Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A..., Mme F... B... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 3 septembre 2021 par laquelle le président de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France a exercé son droit de préemption sur la parcelle cadastrée section D n° 10 au 44 bis rue Jean-Moulin sur le territoire de la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis).
Par un jugement n° 2115150 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 avril 2023, l'Etablissement public foncier d'Île-de-France, représenté par Me Salaün, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2115150 du 16 février 2023 ;
2°) de rejeter la requête de M. A..., de Mme B... et de M. E... ;
3°) de mettre à la charge solidairement de M. A..., de Mme B... et de M. E... le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de préemption n'était pas tardive, les délais étant suspendus en l'absence de réception par la commune des Lilas des documents complémentaires qu'elle avait sollicités ;
- la réalité du projet est établie ;
- l'autre moyen soulevé en première instance, tiré du caractère insuffisamment motivé de la décision, n'est pas fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2023, M. A..., Mme B... et M. E..., représentés par Me Dreyfus, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gobeill,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- les observations de Me Salaün, représentant l'Etablissement public foncier d'Île-de-France,
- et les observations de Me Dreyfus, représentant M. A..., Mme B... et M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 3 septembre 2021, l'Etablissement public foncier d'Île-de-France a exercé son droit de préemption sur la parcelle cadastrée section D n° 10 au 44 bis rue Jean-Moulin sur le territoire de la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis). Par un jugement du 16 février 2023 dont l'Etablissement public foncier d'Île-de-France relève appel, le tribunal administratif de Montreuil, saisi à cette fin par M. A..., Mme B... et M. E..., propriétaires, a annulé cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour annuler la décision contestée, les premiers juges se sont en premier lieu fondés sur la circonstance que la décision de préemption était tardive.
3. Aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. (...) Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. (...)/ Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. (...) ".
4. A la suite de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner le 16 avril 2021, la commune des Lilas a sollicité la production de pièces complémentaires et l'organisation d'une visite du bien, par un courrier du 1er juin 2021. L'office notarial des cédants a adressé le 15 juin 2021 au directeur de l'urbanisme et de l'habitat de la mairie des Lilas deux courriers électroniques, le premier à 10h45 lui communiquant la copie de la promesse de vente et les annexes et le second à 10h48, faisant expressément référence au premier courrier par la formule " en complément du mail de ma collaboratrice " et l'informant que les propriétaires acceptaient la demande de visite, ce à quoi, à 11h22, le destinataire a répondu " c'est bien noté. Je vous remercie. Je me tiens donc en attente de leur prise de contact " sans relever alors l'absence de réception du premier courrier, laquelle ne sera évoquée que le 10 septembre 2021. En outre, le moyen tiré de ce que les pièces transmises étaient insuffisantes n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier la portée. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges se sont fondés sur le motif rappelé au point 2 pour annuler la décision contestée.
5. Le jugement s'est en second lieu fondé sur la circonstance que la réalité du projet n'était pas établie.
6. Aux termes des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dans sa version alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ".
7. Il résulte des dispositions citées aux points précédents que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
8. La circonstance, à la supposer établie, que la convention d'intervention foncière signée le 30 décembre 2019 entre la commune des Lilas, l'établissement public territorial Est Ensemble et l'Etablissement public foncier d'Île-de-France ne prévoirait que la création de logements sociaux et non d'hébergements d'urgence, alors que la décision contestée relève que l'acquisition du bien permettra de créer environ dix logements à vocation sociale " pouvant prendre la forme d'hébergements d'urgence " n'est pas de nature à remettre en cause la réalité du projet, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que par une décision du 12 juillet 2021, le président de l'établissement public territorial Est Ensemble a délégué à l'Etablissement public foncier d'Île-de-France le droit de préemption urbain renforcé pour le bien en litige au motif que sa maitrise est importante pour développer un projet immobilier à usage de logement social ou d'hébergement social, en cohérence avec les objectifs de développement de l'offre sociale et de résorption de l'habitat indigne, déclinés notamment dans le plan local d'urbanisme intercommunal et dans le programme local de l'habitat intercommunal, et que l'association Aurore avait manifesté son intérêt le 20 juillet suivant pour réaliser un projet d'habitat solidaire. Il résulte de ce qui précède que la réalité du projet était établie à la date de la décision contestée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etablissement public foncier d'Île-de-France n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision contestée.
Sur les frais liés au litige :
10. M. A..., Mme B... et M. E... n'étant pas parties perdantes dans la présente instance, les conclusions de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France tendant à ce qu'une somme soit mise à leur charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France le versement d'une somme totale de 1 500 euros à verser à M. A..., à Mme B... et à M. E... au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'Etablissement public foncier d'Île-de-France est rejetée.
Article 2 : L'Etablissement public foncier d'Île-de-France versera à M. A..., à Mme B... et à M. E... une somme totale de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié l'Etablissement public foncier d'Île-de-France et à M. D... A..., premier dénommé de l'ensemble des défendeurs.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. GOBEILL J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01642