction du renseignement de la préfecture de police, puis au service territorial du renseignement des Hauts-de-Seine, à compter du 18 novembre 2010. Il a été placé en congé de maladie de manière interrompue de septembre 2014 à novembre 2018. Par un jugement devenu définitif du 3 avril 2020, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 2 janvier 2018 par laquelle le préfet de police a refusé de reconnaître l'imputabilité au service du congé de longue durée accordé à M. D... ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté du 15 janvier 2018 par lequel le préfet de police a prolongé son congé de longue durée en prévoyant qu'il percevrait la moitié de son traitement, au motif que la maladie à l'origine de ce congé était imputable aux conditions de travail de M. D....
2. Par un jugement du 19 juillet 2022 ce même Tribunal, saisi par M. D... et son épouse après le rejet implicite de leur demande préalable d'indemnisation, a jugé que le préfet de police avait commis une faute en refusant illégalement de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie, qu'il avait commis une autre faute en mettant plus d'un an à instruire sa demande d'imputabilité, que l'émission d'un titre exécutoire pour recouvrer une rémunération considérée à tort comme indue était également fautive, et enfin que M. D... avait été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique direct. Après avoir écarté les autres fautes alléguées par les requérants, il a condamné l'État à verser à M. D... une somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence, ainsi qu'à réparer le préjudice financier correspondant à la différence entre ce que M. D... avait perçu pendant son congé de maladie et ce qu'il aurait dû percevoir si l'imputabilité au service avait été reconnue. Le Tribunal a renvoyé M. D... devant son administration pour la liquidation de cette dernière indemnité, a condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à Mme D... et au profit de leur fille, chacune, en réparation de leur préjudice moral respectif, et enfin il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande. M. D..., son épouse et leur fille font appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Sur la responsabilité :
3. A supposer que les fautes que n'ont pas retenues les premiers juges et qui sont invoquées à nouveau en appel par les requérants, consistant à ne pas avoir proposé à M. D... une nouvelle affectation pendant son congé de maladie et à ne pas avoir procédé à un suivi assez rigoureux de sa situation pendant ce congé, puissent ouvrir droit à l'indemnisation de préjudices distincts de ceux réparés par le jugement attaqué, en tout état de cause, il ne résulte pas plus de l'instruction en appel qu'en première instance, faute notamment de tout élément nouveau, que le préfet de police aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'ayant pas proposé à M. D..., avant sa reprise de service sur un poste dans le Finistère en novembre 2018, un changement d'affectation que préconisaient d'abord le médiateur de la République, puis le service médical de prévention lors de chacune des 9 visites de contrôle réalisées entre septembre 2014 et mars 2017, dès lors qu'il est constant que la reprise d'activité de M. D... n'a jamais été envisagée avant la fin de 2018, que l'auteur des agissements de harcèlement moral avait quitté le service depuis octobre 2016 et qu'il n'est pas établi qu'une proposition de nouvelle affectation aurait pu accélérer l'amélioration de l'état de santé de M. D... et permettre une reprise d'activité avant novembre 2018.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne le préjudice financier :
4. Aux termes du I de l'article 1er du décret du 26 août 2010 relatif au régime de maintien des primes et indemnités des agents publics de l'Etat et des magistrats de l'ordre judiciaire dans certaines situations de congés, dans sa version applicable à la période à indemniser, à savoir d'octobre 2014 à novembre 2018 : " 1° Le bénéfice des primes et indemnités versées aux fonctionnaires relevant de la loi du 11 janvier 1984 susvisée (...) est maintenu dans les mêmes proportions que le traitement en cas de congés pris en application des 1°, 2° et 5° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et des articles 10, 12, 14 et 15 du décret du 17 janvier 1986 susvisé ". Si ces dispositions, dans leur rédaction alors applicable, ont pour objet d'étendre la règle du maintien du traitement prévu à l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 aux primes et indemnités versées aux agents placés en situation de congés annuels, de congés de maladie ordinaire et de congé de maternité, elles n'ont toutefois ni pour objet, ni pour effet, d'instaurer un tel droit au bénéfice des agents placés en position de congé de longue maladie ou de longue durée au titre des 3° et 4° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, alors même que la pathologie à l'origine du congé de longue maladie ou de longue durée est reconnue imputable au service.
En ce qui concerne le préjudice de carrière :
5. Pas plus en appel qu'en première instance les requérants, qui n'apportent pas d'élément nouveau, n'établissent que les fautes commises par l'Etat auraient privé M. D..., qui a repris son activité dans un autre service en 2019, de toute perspective d'évolution dans sa carrière, ni qu'elles lui auraient fait perdre une chance sérieuse de réussir un concours interne, auquel il n'établit pas avoir été candidat l'année précédant celle au cours de laquelle ont été commis les faits fautifs. Par suite, ils ne sont pas fondés à demander, à ce titre, la condamnation de l'Etat à verser à M. D... une somme de 15 000 euros.
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
6. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la durée, de la nature et des retentissements de l'affection de M. D... reconnue imputable aux agissements fautifs, il y a lieu de porter l'indemnité mise à la charge de l'Etat en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. D..., par son épouse et par leur fille mineure aux sommes respectives de 10 000, 3 000 et 3 000 euros.
Sur les intérêts :
7. Les sommes complémentaires de 4 000, 2000 et 2000 euros allouées respectivement par le présent arrêt à M. D... et à son épouse, à titre personnel et en qualité de représentants de leur fille mineure, porteront intérêt au taux légal à compter du 26 décembre 2018, date de réception de leur demande préalable.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... sont seulement fondés à demander la réformation du jugement attaqué pour que le montant total des indemnités mises à la charge de l'État soit porté de la somme de 8 000 euros à la somme de 16 000 euros.
Sur les conclusions présentées au titre des frais de justice :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme D... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1 : L'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à M. D... est portée de la somme de 6 000 euros à la somme de 10 000 euros. La somme complémentaire de 4 000 euros portera intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018.
Article 2 : L'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à Mme D... est portée de la somme de 1 000 euros à la somme de 3 000 euros. La somme complémentaire de 2 000 euros portera intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018.
Article 3 : L'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à M. et Mme D... en qualité de représentants légaux de leur fille mineure A... est portée de la somme de 1 000 euros à la somme de 3 000 euros. La somme complémentaire de 2 000 euros portera intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018.
Article 4 : Le jugement n° 1908651/6-3 du 19 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'État versera à M. et Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
B. AUVRAY
La greffière,
C. BUOT La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04294