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27/03/2024 | FRANCE | N°23PA02889

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 7ème chambre, 27 mars 2024, 23PA02889


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une ordonnance du 13 janvier 2023, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au tribunal administratif de Paris, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative la requête, enregistrée le 11 janvier 2023, par laquelle M. C... A... B... a demandé d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé

le pays de renvoi pour son éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une ordonnance du 13 janvier 2023, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au tribunal administratif de Paris, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative la requête, enregistrée le 11 janvier 2023, par laquelle M. C... A... B... a demandé d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi pour son éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.

Par un jugement n° 2301259/8 du 21 mars 2023, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 juin 2023, M. A... B..., représenté par Me Berdugo, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301259/8 du 21 mars 2023 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une autorisation de séjour et de réexaminer sa situation administrative dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- chacune des décisions contenues dans l'arrêté attaqué est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen circonstancié de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière car il n'a pas pu être entendu en violation de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 :

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision refusant un délai de départ volontaire a été prise sur le fondement de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui est contraire aux articles 1er et 3 de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, en ce qui concerne la notion de risque de fuite ;

- il ne présente pas de risque de fuite ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à ses conséquences sur sa situation personnelle.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 5 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- la directive n° 2008/115 du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Hamon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né en 1987, est entré en France le 1er août 2018 selon ses déclarations. A la suite de son interpellation, par un arrêté du 11 janvier 2023 le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi pour son éloignement et a prononcé une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français de douze mois. M. A... B... relève appel du jugement du 21 mars 2023 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions :

2. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué, qui mentionne les éléments de fait et de droit sur lesquels il se fonde et décrit la situation personnelle de M. A... B..., est suffisamment motivé. Cette motivation révèle en outre que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle du requérant.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) " Si les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, celui-ci peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union européenne, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée.

4. Il résulte du procès-verbal de l'audition de M. A... B..., établi le 11 janvier 2023 par les services de police à la suite de son interpellation, que l'intéressé a été informé de la possibilité que soit prise à son encontre une mesure d'éloignement, et mis à même de présenter des observations sur cette éventualité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendu avant que soit prise la décision attaquée doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que si, contrairement à ce qui est mentionné dans la décision attaquée, M. A... B... est entré en France sous couvert d'un visa valable du 20 février au 15 août 2018, le préfet s'est également fondé, pour prendre la décision attaquée, sur la circonstance qu'il s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ni avoir effectué aucune démarche en vue de régulariser sa situation au regard du droit au séjour. Par suite, il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision sans se fonder sur cette entrée régulière.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Par ailleurs l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. S'il ressort des pièces du dossier que le requérant est entré régulièrement en France en 2018 et y réside avec son épouse et leurs deux enfants, nés en France en 2018 et 2020, dont l'un était scolarisé à la date de la décision attaquée, et qu'il exerce habituellement une activité professionnelle de livreur, il ne ressort toutefois pas de ces pièces que son épouse résiderait régulièrement en France, ni que la vie familiale et la scolarisation des enfants, âgés de 5 et trois ans à la date de la décision attaquée, ne pourrait pas se poursuivre en Algérie, dont les deux parents et les enfants sont ressortissants. Dès lors, compte tenu de la durée et des conditions de sa présence en France, et quand bien même il ne représente pas une menace pour l'ordre public, M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et aurait, par suite, méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990. Pour les mêmes motifs le requérant n'est pas plus fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie privée et familiale.

Sur la décision de refus de délai de départ volontaire :

8. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ".

9. Le requérant soutient que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au refus d'accorder un délai de départ volontaire et définissant la notion de " risque de fuite ", désormais codifiées à l'article L. 612-3 de ce code, méconnaissent la directive du 16 décembre 2008 en ce qu'elles instituent " une présomption de risque de fuite " très large. Toutefois, les dispositions précitées de la directive du 16 décembre 2008, transposées à l'article L. 612-3 contesté, ne s'opposent pas à ce que les Etats membres prévoient que le risque de fuite soit regardé comme établi, sauf circonstances particulières, dans le cas où l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une décision d'éloignement. En prévoyant que ces circonstances particulières peuvent faire obstacle à ce que le risque de fuite soit considéré comme établi dans l'hypothèse où un ressortissant étranger entrerait pourtant dans un des cas définis aux dispositions précitées, qui prévoient des critères objectifs, le législateur a ainsi imposé à l'administration un examen de la situation propre à chaque étranger de nature à assurer le respect du principe de proportionnalité entre les moyens et les objectifs poursuivis lorsqu'il est recouru à des mesures coercitives. Ainsi, le principe de proportionnalité, qui doit être assuré au cours de chacune des étapes de la procédure de retour, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt n° C-61/11 PPU El Dridi du 28 avril 2011, n'est pas, eu égard à ce qui précède, méconnu par les dispositions en cause. Par suite, M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 612-3 du code précité, qui servent de base légale à la décision contestée, seraient incompatibles avec les objectifs de la directive du 16 décembre 2008.

10. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. A... B... se maintient irrégulièrement en France à la suite du rejet de sa demande d'asile le 26 février 2019 et ne justifie pas avoir entrepris de démarches en vue de faire régulariser sa situation administrative. Par suite il n'est pas fondé à soutenir qu'il ne présentait pas de risque de fuite et que la décision de refus de délai de départ volontaire serait entachée sur ce point d'une erreur d'appréciation.

Sur la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ". Il incombe à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.

12. En premier lieu il ressort des termes de la décision attaquée que le préfet n'a pas omis de faire porter son appréciation sur les conditions et la durée du séjour en France du requérant, sur l'absence de motifs humanitaires, ni sur les motifs pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon lui, être regardée comme une menace pour l'ordre public.

13. En second lieu, il résulte de ce qui est jugé au point 7 que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision méconnaîtrait les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie privée et familiale.

14. Il résulte dès lors de tout ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

La rapporteure,

P. HAMONLe président,

B. AUVRAY

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA02889 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02889
Date de la décision : 27/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : CABINET KOSZCZANSKI & BERDUGO

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-27;23pa02889 ?
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