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04/04/2024 | FRANCE | N°23PA03523

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 04 avril 2024, 23PA03523


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... B... et Mme H... A... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 24 décembre 2021 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne leur a demandé de restituer la carte nationale d'identité et le passeport de leur fils mineur, C... B... et le passeport de leur fils mineur F... B... et a prononcé l'invalidité de ces titres, ainsi que le procès-verbal de carence du 22 mars 2022 constatant qu'ils n'ont pas répondu à la convocation à eux adressée

à cette fin, et d'enjoindre à ce préfet de délivrer un passeport français à chacun des ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... B... et Mme H... A... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 24 décembre 2021 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne leur a demandé de restituer la carte nationale d'identité et le passeport de leur fils mineur, C... B... et le passeport de leur fils mineur F... B... et a prononcé l'invalidité de ces titres, ainsi que le procès-verbal de carence du 22 mars 2022 constatant qu'ils n'ont pas répondu à la convocation à eux adressée à cette fin, et d'enjoindre à ce préfet de délivrer un passeport français à chacun des enfants C... et F... B... et une carte nationale d'identité à C... B... dans un délai de cinq jours à compter de la notification du présent jugement, assortie d'une astreinte d'un montant de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2203925 du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 août 2023, et des mémoires enregistrés les 19 janvier 2024 et 23 janvier 2024, M. G... B... et Mme H... A..., représentés par Me Madre, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2203925 du 1er juin 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 24 décembre 2021 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne leur a demandé de restituer la carte nationale d'identité et le passeport de leur fils mineur, C... B... et le passeport de leur fils mineur F... B... ainsi que le procès-verbal de carence du 22 mars 2022 constatant qu'ils n'ont pas répondu à la convocation à eux adressée à cette fin ;

3°) d'enjoindre à l'administration, dans l'attente de la décision définitive rendue par l'ordre judiciaire concernant la nationalité française des enfants C... et F... B..., au préfet de Seine-et-Marne de délivrer, à titre temporaire, un passeport français à chacun des enfants ainsi qu'une carte nationale d'identité à C... B... dans un délai de 5 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte fixée de 150 euros par jour de retard à compter du délai de cinq jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur avocat d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier, pour avoir retenu que l'autorité préfectorale se trouvait en situation de compétence liée, alors que l'administration ne se trouve pas en situation de compétence liée pour exiger la restitution des documents d'identité d'une personne dont la demande de certificat de nationalité française a été rejetée par le directeur des services de greffe d'un tribunal judiciaire, dès lors qu'il lui appartient d'apprécier si, au vu des justificatifs éventuellement présentés par l'intéressé, il existait un doute suffisant sur sa nationalité ;

- les premiers juges auraient dû surseoir à statuer jusqu'à l'intervention d'une décision du juge judiciaire, saisi d'une action déclaratoire quant à la nationalité des enfants ;

- le procès-verbal de carence constitue une décision leur faisant grief ;

- il a été pris par une autorité incompétente ;

- il est en outre insuffisamment motivé ;

- la décision leur enjoignant de restituer les titres d'identité a été prise par une autorité incompétence ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise selon une procédure irrégulière dès lors que la procédure contradictoire prévue par le code des relations entre le public et l'administration n'a pas été respectée ;

- le préfet a commis une erreur de fait en retenant que la cour d'appel avait adopté la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité ;

- il a également commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée ;

- la décision litigieuse porte une atteinte grave à la liberté d'aller et venir des enfants et à leur droit à une vie privée et familiale, méconnaît les dispositions des articles 3-1 et 7 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 janvier 2024, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une décision du 4 juillet 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, a admis M. B... et Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 55%.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Madre, avocat de M. B... et de Mme A..., et de M. D... et de Mme E... de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, dûment mandatés, pour le ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux décisions du 1er octobre 2020, le pôle de la nationalité du tribunal judiciaire de Paris a refusé de délivrer à M. B... et à Mme A... un certificat de nationalité pour leurs enfants mineurs, C... et F.... Par une décision du 24 décembre 2021, le préfet de Seine-et-Marne a demandé à M. B... et à Mme A... de restituer la carte nationale d'identité et le passeport de l'enfant C... et le passeport de l'enfant F.... Le 22 février 2022, le préfet de Seine-et-Marne a émis un procès-verbal de carence au motif que les intéressés ne s'étaient pas manifestés. M. B... et Mme A... demandent l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Les premiers juges ont considéré que, dès lors que le certificat de nationalité française a été refusé aux enfants B... par le tribunal judiciaire de Paris, le préfet était tenu de procéder au retrait des documents d'identité de ces derniers et que, se trouvant ainsi en situation de compétence liée pour retirer aux enfants des requérants leurs titres, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte, de la motivation insuffisante de la décision, de la violation du principe du contradictoire, de l'erreur de fait, de l'atteinte grave à la liberté d'aller et venir des enfants et à leur droit à une vie privée et familiale, et de la méconnaissance des dispositions des articles 3-1 et 7 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux sont inopérants et doivent être écartés.

3. Toutefois, l'administration ne se trouve pas en situation de compétence liée pour exiger la restitution des documents d'identité d'une personne dont la demande de certificat de nationalité française a été rejetée par le directeur des services de greffe d'un tribunal judiciaire, dès lors qu'il lui appartient d'apprécier si, au vu des justificatifs éventuellement présentés par l'intéressé, il existait un doute suffisant sur sa nationalité.

4. Il s'ensuit que, en regardant comme inopérants les moyens articulés à l'encontre de la décision préfectorale du 24 décembre 2021, les premiers juges ont méconnu leur office. Les requérants sont donc fondés à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité. Il y a donc lieu d'en prononcer l'annulation sur le fondement de ce seul moyen, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen articulé à l'encontre de son irrégularité.

5. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par les requérants devant le tribunal administratif de Melun.

Sur la légalité de la décision préfectorale du 24 décembre 2021 :

6. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée qu'elle ne comporte aucune motivation en droit. Elle méconnait ainsi les dispositions combinées des articles L. 211-2 1° et L. 211-5 du code des relations entre le public et les administrations en vertu duquel les décisions administratives qui " restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police " doivent comporter " l'énoncé des considérations de droit et de fait " qui en constituent le fondement.

7. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que la décision attaquée a été prise en l'absence de toute invitation des intéressés à produire des observations préalables. Elle méconnait ainsi les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et les administrations aux termes duquel : " les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ", du champ d'application duquel elle ressortit.

8. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée qu'elle a notamment été prise au motif qu'une décision " de la cour d'appel " aurait constaté le défaut de possession de la nationalité française par les enfants des requérants, alors que, comme il a déjà été dit, les intéressés ne se sont vu opposer qu'un refus de délivrance d'un certificat de nationalité par le directeur des services du greffe du tribunal judiciaire de Paris. La décision attaquée repose ainsi sur des faits matériellement inexacts.

9. En quatrième lieu, le préfet, en se croyant en situation de compétence liée pour retirer les titres en cause au motif du rejet d'une demande de certificat de nationalité française par le directeur des services de greffe d'un tribunal judiciaire a, eu égard à ce qui a été dit au point 3, entaché sa décision d'une erreur de droit.

10. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et les administrations faute de procédure contradictoire préalable, de l'erreur de fait et de l'erreur de droit doivent être accueillis. Ces trois moyens suffisent à prononcer l'annulation de la décision querellée, sans qu'il soit besoin pour la Cour de se prononcer sur les autres moyens articulés à son encontre.

Sur la légalité du " procès-verbal de carence " du 22 février 2022 :

11. Le " procès-verbal de carence " du 22 février 2022 se borne, d'une part, à constater que les intéressés n'ont pas répondu à la convocation en vue de la restitution de documents administratifs à la suite d'une décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française et, d'autre part, à rappeler que les titres d'identité en cause ont été invalidés, comme la décision du 24 décembre 2021 en disposait déjà expressément. Dès lors, cet acte ne peut être regardé comme ayant le caractère d'une décision faisant grief aux requérants. Par suite, les conclusions dirigées contre un acte qui ne présente pas le caractère d'une décision faisant grief sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et eu égard aux motifs retenus par la Cour pour prononcer l'annulation de la décision attaquée, celle-ci ayant eu pour effet d'invalider les titres d'identité et de voyage des enfants des requérants, que soit rétablie la situation juridique dont bénéficiaient ces derniers, par la restitution de la carte nationale d'identité ou du passeport antérieurement en leur possession respective ou, à défaut, par la délivrance de nouveaux titres valides. Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, soit de leur restituer ces titres pour autant que cette restitution se révèle techniquement possible, soit de leur en délivrer de nouveaux, et ce, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. N'y fait pas obstacle la circonstance que le juge judiciaire saisi à cette fin ne se soit pas encore prononcé sur la nationalité des enfants, dès lors qu'il sera toujours possible à l'administration, si elle devait s'y croire fondée, de retirer de nouveau ces titres dans le cas où la nationalité française des intéressés ne serait pas établie par les décisions juridictionnelles à intervenir. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir la présente injonction d'une astreinte.

Sur les frais du litige :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante à l'instance, le versement à l'avocat des requérants d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2203925 du 1er juin 2023 du tribunal administratif de Melun et la décision du 24 décembre 2021 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a demandé à M. B... et à Mme A... de restituer la carte nationale d'identité et le passeport de leur fils mineur, C... B... et le passeport de leur fils mineur F... B..., et a prononcé l'invalidité de ces titres, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des Outre-mer de restituer aux enfants de M. B... et Mme A..., C... et F... B..., les passeports et la carte nationale d'identité dont ils bénéficiaient antérieurement à l'invalidité de ces titres résultant de la décision du préfet de Seine-et-Marne annulée par l'article 1er, soit, si cette restitution se révèle techniquement impossible, de leur en délivrer de nouveaux et ce, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État (ministre de l'intérieur et des Outre-mer) versera à Me Madre, avocat de M. G... B... et Mme H... A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B... et à Mme H... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03523


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03523
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : MADRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;23pa03523 ?
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