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04/04/2024 | FRANCE | N°23PA02288

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 04 avril 2024, 23PA02288


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :





M. B... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 mars 2021 par laquelle la maire de Paris a exercé son droit de préemption sur les lots n°s 13 et 15 ainsi que les 1 108/10 000èmes des parties communes de l'immeuble en copropriété situé 24, rue La Bruyère - 36, rue La Rochefoucauld à Paris (9ème arrondissement).



Par un jugement n° 2109104 du 14 avril 2023, le tribunal administratif

de Paris a rejeté leur demande.







Procédure devant la Cour :





Par une requête et des mém...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 mars 2021 par laquelle la maire de Paris a exercé son droit de préemption sur les lots n°s 13 et 15 ainsi que les 1 108/10 000èmes des parties communes de l'immeuble en copropriété situé 24, rue La Bruyère - 36, rue La Rochefoucauld à Paris (9ème arrondissement).

Par un jugement n° 2109104 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 23 mai, 24 juillet et 21 septembre 2023, M. B... C... et M. A... C..., représentés par Me Bigas, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2109504 du 14 avril 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 17 mars 2021 ;

3°) d'enjoindre à la Ville de Paris de leur proposer puis de proposer aux acquéreurs évincés d'acquérir les biens mentionnés, en application des dispositions de l'article L. 213-1-1 du code de l'urbanisme, au prix d'acquisition, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il n'a pas répondu aux moyens tirés de :

. ce que le signataire de l'acte était incompétent dès lors que la Ville de Paris ne pouvait faire usage de son droit de préemption simple, le tribunal ayant écarté ce moyen comme inopérant, en se fondant sur l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme ;

. ce que le droit de préemption ne pouvait être exercé dès lors qu'il porte sur des lots à usage commercial situés dans une zone de droit de préemption simple ;

. l'absence d'opération ou d'aménagement au sens de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;

. la contradiction dans les motifs de la décision qui mentionnent la nécessité de développer les logements sociaux et opère une préemption de locaux commerciaux ;

- les premiers juges ne pouvaient écarter comme inopérant, en se fondant sur l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte, alors que cet article s'appliquait en l'espèce dès lors qu'il n'y a aucune différence entre un local professionnel et un local commercial, que l'aliénation concerne deux lots comprenant chacun un local à usage professionnel, et que l'immeuble est en copropriété, peu important l'ancienneté de cette dernière ;

- l'avis du service des domaines ne comporte aucune justification ;

- la réalité de l'opération n'est pas établie ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- l'intérêt général de l'opération n'est pas établi ;

- l'opération ne constitue pas une action ou une opération au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;

- la décision comporte des motifs contradictoires avec son dispositif, en ce qu'elle mentionne la nécessité de développer les logements sociaux tout en préemptant des locaux commerciaux ;

- l'opération, en créant une copropriété de l'immeuble avec la Ville de Paris, va rendre plus difficile la prise de décisions et conduire à des blocages ;

- le caractère remarquable de la façade de l'immeuble est manifestement incompatible avec la transformation du rez-de-chaussée en logement d'habitation, ce qui supposerait une autorisation de travaux qui ne sera jamais donnée en toute hypothèse.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 août 2023, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de MM. C... le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gobeill,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Bigas, représentant MM. C...,

- et les observations de Me Gorse substituant Me Falala, représentant la Ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C... et M. A... C..., propriétaires des biens, ont, le 19 janvier 2021, conclu une promesse de vente avec la société Groupe Teomime, pour l'acquisition des lots n°s 13 et 15 ainsi que les 1 108/10 000èmes des parties communes de l'immeuble situé au 24, rue La Bruyère - 36, rue de la Rochefoucauld à Paris (9ème arrondissement). Par une décision du 17 mars 2021, la Ville de Paris a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur ces biens. MM. C... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cette décision. Leur demande a été rejetée par un jugement du 14 avril 2023 dont ils relèvent appel.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L.9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. D'une part, en citant, aux points 5 et 6, l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme, en précisant que la préemption concerne les lots 13 et 15 et en concluant que le moyen est inopérant, le jugement a suffisamment répondu au moyen, y compris en sa branche relative à la compétence du signataire de l'acte, qui précisait que la préemption concernait deux locaux commerciaux. D'autre part, et pour les mêmes motifs, le jugement est suffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de ce que la décision ne pouvait concerner deux lots à usage commercial. De plus, en rappelant, au point 17, que la Ville de Paris a fait réaliser une étude de faisabilité selon laquelle des travaux d'un montant de 277 440 euros seront nécessaires pour créer deux commerces, le jugement a répondu au moyen, tel qu'il était soulevé, tiré de l'absence d'opération ou d'aménagement au sens de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme. Enfin, s'agissant de la contradiction existant entre les motifs de la décision, il s'agissait d'un argument invoqué au soutien du moyen tiré de l'absence de projet précis auquel le jugement a répondu de façon suffisante au point 17, sans qu'il fût tenu de reprendre l'ensemble des éléments invoqués.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme : " Ce droit de préemption n'est pas applicable : / a) A l'aliénation d'un ou plusieurs lots constitués soit par un seul local à usage d'habitation, à usage professionnel ou à usage professionnel et d'habitation, soit par un tel local et ses locaux accessoires, soit par un ou plusieurs locaux accessoires d'un tel local, compris dans un bâtiment effectivement soumis, à la date du projet d'aliénation, au régime de la copropriété, soit à la suite du partage total ou partiel d'une société d'attribution, soit depuis dix années au moins dans les cas où la mise en copropriété ne résulte pas d'un tel partage, la date de publication du règlement de copropriété au fichier immobilier constituant le point de départ de ce délai ; (...) / Toutefois, par délibération motivée, la commune peut décider d'appliquer ce droit de préemption aux aliénations et cessions mentionnées au présent article sur la totalité ou certaines parties du territoire soumis à ce droit. ".

5. La décision contestée préemptant deux locaux à usage commerciaux indépendants l'un de l'autre, c'est sans méconnaitre les dispositions précitées qu'elle a pu être légalement prise.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que, préalablement à l'édiction de la décision contestée, le service du domaine de la Ville de Paris a, le 10 mars 2021, rendu un avis qui mentionne la composition du bien, l'estimation réalisée avec le rappel de la méthode utilisée et l'accord sur le prix. Il est ainsi suffisamment précis.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ".

9. Il résulte des dispositions citées aux points précédents que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

10. D'une part, la décision vise la délibération n° DU 2006-127 des 16 et 17 octobre 2006 du conseil de Paris instaurant le droit de préemption urbain ainsi que l'objet de la préemption, à savoir la création de deux locaux commerciaux. Elle est ainsi suffisamment motivée. La circonstance, pour regrettable qu'elle soit, qu'elle mentionne également la création de trois logements et qu'elle fasse référence à l'objectif de se rapprocher du seuil de 25 % de logements sociaux, n'est pas pour autant de nature à entacher sa légalité dès lors qu'elle mentionne précisément son objet, à savoir la création de deux commerces sur les lots n°s 13 et 15.

11. D'autre part, la Ville de Paris a fait procéder à une étude de la faisabilité du projet, antérieurement à la décision, et dont il ressort que les locaux commerciaux préemptés ne nécessitent pas de travaux. La réalité du projet, lequel relève des actions mentionnées à l'article L. 300-1 précité, est ainsi établie, sans que les requérants puissent utilement se prévaloir du coût des travaux de réhabilitation des logements et des indemnités d'éviction de leurs occupants, la décision contestée n'ayant pas pour objet de préempter les logements situés dans cet immeuble.

12. Enfin, et quand bien même ces locaux, qui ne nécessitent pas la réalisation de travaux, seraient loués sous l'empire de baux commerciaux, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision ne répondrait pas à un intérêt général suffisant.

13. En quatrième lieu, les requérants ne peuvent utilement invoquer la circonstance que la décision de préemption entraînera une copropriété de l'immeuble avec la Ville de Paris susceptible de compliquer la gestion de ce dernier.

14. En dernier lieu, outre qu'est inopérante la circonstance, à la supposer même établie, que la façade du bâtiment serait remarquable, il ne ressort pas des pièces du dossier que les locaux du rez-de-chaussée, qui sont des locaux commerciaux destinés à le rester, seront transformés en logements.

15. Il résulte de ce qui précède que MM. C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Leurs conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. La Ville de Paris n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de MM. C... tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de MM. C... le versement d'une somme totale de 500 euros à la Ville de Paris au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de MM. C... est rejetée.

Article 2 : MM. C... verseront une somme totale de 500 euros à la Ville de Paris au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. B... C..., à M. A... C... et à la Ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

Le rapporteur, Le président,

J.-F. GOBEILL J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02288


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02288
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : FALALA

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;23pa02288 ?
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